La requête concerne le placement en rétention administrative d’un couple et de leur enfant mineur, âgé de huit ans au moment des faits, pendant une durée de quatorze jours. Les requérants soutiennent, en premier lieu, que leur placement en rétention est contraire à l’article 3 de la Convention eu égard au jeune âge de l’enfant, au caractère inadapté des conditions matérielles du centre de rétention pour un enfant, et à la durée du placement en rétention. Invoquant l’article 34 de la Convention, en second lieu, les requérants reprochent aux autorités françaises de ne pas les avoir libérés à la suite de la décision de la Cour accueillant leur demande de mesures provisoires visant à faire cesser la rétention, en vertu de l’article 39 de son règlement.
CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE N.B. ET AUTRES c. FRANCE
(Requête no 49775/20)
ARRÊT
Art 3 (matériel) • Traitement inhumain et dégradant • Rétention administrative durant quatorze jours dans le but d’éloignement d’un enfant étranger âgé de huit ans accompagné de ses parents dans un centre inadapté • Grief relatif à la souffrance des parents non étayé
Art 34 • Entraver l’exercice du droit de recours • Pas de justification à l’inexécution durant sept jours de la mesure provisoire de faire cesser la rétention de l’enfant
STRASBOURG
31 mars 2022
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire N.B. et autres c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une Chambre composée de :
Mārtiņš Mits, président,
Síofra O’Leary,
Ganna Yudkivska,
Lətif Hüseynov,
Ivana Jelić,
Mattias Guyomar,
Kateřina Šimáčková, juges,
et de Victor Soloveytchik, greffier de section,
Vu :
la requête (no 49775/20) dirigée contre la République française et dont trois ressortissants géorgiens, N.B., N.G. et K.G. (« les requérants ») ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 13 novembre 2020,
la décision de porter à la connaissance du gouvernement français (« le Gouvernement ») la requête,
la décision de ne pas dévoiler l’identité des requérants,
la mesure provisoire indiquée au gouvernement défendeur en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour (« le règlement »),
la décision de traiter en priorité la requête (article 41 du règlement de la Cour),
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 mars 2022,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. La requête concerne le placement en rétention administrative d’un couple et de leur enfant mineur, âgé de huit ans au moment des faits, pendant une durée de quatorze jours.
2. Les requérants soutiennent, en premier lieu, que leur placement en rétention est contraire à l’article 3 de la Convention eu égard au jeune âge de l’enfant, au caractère inadapté des conditions matérielles du centre de rétention pour un enfant, et à la durée du placement en rétention.
3. Invoquant l’article 34 de la Convention, en second lieu, les requérants reprochent aux autorités françaises de ne pas les avoir libérés à la suite de la décision de la Cour accueillant leur demande de mesures provisoires visant à faire cesser la rétention, en vertu de l’article 39 de son règlement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. Les requérants, N.B., N.G. et leur fils K.G. sont nés respectivement en 1988, en 1984 et en 2012 et sont représentés par Me J.E. Martin, avocat à Strasbourg.
5. Le Gouvernement a été représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des Affaires juridiques au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
A. Période antérieure au placement en rétention
6. Les requérants, de nationalité géorgienne, quittèrent leur pays et entrèrent irrégulièrement en France en 2019. Leurs demandes d’asile firent l’objet de décisions de rejet par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) en date du 21 janvier 2020.
7. Le 2 mars 2020, le préfet des Ardennes prit à l’encontre de N.B. et N.G., des arrêtés portant obligation de quitter le territoire français avec délai de départ volontaire. Les recours des requérants contre ces arrêtés furent rejetés par le tribunal administratif de Nancy.
8. Les mesures n’ayant pas été exécutées spontanément par les requérants et aucune demande d’aide au retour volontaire n’ayant été formulée, le 16 septembre 2020, le préfet prit à leur encontre des décisions d’assignation à résidence, également contestées en vain par les requérants devant le tribunal administratif de Nancy.
9. Le 5 octobre 2020, l’OFPRA déclara irrecevables les demandes des requérants tendant au réexamen de leurs demandes d’asile. Les 5 et 6 novembre 2020, ils déposèrent un recours, non suspensif de leur éloignement, devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) contre ces décisions.
10. Dans le cadre de la mise en œuvre de leur éloignement forcé, la préfecture des Ardennes réserva pour les requérants un vol à destination de la Géorgie prévu le 7 novembre 2020 à 12 heures 25 au départ de l’aéroport de Paris Charles-de-Gaulle.
B. Période de rétention administrative
11. Le 6 novembre 2020, le préfet des Ardennes prit des arrêtés portant placement en rétention administrative de N.B. et N.G.. Les requérants furent placés, avec leur fils, au centre de rétention administrative de Metz.
12. Le 7 novembre 2020, après leur refus d’embarquer, les requérants furent reconduits au centre de rétention administrative de Metz en l’absence de places disponibles au centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot.
13. Par deux ordonnances du 9 novembre 2020, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Metz autorisa la prolongation de la rétention de N.B. et N.G. pour une durée de 28 jours. Par deux ordonnances du 12 novembre 2020, le magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel de Metz confirma les ordonnances du juge des libertés et de la détention.
14. Le 7 novembre 2020, l’administration sollicita, l’organisation d’un nouveau vol avec escorte entre le 1er et le 4 décembre 2020, soit dans le contexte des mesures prises pour combattre le Covid, après la date de l’entrée en vigueur d’un accord franco-géorgien sur les conditions de retour, sans quatorzaine, des escorteurs français.
15. Le 13 novembre 2020, la Cour, saisie d’une demande de mesures provisoires sur le fondement de l’article 39 de son Règlement, demanda au Gouvernement de mettre un terme à la rétention administrative des requérants. Le Gouvernement et les requérants furent informés de cette décision, respectivement, par le service de communication électronique de la Cour à 18 heures 33 et par télécopie à 18 heures 37.
16. Par courrier en date du 16 novembre 2020, la Cour transmit au Gouvernement un courrier du même jour de l’Ordre de Malte, association présente au centre de rétention, indiquant que les requérants se trouvaient toujours en rétention et invita le Gouvernement à lui transmettre ses commentaires à ce sujet. Le 17 novembre 2020, l’agent du Gouvernement informa la Cour qu’il était encore en attente des éléments de réponse utiles de la part des services concernés et qu’il ne manquerait pas de revenir vers elle dans les plus brefs délais.
17. Par une ordonnance en date du 19 novembre 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Nancy, saisi par les requérants sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, enjoignit au préfet des Ardennes de mettre fin à leur rétention administrative, dans un délai de 24 heures suivant la notification de l’ordonnance et jusqu’à ce que la Cour ait statué au fond sur le fondement de l’article 34 de la Convention ou ait mis fin à la mesure provisoire. Cette ordonnance est motivée de la manière suivante :
« (…) En ce qui concerne l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :
6. Le droit d’exercer un recours effectif devant une juridiction, protégé par la Constitution et par les stipulations des articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, constitue une liberté fondamentale. Les mesures provisoires prescrites sur le fondement de l’article 39 du règlement de la Cour européenne des droits de l’homme ont pour objet de garantir l’effectivité du droit au recours individuel devant cette Cour, prévu à l’article 34 de la Convention. Leur inobservation constitue un manquement aux stipulations de ce dernier, aux termes desquelles les parties contractantes s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice du droit au recours individuel devant la Cour. Le gouvernement français est donc tenu de respecter ces mesures, sauf exigence impérieuse d’ordre public ou tout autre obstacle objectif l’empêchant de s’y conformer. C’est aux autorités préfectorales qu’il incombe de faire respecter les mesures provisoires décidées par la Cour européenne des droits de l’homme, tant qu’elle n’a pas statué au fond sur le fondement de l’article 34 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou mis fin à ces mesures provisoires.
7. En l’espèce, il résulte de l’instruction que [N.G. et N.B.], ressortissants géorgiens, ont, avec leur enfant mineur âgé de huit ans, été placés en rétention administrative à Metz le 6 novembre 2020 en vue de l’exécution d’office des obligations de quitter le territoire français et des interdictions de retour sur ce territoire dont ils ont fait l’objet le 2 mars 2020 et qui, à défaut de tout recours contentieux, sont devenues définitives et exécutoires de plein droit. Le juge des libertés et de la détention, dont la décision a été confirmée le 11 novembre 2020, par la cour d’appel de Metz, a prolongé la rétention administrative des requérants. Le 13 novembre 2020, les requérants ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme en invoquant les risques de traitements inhumains et dégradants résultant du placement de leur famille, qui comprend un enfant, en rétention administrative pour une durée de plus de sept jours. Le même jour, la Cour européenne des droits de l’homme a décidé d’indiquer au gouvernement français, en vertu de l’article 39 du règlement, dans l’intérêt des parties et du bon déroulement de la procédure devant elle, de faire cesser la mesure de rétention dont [N.G. et N.B.] et leur enfant mineur font l’objet pour la durée de la procédure devant la Cour. Au jour de la présente ordonnance, alors qu’il est constant que la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas statué au fond et qu’il ne résulte ni des pièces du dossier ni des observations faites à l’audience que la Cour européenne des droits de l’homme aurait mis fin à ces mesures provisoires, [N.G. et N.B.] et leur enfant sont toujours maintenus au centre de rétention administrative de Metz.
8. Le préfet des Ardennes ne fait état d’aucune exigence impérieuse d’ordre public qui ferait obstacle à ce que les mesures provisoires décidées par la Cour européenne des droits de l’homme soient exécutées. Les obligations de quitter le territoire français dont les requérants font l’objet mentionnent au demeurant que leur comportement ne constitue pas une menace pour l’ordre public. Le préfet des Ardennes ne fait état d’aucun obstacle objectif empêchant le gouvernement français de se conformer aux mesures provisoires prescrites par la Cour européenne des droits de l’homme et dont il aurait informé la Cour afin de l’inviter à réexaminer la mesure conservatoire prescrite. Les circonstances que les conditions de rétention de [N.G. et N.B.] seraient conformes aux stipulations de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et aux dispositions légales et réglementaires nationales applicables, ainsi que l’a estimé le juge judiciaire, et que la durée de la rétention administrative des requérants et de leur enfant résulterait de leur refus d’embarquement le 7 novembre dernier, sont sans incidence sur l’obligation du préfet des Ardennes de mettre en œuvre toutes les mesures permettant d’assurer l’exécution des mesures provisoires décidées par la Cour européenne des droits de l’homme. Il en est de même de la circonstance que l’instance au fond reste pendante devant la Cour européenne des droits de l’homme, dès lors qu’ainsi qu’il a été dit précédemment, il ne ressort ni des pièces du dossier ni des observations à l’audience que celle-ci aurait mis fin à ces mesures provisoires. Dans ces conditions, le maintien de [N.G. et N.B.] et de leur enfant de huit ans en rétention administrative, malgré les mesures provisoires décidées par la Cour européenne des droits de l’homme dès le 13 novembre 2020, porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
En ce qui concerne l’urgence :
9. Eu égard à la nature des mesures provisoires décidées par la Cour européenne des droits de l’homme, qui ont pour objet de mettre fin à une privation de liberté le temps qu’elle statue sur les conditions mêmes de la rétention administrative des requérants, les requérants justifient d’une situation d’urgence au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. (…) »
18. Le 20 novembre 2020, l’agent du Gouvernement informa la Cour que ce même jour au matin les requérants avaient été éloignés vers la Géorgie ce qui avait mis fin à leur rétention administrative.
19. Le 18 décembre 2020, la CNDA rejeta les recours des requérants contre les décisions de l’OFPRA du 5 octobre 2020. Les requérants résideraient actuellement en Turquie.
II. LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE PERTINENTS
A. Droit et pratique internes pertinents
1. Droit interne pertinent
20. L’article L. 551-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et droit d’asile (CESEDA), dans sa version applicable au moment des faits, prévoyait les cas dans lesquels un étranger accompagné d’un mineur peut être placé en rétention :
« I.- Dans les cas prévus aux 1o à 7o du I de l’article L. 561-2, l’étranger qui ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque mentionné au 3o du II de l’article L. 511-1 peut être placé en rétention par l’autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire, pour une durée de quarante-huit heures, en prenant en compte son état de vulnérabilité et tout handicap. (…)
III bis. – L’étranger mineur de dix-huit ans ne peut faire l’objet d’une décision de placement en rétention. Il ne peut être retenu que s’il accompagne un étranger placé en rétention dans les conditions prévues au présent III bis.
Les I et II du présent article ne sont pas applicables à l’étranger accompagné d’un mineur, sauf :
1o S’il n’a pas respecté l’une des prescriptions d’une précédente mesure d’assignation à résidence ;
2o Si, à l’occasion de la mise en œuvre de la mesure d’éloignement, il a pris la fuite ou opposé un refus ;
3o Si, en considération de l’intérêt du mineur, le placement en rétention de l’étranger dans les quarante-huit heures précédant le départ programmé préserve l’intéressé et le mineur qui l’accompagne des contraintes liées aux nécessités de transfert.
Dans les cas énumérés aux 1o à 3o du présent III bis, la durée du placement en rétention est la plus brève possible, eu égard au temps strictement nécessaire à l’organisation du départ. Dans tous les cas, le placement en rétention d’un étranger accompagné d’un mineur n’est possible que dans un lieu de rétention administrative bénéficiant de chambres isolées et adaptées, spécifiquement destinées à l’accueil des familles.
L’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale pour l’application du présent article ;
IV.- Le handicap moteur, cognitif ou psychique et les besoins d’accompagnement de l’étranger sont pris en compte pour déterminer les conditions de son placement en rétention. »
21. Depuis la loi no 2016-274 du 7 mars 2016, le contentieux de la rétention administrative relève de la compétence exclusive des juridictions judiciaires, précisément du juge des libertés et de la détention, à l’exception du contrôle de la décision de « maintien en rétention » à la suite d’une demande d’asile en rétention prise sur le fondement de l’article L. 556-1 du CESEDA, tel qu’applicable à l’époque des faits.
22. En vertu de l’article L. 512-1 du CESEDA, applicable au moment des faits litigieux, la décision de placement en rétention peut être contestée devant le juge des libertés et de la détention dans un délai de 48 heures à compter de sa notification. En vertu de l’article L. 552-1 du CESEDA applicable au moment des faits, le juge des libertés et de la détention, saisi par l’autorité administrative dans un délai de 48 heures à compter de la décision initiale de placement en rétention, peut ordonner la prolongation de la rétention pour une durée de 28 jours.
23. Lorsque l’étranger dispose de garanties de représentation effectives, le juge des libertés et de la détention a la possibilité d’ordonner son assignation à résidence en application de l’article L. 552-4 du CESEDA alors applicable et aux termes duquel :
« Le juge peut ordonner l’assignation à résidence de l’étranger lorsque celui-ci dispose de garanties de représentation effectives, après remise à un service de police ou à une unité de gendarmerie de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité, en échange d’un récépissé valant justification de l’identité et sur lequel est portée la mention de la mesure d’éloignement en instance d’exécution. L’assignation à résidence concernant un étranger qui s’est préalablement soustrait à l’exécution d’une obligation de quitter le territoire français, d’une interdiction de retour sur le territoire français, d’une interdiction de circulation sur le territoire français, d’une interdiction administrative du territoire, d’une mesure de reconduite à la frontière, d’une interdiction du territoire, ou d’une mesure d’expulsion doit faire l’objet d’une motivation spéciale. »
24. Les ordonnances du juge des libertés et de la détention, saisi aux fins de contestation de la décision de placement en rétention et/ou aux fins de prolongation de la rétention, peuvent être contestées devant le premier président de la cour d’appel territorialement compétente, en vertu de l’article L. 552-9 du CESEDA alors applicable.
25. L’article L. 553-1 du CESEDA applicable au moment des faits dispose que :
« Il est tenu, dans tous les lieux recevant des personnes placées ou maintenues au titre du présent titre, un registre mentionnant l’état civil de ces personnes ainsi que les conditions de leur placement ou de leur maintien. Le registre mentionne également l’état civil des enfants mineurs accompagnant ces personnes ainsi que les conditions de leur accueil. (…) »
26. Aux termes de l’article L. 553-3 du CESEDA applicable au moment des faits :
« Pendant toute la durée de la rétention, le procureur de la République ou le juge des libertés et de la détention peut se transporter sur les lieux, vérifier les conditions du maintien et se faire communiquer le registre prévu à l’article L. 553-1. Le procureur de la République visite les lieux de rétention chaque fois qu’il l’estime nécessaire et au moins une fois par an. (…) »
27. L’article L. 554-1 du CESEDA applicable au moment des faits dispose que :
« Un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L’administration doit exercer toute diligence à cet effet. (…) ».
28. L’article R. 553‑3 du CESEDA, applicable au moment des faits, relatif aux conditions d’accueil dans les centres de rétention administrative prévoit que « (…) Les centres de rétention administrative susceptibles d’accueillir des familles disposent en outre de chambres spécialement équipées, et notamment de matériels de puériculture adaptés ».
29. L’arrêté du 30 mars 2011 pris en application de l’article R. 553-1 du CESEDA, applicable au moment des faits, indique que le centre de rétention de Metz-Queuleu, placé sous surveillance de la police nationale, est autorisé à accueillir des familles.
2. Avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme sur la rétention des mineurs
30. Dans son avis relatif à la proposition de loi visant à encadrer strictement la rétention des familles avec mineurs du 24 septembre 2020, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) recommande, au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, d’interdire purement et simplement la rétention des mineurs, et de privilégier des alternatives.
3. Conditions d’accueil au centre de rétention administrative de Metz‑Queuleu
31. Les conditions d’accueil au centre de rétention administrative de Metz-Queuleu telles qu’elles existaient en 2010 et 2012 ont été exposées dans l’arrêt A.M. et autres c. France (no 24587/12, §§ 22-23, 12 juillet 2016). Les faits de l’espèce s’étant déroulés en novembre 2020, des éléments d’actualisation issus de rapports plus récents sont exposés ci-dessous.
a) Rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté
32. Les conclusions du rapport de la visite effectuée au centre de rétention administrative de Metz-Queuleu du 9 au 11 octobre 2017 par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) sont synthétisées comme suit :
« Si certains aspects ont été sensiblement améliorés depuis la visite de 2010, quatre éléments primordiaux ont été relevés lors de cette visite.
Le premier point réside dans la très forte augmentation du nombre de personnes retenues, qui se manifeste essentiellement par la hausse du nombre de familles et de mineurs placés en rétention. En 2017, l’augmentation du nombre des familles avec enfants est spectaculaire : 164 mineurs ont été placés au centre de rétention administrative de Metz en 2017 contre 107 durant l’année 2016. Le plus jeune d’entre eux avait 4 mois, le plus âgé, 18 ans.
Le CGLPL recommande, dans son avis publié au JO du 14 juin 2018, que l’enfermement d’enfants soit interdit dans les CRA, seule la mesure d’assignation à résidence pouvant être mise en œuvre à l’égard des familles accompagnées d’enfants.
Le deuxième point d’importance demeure l’état des bâtiments d’hébergement, des cours intérieures et des abords extérieurs qui sont dans un état de saleté déplorable. Il convient d’augmenter le temps de présence des agents d’entretien et d’équiper les cours intérieures de cendriers et de poubelles. Les contrôleurs ont par ailleurs observé que l’absence de chambres individuelles, de salle commune, de confidentialité des communications téléphoniques dans les points-phones dépourvus de cabines ainsi que la maintenance des installations parfois défaillante signalés en 2010 sont restés en l’état.
Il convient, face à une population dont le nombre s’accroit, d’améliorer les conditions d’hébergement et de vie quotidienne.
Si le dispositif de soins répond globalement aux besoins des personnes retenues, il constitue cependant un troisième point de recommandation. Les soins n’ont pas été étendus à une prise en charge psychologique et psychiatrique des personnes retenues.
Des consultations avec un médecin psychiatre doivent être organisées au sein même de l’unité médicale afin d’optimiser la prise en charge médicale et le suivi des patients.
Le quatrième point que les contrôleurs souhaitent mettre en évidence concerne la sortie du centre de rétention administrative. Si le chef de centre s’attache à recevoir les personnes retenues avant leur sortie, il reste que les règles relatives aux conditions d’information de la personne retenue sur son départ ne sont pas formalisées.
Le contrôleur général recommande l’uniformisation au niveau national des règles relatives aux conditions d’information de la personne sur son départ et la mise en place d’un outil de traçabilité permettant d’en contrôler l’application.
Par ailleurs, comme en 2010, les personnes libérées ne bénéficient pas, malgré l’existence de liens avec l’association « Réseau éducation sans frontières de Moselle », d’une procédure de sortie formalisée. Celles d’entre elles qui sont remises en liberté en soirée ou de nuit doivent faire à pied le chemin jusqu’au centre-ville éloigné de plusieurs kilomètres.
Une organisation doit être trouvée pour conduire les personnes majeures et mineures libérées du centre de rétention vers la gare, aux heures où aucun moyen de transport collectif ne fonctionne. »
33. Concernant plus spécifiquement la rétention des enfants, les contrôleurs constatent que :
« l’OFII met à disposition des jeux de société des jeux pour enfants et une bibliothèque d’environ 200 ouvrages ;
(…)
2- La zone de « rétention » est, comme en établissement pénitentiaire, distincte de la zone administrative et séparée par un grillage du même type que celui de l’enceinte du CRA. On y accède par deux portillons ouverts à l’aide d’un badge sous le contrôle des policiers chargés de la garde. La dimension sécuritaire du centre de rétention est omniprésente et la mitoyenneté avec le centre pénitentiaire de Metz-Queuleu redouble cet aspect, notamment par la présence de l’un des miradors.
Elle comprend sept bâtiments d’hébergement, chacun d’une capacité de quatorze personnes, répartis en quatre zones :
– la zone 1 comprend deux bâtiments (le 1 et le 2) réservés aux femmes et aux familles, qui sont hébergées dans une chambre à neuf places (la chambre « grande famille ») ou dans une chambre à cinq places (la chambre « petite famille ») ;
(…)
La zone 1 dédiée aux femmes et aux familles est strictement sectorisée et dispose d’un portillon qui lui est propre et d’une cour aménagée de jeux d’enfants (toboggan, balançoires et une échelle de corde, bancs). Lors de la visite, la première impression est celle d’un confinement dans des locaux exigus, alors même qu’ils sont installés dans une enceinte très vaste ;
(…)
b) Les familles avec mineurs retenues au CRA en 2016
Cinquante et une familles avec un ou plusieurs enfants ont été placées au CRA totalisant 199 personnes dont 107 enfants. Le plus jeune d’entre eux avait 4 mois, le plus âgé, 18 ans.
Vingt familles étaient originaires du Kosovo, onze d’Albanie, cinq de Serbie, cinq du Monténégro, deux d’Arménie, deux de Russie. Une famille venait de Géorgie, une de Bosnie, une du Nigéria, une d’Angola, une d’Afghanistan et une d’Azerbaïdjan.
Sept de ces familles n’ont été placées que quelques heures sans y rester la nuit tandis que quarante-et-une y ont passé une nuit, deux y ont dormi deux nuits et une y a été maintenue trois nuits.
Trente-sept familles ont été éloignées : vingt au titre d’une réadmission Dublin et dix-sept dans le cadre d’une OQTF. Onze ont été libérées, trois assignées à résidence et une famille a été replacée dans un CRA parisien à la suite d’un refus d’embarquer.
(…)
Entre janvier et août 2017, le nombre de mineurs retenus augmente de façon singulière
Les statistiques de l’année 2017, fournies aux contrôleurs lors de leur visite, étaient partielles, pour n’être que celles des huit premiers mois de l’année, et ne pas avoir encore fait l’objet d’une complète analyse. Les nationalités représentées sont globalement les mêmes que celles de 2016, avec cependant une augmentation sensible du nombre de personnes originaires de Russie (5,13 %).
Il faut essentiellement en retenir que la proportion de personnes placées au CRA durant cette période laisse présager une progression importante du nombre de placements sur l’année. En outre, on constate une hausse spectaculaire du nombre des familles avec enfants, alors que la loi du 7 mars 2016 a réaffirmé le caractère exceptionnel que doit revêtir le placement en rétention de ces familles au profit de l’assignation à résidence, laquelle n’a été prononcée qu’à deux reprises durant cette période.
(…)
La remise des nécessaires d’hygiène, de couchage et l’installation
Dans chacun des casiers numérotés du local à bagages sont disposés, par avance, les nécessaires de couchage et d’hygiène remis à l’arrivée. Un nécessaire complet de couchage est fourni ainsi qu’un nécessaire d’hygiène dont les dosettes peuvent être renouvelées à la demande ; un rasoir peut être prêté chaque matin à l’appel contre remise de la carte de circulation et restitué après le petit déjeuner. Des couches sont prévues pour les jeunes enfants ainsi que des protections hygiéniques pour les femmes.
(…)
Les enfants âgés de moins de 6 ans sont immédiatement adressés, à la demande des parents ou de l’infirmière, dès leur arrivée au centre, aux urgences pédiatriques du CHR. Concernant les plus âgés, il a été précisé aux contrôleurs que « le médecin n’hésitait pas à les transférer à l’hôpital ne serait-ce que pour un rhume ». »
b) Rapport des ONG
34. Dans leur rapport commun couvrant l’année 2020 sur les centres et locaux de rétention administrative, ASSFAM – groupe SOS Solidarités, Forum réfugiés-Cosi, France terre d’asile, La Cimade et Solidarité Mayotte indiquaient que trente-six familles avaient été placées au centre de rétention de Metz-Queuleu, dont soixante-treize enfants mineurs. Parmi ces derniers, trente-cinq étaient âgés de moins de sept ans dont des nourrissons de quatre à huit mois.
35. Dans ce rapport, les organisations relevaient un durcissement des pratiques préfectorales à l’égard des familles s’illustrant par une reconduite au centre de rétention administrative après un refus d’embarquer. Cette nouvelle pratique avait eu pour conséquence un allongement de la durée de rétention. Les organisations mentionnaient, qu’à trois reprises, cette durée, pour des familles avec enfants, avait été supérieure à 10 jours.
B. Droit et pratique internationaux et de l’Union européenne
36. Les éléments pertinents du droit et de la pratique internationaux et de l’Union européenne relatifs à la rétention des mineurs sont rappelés dans l’arrêt M.D. et A.D. c. France (no 57035/18, §§ 41-50, 22 juillet 2021).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
37. Les requérants soutiennent que leur placement en rétention administrative constitue un traitement inhumain et dégradant. Ils invoquent l’article 3 de la Convention aux termes duquel :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la recevabilité
38. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
a) Les requérants
39. Les requérants font valoir que K.G., âgé de huit ans au moment des faits, placé dans une situation d’extrême vulnérabilité, n’était manifestement pas en mesure de comprendre les explications données par ses parents sur leur situation mais seulement d’en percevoir le caractère anxiogène. Ils soutiennent que son enfermement a entraîné une souffrance morale et psychique dans un lieu d’enfermement.
40. Les requérants, rappelant avoir été placés en rétention durant quatorze jours, soutiennent que le refus d’embarquer des parents ne saurait être pris en considération quant à la question de savoir si le seuil de gravité prohibé par l’article 3 est franchi à l’égard de K.G.. Ils font valoir que la durée de rétention ne saurait être imputable aux requérants mais à la crise sanitaire de Covid-19 et à la suspension des escortes jusqu’au 1er décembre 2020. Selon eux, les circonstances de l’espèce ne justifiaient pas le placement en rétention pour une durée totale de quatorze jours, dont sept jours en méconnaissance de la mesure provisoire prise par la Cour.
41. Les requérants précisent avoir produit un certificat médical concernant K.G., daté du 21 septembre 2020, mentionnant une cardiopathie congénitale nécessitant une surveillance clinique et échographique, sans traitement, avec contrôle de cardio-pédiatrie prévu au printemps 2021. Selon le rapport des ONG précité, le centre de Metz-Queuleu ne dispose que de deux médecins non permanents consultant sur demande et trois infirmières. Ils rappellent également que la cour intérieure de la zone « famille » n’était séparée de la zone « hommes » que par un grillage non opaque et que l’environnement sonore était particulièrement anxiogène.
b) Le Gouvernement
42. Le Gouvernement relève que K.G. est plus âgé que les enfants mineurs en cause dans plusieurs affaires dans lesquelles la Cour avait conclu à la violation de l’article 3. Il fait valoir qu’en l’espèce, K.G. était davantage en mesure de comprendre les explications données par ses parents, dont il n’a pas été séparé pendant la période de rétention, sur leur situation.
43. S’agissant de la durée de la rétention, le Gouvernement relève que les requérants n’avaient pas quitté volontairement le territoire et que le placement initial en rétention avait pour but d’éviter une intervention des forces de l’ordre au domicile familial à une heure très matinale. Selon lui, cette intervention aurait été bien plus choquante pour K.G. qu’un placement en rétention la veille du vol. Selon le Gouvernement, la prolongation de la rétention au-delà d’une nuit est imputable au comportement des requérants qui ont refusé d’embarquer sur le vol prévu. Par ailleurs, il fait valoir que la prolongation de la rétention a été ordonnée par le juge des libertés et de la détention et confirmé par la cour d’appel lesquels ont pleinement pris en considération la situation des requérants et de leur fils.
44. S’agissant des conditions de rétention, le Gouvernement précise qu’elles étaient tout à fait satisfaisantes au regard des normes d’accueil imposées par les instances européennes. Ce centre, habilité à recevoir des familles en vertu de l’article R. 553-3 du CESEDA applicable à l’époque des faits, comprend une zone réservée aux familles, isolée des quartiers pour femmes et hommes, ayant son propre portillon et une cour disposant de jeux de plein air pour les enfants. Deux espaces de détente avec téléviseurs sont accessibles aux familles et aux femmes. En l’espèce, les requérants ont été hébergés dans une chambre, équipée de téléviseur et d’interphone en lien avec la vigie du centre, pouvant accueillir cinq personnes. L’entretien des chambres et espaces communs est quotidien. Les familles se voient remettre du linge de toilette et le nécessaire d’hygiène. Le Gouvernement précise que le bâtiment « familles » a fait l’objet d’un contrôle de l’intensité des nuisances sonores et que les appels par haut-parleur sont diffusés seulement en journée pour annoncer les différents rendez-vous des personnes retenues. L’unité médicale, accessible sur demande, est composée d’un médecin présent un jour sur deux et de deux infirmières présentes chaque jour. Le centre de Metz-Queuleu dispose de jeux et d’activités de plein air et d’intérieur adaptés aux différents âges des enfants, ainsi que de livres.
45. Le Gouvernement conclut, au vu de l’ensemble des éléments relatifs à l’âge de K.G., à la durée totale de rétention de quatorze jours partiellement imputable aux requérants, aux conditions de rétention spécifiquement aménagées pour l’accueil des familles, que le seuil de gravité exigé par l’article 3 de la Convention n’a pas été atteint en l’espèce.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
46. Dans l’affaire M.D. et A.D. c. France (précitée, § 63), la Cour a rappelé que le placement d’enfants mineurs en rétention administrative soulève des questions spécifiques dans la mesure où, qu’ils soient ou non accompagnés, ils sont particulièrement vulnérables et appellent une prise en charge spécifique compte tenu de leur âge et de leur absence d’autonomie (Popov c. France, nos 39472/07 et 39474/07, § 91, 19 janvier 2012). S’agissant du placement en rétention administrative de mineurs accompagnés, la Cour apprécie l’existence d’une violation de l’article 3 de la Convention en mobilisant les trois facteurs suivants : l’âge des enfants mineurs, le caractère adapté ou non des locaux au regard de leurs besoins spécifiques et la durée de leur rétention (R.M. et autres c. France, no 33201/11, § 70, 12 juillet 2016, S.F. et autres c. Bulgarie, no 8138/16, §§ 78-83, 7 décembre 2017).
b) Application en l’espèce des principes généraux
i. En ce qui concerne l’enfant mineur
47. La Cour constate qu’en l’espèce, le requérant mineur était accompagné de ses deux parents durant la période de rétention. Elle rappelle toutefois comme dans l’affaire A.B. et autres c. France (no 11593/12, § 110, 12 juillet 2016 ; voir aussi l’arrêt M.D. et A.D. c. France précité, § 65), que cette circonstance n’est pas de nature à exonérer les autorités de leur obligation de protéger l’enfant mineur et de prendre des mesures adéquates au titre des obligations positives découlant de l’article 3 de la Convention. Il convient de garder à l’esprit que la situation de particulière vulnérabilité de l’enfant mineur est déterminante et prévaut sur la qualité d’étranger en séjour irrégulier de son parent.
48. S’agissant du critère relatif à l’âge de l’enfant, la Cour relève qu’il s’agissait d’un enfant mineur âgé de huit ans, à la date de la rétention administrative. Même si l’âge constitue l’un seulement des trois critères qu’il convient de combiner ensemble, et qu’il est vrai que K.G. est plus âgé qu’un certain nombre des enfants pour lesquels la Cour a constaté une violation de l’article 3, un enfant âgé de huit ans qui ne peut être considéré comme ayant le discernement suffisant pour comprendre la situation de l’espèce, reste placé dans une situation de particulière vulnérabilité.
49. S’agissant du critère relatif aux conditions d’accueil, la Cour constate que le centre de Metz-Queuleu est au nombre de ceux qui sont habilités à recevoir des familles (voir paragraphe 29). La Cour a déjà relevé que les annonces du centre diffusées par haut-parleur, exposent les personnes qui y sont retenues à de sérieuses nuisances sonores (A.M. et autres c. France, no 24587/12, § 50, 12 juillet 2016). Elle avait dans cette même affaire déjà noté que la cour extérieure de la zone de vie dédiée aux familles est uniquement séparée par un simple grillage de la zone réservée aux autres retenus permettant ainsi de voir tout ce qui s’y passe (ibidem). En outre, si des équipements pour enfants et bébés y sont disponibles, il ressort des constats du CGLPL que le centre de rétention de Metz-Queuleu, mitoyen du centre pénitentiaire se caractérise par sa dimension sécuritaire omniprésente (voir paragraphe 33).
50. La Cour a déjà relevé que les conditions d’accueil au centre de rétention de Metz-Queuleu bien que nécessairement sources importantes de stress et d’angoisse pour un enfant en bas âge, ne sont pas suffisantes à elles seules pour que soit atteint le seuil de gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3 (A.M. et autres c. France, précité, § 51). Elle réaffirme, en revanche, qu’au-delà d’une brève période de rétention, la répétition et l’accumulation des effets engendrés, en particulier sur le plan psychique et émotionnel, par une privation de liberté entraînent nécessairement des conséquences néfastes sur un enfant en bas âge, dépassant alors le seuil de gravité précité. Il s’ensuit que l’écoulement du temps revêt à cet égard une importance particulière.
51. Il reste à appliquer le critère relatif à la durée de la rétention. La Cour relève que même si, ainsi que le fait valoir le Gouvernement, les autorités nationales ont, dans un premier temps, mis en œuvre toutes les diligences requises pour exécuter au plus vite la mesure de transfert et limiter ainsi la durée de la rétention autant que possible, le droit absolu protégé par l’article 3 interdit qu’un mineur accompagné soit maintenu en rétention dans les conditions précitées pendant une période dont la durée excessive a contribué au franchissement du seuil de gravité prohibé. La Cour rappelle que le comportement des parents, à savoir, dans la présente affaire, le refus des requérants d’embarquer, n’est pas déterminant quant à la question de savoir si le seuil de gravité prohibé est franchi à l’égard de l’enfant mineur (M.D. et A.D. c. France, précité, § 70).
52. Au cas d’espèce, la Cour estime que la rétention d’un enfant mineur âgé de huit ans dans les conditions existantes, à la date des faits litigieux, dans le centre de Metz-Queuleu qui s’est prolongée pendant quatorze jours est excessive au regard des exigences qui découlent de l’article 3 (voir A.M. et autres c. France, précité, s’agissant d’un constat de violation de l’article 3 pour une durée de rétention de sept jours seulement). Elle note d’ailleurs, au vu de l’ensemble des motifs des ordonnances des 9 novembre et 12 novembre 2020, qu’alors même que le dernier alinéa de l’article L. 551-1 III bis prévoit qu’en la matière « L’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale » (voir paragraphe 20), avant d’apprécier la légalité du placement initial et d’ordonner la prolongation de la rétention administrative pour une durée de vingt-huit jours dans le cadre du contrôle juridictionnel qu’il leur incombait d’exercer, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Metz n’a tenu aucun compte de la présence de K.G. et de son statut d’enfant mineur, et que, s’il a pris en considération cette circonstance, le magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel de Metz n’en a pas suffisamment tenu compte dans la solution qu’il a retenue.
53. Les considérations qui précèdent sont suffisantes pour permettre à la Cour de conclure que, compte tenu de son jeune âge, des conditions de rétention dans le centre de Metz-Queuleu et de la durée du placement en rétention, les autorités compétentes ont soumis l’enfant mineur, à un traitement qui a dépassé le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention dans le chef de K.G..
ii. En ce qui concerne les parents
54. La Cour réaffirme que le point de savoir si un parent est victime des mauvais traitements infligés à son enfant dépend de l’existence de facteurs particuliers conférant à la souffrance du requérant une dimension et un caractère distincts du désarroi affectif que l’on peut considérer comme inévitable pour les proches parents d’une personne victime de violations graves des droits de l’homme. Parmi ces facteurs figurent la proximité de la parenté – dans ce contexte, le lien parent-enfant sera privilégié –, les circonstances particulières de la relation, la mesure dans laquelle le parent a été témoin des événements en question et la manière dont les autorités ont réagi à des réclamations des requérants (voir Popov c. France, précité, § 104). Au cas d’espèce, la Cour constate que le grief des requérants adultes relatif à leur souffrance dans le centre de rétention n’est pas étayé. Même si elle reconnaît que la rétention administrative des parents avec leur enfant mineur a pu créer un sentiment d’impuissance et leur causer angoisse et frustration, la Cour n’est donc pas en mesure de conclure, au vu des éléments du dossier, qu’ils se sont trouvés, pendant la durée de leur placement en rétention, dans une situation susceptible d’atteindre le seuil de gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention (voir Popov c. France, précité § 105). Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention à l’égard de N.B. et N.G..
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 34 DE LA CONVENTION
55. Les requérants soutiennent qu’en les maintenant en rétention en violation de la mesure provisoire prise par la Cour en vertu de l’article 39 du Règlement, l’État défendeur a manqué à ses obligations au titre de l’article 34 de la Convention aux termes duquel :
« La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice efficace de ce droit. »
A. Sur la recevabilité
56. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
57. Les requérants font valoir qu’en dépit de la mesure provisoire indiquée par la Cour et de l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nancy du 19 novembre 2020, les autorités françaises ont maintenu la mesure de placement en rétention administrative jusqu’à l’exécution de leur l’éloignement forcé vers la Géorgie le 20 novembre 2020, En ne procédant pas, même en l’absence d’exigence impérieuse d’ordre public, à leur remise en liberté comme l’imposait la mesure provisoire du 13 novembre 2020, les autorités françaises n’ont pas respecté leurs obligations et ont entravé l’exercice efficace de leur droit de requête individuel.
58. Le Gouvernement fait valoir que la prolongation du placement en rétention administrative des requérants, au-delà des premières 48 heures, est la conséquence directe de leurs refus d’embarquer sur le vol prévu le 7 novembre 2020. Dès cette date, l’administration a sollicité un nouveau vol afin qu’il puisse être mis fin à leur rétention au plus vite. Il rappelle que le juge des libertés et de la détention puis la cour d’appel ont autorisé la prolongation de la rétention après avoir dument examiné la situation des requérants. Le Gouvernement précise aussi qu’un second vol a pu être obtenu le 20 novembre 2020 dans un contexte de crise sanitaire et de confinement en France et indique que les requérants ont effectivement pris ce vol pour la Géorgie ce qui a mis fin à leur rétention.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
59. La Cour rappelle que, en vertu de l’article 34 de la Convention, les États contractants s’engagent à s’abstenir de tout acte et à se garder de toute omission qui entraverait l’exercice effectif du droit de recours d’un requérant, et qu’elle a toujours dit que cet engagement était un élément fondamental du système de la Convention. Selon la jurisprudence constante de la Cour, le non-respect par un État défendeur d’une mesure provisoire emporte violation de l’article 34 (Savriddin Dzhurayev c. Russie, no 71386/10, §§ 211-213, CEDH 2013 (extraits)).
60. Dans l’affaire Mamatkoulov et Askarov c. Turquie [GC] (nos 46827/99 et 46951/99, § 128, CEDH 2005-I), la Cour a estimé que le non‑respect d’une mesure provisoire indiquée par elle en vertu de l’article 39 de son règlement pouvait donner lieu à une violation de l’article 34 de la Convention. Les principes généraux concernant le respect d’une mesure provisoire prise par la Cour au titre de l’article 39 de son Règlement, et en particulier le délai laissé au Gouvernement pour s’y conformer, ont été présentés dans Grori c. Albanie (no 25336/04, §§ 181-195, 7 juillet 2009).
61. Pour vérifier si l’État défendeur s’est conformé à la mesure provisoire qui lui a été indiquée, il faut partir du libellé même de celle-ci. La Cour doit examiner si l’État défendeur a respecté la lettre et l’esprit de cette mesure provisoire. Dans le cadre de l’examen d’un grief au titre de l’article 34 concernant le manquement allégué d’un État contractant à respecter une mesure provisoire, la Cour ne va pas reconsidérer l’opportunité de sa décision d’appliquer la mesure en question. Il incombe au gouvernement défendeur de lui démontrer que la mesure provisoire a été respectée ou, dans des cas exceptionnels, qu’il y a eu un obstacle objectif qui l’a empêché de s’y conformer et qu’il a entrepris toutes les démarches raisonnablement envisageables pour supprimer l’obstacle et pour tenir la Cour informée de la situation (Paladi c. Moldova [GC], no 39806/05, §§ 91-92, 10 mars 2009).
b) Application en l’espèce des principes généraux
62. La Cour rappelle que le Gouvernement défendeur fut informé de la mesure provisoire décidée par la Cour par dépôt sur la messagerie sécurisée le vendredi 13 novembre 2020 à 18 heures 33 (voir paragraphe 15). Dans ce courrier, la Cour précisait que le juge de permanence avait décidé de demander au Gouvernement, en vertu de l’article 39 du règlement, de faire cesser la rétention des requérants pour la durée de la procédure devant la Cour. Dès le lundi 16 novembre 2020, l’Ordre de Malte France, association suivant les requérants en rétention, signala à la Cour que la mesure provisoire indiquée n’avait pas été exécutée (voir paragraphe 16). Invité à présenter des commentaires sur ce sujet, le Gouvernement ne fut en mesure de répondre que le vendredi 20 novembre 2020. Dans ce courrier, le Gouvernement informa la Cour que les requérants avaient été éloignés le jour même au matin, ce qui avait mis ainsi fin à leur rétention.
63. Bien que le Gouvernement ait été informé dès le 13 novembre 2020, la rétention des requérants n’a ainsi pris fin que le 20 novembre 2020, soit sept jours après la notification de la mesure provisoire.
64. La Cour doit maintenant vérifier si un tel refus d’exécution de la mesure provisoire était justifié par des circonstances exceptionnelles ayant fait naître un obstacle objectif empêchant l’État contractant de s’y conformer. Pour sa part, le Gouvernement, qui se borne à affirmer, au mépris des pièces du dossier, que la mesure provisoire a été exécutée, ne justifie d’aucune circonstance exceptionnelle. À cet égard, la Cour souligne que le juge des référés du tribunal administratif de Nancy, dans son ordonnance du 19 novembre 2020, a considéré que le préfet des Ardennes ne faisait état d’aucune exigence impérieuse d’ordre public, dont la Cour rappelle au demeurant qu’elle ne constitue pas une circonstance susceptible de justifier un refus d’exécuter une mesure provisoire, ni d’aucun obstacle objectif empêchant le gouvernement français de se conformer à la mesure provisoire prescrite par la Cour et dont il aurait informé cette dernière afin de l’inviter à la réexaminer (voir paragraphe 17).
65. En l’absence de toute justification quant à l’inexécution de la mesure provisoire, la Cour conclut que les autorités françaises n’ont pas satisfait aux obligations qui leur incombaient en vertu de l’article 34.
66. Partant, il y a eu violation de l’article 34 de la Convention à l’égard des requérants.
III. ARTICLE 39 DU RÈGLEMENT DE LA COUR
67. La Cour considère que la mesure provisoire indiquée au Gouvernement en vertu de l’article 39 du règlement (paragraphe 15), non respectée par ce dernier, est devenue sans objet.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
68. Aux termes de l’article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
69. Les requérants demandent 15 000 euros (EUR), chacun, au titre du dommage moral qu’ils estiment avoir subi.
70. Le Gouvernement estime que les demandes des requérants apparaissent proportionnées au préjudice allégué et n’appellent donc pas d’observations de sa part.
71. Eu égard au constat de violation de l’article 3 de la Convention dans le chef du requérant K.G., la Cour lui octroie 5 000 EUR, pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt. Cette somme sera conservée en fiducie pour K.G. par la requérante N.B. (voir R.B. et M. c. Italie, no 41382/19, § 88, 22 avril 2021). Par ailleurs, la Cour estime que le constat de violation de l’article 34 dans le chef des trois requérants représente une satisfaction équitable suffisante.
B. Frais et dépens
72. Les requérants indiquent à la Cour que la procédure interne a été couverte par l’aide juridictionnelle totale accordée par les autorités françaises. Aucun frais n’a été facturé aux requérants par leur conseil pour la procédure menée devant la Cour. Le conseil des requérants demande l’allocation d’une somme forfaitaire au titre de l’assistance judiciaire. Il ne soumet pas des documents à l’appui de ses prétentions.
73. Le Gouvernement n’apporte pas d’observations à cet égard.
74. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour rejette la demande présentée au titre des frais et dépens engagés pour la procédure menée devant elle.
C. Intérêts moratoires
75. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à l’égard de K.G. ;
3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention à l’égard de N.B. et N.G. ;
4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 34 de la Convention à l’égard des trois requérants ;
5. Dit que la mesure provisoire indiquée au Gouvernement en vertu de l’article 39 du règlement est devenue sans objet ;
6. Dit,
a) que l’État défendeur doit verser au requérant K.G., dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral. Ce montant sera détenu en fiducie pour le requérant K.G. par la requérante N.B. ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
7. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 31 mars 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Victor Soloveytchik Mārtiņš Mits
Greffier Président
___________
ANNEXE
LISTE DES REQUÉRANTS
No | Prénom NOM | Année de naissance |
1. | N.B. | 1988 |
2. | K.G. | 2012 |
3. | N.G. | 1984 |
Dernière mise à jour le mars 31, 2022 par loisdumonde
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