AFFAIRE UNAL ET BOZBAG c. TURQUIE (Cour européenne des droits de l’homme) Requête no 15490/07

DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE ÜNAL ET BOZBAĞ c. TURQUIE
(Requête no 15490/07)
ARRÊT
STRASBOURG
24 novembre 2020

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Ünal et Bozbağ c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :

Valeriu Griţco, président,

Branko Lubarda,

Pauliine Koskelo, juges,

et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,

Vu :

la requête susmentionnée (no 15490/07) dirigée contre la République de Turquie et dont deux ressortissants de cet État, MM. Adem Ünal et Mustafa İsmet Bozbağ (« les requérants ») ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 20 février 2007,

la décision de porter à la connaissance du gouvernement turc (« le Gouvernement ») la requête,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 novembre 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La requête concerne la responsabilité de l’État pour le préjudice subi par les requérants en raison d’une erreur dans la tenue des registres fonciers. Les requérants invoquent l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

EN FAIT

2. Les requérants sont nés respectivement en 1942 et en 1939. À la date de l’introduction de la requête, ils résidaient à Istanbul. Ils ont été représentés par Me Ç. Özgün, avocat dans cette même ville.

3. Le Gouvernement a été représenté par son agent.

4. Le greffe a été informé du décès du requérant Adem Ünal survenu le 2 février 2017. Ses héritiers, Seher Şule Ünal, Şeniz Ünal et Günay Atameriç, ont exprimé le souhait de poursuivre la procédure devant la Cour et d’y participer en se faisant représenter par l’avocat du défunt requérant.

I. Le terrain litigieux et ses acquéreurs

5. En 1973, à la suite de travaux cadastraux, la commission cadastrale estima que la parcelle no 298, sise dans le village de Kıraç (Istanbul), appartenait au Trésor public.

6. Le 28 mars 1983, sur opposition d’un certain D.P., la commission cadastrale conclut, entre autres, que la parcelle litigieuse appartenait à quatre copropriétaires et non pas au Trésor public.

7. Le 11 janvier 1985, la parcelle litigieuse fut inscrite sur le registre foncier au nom des copropriétaires susmentionnés.

8. Le 6 décembre 1985, ceux-ci vendirent le terrain litigieux à un tiers et le terrain fut inscrit sur le registre foncier au nom de ce dernier.

9. Le 24 mai 1990, les requérants achetèrent le terrain qui fut ainsi inscrit sur le registre foncier à leur nom.

II. L’inscription du terrain litigieux au registre foncier au nom du Trésor public

10. Entre-temps, le 23 mai 1983, le Trésor public avait initié devant le tribunal cadastral de Çatalca une action visant l’annulation de la décision de la commission cadastrale du 28 mars 1983 et l’inscription de certains terrains, dont la parcelle no 298, à son nom. Ni les requérants ni la personne qui leur avait vendu le terrain litigieux ne furent parties à cette procédure.

11. Le 10 mars 1989, le dossier fut transmis au tribunal cadastral de Büyükçekmece (« le tribunal cadastral »).

12. Le 2 février 1995, celui-ci annula la décision du 28 mars 1983 de la commission cadastrale et ordonna l’inscription de la parcelle no 298 sur le registre foncier au nom du Trésor public.

13. Le 9 novembre 1995, la Cour de cassation confirma ce jugement.

14. Le 14 mars 1996, elle rejeta le recours en rectification d’arrêt.

15. Le 3 avril 1996, les héritiers de D.P., qui furent parties à la procédure initiée par le Trésor public, demandèrent au tribunal cadastral de rouvrir le procès.

16. Les requérants figuraient comme partie intervenante dans la procédure de réouverture.

17. Le 19 novembre 1996, le tribunal cadastral rejeta la demande.

18. Le 15 octobre 1997, la parcelle litigieuse fut inscrite au registre foncier au nom du Trésor public.

III. La procédure visant à l’annulation du titre de propriété du Trésor public

19. Le 3 juillet 1997, les requérants initièrent devant le tribunal de grande instance de Büyükçekmece (« le TGI ») une action visant l’annulation de l’inscription du terrain litigieux sur le registre foncier au nom du Trésor public et sa réinscription à leur nom sur le fondement de l’article 931 du code civil en vigueur à l’époque en vertu duquel l’acquéreur qui s’est fié de bonne foi aux indications du registre est maintenu dans son droit. Ils firent valoir que le contentieux sur la propriété du bien n’avait été porté à leur connaissance que lors de la procédure de réouverture (paragraphe 16 ci-dessus) et que le registre ne comportait aucune indication en ce sens.

20. Le 23 novembre 1999, le TGI débouta les requérants. Il considéra que les requérants n’avaient pas agi avec diligence puisqu’une consultation des pièces du registre foncier leur aurait permis de se rendre compte que le Trésor public avait initié une action visant à l’annulation de la décision du 28 mars 1983 de la commission cadastrale. Elle estima en outre que les requérants n’avaient pas été de bonne foi puisque le prix d’acquisition du terrain qu’ils avaient déclaré dans le registre foncier était considérablement inferieur à la valeur marchande du bien.

21. Ce jugement devint définitif à une date non‑précisée avant le 9 mai 2002 (voir paragraphe 23 ci-dessous).

IV. Le recours en indemnisation

22. Le 12 janvier 2001, les requérants saisirent le TGI d’une demande tendant à engager la responsabilité de l’État sur le fondement de l’article 917 du code civil en vigueur à l’époque, pour préjudice résultant de la tenue des registres fonciers.

23. Le 9 mai 2002, le TGI fit droit à la demande des requérants. Il estima que même si le jugement du 23 novembre 1999 était devenu définitif, celui‑ci n’avait pas le même objet que la procédure dont elle avait à connaître et qui concernait la responsabilité de l’administration en raison de la tenue des registres fonciers. Considérant que pareille responsabilité se trouvait engagée en l’espèce, il condamna l’État à verser aux requérants la somme réclamée par eux, soit 737 500 livres turques (TRY) (environ 580 400 EUR à l’époque), augmentée d’intérêts moratoires.

24. Le 25 mars 2003, la Cour de cassation infirma ce jugement. Elle se référa notamment aux conclusions du jugement du 23 novembre 1999 selon lesquelles les requérants n’avaient pas agi avec diligence et bonne foi.

25. Statuant sur renvoi, le TGI décida par un jugement du 30 décembre 2004, de ne pas suivre l’arrêt de la Cour de cassation et de maintenir son jugement antérieur (direnme kararı).

26. Sur pourvoi de l’administration, l’affaire fut déférée à l’Assemblée générale des chambres civiles de la Cour de cassation.

27. Le 19 octobre 2005, celle-ci annula le jugement du 30 décembre 2004 du TGI. Elle nota que l’action du Trésor public portant sur l’annulation de la décision du 28 mars 1983 de la commission cadastrale avait été introduite dans le délai requis et que dès lors, les conclusions de la commission cadastrale n’étaient pas devenues définitives. Elle releva que si le tribunal cadastral avait par inadvertance omis d’informer la direction du registre foncier, l’enregistrement fait sur le registre foncier n’en demeurait pas moins nul et non avenu. Ainsi, elle conclut que l’acquisition des requérants et des tiers au nom desquels le terrain litigieux avait été inscrit n’était pas valide.

28. Le 12 septembre 2006, le TGI se conforma à cet arrêt et rejeta l’action des requérants.

29. Faute de pourvoi par les parties, ce jugement devint définitif le 25 décembre 2006.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

30. Le cadre juridique et la pratique internes pertinents en l’espèce sont essentiellement exposés dans l’arrêt Gürtaş Yapı Ticaret ve Pazarlama A.Ş. c. Turquie (no 40896/05, §§ 23‑35, 7 juillet 2015).

31. D’après l’article 931 du code civil en vigueur à l’époque (ancien code civil) :

« Lorsqu’une personne acquiert une propriété ou un autre droit réel sur la foi des inscriptions du registre foncier, cette acquisition est valide. »

32. L’article 917 § 1 de l’ancien code civil disposait que l’État était responsable de tout dommage résultant de la tenue du registre foncier. L’article 1007 du nouveau code civil reprend les termes de cette disposition.

33. L’ordonnance présidentielle no 809 du 7 mars 2019 publiée au Journal officiel le 8 mars 2019 est décrit dans l’arrêt Kaynar et autres c. Turquie (nos 21104/06 et 2 autres, § 24, 7 mai 2019).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION

34. Les requérants se plaignent de la perte de leur propriété et de l’impossibilité d’obtenir réparation du préjudice qu’ils disent avoir subi en raison des mentions erronées du registre foncier. Ils invoquent à cet égard l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

35. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

36. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter la requête en application de l’article 35 de la Convention et de l’article 47 du règlement de la Cour au motif que le représentant des requérants n’aurait pas présenté de procuration avec la requête.

37. En outre, il estime que le requérant Adem Ünal n’aurait plus de statut de victime au motif qu’il est décédé et que ses héritiers n’auraient pas fait part de leur souhait de maintenir la requête.

38. La Cour observe que le représentant des requérants a présenté, lors de l’introduction de la requête, des procurations pour chacun des requérants. Partant, elle rejette la première exception du Gouvernement.

39. Quant au décès du requérant Adem Ünal, la Cour prend acte du souhait de ses héritiers de poursuivre la procédure devant elle (paragraphe 4 ci‑dessus). Eu égard à sa jurisprudence en la matière, elle leur reconnaît qualité pour se substituer au requérant décédé dans la présente instance (voir, parmi d’autres, Malhous c. République tchèque (déc.) [GC], no 33071/96, CEDH 2000‑XII et López Ribalda et autres c. Espagne [GC], nos 1874/13 et 8567/13, § 72, 17 octobre 2019).

40. En conséquence, elle rejette la deuxième exception du Gouvernement.

41. Par ailleurs, s’agissant du grief des requérants tiré de la perte de leur propriété, la Cour relève que leur action visant à l’annulation de l’inscription du terrain litigieux sur le registre foncier au nom du Trésor public a été rejeté par le jugement du 23 novembre 1999 du TGI et que ce jugement est devenu définitif plus de six mois avant l’introduction de la présente requête (paragraphe 21 ci‑dessus).

42. Partant, elle considère que cette partie de la requête est tardive et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

43. Enfin, constatant que le grief tiré de l’impossibilité d’obtenir réparation du préjudice que les requérants disent avoir subi n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

44. Les requérants se plaignent de l’impossibilité d’obtenir réparation du préjudice subi en raison d’une mention erronée du registre foncier.

45. Le Gouvernement se réfère aux conclusions des juridictions internes et soutient que les requérants n’auraient pas été de bonne foi. Il estime en outre que les requérants devaient procéder à des consultations auprès des autorités concernées puisqu’ils ont acheté un bien dont le prix était considérablement inferieur de sa valeur marchande. Il soutient également que la conclusion de l’Assemblée générale des chambres civiles de la Cour de cassation était conforme à la jurisprudence de la haute juridiction.

46. Les requérants rétorquent que le fait que le prix d’acquisition du terrain qu’ils ont déclaré dans le registre foncier était considérablement inferieur à la valeur marchande du bien ne signifie aucunement qu’ils étaient de mauvaise foi. Selon eux, il s’agit d’une circonstance concernant la fiscalité et non la question de la bonne foi. En outre, ils arguent que l’on ne pouvait attendre d’eux qu’ils aient eu connaissance du contentieux en cause dont même les agents du registre foncier ignoraient l’existence.

47. La Cour relève que le grief des requérants porte sur l’impossibilité d’obtenir réparation, notamment par le biais d’un recours fondé sur l’article 917 du code civil en vigueur à l’époque, du préjudice qu’ils disent avoir subi en raison d’une mention erronée du registre foncier.

48. À cet égard, elle rappelle avoir déjà constaté dans une affaire contre la Turquie et portant sur un préjudice résultant de la tenue des registres fonciers que le juste équilibre devant régner entre les droits de la requérante et l’intérêt général de la communauté avait été rompu au motif que la demande introduite par la requérante pour engager la responsabilité de l’État avait été rejetée par les juridictions internes qui avaient estimé que l’intéressée n’avait pas fait preuve de la diligence requise lors de l’achat (voir Gürtaş Yapı Ticaret ve Pazarlama A.Ş., précité, § 61). Elle est parvenu à la même conclusion dans des affaires où les requérantes avaient été privées sans indemnisation des biens acquis en se fiant de bonne foi au registre foncier (Gladysheva c. Russie, no 7097/10, §§ 69‑83, 6 décembre 2011 et Anna Popova c. Russie, no 59391/12, § 31‑39, 4 octobre 2016).

49. Examinant les circonstances de l’espèce, la Cour ne voit aucune raison de s’écarter de l’approche ainsi adoptée.

50. Quant à l’affirmation du Gouvernement et des juridictions internes selon laquelle les requérants n’auraient pas été de bonne foi, la Cour relève que cette affirmation n’est étayée par aucune pièce de dossier. À cet égard, la Cour relève d’une part que ni les requérants ni la personne qui leur avait vendu le terrain litigieux n’ont pas été parties à la procédure initiée par le Trésor public (paragraphe 10 ci‑dessus) et d’autre part que le registre ne contenait aucune indication quant à l’existence de la procédure alors même que ce défaut d’indication résulte, d’après la Cour de cassation, d’une négligence du tribunal du cadastre (paragraphe 27 ci‑dessus).

51. Quant au fait que les intéressés aient déclaré un prix de vente inférieur à la valeur marchande du bien, celle-ci ne saurait, aux yeux de la Cour, constitué un élément suffisant pour conclure au manque de bonne foi des requérants, lesquels suggèrent implicitement avoir déclaré une somme faible afin de payer une somme moindre au titre de la taxe de mutation (voir paragraphe 46 ci‑dessus).

52. S’agissant de l’argument selon lequel les requérants n’auraient pas agi avec diligence, ni le Gouvernement ni les juridictions nationales n’ont indiqué les diligences que les intéressés auraient omis d’entreprendre. La Cour est d’avis que l’approche des juridictions internes consistant à imposer aux acheteurs de ne pas se fier entièrement aux indications du grand livre du registre foncier et de consulter les autres pièces du registre afin de déceler d’éventuelles contradictions, a fait porter une charge excessive aux requérants en leur faisant supporter les conséquences d’une erreur commise par l’administration (voir, mutatis mutandis, Gürtaş Yapı Ticaret ve Pazarlama A.Ş., précité, § 59).

53. Dès lors, la Cour estime que le juste équilibre devant régner entre les droits des requérants et l’intérêt général de la communauté a été rompu en raison de l’impossibilité d’obtenir réparation, par le biais d’un recours fondé sur l’article 917 de l’ancien code civil, du préjudice qu’ils disent avoir subi en raison d’une mention erronée du registre foncier.

54. Partant, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

55. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

56. Les requérants demandent une somme globale de 1 188 874 euros (EUR) qui, selon eux, correspondrait à la valeur actualisée de 750 573 TRY depuis la date de l’introduction de leur recours en indemnisation. Ils précisent que cette dernière somme représente la valeur du bien litigieux à la date de référence (737 500 TRY), les frais de représentation devant les juridictions internes (12 950 TRY) et les frais de procédure engagés au niveau interne (123,2 TRY). Ils se réfèrent à cet égard au jugement du TGI du 9 mai 2002. Enfin, présentant un barème des honoraires recommandés en Turquie, ils réclament également 24 957 EUR pour honoraires d’avocat pour la procédure devant la Cour.

57. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

58. En ce qui concerne le préjudice matériel, la Cour note que son constat de violation se fonde sur l’absence de réparation de la perte patrimoniale liée à la somme payée par les requérants pour l’achat du bien litigieux (voir, mutatis mutandis, Gürtaş Yapı Ticaret ve Pazarlama A.Ş., précité, § 72). Elle note en outre qu’il faudra actualiser ce montant pour tenir compte des effets de l’inflation (ibidem, § 73).

59. Par ailleurs, la Cour rappelle qu’elle a déjà estimé, dans l’affaire Kaynar et autres (précité, §§ 64 à 78), qu’un recours devant la commission d’indemnisation dans un délai d’un mois à compter de la date de la notification de son arrêt était susceptible de donner lieu à une indemnisation par l’administration et que ce recours représentait un moyen approprié de redresser la violation constatée au regard de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Estimant que le droit national permettait dorénavant d’effacer les conséquences de la violation constatée, la Cour a considéré qu’il n’était pas nécessaire de se prononcer sur la demande présentée par les requérants au titre du préjudice matériel. Elle a décidé, en conséquence, de rayer du rôle la partie de l’affaire relative à la question de l’article 41 de la Convention concernant la demande au titre du dommage matériel.

60. Eu égard à l’absence de documents pertinents et compte tenu des sérieuses difficultés pour calculer le préjudice pécuniaire des requérants de manière précise, la Cour n’aperçoit aucun motif d’agir autrement en l’espèce. En conséquence, elle décide de rayer du rôle la partie de l’affaire relative à la question de l’article 41 de la Convention pour autant qu’elle concerne le préjudice matériel.

61. Par ailleurs, les requérants n’ayant pas formulé de demande au titre du préjudice moral, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de leur octroyer de somme à ce titre.

62. Quant à la demande présentée au titre des frais et dépens engagés dans le cadre de la procédure interne, elle rappelle qu’un requérant ne peut en obtenir le remboursement que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose, la Cour estime raisonnable la somme de 2 000 EUR au titre des frais et dépens pour la procédure interne et l’accorde aux requérants. Pour ce qui est de la demande présentée au titre des honoraires d’avocat pour la procédure devant la Cour, elle la rejette, faute pour les requérants d’avoir fourni des documents pertinents (voir Hülya Ebru Demirel c. Turquie, no 30733/08, § 61, 19 juin 2018).

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare le grief concernant l’impossibilité d’obtenir réparation du préjudice que les requérants disent avoir subi recevable et le surplus de la requête irrecevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention en raison de l’impossibilité d’obtenir réparation du préjudice que les requérants disent avoir subi ;

3. Décide de rayer du rôle la partie de l’affaire relative à la question de l’article 41 de la Convention, concernant la demande pour dommage matériel en raison de la violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser aux requérants conjointement, dans les trois mois, 2 000 EUR (deux mille euros), à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 novembre 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Hasan Bakırcı                         Valeriu Griţco
Greffier adjoint                        Président

Dernière mise à jour le décembre 3, 2020 par loisdumonde

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