Q et R c. Slovénie – 19938/20 (Cour européenne des droits de l’homme)

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 259
Février 2022

Q et R c. Slovénie – 19938/20

Arrêt 8.2.2022 [Section II]

Article 6
Procédure civile
Article 6-1
Délai raisonnable

Durée excessive, non justifiée par des mesures liées à la Covid-19, d’une procédure – qui dure depuis six ans – engagée par des grands-parents pour obtenir la garde de leurs petits-enfants privés de protection parentale : violation

Article 8
Article 8-1
Respect de la vie familiale

Refus du tribunal d’entendre de jeunes enfants privés de protection parentale, représentés par les services sociaux et non par un tuteur ad litem, dans une procédure de placement engagée par les grands-parents requérants : non-violation

En fait – Les requérants sont les grands-parents de deux enfants privés de protection parentale. Après l’homicide de leur fille par son mari, ils accueillirent leurs petits-enfants (alors âgés de trois et cinq ans). Quelques mois plus tard, les services sociaux placèrent les enfants dans une famille d’accueil qui résidait dans une autre région. La première requérante demanda la garde de ses petits‑enfants.

En droit – Article 6 § 1 : La première requérante se plaignait de la durée de la procédure de placement, qui a déjà duré près de six ans et est actuellement pendante devant la juridiction de première instance après renvoi de l’affaire par la Cour constitutionnelle.

En ce qui concerne la complexité de l’affaire, s’il était nécessaire pour les juridictions internes de recourir à des expertises afin de déterminer l’aptitude de la requérante à prendre en charge ses petits-enfants et d’identifier l’intérêt supérieur de ces derniers dans les circonstances délicates de l’espèce, ce seul fait ne peut ni expliquer ni justifier que la procédure, près de six ans après son introduction, soit encore pendante devant la juridiction de première instance.

À l’exclusion de certaines périodes d’inactivité, la durée de la procédure s’explique principalement par l’élaboration d’expertises, le renvoi de l’affaire après le recours constitutionnel formé par la première requérante et les mesures relatives à la pandémie de Covid-19.

Concernant les deux premiers points, il incombe aux États contractants d’organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d’obtenir dans un délai raisonnable une décision définitive sur les contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil. Cela vaut tant pour le manquement du tribunal de première instance à ses obligations de désigner un tuteur ad litem et d’entendre un expert, qui a entraîné le renvoi de l’affaire, que pour les difficultés liées au nombre insuffisant d’experts disponibles ou à leur charge de travail excessive, qui ont occasionné des retards significatifs. La Cour note, par ailleurs, que les experts désignés travaillaient dans le cadre d’une procédure judiciaire contrôlée par le juge et que celui-ci restait chargé de la mise en état de l’affaire et de la conduite rapide du procès.

Concernant les restrictions rendues nécessaires par la crise liée à la Covid-19, on pourrait, en revanche, avancer, à juste titre, qu’elles ont pu avoir des répercussions négatives sur le traitement des affaires devant les juridictions nationales. En l’espèce, toutefois, la crise sanitaire ne saurait dégager l’État défendeur de sa responsabilité pour la durée excessive de la procédure. En particulier, si l’affaire avait été classée urgente, elle aurait pu être traitée pendant les périodes de restrictions dues à la Covid-19. Compte tenu des contacts limités que la première requérante pouvait entretenir avec ses petits‑enfants, l’importance de ce qui était en jeu pour elle (à savoir son souhait de s’occuper de ses petits-enfants après le décès de sa fille) appelait une diligence particulière de la part des autorités, notamment au vu de l’argument qu’elle tirait des effets du passage du temps sur sa relation avec ses petits-enfants.

La Cour considère que le comportement de la première requérante n’a pas outre mesure retardé la procédure. Au vu des raisons qui expliquent principalement les retards subis par celle-ci et du rejet des recours formés par la première requérante pour en accélérer le cours, la Cour n’est pas convaincue que l’intéressée aurait pu influencer de manière significative le cours de la procédure si elle avait exercé à un stade plus précoce lesdits recours.

Même en admettant qu’il présentait une certaine complexité, le cas d’espèce n’a pas été examiné dans un délai raisonnable.

Conclusion : violation (unanimité).

Article 8 : Les requérants reprochaient également aux juridictions internes, d’une part, d’avoir refusé d’entendre l’un des experts et, d’autre part, de ne pas avoir entendu le point de vue de leurs petits‑enfants et désigné un tuteur ad litem pour représenter les intérêts de ces derniers.

Pour ce qui est du premier grief, le tribunal de première instance a donné lecture de l’expertise en question mais refusé d’entendre l’expert à l’audience au motif, entre autres, que son champ d’expertise était limité. Deux autres experts avaient été désignés lorsque les conditions d’exercice du droit de visite des requérants avaient initialement été déterminées, puis un nouveau rapport d’expertise avait été élaboré par la pédopsychiatre désignée lorsque les requérants avaient demandé l’élargissement de leur droit de visite. Ces derniers avaient pu répondre à son avis par écrit puis à l’oral lors de l’audience au cours de laquelle elle avait été entendue. Les juridictions de première et deuxième instance ont expliqué pourquoi elles n’ont pas voulu entendre l’expert que les requérants leur reprochent de ne pas avoir interrogé, et leur motivation a été jugée adéquate par la Cour constitutionnelle. Au vu de ce qui précède et compte tenu du fait que la première requérante a par la suite contesté le rapport d’expertise en cause, la Cour juge que le refus des juridictions internes d’entendre cet expert n’était pas déraisonnable.

En ce qui concerne le deuxième grief, les petits-enfants n’ont pas été entendus par la juridiction interne parce que la pédopsychiatre désignée par elle a estimé qu’à l’époque ils n’étaient pas capables de discernement sur ce point (ils avaient alors respectivement huit et cinq ans). Lorsqu’elle a pris sa décision relative au droit de visite, la juridiction interne s’est largement appuyée sur le rapport élaboré par l’expert susmentionné, qui avait interrogé les enfants. La Cour ne voit aucune raison de mettre en cause la décision de la juridiction interne de ne pas entendre directement les enfants. Pour autant que les requérants se plaignaient que les intérêts des enfants avaient été représentés par le centre d’action sociale et non par un tuteur ad litem, la Cour observe que les enfants ne sont pas requérants dans la présente affaire et qu’aucun des arguments formulés n’a démontré que le défaut de représentation allégué pouvait avoir affecté la position des requérants dans cette procédure.

Conclusion : non-violation (unanimité).

Article 41 : 3 000 EUR à la première requérante pour dommage moral.

Dernière mise à jour le février 8, 2022 par loisdumonde

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