AFFAIRE PLAZZI c. SUISSE (Cour européenne des droits de l’homme) 44101/18

La requête concerne le droit du requérant de s’opposer, devant un tribunal national, à la décision de l’Autorité de protection de l’enfant et de l’adulte (APEA), qui a confié la garde exclusive de sa fille à la mère, a autorisé le transfert du domicile de l’enfant à l’étranger et a décidé de l’absence d’effet suspensif d’un éventuel recours. Suite au déménagement de la mère et l’enfant, les juridictions suisses se sont déclarées incompétentes pour traiter du recours du requérant au fond et décider du rétablissement de l’effet suspensif, car le transfert du domicile de l’enfant à la Principauté de Monaco a aussi entraîné le transfert de la compétence internationale à cet État.


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE PLAZZI c. SUISSE
(Requête no 44101/18)
ARRÊT

Art 6 § 1 (civil) • Accès à un tribunal • Décision d’une autorité administrative de retirer l’effet suspensif du recours du père, suivi du départ à l’étranger de l’enfant avec sa mère, ayant entraîné l’incompétence des tribunaux nationaux • Transfert de la compétence internationale à l’État de destination • Exclusion d’un contrôle effectif ultérieur d’un organe judiciaire de pleine juridiction national • Nécessité de prévoir la possibilité de s’adresser à un juge avant l’entrée en vigueur du retrait de l’effet suspensif dans des procédures relevant du droit de la famille • Raison de l’urgence invoquée pas assez grave pour justifier l’absence d’une telle possibilité • Proportionnalité

STRASBOURG
8 février 2022

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Plazzi c. Suisse,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une Chambre composée de :

Georges Ravarani, président,
Georgios A. Serghides,
María Elósegui,
Darian Pavli,
Anja Seibert-Fohr,
Peeter Roosma,
Andreas Zünd, juges,
et de Milan Blaško, greffier de section,

Vu :

la requête (no 44101/18) dirigée contre la Confédération suisse et dont un ressortissant de cet État, M. Federico Plazzi (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 10 septembre 2018,

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement suisse (« le Gouvernement »),

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 30 novembre 2021 et 11 janvier 2022,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

INTRODUCTION

1. La requête concerne le droit du requérant de s’opposer, devant un tribunal national, à la décision de l’Autorité de protection de l’enfant et de l’adulte (APEA), qui a confié la garde exclusive de sa fille à la mère, a autorisé le transfert du domicile de l’enfant à l’étranger et a décidé de l’absence d’effet suspensif d’un éventuel recours. Suite au déménagement de la mère et l’enfant, les juridictions suisses se sont déclarées incompétentes pour traiter du recours du requérant au fond et décider du rétablissement de l’effet suspensif, car le transfert du domicile de l’enfant à la Principauté de Monaco a aussi entraîné le transfert de la compétence internationale à cet État.

EN FAIT

2. Le requérant est né en 1969 et réside à Paradiso en Suisse. Il est représenté par Me B. Nascimbene, avocat.

3. Le Gouvernement a été représenté par son agent, M. A. Chablais, de l’Office fédéral de la justice.

4. V.R., la fille du requérant et de D.R., est née en 2013, en Suisse. À ce moment, le requérant et D.R. vivaient séparément, à Lugano, en Suisse. Le requérant reconnut la paternité de V.R. dans le mois suivant sa naissance.

5. Par décision du 24 août 2017, l’APEA attribua la garde exclusive de V.R. à D.R. et le déplacement de sa résidence habituelle à la Principauté de Monaco et retira l’effet suspensif à un éventuel recours contre sa décision en application de l’article 450c du code civil.

6. Dans ses considérations concernant l’effet suspensif, l’APEA souhaita éviter qu’un éventuel recours eût placé V.R. dans une situation de forte incertitude si D.R. avait néanmoins déménagé à la Principauté de Monaco. En effet, même si l’effet suspensif avait été maintenu, D.R. restait libre de déménager avant la fin d’une éventuelle procédure de recours puisque son lieu de résidence ne faisait pas l’objet de la décision de l’APEA et que son propre déménagement n’était pas soumis à une autorisation. En outre, le désir de déménagement de D.R. à la Principauté de Monaco était annoncé depuis plus d’un an dans sa requête à l’APEA du 24 mars 2016 lors de laquelle D.R. avait demandé la garde exclusive de V.R. et l’autorisation de transférer la résidence habituelle de celle-ci à la Principauté de Monaco à partir de septembre 2016. En outre, le 28 mai 2015, D.R. avait épousé M.M. qui avait sa résidence à la Principauté de Monaco et leur fille Me.M. était née en février 2017. D.R. souhaitait donc rejoindre son époux, avec lequel elle avait fondé une nouvelle famille. Aussi, V.R. était inscrite à l’école maternelle de la Principauté de Monaco et elle devait y débuter sa scolarité en septembre 2017 (qu’elle entama le 4 septembre 2017).

7. Le vendredi 25 août 2017, la décision fut notifiée et D.R. notifia à l’Office du contrôle de la population son départ pour la Principauté de Monaco et fut donc effacée du registre de l’état civil communal. D.R. déménagea le jour même avec V.R. et le requérant n’eut pas connaissance de ce déménagement.

8. Le requérant contesta la décision de l’APEA le mardi 29 août 2017, faisant parvenir son recours au Tribunal d’appel par fax et courrier postal. Concernant l’effet suspensif, il demanda qu’il soit rétabli par une décision superprovisionnelle urgente. Sur le fond, il conclut à ce que la garde soit attribuée aux deux parents de manière alternée et, subsidiairement, à lui seul, que le déplacement de la résidence habituelle de V.R. soit refusé et que le nom de famille de cette dernière soit changé en Plazzi.

9. Le Tribunal d’appel ne restitua pas l’effet suspensif du recours, tout en mentionnant qu’il convenait de sensibiliser les autorités de protection à toujours effectuer une mise en balance scrupuleuse des intérêts en présence avant de supprimer l’effet suspensif d’un éventuel recours. Par un arrêt du 17 octobre 2017, il constata qu’il n’était plus compétent pour se prononcer sur le recours au regard du transfert de la résidence habituelle de l’enfant à la Principauté de Monaco ayant entraîné le transfert de la compétence internationale à cet État, en application de l’article 5 alinéa 2 de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 (Convention de La Haye de 1996) concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’inexécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants, suite au déménagement de D.R. le 25 août 2017. Le recours fut ainsi déclaré irrecevable.

10. Le 24 novembre 2017, le requérant recourut contre ce jugement auprès du Tribunal fédéral. Il invoqua l’article 6 de la Convention pour se plaindre du raisonnement arbitraire du Tribunal d’appel qui n’avait pas restitué l’effet suspensif et n’avait pas statué au fond. Le requérant invoqua les articles 29a et 30 de la Constitution (paragraphe 12 ci-dessous) et l’article 6 de la Convention pour se plaindre de l’impossibilité de saisir un tribunal national compte tenu du départ immédiat de l’enfant le jour même de la notification de la décision de l’APEA, autorité administrative, ayant autorisé le transfert du domicile de sa fille à l’étranger, au domicile de sa mère, qui avait entraîné le transfert de la compétence internationale à cet État, et décidé de l’absence d’effet suspensif d’un éventuel recours. Il invoqua aussi l’article 13 combiné avec l’article 8 de la Convention et l’article 301a du code civil (paragraphe 13 ci-dessous) pour se plaindre de l’absence d’un recours effectif en Suisse. Enfin, il se plaignit au regard du droit de la famille, de l’illégalité de la résidence de sa fille mineure qui était devenue habituelle à la Principauté de Monaco dès le 25 août 2017 et du transfert immédiat de la compétence internationale à cet État.

11. Par un arrêt du 12 mars 2018, le Tribunal fédéral confirma l’appréciation du Tribunal d’appel en constatant que les autorités suisses n’avaient plus la compétence internationale pour se prononcer (paragraphe 9 ci-dessus) et rejeta le recours dans la mesure où il était recevable. Le Tribunal fédéral mentionna cependant que dans des cas tels celui de l’espèce, l’effet suspensif ne devait être supprimé que dans des cas exceptionnels, afin d’éviter la perte de compétence des autorités suisses par suite du déménagement immédiat de l’enfant à l’étranger (consid. 3.4).

LE CADRE JURIDIQUE PERTINENT

I. LE DROIT INTERNE PERTINENT

12. La Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (« la Constitution fédérale », Recueil systématique du droit fédéral suisse (« RS ») 101) :

Article 29a – Garantie de l’accès au juge

« 1 Toute personne a droit à ce que sa cause soit jugée par une autorité judiciaire. La Confédération et les cantons peuvent, par la loi, exclure l’accès au juge dans des cas exceptionnels. »

Article 30 – Garantie de procédure judiciaire

« 1 Toute personne dont la cause doit être jugée dans une procédure judiciaire a droit à ce que sa cause soit portée devant un tribunal établi par la loi, compètent, indépendant et impartial. Les tribunaux d’exception sont interdits.

2 La personne qui fait l’objet d’une action civile a droit à ce que sa cause soit portée devant le tribunal de son domicile. La loi peut prévoir un autre for.

(…). »

13. Le code civil suisse du 10 décembre 1907 (RS 210) en vigueur à l’époque des faits :

Article 298d – Faits nouveaux

« 1 À la requête de l’un des parents ou de l’enfant ou encore d’office, l’autorité de protection de l’enfant modifie l’attribution de l’autorité parentale lorsque des faits nouveaux importants le commandent pour le bien de l’enfant.

2 Elle peut aussi se limiter à statuer sur la garde de l’enfant, les relations personnelles ou la participation de chaque parent à sa prise en charge.

(…). »

Article 301a – Détermination du lieu de résidence

« 1 L’autorité parentale inclut le droit de déterminer le lieu de résidence de l’enfant.

2 Un parent exerçant conjointement l’autorité parentale ne peut modifier le lieu de résidence de l’enfant qu’avec l’accord de l’autre parent ou sur décision du juge ou de l’autorité de protection de l’enfant dans les cas suivants :

a. le nouveau lieu de résidence se trouve à l’étranger ;

b. le déménagement a des conséquences importantes pour l’exercice de l’autorité parentale par l’autre parent et pour les relations personnelles.

(…)

5 Si besoin est, les parents s’entendent, dans le respect du bien de l’enfant, pour adapter le régime de l’autorité parentale, la garde, les relations personnelles et la contribution d’entretien. S’ils ne peuvent pas s’entendre, la décision appartient au juge ou à l’autorité de protection de l’enfant. »

Article 314 – Général

« 1 Les dispositions de la procédure devant l’autorité de protection de l’adulte sont applicables par analogie.

(…) »

Article 450 – Objet du recours et qualité pour recourir

« 1 Les décisions de l’autorité de protection de l’adulte peuvent faire l’objet d’un recours devant le juge compètent.

(…) »

Article 450a – Motifs

« 1 Le recours peut être formé pour :

1. violation du droit ;

2. constatation fausse ou incomplète des faits pertinents ;

3. inopportunité de la décision.

(…) »

Article 450c – Effet suspensif

« Le recours est suspensif, à moins que l’autorité de protection de l’adulte ou l’instance judiciaire de recours n’en décide autrement. »

14. L’article 265 du code de procédure civile suisse (CPC) du 19 décembre 2008 règlemente les mesures superprovisionnelles :

« 1 En cas d’urgence particulière, notamment lorsqu’il y a risque d’entrave à leur exécution, le tribunal peut ordonner des mesures provisionnelles immédiatement, sans entendre la partie adverse.

2 Le tribunal cite en même temps les parties à une audience qui doit avoir lieu sans délai ou impartit à la partie adverse un délai pour se prononcer par écrit. Après avoir entendu la partie adverse ; le tribunal statue sur la requête sans délai

(…) »

15. La loi de la République et du canton du Tessin concernant l’organisation et la procédure en matière de protection de l’enfant et de l’adulte du 8 mars 1999 (ci‑après LPMA) :

Article 2 – Exercice

« L’autorité de protection des enfants et des adultes est exercée par l’autorité régionale de protection. L’instance judiciaire de recours est la Chambre de protection du tribunal d’appel, faisant également office, en siège unique cantonal, d’autorité de contrôle. »

II. LE DROIT INTERNATIONAL PERTINENT

16. Les dispositions pertinentes de la Convention du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants, adoptée dans le cadre de la Conférence de La Haye de Droit international privé (Convention de la Haye de 1996), ratifiée par la Suisse le 27 mars 2009 et entrée en vigueur le 1er juillet 2009, se lisent comme suit :

Article 5

« 1. Les autorités, tant judiciaires qu’administratives, de l’État contractant de la résidence habituelle de l’enfant sont compétentes pour prendre des mesures tendant à la protection de sa personne ou de ses biens.

2. Sous réserve de l’article 7, en cas de changement de résidence habituelle de l’enfant dans un autre État contractant, sont compétentes les autorités de l’État de la nouvelle résidence habituelle. »

Article 7

« 1. En cas de déplacement ou de non-retour illicite de l’enfant, les autorités de l’État contractant dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour conservent leur compétence jusqu’au moment où l’enfant a acquis une résidence habituelle dans un autre État et que :

(…)

3. Tant que les autorités mentionnées au paragraphe premier conservent leur compétence, les autorités de l’État contractant où l’enfant a été déplacé ou retenu ne peuvent prendre que les mesures urgentes nécessaires à la protection de la personne ou des biens de l’enfant, conformément à l’article 11. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

17. Le requérant se plaint que le fond de l’affaire n’a été examiné que par une autorité administrative, l’APEA, qui a confié la garde exclusive de sa fille à la mère, a autorisé le transfert du domicile de l’enfant à l’étranger et a décidé de l’absence d’effet suspensif d’un éventuel recours.

18. De plus, le requérant se plaint de ne pas avoir eu accès à un tribunal national pour contester au fond la décision de l’APEA et rétablir l’effet suspensif du recours. Les juridictions suisses étaient incompétentes pour traiter de ses recours car le transfert du domicile de l’enfant à la Principauté de Monaco a aussi entraîné le transfert de la compétence internationale à cet État.

19. Le requérant invoque l’article 6 de la Convention, ainsi libellé dans ses parties pertinentes :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (…), par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. (…). »

A. Sur la recevabilité

1. Sur l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention

20. La Cour note d’emblée que les parties ne contestent pas l’applicabilité du volet civil de l’article 6 de la Convention. La Cour estime que cette disposition trouve manifestement à s’appliquer.

2. Sur l’exception d’irrecevabilité tirée du défaut manifeste de fondement

21. Le Gouvernement soulève l’exception d’irrecevabilité tirée du défaut manifeste de fondement du grief.

22. La Cour estime que les arguments présentés concernant cette exception soulèvent des questions appelant un examen au fond du grief tiré de l’article 6 de la Convention et non un examen de la recevabilité de ce grief (Gürbüz et Bayar c. Turquie, no 8860/13, § 26, 23 juillet 2019, Önal c. Turquie (no 2), no 44982/07, § 22, 2 juillet 2019, et Mart et autres c. Turquie, no 57031/10, § 20, 19 mars 2019).

23. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Argument des parties

a) Le requérant

24. Le requérant soutient qu’il a participé à la phase administrative de la procédure devant l’APEA, autorité administrative, dans les limites imposées par une procédure qui n’est pas judiciaire. Ce n’est qu’au cours de cette procédure qu’il a pu faire valoir ses arguments sur le fond. Le Tribunal d’appel s’est déclaré incompétent pour examiner l’affaire sur le fond, et le Tribunal fédéral a confirmé cette décision.

25. Le requérant considère que la notion de résidence habituelle est une notion autonome qui doit être appréciée au cas par cas. Or, il estime que l’APEA n’a pas tenu compte des facteurs qui la composent tels que la durée, les conditions de séjour, les relations avec chacun des parents, et les liens de l’enfant avec l’État de résidence. Ainsi, le requérant soutient que la résidence habituelle de V.R. au sens de l’article 5 de la Convention de La Haye de 1996 n’aurait pas dû être déplacée avec le déménagement de D.R. vers la Principauté de Monaco.

26. Il soutient aussi que lorsqu’il a entamé son recours devant le Tribunal d’appel, le préjudice était déjà produit et il ne pouvait pas y être remédié au regard de l’absence de compétence de la juridiction suisse, suite au déménagement de l’enfant à la Principauté de Monaco ayant été réalisé le même jour que celui de la notification de la décision de l’APEA.

27. Pour le requérant, il n’y avait pas de raisons d’urgence pour priver le recours d’effet suspensif. L’APEA avait bel et bien connaissance des conséquences irrémédiables que sa décision entraînerait pour le requérant, privé d’un moyen efficace de recours en Suisse, et de la relation personnelle qu’il avait avec sa fille jusqu’au moment du déménagement.

28. Le requérant estime que la décision de l’APEA était dépourvue de motivation, ou à tout le moins, de motivation adéquate.

29. Selon le requérant, il n’aurait pas pu demander la restitution de l’effet suspensif puisqu’il a reçu la décision de l’APEA le 25 août 2017 et que D.R. a annoncé son départ aux autorités communales et a déménagé à la Principauté de Monaco le jour même, alors qu’il n’en a pas eu connaissance (paragraphe 7 ci-dessus).

b) Le Gouvernement

30. Le Gouvernement ne conteste pas le caractère d’autorité administrative de l’APEA.

31. Le Gouvernement soutient que l’absence d’effet suspensif d’un éventuel recours avait pour but d’assurer que V.R. puisse rester auprès de D.R. et d’éviter une situation d’incertitude contraire aux intérêts de V.R. pour le cas où sa mère aurait déménagé avant l’issue d’une éventuelle procédure de recours.

32. Le Gouvernement considère que, bien que la compétence internationale pour le fond du litige ait été déplacée vers la Principauté de Monaco, le requérant a pu contester la décision de l’APEA auprès du Tribunal d’appel, lequel bénéficiait d’un pouvoir d’examen complet en fait et en droit en application de l’article 314 alinéa 1 en relation avec l’article 450a alinéa 1 du code civil (paragraphe 13 ci‑dessus), puis saisir le Tribunal fédéral. Ces deux juridictions constituent des tribunaux au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

33. Le Gouvernement soutient que le déplacement de la compétence internationale vers la Principauté de Monaco dans la présente affaire découle directement des règles de droit international privé applicables, à savoir de l’article 5 alinéa 2 de la Convention de la Haye de 1996 (paragraphe 16 ci‑dessus). Selon cette disposition, en cas de changement de résidence habituelle de l’enfant dans un autre État contractant, sont compétentes les autorités de l’État de la nouvelle résidence habituelle.

34. Il ne fait pas de doute pour le Gouvernement que la résidence habituelle de V.R. avait changé puisque celle-ci avait déménagé avec D.R., qui exerçait sa garde et avait fondé un nouveau domicile auprès de son époux à la Principauté de Monaco et avec leur enfant commun. Il soutient que pour le Tribunal fédéral, la résidence peut devenir habituelle au sens de l’article 5 de la Convention de la Haye de 1996 immédiatement après le déplacement lorsque, comme en l’espèce, s’il est prévu qu’elle dure et qu’elle remplace la résidence précédente, et si l’enfant déménage avec le parent qui en exerce la garde.

35. Ainsi, le Gouvernement soutient que la Suisse avait l’interdiction, en vertu d’une règle parfaitement claire figurant dans une convention internationale, de poursuivre l’examen de l’affaire dès le changement de résidence habituelle de la mère et de son enfant. Il demande donc que la Convention s’interprète en l’espèce en tenant compte de la Convention de La Haye de 1996.

36. Pour le Gouvernement, la demande du requérant selon laquelle les autorités internes auraient dû accorder l’effet suspensif à ses recours afin d’éviter que D.R. ne puisse transférer la résidence habituelle de V.R. avant l’entrée en force de l’autorisation du déplacement, n’avait pour seul objectif d’assurer la compétence des autorités suisses pour toute la durée de la procédure et donc d’éviter les conséquences de l’application de l’article 5 alinéa 2 de la Convention de la Haye de 1996. De l’avis du Gouvernement, une telle démarche n’aurait pas été cohérente avec l’esprit de la Convention de la Haye de 1996 qui offre un cadre international s’agissant des aspects transfrontières de la protection des enfants, en particulier afin d’offrir une meilleure protection aux enfants concernés et le sens de cette disposition.

37. D’une manière générale, le Gouvernement considère que l’article 6 § 1 de la Convention ne saurait être interprété de sorte qu’il fasse obstacle à l’application de l’article 5 alinéa 2 de la Convention de la Haye de 1996. Ces deux dispositions doivent au contraire être interprétées de manière harmonisée, de façon à pouvoir se concilier en pratique.

38. Pour le Gouvernement, la Convention de la Haye de 1996 offre un cadre international s’agissant des aspects transfrontaliers de la protection des enfants pour leur offrir la meilleure des protections. Et le transfert de la compétence internationale en cas de déplacement de la résidence habituelle de l’enfant lors d’affaire pendante a été considéré comme la meilleure des solutions pour répondre à cet objectif. La proximité des autorités avec le lieu dans lequel évolue l’enfant leur permet de mieux apprécier l’ensemble des circonstances qui se rapportent à la demande de protection.

39. Le Gouvernement considère qu’en agissant avec la diligence requise, le requérant aurait pu soumettre la question de l’effet suspensif au Tribunal d’appel le jour même de la notification de la décision de l’APEA, soit le vendredi 25 août 2017, et non attendre le mardi 29 août 2017. En effet, il estime qu’il aurait pu déposer immédiatement un recours, même sommairement motivé, étant entendu qu’il lui aurait été possible de compléter sa motivation durant le délai de recours ordinaire de 30 jours. Dès le moment où un recours est interjeté contre la décision de l’APEA, la compétence pour statuer sur l’effet suspensif passe à la juridiction de recours, en l’espèce le Tribunal d’appel. Au vu de l’urgence, la juridiction aurait pu rétablir l’effet suspensif sans tarder avec une mesure superprovisionnelle en application de l’article 265 alinéa 1 du CPC (paragraphe 14 ci‑dessus). En agissant le jour même, le requérant aurait ainsi pu soumettre la question de l’effet suspensif à un tribunal avant le départ de D.R. et de V.R. vers la Principauté de Monaco. Et si le Tribunal d’appel avait demandé en référé le rétablissement de l’effet suspensif avec effet ex tunc, le déménagement de l’enfant aurait été considéré comme illicite et la compétence des autorités suisses à statuer aurait été maintenue en vertu de l’article 7 alinéa 3 de la Convention de La Haye de 1996 (paragraphe 16 ci‑dessus).

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

40. La Cour rappelle que le droit d’accès à un tribunal – c’est-à-dire le droit de saisir un tribunal en matière civile – constitue un élément inhérent au droit énoncé à l’article 6 § 1 de la Convention, qui pose les garanties applicables en ce qui concerne tant l’organisation et la composition du tribunal que la conduite de la procédure. Le tout forme le droit à un procès équitable protégé par l’article 6 § 1 (Golder c. Royaume-Uni, 21 février 1975, § 36, série A no 18). Toutefois, le droit d’accès à un tribunal n’est pas absolu. Il peut être soumis à des limitations pour autant que celles-ci ne restreignent ni ne réduisent l’accès de l’individu au juge d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, ces limitations ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Nicolae Virgiliu Tănase c. Roumanie [GC], no 41720/13, § 195, 25 juin 2019, Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 230, CEDH 2012, et Markovic et autres c. Italie [GC], no 1398/03, § 99, CEDH 2006‑XIV).

b) Application des principes au cas d’espèce

41. La Cour estime approprié d’aborder le grief tiré du droit d’accès en répondant successivement aux questions qui suivent : (i) Quel est l’objet du litige à trancher par la Cour ? (ii) Le requérant a-t-il subi une limitation du droit d’accès à un tribunal ? (iii) La limitation de ce droit était-elle justifiée ?

42. À titre liminaire, la Cour constate que le requérant affirme que l’APEA est une autorité administrative, et non un tribunal au sens de la loi (paragraphe 24 ci‑dessus), ce que le Gouvernement ne conteste pas d’ailleurs (paragraphe 30 ci‑dessus). La Cour ne voit pas de motif d’en décider autrement.

i. Définition de l’objet du litige pendant

43. La Cour constate que le requérant a tenté de contester la décision de l’APEA devant le Tribunal d’appel et le Tribunal fédéral. Cependant, l’APEA avait décidé de l’absence d’effet suspensif d’un éventuel recours en application de l’article 450c du code civil (paragraphes 5 et 13 ci‑dessus). Ainsi, la décision de l’APEA étant immédiatement exécutoire, D.R. a signalé le changement de lieu de résidence habituelle le jour même de la notification de la décision et a déménagé avec V.R. à la Principauté de Monaco (paragraphe 7 ci‑dessus). Le changement de lieu de résidence a entraîné le transfert de la compétence internationale à cet État et donc l’incompétence des juridictions suisses pour connaître des recours du requérant en application de l’article 5 de la Convention de La Haye de 1996 (paragraphe 16 ci‑dessus). Par conséquent, suite au recours du requérant contre la décision de l’APEA, le Tribunal d’appel a constaté dans son arrêt du 17 octobre 2017 qu’il n’était plus compétent pour se prononcer sur le recours, traiter de la demande de rétablissement de l’effet suspensif et du fond de l’affaire (paragraphe 9 ci‑dessus). Le 12 mars 2018, le Tribunal fédéral confirma la décision du Tribunal d’appel (paragraphe 11 ci‑dessus).

44. La question qui se pose à la Cour dans ce contexte est de savoir si le requérant a été privé d’un accès effectif à un tribunal au sens de l’article 6 § 1 de la Convention par le biais du retrait de l’effet suspensif à un éventuel recours qui a entraîné l’incompétence des tribunaux suisses.

ii. Limitation du droit d’accès à un tribunal

45. La Cour est amenée à examiner si le requérant a subi une limitation de son droit d’accès à un tribunal. Elle rappelle, à cet égard, que chaque justiciable a droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil. C’est ainsi que l’article 6 § 1 de la Convention consacre le droit à un tribunal, dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir un tribunal en matière civile, constitue un aspect particulier (Naït‑Liman c. Suisse [GC], no 51357/07, § 113, 15 mars 2018, avec autres références). La Cour estime que le requérant a en effet subi une limitation de son droit d’accès à un tribunal qui a été causée par le retrait par l’APEA de l’effet suspensif à un éventuel recours et qui a été matérialisée par la déclaration d’incompétence des tribunaux nationaux.

iii. Justification de la limitation

46. La question suivante que la Cour est amenée à trancher est celle de savoir si la restriction du droit d’accès au Tribunal d’appel poursuivait un but légitime. La Cour observe qu’il se dégage des observations du Gouvernement (paragraphe 31 ci‑dessus) que l’absence d’effet suspensif d’un éventuel recours avait pour but légitime de protéger les droits et libertés de la mère et de l’enfant du requérant.

47. Quant au rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, une décision portant incompétence d’un tribunal n’enfreint pas le droit d’accès à un tribunal si les arguments de l’intéressé en faveur de la compétence du tribunal ont fait l’objet d’un examen réel et effectif et si le tribunal a motivé de manière adéquate les raisons sur lesquelles sa décision est fondée (dans ce sens, Obermeier c. Autriche, 28 juin 1990, § 68, série A no 179, et Konkurrenten.no AS c. Norvège (déc.), no 47341/15, §§ 46‑47, 5 novembre 2019).

48. C’est dans le cadre d’un contrôle européen limité que la Cour appréciera la décision du Tribunal d’appel, entérinée par le Tribunal fédéral.

49. Le Gouvernement considère que le requérant a pu contester la décision de l’APEA auprès du Tribunal d’appel, puis saisir le Tribunal fédéral qui constituent des tribunaux au sens de l’article 6 § 1 de la Convention et bénéficiaient d’un pouvoir d’examen complet en fait et en droit en application de l’article 314 alinéa 1 en relation avec l’article 450a alinéa 1 du code civil (paragraphe 32 ci‑dessus).

50. Cependant, la Cour est d’avis que ces juridictions, s’étant déclarées incompétentes, n’ont pas pu réaliser un examen effectif et complet en fait et en droit, lors d’un examen contradictoire de l’affaire au cours d’un procès équitable respectant les garanties de l’article 6 § 1 de la Convention.

51. La Cour reconnaît, en outre, que l’étendue de la marge d’appréciation accordée à l’État peut dépendre notamment du droit international pertinent en la matière (Naït‑Liman, précité, §§ 173‑174).

52. Les arrêts du Tribunal d’appel et du Tribunal fédéral se fondent sur la Convention de La Haye de 1996, qui est incorporée au droit suisse (paragraphe 16 ci‑dessus), suite au déplacement de la résidence habituelle de D.R. à la Principauté de Monaco par l’APEA.

53. La Convention de La Haye de 1996 ne s’applique qu’aux situations dans lesquelles il y a eu un déplacement du lieu de résidence habituelle d’un enfant au sens de l’article 5 de ladite convention (paragraphe 16 ci‑dessus).

54. La Cour considère donc que les arrêts de ces juridictions ayant déclaré leur incompétence, en application de l’article 5 de la Convention de La Haye de 1996, n’étaient pas arbitraires et peuvent être justifiés si l’on considère seulement l’aspect du changement accompli de la résidence habituelle (comparer Prince Hans-Adam II de Liechtenstein c. Allemagne [GC], no 42527/98, §§ 62-65, 12 juillet 2001).

55. Cependant, le retrait de l’effet suspensif à un éventuel recours a été décidé par l’APEA, qui est une autorité administrative, sans que le Tribunal d’appel puis le Tribunal fédéral n’aient pu remédier à cette situation.

56. La Cour rappelle que l’article 6 § 1 exige que, dans la détermination des droits et obligations civils, les décisions prises par les autorités administratives qui ne satisfont pas elles-mêmes aux exigences de cet article – comme c’est le cas en l’espèce avec l’APEA (paragraphe 42 ci‑dessus) – doivent faire l’objet d’un contrôle ultérieur par un « organe judiciaire de pleine juridiction », y compris le pouvoir d’annuler à tous égards, sur des questions de fait et de droit, la décision contestée (voir Ramos Nunes de Carvalho e Sá c. Portugal [GC], nos 55391/13 et 2 autres, § 132 in fine, 6 novembre 2018).

57. Dans le cas d’espèce, la Cour estime que le contrôle effectif ultérieur d’un organe judiciaire de pleine juridiction national a été exclu par l’APEA qui a décidé de l’absence d’effet suspensif d’un éventuel recours contre sa décision. Le Tribunal d’appel puis le Tribunal fédéral se sont en effet déclarés incompétents pour traiter des recours du requérant.

58. La Cour est bien consciente qu’il existe des situations exceptionnelles, dûment justifiées par l’intérêt supérieur de l’enfant, dans lesquelles l’urgence particulière commande que le parent concerné puisse changer le domicile de l’enfant sans devoir attendre le jugement définitif au fond. Dans de tels cas, il est suffisant mais nécessaire qu’une procédure effective de recours avec des mesures provisionnelles soit à disposition. Il n’est dès lors pas exclu que les autorités administratives retirent exceptionnellement l’effet suspensif à un éventuel recours. Toutefois, dans de telles circonstances, il faut qu’il soit assuré que le parent concerné ait la possibilité de s’adresser à un juge avant que le retrait de l’effet suspensif n’entre en vigueur et qu’il soit rendu attentif à la procédure à suivre.

59. L’APEA dans sa décision du 24 août 2017 (paragraphe 6 ci-dessus) et le Gouvernement (paragraphe 31 ci‑dessus) ont justifié l’urgence qui commandait le retrait de l’effet suspensif d’un éventuel recours à savoir l’intérêt supérieur de V.R. pour laquelle l’APEA souhaitait éviter qu’un éventuel recours l’ait placée dans une situation de forte incertitude. La Cour estime que les raisons de l’urgence invoquées en l’espèce n’étaient pas assez graves pour justifier que le requérant n’ait pas eu la possibilité de s’adresser à un juge avant que le retrait de l’effet suspensif n’entre en vigueur. Cela d’autant plus s’agissant d’une procédure relevant du droit de la famille, susceptible d’avoir des conséquences très graves et délicates pour le requérant dans la mesure où des questions du futur rapport avec son enfant ainsi que ses droits vis-à-vis de ce dernier étaient directement en jeu (voir, mutatis mutandis, Gajtani c. Suisse, no 43730/07, § 75, 9 septembre 2014, et Assunção Chaves c. Portugal, no 61226/08, § 82, 31 janvier 2012).

60. Le Gouvernement considère que le requérant aurait pu demander la restitution de l’effet suspensif au Tribunal d’appel, le jour même de la notification de la décision de l’APEA, soit le vendredi 25 août 2017, et non attendre le mardi 29 août 2017. En effet, il estime que si le Tribunal d’appel avait accédé à la demande du requérant, la compétence internationale de la Suisse pour le fond de l’affaire aurait été maintenue (paragraphe 39 ci‑dessus). En tout état de cause, ce moyen lui aurait permis de faire examiner par une autorité judiciaire le risque d’un transfert de la compétence internationale vers la Principauté de Monaco.

61. Selon le requérant, il n’aurait pas pu demander la restitution de l’effet suspensif puisqu’il a reçu la décision de l’APEA le 25 août 2017 et que D.R. a annoncé son départ aux autorités communales et a déménagé avec V.R. à la Principauté de Monaco le jour même, alors qu’il n’en avait pas eu connaissance (paragraphe 7 ci‑dessus).

62. En l’espèce, la Cour ne peut constater que le requérant aurait tardé à introduire son recours auprès du Tribunal d’appel au regard de la date de la notification de la décision. Le requérant ne s’est pas abstenu d’utiliser les voies de recours existantes au moins en théorie.

63. En outre, D.R. est partie avec V.R. pour la Principauté de Monaco le jour même de la notification de la décision de l’APEA et dès lors le requérant n’avait aucune chance de s’adresser au Tribunal d’appel pour restituer l’effet suspensif de son recours afin de maintenir la juridiction de la Suisse et avoir accès à un tribunal au fond.

64. Aussi, le Gouvernement n’a pas apporté la preuve de la mise en œuvre et de l’efficacité pratique des recours qu’il suggère dans les circonstances particulières de la cause, avec des exemples de jurisprudence pertinente des tribunaux nationaux dans une affaire analogue (Karácsony et autres c. Hongrie [GC], nos 42461/13 et 44357/13, §§ 75‑82, 17 mai 2016, Parrillo c. Italie [GC], no 46470/11, §§ 87‑105, CEDH 2015, et Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, § 71, 17 septembre 2009).

65. La Cour conclut donc qu’un tel recours devant le Tribunal d’appel n’aurait pas présenté des perspectives raisonnables de succès relativement au grief formulé par le requérant sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention.

66. La Cour considère par conséquent que le requérant n’a pas pu avoir accès à un tribunal national, avant le départ à la Principauté de Monaco de D.R. avec V.R., pour contester la décision de l’autorité administrative « APEA » au fond et demander le rétablissement de l’effet suspensif.

67. Compte tenu de ce qui précède, le droit d’accès à un tribunal était atteint dans sa substance même par la décision de l’APEA de retirer l’effet suspensif du recours du requérant, suivi du départ à la Principauté de Monaco de D.R. avec V.R., qui a entraîné l’incompétence des tribunaux suisses à travers le transfert de la compétence internationale vers la Principauté de Monaco. Cette limitation était disproportionnée au but poursuivi, à savoir la protection des droits et libertés de la mère et de l’enfant du requérant, au regard de l’importance pour le requérant des questions soulevées par la procédure litigieuse.

68. La Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention quant au droit d’accès à un tribunal.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

69. Le requérant se plaint que la décision de l’APEA a porté atteinte à son droit au respect de sa vie familiale.

70. Il invoque l’article 8 de la Convention, qui est ainsi libellé :

Article 8

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (…).

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (…) à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

71. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes au motif que, dans son recours au Tribunal fédéral, le requérant n’a pas soulevé le grief d’une violation de l’article 8 de la Convention.

72. Le requérant maintient son grief.

73. La règle de l’épuisement des voies de recours internes de l’article 35 § 1 reflète le rôle fondamentalement subsidiaire du mécanisme de la Convention. Elle exige normalement que les griefs destinés à être formulés au niveau international aient été exposés devant les juridictions internes appropriées, au moins en substance, dans le respect des conditions de forme et des délais prévus par le droit interne (voir, parmi d’autres, Azinas c. Chypre [GC], no 56679/00, § 38, CEDH 2004‑III, et Nicklinson et Lamb c. Royaume-Uni (déc.), nos 2478/15 et 1787/15, § 89, 23 juin 2015).

74. La Cour observe que, dans son recours devant le Tribunal fédéral, le requérant s’est expressément référé à une violation de son droit à la vie familiale, a invoqué expressément l’article 8 de la Convention ou des dispositions internes spécifiques protégeant la vie familiale (paragraphe 10 ci-dessus).

75. En conclusion, le requérant a donné au Tribunal fédéral l’occasion que l’article 35 de la Convention a pour finalité de ménager en principe à un État contractant : celle d’examiner, c’est-à-dire de prévenir ou redresser la violation au regard de la Convention qui est alléguée contre cet État (voir, a contrario, Azinas, précité, § 41, et Merot d’o.o. et Storitve TIR d’o.o. c. Croatie (déc.), nos 29426/98 et 29737/08, §§ 35-38, 10 décembre 2013). La Cour estime donc qu’il y a lieu de rejeter cette exception.

76. Par ailleurs, constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

77. Compte tenu des conclusions auxquelles elle est parvenue sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention (paragraphe 68 ci‑dessus), la Cour ne décèle pas de question distincte dans ce grief. Il n’y a donc pas lieu de l’examiner séparément.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

78. Le requérant se plaint de ne pas avoir disposé d’un recours effectif devant une instance nationale pour se plaindre de la décision de l’APEA qui a porté atteinte à son droit au respect de sa vie familiale.

79. Il invoque l’article 13 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (…) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

80. Constatant que le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

81. Compte tenu des conclusions auxquelles elle est parvenue sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention (paragraphe 68 ci‑dessus), la Cour ne décèle pas de question distincte dans ce grief. Il n’y a donc pas lieu de l’examiner séparément.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

82. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

83. Le requérant demande 20 737,23 euros (EUR) au titre du dommage matériel en dédommagement des frais engagés pour l’exercice de son droit de visite après le déménagement de V.R. vers la Principauté de Monaco et 20 000 EUR au titre du préjudice moral subi, le déménagement soudain de V.R. ayant entraîné une réduction soudaine de ses contacts avec elle.

84. Le Gouvernement soutient que les dommages allégués par le requérant se rapportent au déménagement de V.R., donc à l’issue de la procédure interne au fond. En revanche, les questions soulevées par la requête à la Cour sont de nature procédurale. Le Gouvernement estime par conséquent qu’il n’y a pas lieu d’accorder au requérant une réparation pour le dommage matériel allégué et qu’un constat de violation représenterait, le cas échéant, une satisfaction équitable suffisante au titre du préjudice moral.

85. La Cour rappelle qu’il ne lui appartient pas de spéculer sur l’issue d’une procédure conforme aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, C.M. c. Suisse, no 7318/09, § 31, 17 janvier 2017).

86. En l’espèce, elle ne voit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué, et elle rejette cette demande.

87. En revanche, elle octroie au requérant 12 000 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

B. Frais et dépens

88. Le requérant réclame 117 342,02 EUR (11 083,30 EUR pour les frais de justice et 106 258,72 EUR pour les honoraires d’avocat) au titre des frais et dépens qu’il a engagés dans le cadre de la procédure menée devant les juridictions internes et 28 087,50 EUR (26 697,50 EUR pour les honoraires d’avocat et débours ; et 1 390 EUR pour l’avis de droit) au titre de ceux qu’il a engagés aux fins de la procédure menée devant la Cour.

89. Le Gouvernement relève qu’en ce qui concerne les frais de justice pour les procédures internes, le montant facturé par l’APEA pour sa décision du 24 août 2017, à hauteur de 5 453,50 francs suisses (CHF), ainsi que le montant que le requérant a été amené à verser à D.R. en vertu de cette décision, à hauteur de 3 000 CHF, comprennent également les frais pour les décisions incidentes adoptées en lien avec l’exercice du droit de visite du requérant. Pour le Gouvernement, ces décisions sont sans lien avec les violations alléguées de la Convention. Par conséquent, les montants à prendre en compte, en cas de constat de violation de la Convention, doivent être réduits. Le détail du calcul des montants en question n’étant pas disponible, le Gouvernement suggère de chiffrer, le cas échéant, à 3 500 CHF les frais de procédure et à 1 500 CHF l’indemnité versée à D.R. Les frais de justice pour les procédures internes peuvent ainsi être pris en compte à hauteur de 8 450 CHF (5 000 CHF pour la procédure devant l’APEA, 1 450 CHF pour la procédure devant le Tribunal d’appel et 2 000 CHF pour la procédure devant le Tribunal fédéral).

90. Par rapport aux frais de représentation devant les autorités internes, le Gouvernement relève tout d’abord que les pièces versées au dossier par le requérant n’indiquent ni le tarif horaire, ni le détail des prestations fournies. De plus, les factures jointes à la demande du requérant se rapportent à des prestations qui débutent en 2015. Le montant demandé comprend ainsi des frais de représentation pour des questions sans lien avec les violations alléguées, en particulier pour la réglementation du droit de visite durant la procédure. En outre, le montant apparaît comme manifestement exagéré en comparaison avec d’autres affaires comparables.

91. De même, le requérant n’a pas satisfait aux exigences de l’article 60 du Règlement de la Cour en ce qui concerne les frais de représentation devant la Cour, aucune précision n’étant fournie quant au montant demandé.

92. Enfin, le requérant étant représenté par un avocat et au vu des questions soulevées par la présente affaire, les frais de l’avis de droit du 23 septembre 2020 ne sauraient être considérés comme nécessaires au sens de la jurisprudence de la Cour.

93. Le Gouvernement estime par conséquent qu’en cas de constatation d’une violation de la Convention, aucun montant ne saurait être alloué au requérant au titre des frais de représentation devant les autorités internes et la Cour. Pour le cas où la Cour ne devait pas suivre ce raisonnement, le Gouvernement considère à titre subsidiaire qu’un montant de 7 000 CHF serait approprié.

94. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, eu égard au fait que la violation constatée concerne l’absence d’un recours contre la mesure litigieuse et compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer au requérant la somme de 15 000 EUR tous frais confondus, plus tout montant pouvant être dû par lui sur cette somme à titre d’impôt.

C. Intérêts moratoires

95. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief formulé sur le terrain de l’article 8 de la Convention ;

4. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief formulé sur le terrain de l’article 13 combiné avec l’article 8 de la Convention ;

5. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i. 12 000 EUR (douze mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 15 000 EUR (quinze mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 février 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Milan Blaško                             Georges Ravarani
Greffier                                         Président

Dernière mise à jour le février 8, 2022 par loisdumonde

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *