Sy c. Italie (Cour européenne des droits de l’homme)

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 258
Janvier 2022

Sy c. Italie – 11791/20

Arrêt 24.1.2022 [Section I]

Article 3
Traitement dégradant
Traitement inhumain

Détention, durant deux ans, en milieu carcéral ordinaire d’une personne bipolaire dans de mauvaises conditions et sans stratégie thérapeutique globale de prise en charge de sa pathologie : violation

En fait – Le requérant, souffrant d’un trouble bipolaire aggravé par la toxicomanie, a été maintenu en détention en milieu carcéral ordinaire, malgré les décisions des tribunaux nationaux, qui avaient ordonné son placement dans une résidence pour l’exécution des mesures de sûreté (REMS) sur la base des expertises attestant l’incompatibilité de son état de santé avec la détention en prison. Même une ordonnance de la cour d’appel de le libérer, étant donné le retard à le placer dans un établissement adapté, n’a pas été exécutée.

Depuis le 1er avril 2015, les mesures de l’internement en établissement de soins et de détention en hôpital psychiatrique judiciaire sont exécutées dans les REMS. En raison d’un problème systémique de manque de places dans les REMS, de nombreuses personnes comme le requérant attendent en prison qu’une place soit disponible.

En droit

Article 3 (volet matériel) : L’état de santé mentale du requérant était incompatible avec la détention en prison et, malgré les indications claires et univoques, l’intéressé est resté incarcéré en milieu pénitentiaire ordinaire pendant près de deux ans. Les conclusions auxquelles les spécialistes et les autorités judiciaires internes sont parvenus ne sauraient être remises en question. Le maintien du requérant en milieu pénitentiaire ordinaire était incompatible avec l’article 3.

Au demeurant, le requérant n’a bénéficié d’aucune stratégie thérapeutique globale de prise en charge de sa pathologie visant à porter remède à ses problèmes de santé ou à prévenir leur aggravation, et ce dans un contexte caractérisé par de mauvaises conditions de détention.

Conclusion : violation (unanimité).

Article 5 § 1 e) : Le placement immédiat du requérant en REMS a été ordonné pour la période d’un an, au motif que cette mesure était la seule adéquate pour faire face à la dangerosité sociale de ce dernier. L’ordonnance de placement n’a jamais été exécutée.

Les trois conditions de la jurisprudence Winterwerp sont réunies en l’espèce :

– à la date où le placement en REMS a été ordonné, l’aliénation du requérant avait été démontrée devant l’autorité compétente au moyen d’une expertise médicale objective ;

– le JAP a considéré à juste titre que le trouble mental du requérant revêtait un caractère légitimant l’internement, étant donné que ce dernier, bien qu’en liberté surveillée, avait gravement violé les conditions de celle-ci, et que le placement en REMS était donc la seule solution capable de satisfaire l’impératif de protection sociale ;

– le danger pour la société représenté par le requérant n’avait pas cessé d’exister.

La mesure de détention dans une REMS a pour but non pas seulement de protéger la société, mais aussi d’offrir à l’intéressé les soins nécessaires pour améliorer, autant que possible, son état de santé et rendre possible ainsi la réduction ou la maîtrise de sa dangerosité. Il était donc essentiel qu’un traitement adapté fût proposé au requérant afin de réduire le danger qu’il représentait pour la société. Or, même après l’arrêt par lequel la cour d’appel avait ordonné sa libération, le requérant n’a pas été transféré dans une REMS. Il a en revanche continué à être détenu en milieu pénitentiaire ordinaire, dans de mauvaises conditions, et n’a pas bénéficié d’une prise en charge thérapeutique individualisée.

À partir de février 2019, le département de l’administration pénitentiaire a adressé de nombreuses demandes d’accueil aux REMS afin de trouver une place pour le requérant, mais sans succès, faute de places disponibles. Face à ces refus, les autorités nationales n’ont pas créé de nouvelles places au sein des REMS ni trouvé une autre solution. Il leur revenait d’assurer au requérant qu’une place en REMS serait disponible ou de trouver une solution adéquate. L’absence de places n’était pas une justification valable au maintien du requérant en milieu pénitentiaire.

Conclusion : violation (unanimité).

Article 34 : La mesure provisoire indiquée par la Cour consistait à assurer le transfert du requérant dans une structure, REMS ou autre, permettant d’assurer la prise en charge adéquate, sur le plan thérapeutique, de sa pathologie psychique.

Les autorités internes ont transféré le requérant au sein d’une communauté thérapeutique trente-cinq jours après l’adoption de la mesure par la Cour.

L’absence de places dans les REMS n’est pas une justification valable au retard. Il revenait au gouvernement de trouver pour le requérant, au lieu d’une place en REMS, une autre solution adéquate. Et bien qu’un certain retard dans l’exécution de la mesure provisoire ait été en l’espèce acceptable dans une situation exceptionnelle telle que celle du confinement de mars 2020 en Italie, trente-cinq jours apparaissent néanmoins excessifs.

Conclusion : violation (unanimité).

La Cour conclut aussi à l’unanimité :

– à la violation de l’article 5 § 5 en raison de l’absence de moyen pour obtenir, à un degré suffisant de certitude, réparation des violations de l’article 5 § 1 ;

– à la violation de l’article 6 § 1 du fait de la non-exécution de l’arrêt ordonnant la remise en liberté du requérant et de la décision ordonnant son placement en REMS ;

– à la non-violation de l’article 5 § 1 a), du fait que le requérant, à l’époque du procès, était apte à y participer de manière consciente et était ainsi à même, au moment de l’exécution de la peine, de comprendre la finalité de réinsertion sociale que celle-ci poursuivait et d’en bénéficier.

Article 41 : 36 400 EUR pour préjudice moral.

(Voir aussi Assanidzé c. Géorgie [GC], 71503/01, 8 avril 2004, Résumé juridique ; Torreggiani et autres c. Italie, 43517/09, 8 janvier 2013, Résumé juridique ; W.D. c. Belgique, 73548/13, 6 septembre 2016, Résumé juridique ; et Rooman c. Belgique [GC], 18052/11, 31 janvier 2019, Résumé juridique)

Dernière mise à jour le janvier 24, 2022 par loisdumonde

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