AFFAIRE IMMOBILIARE PODERE TRIESTE S.R.L. c. ITALIE (Cour européenne des droits de l’homme) 48039/12

PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE IMMOBILIARE PODERE TRIESTE S.R.L. c. ITALIE
(Requête no 48039/12)
ARRÊT
STRASBOURG
13 janvier 2022

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Immobiliare Podere Trieste S.r.l. c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un comité composé de :
Péter Paczolay, président,
Gilberto Felici,
Raffaele Sabato, juges,
et de Liv Tigerstedt, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête (no 48039/12) contre la République italienne et dont une société de droit italien, Immobiliare Podere Trieste S.r.l. (« la société requérante »), représentée par Me N. Paoletti, avocat à Rome, a saisi la Cour le 9 juillet 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement italien (« le Gouvernement »), représenté par son agent, M. L. D’Ascia, avocat de l’État,

les observations des parties,

la décision par laquelle la Cour a rejeté l’opposition du Gouvernement à l’examen de la requête par un comité,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 30 novembre 2021,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

OBJET DE L’AFFAIRE

1. Lors de l’introduction de cette requête, la société requérante se plaignait de la non-exécution d’un jugement du tribunal de Rome du 11 novembre 2010 condamnant la mairie de Rome au paiement en sa faveur de 40 924 326,13 (EUR) au titre de dommages-intérêts pour l’expropriation de son terrain. À cette somme s’ajoutait le montant de 143 865,42 EUR pour frais de procédure à majorer des frais généraux, de la contribution à la caisse de prévoyance des avocats et de la taxe sur la valeur ajoutée, au sens de la loi nationale.

2. Après l’introduction de la présente requête, dans le cadre d’une autre affaire introduite par la société requérante portant sur l’incompatibilité de l’expropriation dudit terrain avec le droit au respect de ses biens garanti par l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (Immobiliare Podere Trieste S.r.l. c. Italie, no 19041/04, 16 novembre 2006), la Cour accorda à la société requérante 47 700 000 EUR pour dommage matériel, 20 000,00 EUR au titre du préjudice moral et 20 000,00 EUR pour frais et dépens (Immobiliare Podere Trieste S.r.l. c. Italie (satisfaction équitable), no 19041/04, 23 octobre 2012).

3. Par une lettre du 15 mars 2019, la société requérante informa la Cour que, en raison de l’évolution de la procédure d’exécution de l’arrêt rendu dans le cadre de l’affaire précitée, elle renonçait au recouvrement des dommages-intérêts reconnus par le tribunal de Rome. En même temps, elle indiqua vouloir poursuivre sa requête concernant la somme accordée par le tribunal de Rome pour les frais de procédure.

4. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, la société requérante se plaint de l’inexécution du jugement du tribunal de Rome du 11 novembre 2010, dans la partie où celui-ci lui a accordé une somme pour les frais de procédure.

L’APPRÉCIATION DE LA COUR

5. Le Gouvernement excipe que la société requérante aurait perdu la qualité de victime à la suite du versement, dans le cadre de la procédure d’exécution de l’arrêt Immobiliare Podere Trieste S.r.l. c. Italie (satisfaction équitable), précité, des montants accordés par la Cour, notamment les 20 000,00 EUR pour frais et dépens, incluant les frais de procédure devant les juridictions internes.

6. La Cour rappelle avoir traité une objection similaire dans l’arrêt précité (ibid., §§ 16-17). À cette occasion, elle a estimé que, dans la procédure en appel contre le jugement du tribunal de Rome, encore pendante à cette époque, les juridictions nationales tiendraient compte des sommes allouées par la Cour et éviteraient ainsi une double indemnisation.

7. Il ressort en effet du texte du jugement de la cour d’appel de Rome du 13 mai 2020 que la question de savoir si les sommes allouées au titre de frais de procédure par le tribunal de Rome étaient dues même après l’arrêt Immobiliare Podere Trieste S.r.l. c. Italie (satisfaction équitable), précité, a été largement débattue par les parties lors de la procédure en deuxième instance. La cour d’appel a donc pu prendre en compte toute somme accordée à l’intéressée par cette Cour et, à la suite de cet examen, elle a confirmé, pour ce qui intéresse la présente espèce, le jugement du tribunal de Rome par rapport aux frais et dépens de la procédure de première instance.

8. Par conséquent, la société requérante n’a pas perdu la qualité de victime et l’exception du Gouvernement sur ce point doit être rejetée.

9. Le Gouvernement excipe ensuite du non-épuisement des voies de recours internes, au motif que la société requérante a engagé une autre procédure devant les juridictions internes, actuellement pendante devant le tribunal de Rome. La Cour constate que dans le cadre de la procédure actuellement pendante la société requérante a demandé une injonction de paiement (decreto ingiuntivo) afin d’obtenir des intérêts sur les montants accordés par la Cour dans l’arrêt Immobiliare Podere Trieste S.r.l. c. Italie (satisfaction équitable), précité, alors que, dans la présente espèce, la société requérante se plaint de la non-exécution d’une décision de justice interne rendue en sa faveur.

10. Compte tenu du fait que les deux procédures ont pour objet des prétentions différentes, la Cour rejette cette exception.

11. Constatant que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés ni irrecevables pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour les déclare recevables.

12. Dans les arrêts de principe Ventorino c. Italie, no 357/07, 17 mai 2011, De Trana c. Italie, no 64215/01, 16 octobre 2007, Nicola Silvestri c. Italie, no 16861/02, 9 juin 2009, Antonetto c. Italie, no 15918/89, 20 juillet 2000, De Luca c. Italie, no 43870/04, 24 septembre 2013, et Pennino c. Italie, no 43892/04, 24 septembre 2013, la Cour a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 au sujet de questions similaires à celles qui font l’objet de la présente affaire.

13. Après examen de l’ensemble des éléments qui lui ont été soumis, la Cour ne décèle aucun fait ou argument propre à la convaincre de parvenir à une conclusion différente quant au bien-fondé des griefs en question. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, elle estime qu’en l’espèce les autorités n’ont pas déployé tous les efforts nécessaires pour faire exécuter pleinement et en temps voulu la décision de justice rendue en faveur de la société requérante.

14. Il s’ensuit que ces griefs révèlent une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocol no 1 à la Convention.

L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

15. La société requérante réclame 201 987,03 EUR au titre du dommage matériel, à savoir la somme qui lui a été accordé par le jugement du tribunal de Rome pour les frais de procédure (143 865,42 EUR), majorée des frais généraux, de la contribution à la caisse de prévoyance des avocats et de la taxe sur la valeur ajoutée. Quant au dommage moral, la société requérante demande à la Cour de statuer en équité. Elle demande aussi 20 875,63 EUR au titre des frais et dépens qu’elle dit avoir engagés dans le cadre de la procédure menée devant la Cour.

16. Le Gouvernement conteste les prétentions de la société requérante et soutient que le dommage moral n’a pas été prouvé.

17. Eu égard aux documents en sa possession et à sa jurisprudence (Ventorino, De Trana, Nicola Silvestri, Antonetto, De Luca, et Pennino, arrêts précités), la Cour estime raisonnable d’allouer à la société requérante 201 987,03 EUR au titre du dommage matériel et 6 700 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur ces sommes à titre d’impôt par la société requérante.

18. Quant aux frais et dépens, selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir leur remboursement que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, vu l’absence de tout justificatif de paiement concernant les frais encourus par la société requérante pour la procédure devant elle, la Cour ne lui octroie aucune somme à ce titre.

19. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocol no 1 à la Convention ;

3. Dit,

a) que l’État défendeur doit verser à la société requérante, dans un délai de trois mois les sommes suivantes :

i. 201 987,03 EUR (deux cent un mille neuf cent quatre-vingt-sept euros et trois centimes), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt par la société requérante, pour dommage matériel ;

ii. 6 700 EUR (six mille sept cents euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 janvier 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Liv Tigerstedt                           Peter Paczolay
Greffière adjointe                         Président

Dernière mise à jour le janvier 14, 2022 par loisdumonde

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