L’affaire concerne l’intrusion des forces de l’ordre dans le domicile du requérant, son interpellation et sa détention consécutive dans un commissariat de police. Le requérant dénonce à cet égard une violation des articles 8 et 5 § 1 de la Convention. Invoquant l’article 5 § 5 de la Convention, il soutient aussi qu’il n’a pas disposé d’un recours permettant l’obtention d’une réparation au titre de cette détention contraire à l’article 5 § 1.
CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE JARRAND c. FRANCE
(Requête no 56138/16)
ARRÊT
Art 5 § 1 • Privation de liberté • Voies légales • Audition sans placement en garde à vue du requérant conduit sous la contrainte au commissariat de police
Art 5 § 5 • Absence d’examen par les juridictions nationales de la conformité de la détention à l’art 5 § 1 ayant fait obstacle à l’indemnisation du préjudice allégué
Art 8 • Obligations positives • Nécessité de l’intervention par la force de policiers au domicile du requérant pour l’interpeler dans le cadre de l’enquête de flagrance ouverte pour « mauvais traitements à personne vulnérable » et porter assistance à sa mère
STRASBOURG
9 décembre 2021
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Jarrand c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une Chambre composée de :
Síofra O’Leary, présidente,
Mārtiņš Mits,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Jovan Ilievski,
Lado Chanturia,
Arnfinn Bårdsen,
Mattias Guyomar, juges,
et de Victor Soloveytchik, greffier de section,
Vu :
la requête (no 56138/16) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet État, M. Daniel Jarrand (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 22 septembre 2016,
la décision de porter à la connaissance du gouvernement français (« le Gouvernement ») les griefs concernant les articles 5 § 1, 5 § 5 et 8 de la Convention et de déclarer irrecevable la requête pour le surplus,
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 16 novembre 2021,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. L’affaire concerne l’intrusion des forces de l’ordre dans le domicile du requérant, son interpellation et sa détention consécutive dans un commissariat de police. Le requérant dénonce à cet égard une violation des articles 8 et 5 § 1 de la Convention. Invoquant l’article 5 § 5 de la Convention, il soutient aussi qu’il n’a pas disposé d’un recours permettant l’obtention d’une réparation au titre de cette détention contraire à l’article 5 § 1.
EN FAIT
2. Le requérant est né en 1954 et réside à Fontaine. Il est représenté par Me A. Maubleu, avocat.
3. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des Affaires juridiques au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
I. La genèse de l’affaire
4. Le requérant habitait avec sa mère, née en 1920.
5. Le 23 novembre 2009, un médecin du centre hospitalier universitaire de Grenoble où la mère du requérant avait été admise le 19 novembre 2009 à la demande du médecin de famille signala au procureur du tribunal de grande instance de Grenoble qu’elle était dans un état sanitaire et mental très dégradé. Il exposait les éléments suivants :
« (…) Mme Jarrand (…), personne vulnérable présentant une démence, a été hospitalisée en urgence au CHU de Grenoble, pour hygiène déplorable, des lésions cutanées d’origine mixte (post traumatique et défaut d’hygiène) sur un terrain antérieur pathologique, déshydratation et septicémie, témoins d’une dégradation importante de l’état de santé secondaire, [dus] très probablement à un défaut de soins importants chez cette patiente vulnérable. L’ensemble de ces éléments nous font évoquer une négligence voire une malveillance ».
6. Il ressort du dossier qu’après l’admission de sa mère à l’hôpital en 2009, le requérant avait eu une attitude virulente envers le personnel de l’établissement et avait menacé de revenir armé d’un révolver.
7. Le 26 novembre 2009, le centre communal d’action sociale de Fontaine adressa également un signalement au procureur, indiquant que la situation de la mère du requérant « sembl[ait] être très problématique », qu’elle vivait dans des « conditions d’hygiène inacceptables » et que le requérant s’opposait à toute aide et tout suivi.
8. Saisi par le procureur, le juge des tutelles de Grenoble, par une ordonnance du 21 décembre 2009, plaça la mère du requérant sous sauvegarde de justice et désigna une association familiale locale, l’association Familles en Isère, en qualité de mandataire spécial. Par une ordonnance du 13 janvier 2010, le juge des tutelles donna mandat à cette dernière pour faire admettre la mère du requérant à sa sortie d’hôpital dans un lieu d’hébergement autre que son domicile, compatible avec son état de santé. Saisie par le requérant et sa mère, la chambre des affaires familiales de la cour d’appel de Grenoble confirma ces ordonnances par un arrêt du 8 avril 2010. La Cour de cassation rejeta le pourvoi dirigé contre cet arrêt, le 29 juin 2011. Le requérant saisit vainement les juridictions d’autres demandes d’annulation de ces ordonnances (jugement du juge des tutelles de Grenoble du 20 septembre 2010 ; arrêt de la cour d’appel de Grenoble du 16 février 2011 ; arrêt de la cour de cassation du 23 octobre 2013).
9. La mère du requérant fut admise dans une maison de retraite le 4 mai 2010.
10. Parallèlement, une enquête fut ouverte pour délaissement de personne vulnérable, délit prévu par l’article 223-3 du code pénal. Le 31 mars 2011, le requérant fut déclaré coupable de ces faits et condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis par le tribunal correctionnel de Grenoble. Par un arrêt du 28 novembre 2011, la cour d’appel de Grenoble confirma ce jugement sur la culpabilité et ajouta à la peine une amende de 2 000 euros dont 1 500 avec sursis. La Cour de cassation cassa cependant cet arrêt sans renvoi par un arrêt du 9 octobre 2012 pour les motifs suivants :
« (…) Attendu que, selon [l’article 223-3 du code pénal], le délit de délaissement suppose un acte positif, exprimant de la part de son auteur la volonté d’abandonner définitivement la victime ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que [le requérant] a été poursuivi pour avoir délaissé sa mère, (…) personne vulnérable hors d’état de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique ; qu’il a été condamné par jugement du tribunal correctionnel dont il a fait appel ;
Attendu que, pour confirmer ce jugement et le déclarer coupable des faits reprochés, l’arrêt retient qu’il a congédié les infirmiers chargés de soigner les plaies de sa mère grabataire sans mettre en place les protections minimales du lit lui occasionnant les blessures et refusé l’aide d’une auxiliaire de vie malgré la prescription du médecin ; que les juges ajoutent qu’il l’a laissée pendant plusieurs semaines macérer dans ses excréments jusqu’à ce qu’en dernière extrémité, il sollicite son médecin traitant qui, devant l’état d’inconscience de la patiente, l’a faite hospitaliser ; que les juges en concluent que le délaissement est caractérisé par les conditions de vie dégradantes dans lesquelles le prévenu a maintenu sa mère âgée de 89 ans et présentant un état de délabrement physique et mental ;
Mais attendu qu’en se prononçant ainsi, alors que les faits retenus n’entraient pas dans les prévisions de l’article 223-3 du code pénal, la cour d’appel a méconnu les exigences de ce texte (…) »
II. Les événements des 10 juin et 11 et 12 juillet 2010
11. Le 10 juin 2010, après l’admission de sa mère dans une maison de retraite par ordre du juge des tutelles et pendant l’enquête susmentionnée (paragraphe 10 ci-dessus), le requérant, qui accueillait sa mère pour l’après-midi dans le cadre d’un arrangement avec la directrice de cet établissement, refusa de l’y reconduire. Il se laissa finalement convaincre par des employés de l’association mandataire de la ramener le lendemain dans l’établissement.
12. Le 11 juillet 2010, le requérant refusa une nouvelle fois de reconduire sa mère dans l’établissement où elle avait été placée après qu’elle eut passé l’après-midi dans la maison familiale.
13. Deux employées de l’association mandataire se rendirent sur place le 12 juillet 2010 vers 12 heures. Elles aperçurent la mère du requérant, seule, assise sur un fauteuil, alors qu’il faisait très chaud, et estimèrent que, n’étant pas capable de boire par elle-même, elle risquait de se déshydrater. Le requérant était absent. Elles revinrent vers 13 heures 15. Elles tentèrent de joindre le requérant, qui était de retour. À leur vue, il s’enferma à clé avec sa mère. À 14 heures 10, la directrice de l’association mandataire déposa plainte contre le requérant pour ces faits au commissariat de police de Fontaine.
14. Une enquête de flagrance pour « mauvais traitements à personne vulnérable » fut ouverte par un officier de police judiciaire de la brigade de protection de la famille de Grenoble, qui en avisa le procureur de la République de Grenoble à 15 heures 30.
15. Cinq équipages de policiers furent envoyés sur les lieux, sous l’autorité d’une commissaire de police : deux équipages du groupe de sécurité et de proximité (huit agents) ; deux équipages de la brigade anticriminalité de Grenoble (sept agents) ; un équipage de la section d’intervention de Grenoble (quatre agents). La commissaire de police tenta vainement d’établir un contact avec le requérant afin qu’il ouvre la porte de son domicile. Vers 16 heures 45, en l’absence de coopération du requérant, le procureur de la République donna l’ordre de forcer la porte d’entrée. Portant gilets pare-balles, casques, boucliers et armes, des policiers forcèrent la porte à l’aide d’un bélier, brisant une vitre. Il ressort du compte rendu d’enquête de l’Inspection générale de la Police nationale (« IGPN ») de Lyon (paragraphe 23 ci-dessous) qu’une dizaine d’entre eux pénétrèrent dans la maison. Des policiers braquèrent leurs armes sur le requérant en lui intimant de montrer la main qu’il dissimulait et de se mettre au sol. Le requérant obtempéra. Il ressort du compte-rendu précité que les policiers procédèrent à une « visite domiciliaire de sécurité » ou à une « rapide visite visuelle des lieux » afin de vérifier si une arme s’y trouvait. Le requérant fut interpellé, fouillé, menotté et, selon ses dires, brutalisé, puis conduit au commissariat de police de Grenoble où il fut entendu par un officier de police judiciaire de 17 heures 55 à 18 heures 55. D’après le Gouvernement, il y fut retenu deux heures et cinquante-cinq minutes.
16. Le requérant indique que, relâché dans la nuit, il dut rentrer en taxi. Il soutient que son domicile avait été fouillé de fond en comble alors qu’il était retenu au commissariat de police, et signale que sa mère avait été ramenée dans l’établissement spécialisé où elle avait été placée.
17. Le requérant produit des certificats médicaux établis les 12 juillet 2010 (à 22 heures 46), 14 mars, 22 septembre et 3 octobre 2011, et 25 mai et 4 octobre 2012, qui mentionnent les événements du 12 juillet 2010 et indiquent qu’il présente un état dépressif. Le certificat du 12 juillet 2010 fait également état d’un hématome et d’un œdème circulaire des deux poignets.
18. Le requérant indique que sa mère a réintégré le domicile familial en janvier 2011, où elle a résidé avec lui jusqu’à sa mort, le 14 mars 2014.
III. La plainte simple
19. Le 15 juillet 2010, le requérant déposa plainte devant les services de police de Grenoble pour violences et dégradation.
20. La plainte fut classée sans suite le 3 mars 2011 par le procureur de la République, motif pris de l’absence d’infraction, les forces de l’ordre étant intervenues sur sa réquisition.
IV. La plainte avec constitution de partie civile
21. Le 21 janvier 2011, le requérant et sa mère déposèrent plainte contre X avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d’instruction de Grenoble, du chef de violation de domicile, violences, menaces avec arme, arrestation illégale, séquestration, vol et dégradation de biens.
22. Un juge d’instruction fut désigné fin mars 2013. Il entendit le requérant le 28 mai 2013.
23. Le 24 avril 2014, l’IGPN de Lyon fut saisie sur commission rogatoire. La commission rogatoire fut retournée le 22 juillet 2014. Le rapport de l’IGPN conclut ainsi :
« [L’]enquête a permis d’établir que l’intervention des services de police au domicile [du requérant] était la conjonction de plusieurs facteurs :
– le comportement [du requérant], qui s’affranchissait de l’accord conclu avec la maison de retraite (…), en ne respectant pas les temps de visite de sa mère au domicile familial (…) et en maintenant cette personne âgée chez lui, le 12 juillet 2010. Cette attitude entraînait un dépôt de plainte de [la personne] chargée de la mère [du requérant] dans le cadre d’une ordonnance de sauvegarde de justice ;
– l’état de santé précaire de [la mère du requérant] était, au moment des faits, de nature à susciter de vives inquiétudes d’autant que cette dernière nécessitait des soins réguliers pendant les périodes de fortes chaleurs ;
– Le refus caractérisé [du requérant], le 12 juillet 2010, de répondre dans un premier temps aux sollicitations des services sociaux et, dans un second temps, à celles des services de police qui voulaient s’assurer de la personne de sa mère ;
– Une dangerosité et une imprévisibilité [du requérant], connu pour avoir eu en sa possession une arme.
L’action des services de police s’inscrivait donc dans un environnement potentiellement hostile et fragile avec les difficultés inhérentes à ce type de situation. Les auditions des différents personnels de police concernés permettaient de préciser les conditions dans lesquelles s’était déroulée l’intervention. Les moyens et les méthodes déployés, sous le contrôle permanent du parquet, étaient adaptés à cette situation dégradée. Aucune infraction n’a pu être relevée ou constatée à l’encontre des services de police (…) »
24. Les avis de fin d’information et l’ordonnance de soit-communiqué au règlement furent pris le même jour.
25. Le ministère public rendit son réquisitoire définitif le 18 septembre 2014.
A. L’ordonnance de non-lieu du 18 décembre 2014
26. Le 18 décembre 2014, le juge d’instruction prit une ordonnance de non-lieu, retenant qu’il ne pouvait être reproché à quiconque d’avoir commis les faits visés dans la plainte, les actes accomplis n’étant pas manifestement illégaux et ayant été commandés par l’autorité légitime.
B. L’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Grenoble du 8 avril 2015
27. Le requérant interjeta appel de l’ordonnance de non-lieu devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Grenoble en invoquant notamment la violation de l’article 5 §§ 1 et 5 et de l’article 8 de la Convention.
28 Son appel fut rejeté par un arrêt du 8 avril 2015 pour les motifs suivants :
« (…) Il ressort des pièces de la procédure que le procureur de la République de Grenoble a donné l’ordre de pénétrer dans l’habitation [du requérant] après que les services de police aient tenté de parlementer avec lui pour qu’il ouvre la porte de son domicile.
Il n’y a donc pas lieu de renvoyer le dossier d’information pour faire interroger les policiers sur l’identité du procureur de la République ni pour procéder à l’audition de ce dernier pour savoir s’il avait donné l’ordre « d’arrêter, violenter, menacer et séquestrer [le requérant] », dès lors que le procureur de la République n’a pu donner l’ordre de commettre des infractions pénales, telles qu’elles sont qualifiées par le demandeur, mais seulement d’user de la force publique pour pénétrer au domicile [du requérant]. L’identité de l’intervenant est d’ailleurs connue, il s’agit de M. [B.], substitut de permanence, dont les instructions figurent [au] dossier.
Le but de l’opération était de permettre l’exécution de la décision du juge des tutelles et de ramener [la mère du requérant] à la maison de retraite afin qu’elle puisse bénéficier des soins appropriés à son état de santé.
Aux termes de l’article 122-4 du code pénal « n’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires. N’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l’autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal ».
En l’espèce, les forces de l’ordre ont agi sur ordre du procureur de la République de Grenoble investi du pouvoir de faire exécuter, au besoin par la force, une décision de justice.
Les forces de l’ordre ont mis en œuvre, pour l’accomplissement de ces instructions, les moyens nécessaires et appropriés, proportionnés aux circonstances, pour contraindre [le requérant], qui faisait obstacle à la décision du juge des tutelles et mettait ainsi en danger la vie de sa mère.
Il était par ailleurs établi que l’intéressé avait eu chez lui une arme et que cette information, jointe à son mutisme lors des sollicitations qui lui avaient été faites d’ouvrir l’accès à son domicile, avait pu justifier l’emploi d’un bélier pour forcer la porte, et sa mise au sol lors de son interpellation, alors que ses mains étaient dissimulées à la vue des forces de l’ordre.
En conséquence, doit être également rejetée la demande de mise en examen de [la commissaire de police responsable de l’opération], qui ne peut d’ailleurs être présentée par une partie civile, la mise en examen consistant en l’attribution d’un statut (…) »
C. L’arrêt de la Cour de cassation du 31 mai 2016
29. Le requérant déposa une demande d’aide juridictionnelle aux fins de se pourvoir en cassation. Elle fut rejetée par le bureau d’aide juridictionnelle établi près la Cour de cassation puis par le premier président de la Cour de cassation au motif « qu’il n’apparai[ssait] pas de l’examen des pièces de la procédure qu’un moyen sérieux de cassation fondé sur la non-conformité de la décision attaquée aux règles de droit puisse être relevé ».
30. Le requérant forma lui-même son pourvoi en cassation. Soutenant notamment que son arrestation, sa détention et l’intrusion dans son domicile ne reposaient sur aucune base légale, il invoquait en particulier l’article 5 §§ 1 et 5 et l’article 8 de la Convention.
31. Le 31 mars 2016, la Cour de cassation rejeta le pourvoi par un arrêt ainsi motivé :
« (…) Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que, pour confirmer l’ordonnance de non-lieu entreprise, la chambre de l’instruction, après avoir analysé l’ensemble des faits dénoncés dans la plainte et répondu aux articulations essentielles du mémoire produit par la partie civile appelante, a exposé, par des motifs exempts d’insuffisance comme de contradiction, que l’information était complète et que, les actes visés dans la plainte ayant été accomplis en exécution d’un ordre donné par le procureur de la République, autorité légitime, et n’étant pas manifestement illégaux, ils ne pouvaient comporter aucune suite pénale, en application de l’article 122-4 du code pénal (…) »
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE PERTINENTS
I. Enquête de flagrance
32. L’enquête de flagrance est prévue et encadrée par les articles 53 à 74-2 du code de procédure pénale. Les dispositions pertinentes en l’espèce sont les suivantes :
Article 53
(version en vigueur depuis le 10 mars 2004)
« Est qualifié crime ou délit flagrant le crime ou le délit qui se commet actuellement, ou qui vient de se commettre. Il y a aussi crime ou délit flagrant lorsque, dans un temps très voisin de l’action, la personne soupçonnée est poursuivie par la clameur publique, ou est trouvée en possession d’objets, ou présente des traces ou indices, laissant penser qu’elle a participé au crime ou au délit.
À la suite de la constatation d’un crime ou d’un délit flagrant, l’enquête menée sous le contrôle du procureur de la République dans les conditions prévues par le présent chapitre peut se poursuivre sans discontinuer pendant une durée de huit jours.
Lorsque des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité pour un crime ou un délit puni d’une peine supérieure ou égale à cinq ans d’emprisonnement ne peuvent être différées, le procureur de la République peut décider la prolongation, dans les mêmes conditions, de l’enquête pour une durée maximale de huit jours. »
Article 54
(version en vigueur depuis le 11 juillet 2010)
« En cas de crime flagrant, l’officier de police judiciaire qui en est avisé, informe immédiatement le procureur de la République, se transporte sans délai sur le lieu du crime et procède à toutes constatations utiles.
Il veille à la conservation des indices susceptibles de disparaître et de tout ce qui peut servir à la manifestation de la vérité. Il saisit les armes et instruments qui ont servi à commettre le crime ou qui étaient destinés à le commettre ainsi que tout ce qui paraît avoir été le produit direct ou indirect de ce crime.
Il représente les objets saisis, pour reconnaissance, aux personnes qui paraissent avoir participé au crime, si elles sont présentes. »
Article 56
(version en vigueur du 11 juillet 2010 au 15 décembre 2011)
« Si la nature du crime est telle que la preuve en puisse être acquise par la saisie des papiers, documents, données informatiques ou autres objets en la possession des personnes qui paraissent avoir participé au crime ou détenir des pièces, informations ou objets relatifs aux faits incriminés, l’officier de police judiciaire se transporte sans désemparer au domicile de ces derniers pour y procéder à une perquisition dont il dresse procès-verbal (…) »
Article 59
(version en vigueur depuis le 2 septembre 1993
« Sauf réclamation faite de l’intérieur de la maison ou exceptions prévues par la loi, les perquisitions et les visites domiciliaires ne peuvent être commencées avant 6 heures et après 21 heures. »
Article 62
(version en vigueur du 10 mars 2004 au 1er juin 2011)
« L’officier de police judiciaire peut appeler et entendre toutes les personnes susceptibles de fournir des renseignements sur les faits ou sur les objets et documents saisis.
Les personnes convoquées par lui sont tenues de comparaître. L’officier de police judiciaire peut contraindre à comparaître par la force publique les personnes [se trouvant sur le lieu de l’infraction]. Il peut également contraindre à comparaître par la force publique, avec l’autorisation préalable du procureur de la République, les personnes qui n’ont pas répondu à une convocation à comparaître ou dont on peut craindre qu’elles ne répondent pas à une telle convocation.
Il dresse un procès-verbal de leurs déclarations. Les personnes entendues procèdent elles-mêmes à sa lecture, peuvent y faire consigner leurs observations et y apposent leur signature. Si elles déclarent ne savoir lire, lecture leur en est faite par l’officier de police judiciaire préalablement à la signature. Au cas de refus de signer le procès-verbal, mention en est faite sur celui-ci.
Les agents de police judiciaire désignés à l’article 20 peuvent également entendre, sous le contrôle d’un officier de police judiciaire, toutes personnes susceptibles de fournir des renseignements sur les faits en cause. Ils dressent à cet effet, dans les formes prescrites par le présent code, des procès-verbaux qu’ils transmettent à l’officier de police judiciaire qu’ils secondent.
Les personnes à l’encontre desquelles il n’existe aucune raison plausible de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction ne peuvent être retenues que le temps strictement nécessaire à leur audition. »
Article 63
(version en vigueur du 5 mars 2002 au 1er juin 2011)
« L’officier de police judiciaire peut, pour les nécessités de l’enquête, placer en garde à vue toute personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction. Il en informe dès le début de la garde à vue le procureur de la République.
La personne gardée à vue ne peut être retenue plus de vingt-quatre heures. Toutefois, la garde à vue peut être prolongée pour un nouveau délai de vingt-quatre heures au plus, sur autorisation écrite du procureur de la République. Ce magistrat peut subordonner cette autorisation à la présentation préalable de la personne gardée à vue.
Sur instructions du procureur de la République, les personnes à l’encontre desquelles les éléments recueillis sont de nature à motiver l’exercice de poursuites sont, à l’issue de la garde à vue, soit remises en liberté, soit déférées devant ce magistrat.
Pour l’application du présent article, les ressorts des tribunaux de grande instance de Paris, Nanterre, Bobigny et Créteil constituent un seul et même ressort. »
Article 63-1
(version en vigueur du 10 mars 2004 au 1er juin 2011)
« Toute personne placée en garde à vue est immédiatement informée par un officier de police judiciaire, ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, de la nature de l’infraction sur laquelle porte l’enquête, des droits mentionnés aux articles 63-2, 63-3 et 63-4 ainsi que des dispositions relatives à la durée de la garde à vue prévues par l’article 63 (…) »
Article 63-2
(version en vigueur du 5 mars 2002 au 1er juin 2011)
« Toute personne placée en garde à vue peut, à sa demande, faire prévenir dans le délai prévu au dernier alinéa de l’article 63-1, par téléphone, une personne avec laquelle elle vit habituellement ou l’un de ses parents en ligne directe, l’un de ses frères et sœurs ou son employeur de la mesure dont elle est l’objet.
Si l’officier de police judiciaire estime, en raison des nécessités de l’enquête, ne pas devoir faire droit à cette demande, il en réfère sans délai au procureur de la République qui décide, s’il y a lieu, d’y faire droit. »
Article 63-3
(version en vigueur du 2 septembre 1993 au 1er juin 2011)
« Toute personne placée en garde à vue peut, à sa demande, être examinée par un médecin désigné par le procureur de la République ou l’officier de police judiciaire. En cas de prolongation, elle peut demander à être examinée une seconde fois (…) »
Article 63-4
(version en vigueur du 1er octobre 2004 au 1er juin 2011)
« Dès le début de la garde à vue, la personne peut demander à s’entretenir avec un avocat. Si elle n’est pas en mesure d’en désigner un ou si l’avocat choisi ne peut être contacté, elle peut demander qu’il lui en soit commis un d’office par le bâtonnier (…) »
Article 67
(version en vigueur depuis le 14 mai 2009)
« Les dispositions des articles 54 à 66, à l’exception de celles de l’article 64-1, sont applicables, au cas de délit flagrant, dans tous les cas où la loi prévoit une peine d’emprisonnement. »
Article 73
(version en vigueur du 8 avril 1958 au 1er juin 2011)
« Dans les cas de crime flagrant ou de délit flagrant puni d’une peine d’emprisonnement, toute personne a qualité pour en appréhender l’auteur et le conduire devant l’officier de police judiciaire le plus proche. »
33. Sous l’empire de cet état du droit, la Cour de cassation avait jugé « qu’aucun texte n’impos[ait] le placement en garde à vue d’une personne qui, pour les nécessités de l’enquête, accepte (…) de se présenter sans contrainte aux officiers de police judiciaire afin d’être entendue et n’est à aucun moment privée de sa liberté d’aller et venir » (Crim, 3 juin 2008, no 08-81932).
34. Dans sa décision no 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a déclaré les articles 62, 63, 63-1, 63-4 alinéas 1 à 6, et 77 du code de procédure pénale contraires à la Constitution au motif qu’ils « n’institu[ai]ent pas les garanties appropriées à l’utilisation qui était faite de la garde à vue compte tenu des évolutions précédemment rappelées » (le Conseil constitutionnel a constaté que des modifications des règles de la procédure pénale et des changements dans les conditions de sa mise en œuvre avaient conduit à un recours de plus en plus fréquent à la garde à vue et modifié l’équilibre des pouvoirs et des droits fixés par le code de procédure pénale), de sorte que « la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des autres infractions et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties ne [pouvait] plus être regardée comme équilibrée ».
35. À la suite de cette décision, la loi no 2011-392 du 14 avril 2011 a notamment modifié les articles 62 et suivants du code de procédure pénale. Le nouvel article 62 prévoyait que « les personnes à l’encontre desquelles il n’exist[ait] aucune raison plausible de soupçonner qu’elles [avaient] commis ou tenté de commettre une infraction ne [pouvaient] être retenues que le temps strictement nécessaire à leur audition, sans que cette durée ne puisse excéder quatre heures » (premier alinéa), ajoutant que, « s’il appar[aissait], au cours de l’audition de la personne, qu’il exist[ait] des raisons plausibles de soupçonner qu’elle [avait] commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, elle ne [pouvait] être maintenue sous la contrainte à la disposition des enquêteurs que sous le régime de la garde à vue (…) » (second alinéa). Un nouvel article 62-2 précisait que « la garde à vue [était] une mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, par laquelle une personne à l’encontre de laquelle il exist[ait] une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle [avait] commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement [était] maintenue à la disposition des enquêteurs ». Dans une décision no 2011-191/194/195/196/197 QPC du 18 novembre 2011, le Conseil constitutionnel a jugé qu’il résultait nécessairement de ces dispositions qu’une personne à l’encontre de laquelle il apparaissait qu’il existait des raisons plausibles de soupçonner qu’elle avait commis ou tenté de commettre une infraction pouvait être entendue par les enquêteurs en dehors du régime de la garde à vue dès lors qu’elle n’était pas maintenue à leur disposition sous la contrainte. Il a ensuite considéré que le respect des droits de la défense exigeait qu’une personne contre laquelle il existait de telles raisons « ne pouvait être entendue librement par les enquêteurs que si elle [avait été] informée de la nature et de la date de l’infraction qu’on la soupçonn[ait] d’avoir commise et de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie ». Il en a déduit que, sous cette réserve, les dispositions du second alinéa de l’article 62 du code de procédure pénale ne méconnaissait pas les droits de la défense et était conforme à la Constitution.
36. Le chapitre 1er du titre 2 du livre 1er du code de procédure pénale intitulé « Des crimes et délits flagrants » a une nouvelle fois été modifié par la loi no 2014-535 du 27 mai 2014. Les articles 61-1, 62, 62-2 et 63-1 sont désormais ainsi rédigés :
Article 61-1
« La personne à l’égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction ne peut être entendue librement sur ces faits qu’après avoir été informée :
1o De la qualification, de la date et du lieu présumés de l’infraction qu’elle est soupçonnée d’avoir commise ou tenté de commettre ;
2o Du droit de quitter à tout moment les locaux où elle est entendue ;
3o Le cas échéant, du droit d’être assistée par un interprète ;
4o Du droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ;
5o Si l’infraction pour laquelle elle est entendue est un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, du droit d’être assistée au cours de son audition ou de sa confrontation, selon les modalités prévues aux articles 63-4-3 et 63-4-4, par un avocat choisi par elle ou, à sa demande, désigné d’office par le bâtonnier de l’ordre des avocats ; elle est informée que les frais seront à sa charge sauf si elle remplit les conditions d’accès à l’aide juridictionnelle, qui lui sont rappelées par tout moyen ; elle peut accepter expressément de poursuivre l’audition hors la présence de son avocat ;
6o De la possibilité de bénéficier, le cas échéant gratuitement, de conseils juridiques dans une structure d’accès au droit.
(…)
Le présent article n’est pas applicable si la personne a été conduite, sous contrainte, par la force publique devant l’officier de police judiciaire. »
Article 62
« Les personnes à l’encontre desquelles il n’existe aucune raison plausible de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction sont entendues par les enquêteurs sans faire l’objet d’une mesure de contrainte.
Toutefois, si les nécessités de l’enquête le justifient, ces personnes peuvent être retenues sous contrainte le temps strictement nécessaire à leur audition, sans que cette durée puisse excéder quatre heures.
Si, au cours de l’audition d’une personne entendue librement en application du premier alinéa du présent article, il apparaît qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, cette personne doit être entendue en application de l’article 61-1 et les informations prévues aux 1o à 6o du même article lui sont alors notifiées sans délai, sauf si son placement en garde à vue est nécessité en application de l’article 62-2.
Si, au cours de l’audition d’une personne retenue en application du deuxième alinéa du présent article, il apparaît qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, elle ne peut être maintenue sous contrainte à la disposition des enquêteurs que sous le régime de la garde à vue. Son placement en garde à vue lui est alors notifié dans les conditions prévues à l’article 63-1. »
Article 62-2
« La garde à vue est une mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, par laquelle une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs.
Cette mesure doit constituer l’unique moyen de parvenir à l’un au moins des objectifs suivants :
1o Permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ;
2o Garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à donner à l’enquête ;
3o Empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ;
4o Empêcher que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ou leurs proches ;
5o Empêcher que la personne ne se concerte avec d’autres personnes susceptibles d’être ses coauteurs ou complices ;
6o Garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit. »
Article 63-1
« La personne placée en garde à vue est immédiatement informée par un officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, dans une langue qu’elle comprend, le cas échéant au moyen du formulaire prévu au treizième alinéa :
1o De son placement en garde à vue ainsi que de la durée de la mesure et de la ou des prolongations dont celle-ci peut faire l’objet ;
2o De la qualification, de la date et du lieu présumés de l’infraction qu’elle est soupçonnée d’avoir commise ou tenté de commettre ainsi que des motifs mentionnés aux 1o à 6o de l’article 62-2 justifiant son placement en garde à vue ;
3o Du fait qu’elle bénéficie :
– du droit de faire prévenir un proche et son employeur ainsi que, si elle est de nationalité étrangère, les autorités consulaires de l’État dont elle est ressortissante, conformément à l’article 63-2 ;
– du droit d’être examinée par un médecin, conformément à l’article 63-3 ;
– du droit d’être assistée par un avocat, conformément aux articles 63-3-1 à 63-4-3 ;
– s’il y a lieu, du droit d’être assistée par un interprète ;
– du droit de consulter, dans les meilleurs délais et au plus tard avant l’éventuelle prolongation de la garde à vue, les documents mentionnés à l’article 63-4-1 ;
– du droit de présenter des observations au procureur de la République ou, le cas échéant, au juge des libertés et de la détention, lorsque ce magistrat se prononce sur l’éventuelle prolongation de la garde à vue, tendant à ce qu’il soit mis fin à cette mesure. Si la personne n’est pas présentée devant le magistrat, elle peut faire connaître oralement ses observations dans un procès-verbal d’audition, qui est communiqué à celui-ci avant qu’il ne statue sur la prolongation de la mesure ;
– du droit, lors des auditions, après avoir décliné son identité, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire.
(…) »
II. L’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire
37. L’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire dispose que :
« L’État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice.
Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 5 § 1 et 8 DE LA CONVENTION
38. Le requérant soutient que son arrestation et la privation de liberté qui s’en est suivie étaient dépourvues de base légale. Il invoque l’article 5 § 1 de la Convention, aux termes duquel :
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;
b) s’il a fait l’objet d’une arrestation ou d’une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi ;
c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;
d) s’il s’agit de la détention régulière d’un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l’autorité compétente ;
e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ;
f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »
39. Le requérant dénonce également l’intervention des forces de l’ordre à son domicile. Il invoque à ce titre la méconnaissance de l’article 8 de la Convention, aux termes duquel :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
A. Sur la recevabilité
1. Le Gouvernement
40. Le Gouvernement soutient que cette partie de la requête est irrecevable pour défaut d’épuisement des voies de recours internes dès lors que le requérant n’a pas saisi les juridictions internes sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire (paragraphe 37 ci-dessus). Renvoyant à un arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 23 février 2001 (no 99-16165), le Gouvernement précise que la notion de faute lourde à laquelle renvoie cette disposition est définie par la haute juridiction comme étant « toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ».
41. Produisant des jugement et arrêts de juridictions de première instance et d’appel prononcées entre 2016 et 2020, soit postérieurement aux faits de la cause, le Gouvernement fait valoir que de nombreuses condamnations ont été prononcées par les juridictions judiciaires à l’encontre de l’État sur le fondement de cette disposition dans des cas de faute lourde ou de déni de justice résultant de faits similaires à ceux de l’espèce. Il renvoie également à des arrêts de la Cour de cassation, postérieurs aux faits de l’espèce.
2. Le requérant
42. Le requérant estime pour sa part avoir utilisé tous les recours internes adéquats, suffisants et disponibles pour tenter d’obtenir réparation des dommages résultant selon lui de la violation de son domicile et de ses arrestation et séquestration illégales. D’après lui, sa plainte simple puis sa plainte avec constitution de partie civile, son appel contre l’ordonnance de non-lieu et son pourvoi en cassation, constituaient les seuls recours possibles pour obtenir la reconnaissance de la violation de ses droits, la sanction des auteurs des infractions ainsi que l’indemnisation de ses préjudices. Il ajoute qu’un recours tendant à l’engagement de la responsabilité de l’État ne serait ni nécessaire, ni utile, ni adéquat ; il se heurterait par ailleurs à l’autorité de la chose jugée dès lors que les juridictions pénales ont conclu dans le cadre de la procédure relative à sa plainte avec constitution de partie civile que l’action des forces de l’ordre et du procureur était légale.
3. Appréciation de la Cour
43. La Cour rappelle que la finalité de l’article 35 § 1 de la Convention est de ménager aux États contractants la possibilité de prévenir ou redresser les violations alléguées contre eux avant d’en être saisie. Le grief dont on entend saisir la Cour doit d’abord avoir été soulevé, au moins en substance, dans les formes et délais prescrits par le droit interne, devant les juridictions nationales selon les procédures appropriées. L’obligation découlant de l’article 35 se limite cependant à faire un usage normal des recours vraisemblablement effectifs, suffisants et accessibles. La Convention ne prescrit ainsi que l’épuisement des recours relatifs aux violations incriminées, qui sont à la fois disponibles et adéquats. Ce qui importe aux fins de cette disposition, c’est que les requérants aient offert aux juridictions internes la possibilité de statuer en premier lieu sur les griefs dont ils saisissent la Cour, en usant d’une voie de recours appropriée. Par ailleurs, un requérant qui a utilisé une voie de droit apparemment effective et suffisante ne peut se voir reprocher de ne pas avoir essayé d’en utiliser d’autres qui étaient disponibles mais ne présentaient guère plus de chances de succès (voir, par exemple, Sagan c. Ukraine, no 60010/08, § 43, 23 octobre 2018, ainsi que les références qui y figurent).
44. En l’espèce, le requérant a déposé une plainte avec constitution de partie civile contre « les policiers et toutes personnes qui les commandaient » au titre des faits qu’il dénonce devant la Cour, pour, notamment, violation de domicile et arrestation et séquestration illégales, délit et crime respectivement prévus et réprimés par les articles 432-8 et 224-1 du code pénal. Il a ensuite contesté la décision de non-lieu prise par le juge d’instruction en exerçant les voies de recours jusqu’en cassation, invoquant en particulier les articles 5 § 1 et 8 de la Convention.
45. Comme la Cour a déjà eu l’occasion de le relever (voir notamment Slimani c. France, no 57671/00, § 39, CEDH 2004‑IX (extraits)), en droit français, toute personne qui se prétend victime d’un crime ou d’un délit peut déposer devant le juge d’instruction compétent une plainte avec constitution de partie civile. Une telle plainte met l’action publique en mouvement, le juge d’instruction étant tenu d’informer. Elle est susceptible d’aboutir, lorsqu’il ressort de l’information que les faits dénoncés peuvent être qualifiés pénalement, à la saisine des juridictions répressives qui sont alors compétentes non seulement pour trancher les questions de droit pénal qui leur sont soumises mais aussi pour statuer sur l’action civile et, le cas échéant, réparer le préjudice causé par l’infraction à la partie civile.
46. La plainte avec constitution de partie civile déclenchant l’ouverture d’une instruction, la recherche des éléments relatifs aux faits dénoncés est confiée à un magistrat chargé de l’instruction, qui dispose pour ce faire de moyens plus efficaces que ceux auxquels un individu peut avoir accès par lui-même. Ce mécanisme permet ainsi aux prétendues victimes de faits constitutifs d’un crime ou d’un délit d’augmenter leurs chances d’obtenir réparation des préjudices qu’ils leur ont causés (voir s’agissant de la procédure pénale belge, De Donder et De Clippel c. Belgique, no 8595/06, § 61, 6 décembre 2011).
47. La Cour en déduit que l’usage de cette voie de recours est approprié lorsque les faits constitutifs de la violation alléguée de la Convention apparaissent, au plan interne, raisonnablement susceptibles de caractériser un délit ou un crime imputables à un agent public. Assurément, la reconnaissance de la responsabilité pénale de l’agent public pour de tels faits et l’indemnisation des préjudices octroyée à la victime, dans le cadre de l’action civile, dans le cas où une infraction pénale a été caractérisée, est en effet susceptible de redresser adéquatement la violation alléguée de la Convention.
48. Il en va particulièrement ainsi en l’espèce dès lors que les griefs tirés des articles 5 § 1 et 8 de la Convention dont le requérant saisit la Cour soulèvent la question de la légalité de l’intrusion dans son domicile et de sa privation de liberté, et que cette question se trouvait au cœur de la procédure pénale engagée dans l’ordre interne par le dépôt de la plainte avec constitution de partie civile pour des faits de violation de domicile et d’arrestation et séquestration illégales imputés à des agents des forces de l’ordre.
49. Il est vrai que dans l’affaire Benmouna et autres c. France (déc.) (no 51097/13, §§ 47-54, 15 septembre 2015), la Cour a jugé dans le cas d’un suicide en garde à vue que l’action en réparation prévue par l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire était, depuis mars 2011 au plus tard, une voie de recours interne à épuiser s’agissant du volet substantiel d’un grief tiré de l’article 2. Elle a retenu dans cette affaire que le fait pour les requérants de s’être constitués parties civiles dans le cadre de la procédure pénale ne les dispensait pas d’exercer cette action en réparation, celle-ci offrant « un régime plus souple que l’action pénale et, en conséquence, d’autres chances de succès », l’action pénale « suppos[ant], pour être couronnée de succès, que soit démontrée la commission d’une infraction pénale », et a conclu au non-épuisement des voies de recours internes s’agissant du grief tiré d’une violation du volet substantiel de l’article 2. Mais il s’agit d’une décision isolée qui n’a pas été reprise par la suite (voir notamment, implicitement, Boukrourou et autres c. France, no 30059/15, 16 novembre 2017, et Semache c. France, no 36083/16, 21 juin 2018).
50. Il s’ensuit que la Cour considère qu’en déposant plainte avec constitution de partie civile pour violation de domicile et arrestation et séquestration illégales et en interjetant ensuite appel de l’ordonnance de non-lieu devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Grenoble puis en se pourvoyant en cassation contre l’arrêt rendu par cette juridiction, le requérant a offert aux juridictions internes la possibilité de statuer en premier lieu sur les griefs tirés des articles 5 § 1 et 8 de la Convention dont il saisit désormais la Cour. Il a donc dûment épuisé les voies de recours internes, conformément aux exigences de l’article 35 § 1 de la Convention.
51. Comme la Cour l’a précédemment rappelé (paragraphe 43 ci-dessus), lorsque plusieurs recours effectifs sont disponibles au plan interne, il suffit que l’intéressé utilise l’un d’entre eux, ce que le requérant a fait en tout état de cause dans la présente affaire. Il s’ensuit qu’il ne peut lui être reproché de ne pas avoir exercé l’action en responsabilité de l’État pour fonctionnement défectueux du service public de la justice sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, sans qu’il soit besoin de trancher la question de savoir si cette action aurait ou non constitué un recours effectif en l’espèce.
52. Dans ces conditions, il convient de rejeter l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement.
53. Constatant ensuite que les griefs tirés des articles 5 § 1 et 8 de la Convention ne sont pas manifestement mal fondés ni irrecevables pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour les déclare recevables.
B. Sur le fond
1. Sur la violation alléguée de l’article 5 § 1 de la Convention
a) Arguments des parties
i. Le requérant
54. Le requérant soutient que, le 12 juillet 2010, il a été violenté, menotté et emmené de force par des policiers au commissariat de police, où il a été retenu durant plusieurs heures sans avoir été placé en garde à vue, qu’aucun reproche ne lui avait été notifié pour justifier ces faits et qu’il n’y avait pas de plainte contre lui pour un délit quelconque. Il note à cet égard que ni l’ordonnance du 18 décembre 2014 ni l’arrêt du 8 avril 2015 ne précisent le cadre juridique de son arrestation et de sa privation de liberté. Il rappelle de plus que de telles mesures doivent reposer sur des motifs prévus par la loi et qu’en droit français, le placement en garde à vue et la notification des droits sont obligatoires lorsqu’une personne est, sous la contrainte, tenue à disposition des services de police et est privée de la liberté d’aller et venir. Il observe par ailleurs qu’aucune procédure pénale n’a été engagée contre lui à la suite des événements du 12 juillet 2010, ce qui, comme le fait qu’il n’a pas été placé en garde à vue, confirmerait qu’aucun délit ne lui était alors reproché.
ii. Le Gouvernement
55. Le Gouvernement souligne que le requérant a été interpellé dans le cadre d’une enquête de flagrance ouverte à la suite d’une plainte déposée par l’association Familles en Isère. Il en déduit que cette interpellation avait pour base légale l’article 73 du code de procédure pénale, aux termes duquel, dans les cas de crime flagrant ou de délit flagrant puni d’une peine d’emprisonnement, toute personne a qualité pour appréhender l’auteur et le conduire devant l’officier de police judiciaire le plus proche.
56. Le Gouvernement admet cependant que la privation de liberté du requérant qui s’en est suivie n’a pas respecté les formes légales. Il indique à cet égard qu’à la suite de son interpellation, le requérant a été conduit devant un officier de police judiciaire, qui a décidé de procéder à son audition sur le fondement de l’article 62 du code procédure pénale (dans sa version applicable du 10 mars 2004 au 1er juin 2011). Il précise qu’à l’époque des faits de la cause, les officiers de police judiciaires recouraient fréquemment à cette disposition, y compris lorsque le mis en cause avait été interpellé en flagrance, afin d’éviter de prendre systématiquement une mesure de garde à vue, plus longue et plus attentatoire à la liberté individuelle. Le Gouvernement ajoute que la Cour de cassation admettait cette pratique, jugeant qu’« aucun texte n’impos[ait] le placement en garde à vue d’une personne qui, pour les nécessités de l’enquête, accepte (…) de se présenter sans contrainte aux officiers de police judiciaire afin d’être entendue et n’est à aucun moment privée de sa liberté d’aller et venir » (paragraphe 33 ci-dessus). Cela étant, tout en rappelant les conclusions de la Cour dans la décision Ursulet c. France (no 56825/13, 8 mars 2016), le Gouvernement « relève que le requérant a été interpellé, menotté et, dès lors conduit sous la contrainte devant l’officier de police judiciaire [et qu’] il a, de ce fait, été privé de liberté au cours de son transport sans bénéficier, par la suite, du régime de la garde à vue et des droits qui y étaient associés. Dans ces conditions, le Gouvernement considère que la privation de liberté du requérant consécutive à son interpellation n’a pas été faite dans le respect des formes légales et s’en remet, sur ce point, à la sagesse de la Cour ».
2. Appréciation de la Cour
57. La Cour relève que, le 12 juillet 2010, le requérant a été interpellé à son domicile par les forces de l’ordre vers 16 heures 45, menotté, puis transporté, sous la contrainte, au commissariat de police de Grenoble où il a été interrogé entre 17 heures 55 et 18 heures 55 ; le Gouvernement précise qu’il y a été retenu durant deux heures et cinquante-cinq minutes (paragraphe 15 ci-dessus). Il est manifeste qu’entre son arrestation et sa sortie du commissariat, le requérant a été privé de sa liberté, au sens de l’article 5 de la Convention, étant entendu que la relative brièveté de la période concernée n’est pas de nature à remettre en cause ce constat, qui ne prête d’ailleurs pas à controverse entre les parties. La Cour rappelle à cet égard sa jurisprudence constante selon laquelle l’article 5 § 1 peut également s’appliquer aux privations de liberté de très courte durée (parmi beaucoup d’autres, M.A. c. Chypre, no 41872/10, § 190, CEDH 2013).
58. La Cour souligne ensuite qu’aux termes de l’article 5 § 1 de la Convention, nul ne peut être privé de liberté que dans les cas énumérés par cette disposition et « selon les voies légales ». Elle renvoie aux principes généraux tels qu’il se trouvent énoncés dans l’arrêt Denis et Irvine c. Belgique [GC] (nos 62819/17 et 63921/17, § 123-133, 1er juin 2021), dont il ressort en particulier que toute privation de liberté doit non seulement relever de l’une des exceptions énoncées aux alinéas a) à f) de l’article 5 § 1 mais aussi avoir une base légale en droit interne et être conforme aux règles de fond comme de procédure qui y sont posées.
59. En l’espèce, l’arrestation du requérant ne soulève pas en elle-même de difficulté au regard de ces exigences. Il ressort en effet du dossier qu’elle est intervenue dans le cadre d’une enquête de flagrance, ouverte à la suite d’une plainte déposée par la directrice de l’association à laquelle la mère du requérant avait été confiée, pour des faits susceptibles de caractériser le délit de délaissement de personne vulnérable, prévu par l’article 223-3 du code pénal et passible notamment de cinq ans d’emprisonnement. Des employées de cette association s’étaient en effet rendues chez le requérant le 12 juillet 2010 vers 12 heures pour s’enquérir de la situation de sa mère, qu’il avait accueillie à son domicile la veille et qu’il avait refusé de reconduire à la maison de retraite où elle avait été placée. Il apparaît qu’elles avaient constaté que le requérant avait laissé sa mère seule alors qu’il faisait très chaud et qu’elle n’était pas capable de s’hydrater par elle-même, et que le requérant avait refusé de les recevoir lorsqu’elles étaient retournées sur place une heure plus tard (paragraphe 13 ci-dessus). Or, il résulte de l’article 73 du code de procédure pénale (paragraphe 32 ci-dessus) qu’en cas notamment de délit flagrant puni d’une peine d’emprisonnement, toute personne a qualité pour appréhender l’auteur et le conduire devant l’officier de police judiciaire le plus proche.
60. S’agissant de la privation de liberté qui a suivi cette arrestation, la Cour relève tout d’abord que les juridictions internes saisies à la suite de la plainte avec constitution de partie civile ne se sont pas prononcées sur la question du respect de l’article 5 § 1 de la Convention, alors même que cette plainte dénonçait la rétention arbitraire dont le requérant aurait fait l’objet et que l’appel et le recours en cassation exercés ultérieurement invoquaient la méconnaissance de cette disposition.
61. La Cour note ensuite que le Gouvernement évoque la décision Ursulet (précitée), dans laquelle elle a conclu à la non-violation de l’article 5 § 1. Dans cette affaire, le requérant avait été contrôlé par trois fonctionnaires de police alors qu’il circulait en scooter. Ils lui avaient reproché des infractions routières et avaient constaté que le certificat d’immatriculation de son véhicule ne correspondait pas à la plaque minéralogique. Ils l’avaient interpellé à 14 heures 20 et l’avaient emmené au commissariat en vue de sa présentation à un officier de police judiciaire ; le suivant à vélo, ils l’avaient autorisé à conduire son scooter jusqu’au commissariat. Ils étaient arrivés au commissariat à 14 h 40, où le requérant avait été menotté. Le requérant avait été entendu par un officier de police judiciaire à 15 h 05, qui avait décidé de ne pas le placer en garde à vue. Il avait quitté le commissariat à l’issue de son audition, à 15 h 45.
62. La Cour a estimé dans cette affaire que le requérant avait été privé de sa liberté au sens de l’article 5 § 1 de la Convention mais que cette privation de liberté s’était déroulée « selon les voies légales », sur le fondement de l’article 62 du code de procédure pénale dans sa version alors applicable (il s’agissait comme en l’espèce de la version applicable du 10 mars 2004 au 1er juin 2011). Elle a constaté à cet égard qu’à l’époque des faits, les officiers de police judiciaire avait deux possibilités face à des personnes soupçonnées d’avoir commis ou tenté de commettre une infraction : les retenir, en application de cette disposition, ou les placer en garde à vue, en application de l’article 63 du même code. La Cour a ensuite recherché si cette privation de liberté était justifiée et si un équilibre raisonnable avait été ménagé entre les intérêts en cause. Elle a constaté à cet égard que le requérant avait été interpellé pour des faits susceptibles de caractériser le délit d’usage de fausses plaques d’immatriculation, que les policiers qui avaient procédé à son interpellation n’avaient usé d’aucune mesure de contrainte et qu’un témoin avait attesté de son attitude agressive et hautaine. Elle en a déduit que « l’interpellation [du requérant et sa] privation de liberté subséquente [n’avaient pas excédé] les impératifs de sécurité et étaient conformes aux buts poursuivis par l’article 5 § 1 ». La Cour a ensuite relevé que, dans les circonstances de l’espèce, la rétention du requérant, qui avait duré une heure et vingt-cinq minutes, avait été limitée à ce qui était strictement nécessaire.
63. La Cour prend note de la position du Gouvernement selon laquelle, nonobstant l’article 62 du code de procédure pénale dans sa version alors en vigueur (soit la version applicable du 10 mars 2004 au 1er juin 2011), « la privation de liberté du requérant consécutive à son interpellation n’a pas été faite dans le respect des formes légales » étant donné qu’il « a été interpellé, menotté et, dès lors conduit sous la contrainte devant l’officier de police judiciaire [et qu’] il a, de ce fait, été privé de liberté au cours de son transport sans bénéficier, par la suite, du régime de la garde à vue et des droits qui y étaient associés ».
64. La Cour déduit des observations du Gouvernement qu’à l’époque des faits litigieux et avant même la modification de la législation interne sur ce point, une personne interpellée en flagrance par les forces de l’ordre pour des faits susceptibles de constituer un crime ou un délit passible d’une peine d’emprisonnement puis conduite sous la contrainte par celles-ci devant un officier de police judiciaire en vue de son audition, devait être formellement placée en garde à vue afin de bénéficier dans le cadre de sa privation de liberté des garanties des articles 63 et suivant du code de procédure pénale, qui comprenaient notamment son information immédiate de la nature de l’infraction sur laquelle portait l’enquête ainsi que de ses droits, dont celui de s’entretenir avec un avocat (paragraphe 32 ci-dessus).
65. À ce titre, la Cour relève que, le 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution plusieurs dispositions du chapitre du code de procédure pénale relatif à la flagrance, dont l’article 62 (décision no 2010-14/22 QPC). À la suite de cette décision, la loi no 2011-392 du 14 avril 2011 a modifié le code de procédure pénale en prévoyant notamment que l’audition de personnes contre lesquelles il existait des raisons plausibles de soupçonner qu’elles avaient commis ou tenté de commettre une infraction devait se faire sous le régime de la garde à vue, sans exclure qu’elles puissent être entendues en-dehors de ce régime dès lors qu’elles n’étaient pas maintenues à la disposition des enquêteurs sous la contrainte. Par une décision du 18 novembre 2011 (no 2011-191/194/195/196/197 QPC), le Conseil constitutionnel a jugé que ce dispositif était conforme au principe de valeur constitutionnelle du respect des droits de la défense, sous réserve que les intéressés soient informés de la date et de la nature de l’infraction qu’on les soupçonnait d’avoir commise et de leur droit de quitter à tout moment les locaux de la police ou de la gendarmerie (paragraphes 34-35 ci-dessus). Depuis sa modification par la loi no 2014-535 du 27 mai 2014, l’article 61-1 du code de procédure pénale prévoit que les personnes à l’égard desquelles il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction ne peuvent être entendues librement sur ces faits qu’après avoir été informées, notamment, de la qualification, de la date et du lieu présumés de l’infraction dont il est question, du droit de quitter à tout moment les locaux où elles sont entendues, du droit de se taire et, si l’infraction est un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, du droit d’être assistées par un avocat (paragraphe 36).
66. Il se déduit de la décision précitée du Conseil constitutionnel du 18 novembre 2011 l’existence, en droit interne, déjà à l’époque des faits litigieux, d’une exigence de niveau constitutionnel selon laquelle toute personne entendue, après avoir été conduite devant un officier de police judiciaire sous la contrainte, doit pouvoir bénéficier des garanties particulières liées au placement en garde à vue. Il s’ensuit que l’audition du requérant au commissariat de police de Grenoble, le 12 juillet 2010, qui a eu lieu sans placement en garde à vue alors qu’il y avait été conduit sous la contrainte, est constitutive d’une privation de liberté qui ne s’est pas déroulée « selon les voies légales ».
67. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.
3. Sur la violation alléguée de l’article 8 de la Convention
a) Arguments des parties
i. Le requérant
68. Le requérant soutient que des policiers ont, de force, sans mandat judiciaire ni droit, illégalement violé son domicile. Il fait valoir que ni l’ordonnance du 18 décembre 2014 ni l’arrêt du 8 avril 2015 ne précisent le cadre juridique de cette intrusion, ajoutant que « l’autorité légitime » ne peut ordonner une telle mesure que pour des motifs prévus par la loi.
ii. Le Gouvernement
69. Le Gouvernement reconnaît que l’intrusion des forces de l’ordre dans le domicile du requérant est constitutive d’une ingérence dans l’exercice des droits garantis par l’article 8. Il estime cependant que cette ingérence était prévue par la loi, poursuivait un but légitime et était nécessaire dans une société démocratique.
70. Sur le premier point, le Gouvernement fait valoir que le déplacement des forces de l’ordre et leur intervention au domicile du requérant se sont déroulés dans le cadre juridique de l’enquête de flagrance ouverte à la suite de la plainte déposée par l’association Familles en Isère pour des faits de mauvais traitements sur personne vulnérable. Il précise que l’intervention des forces de l’ordre visait à « mettre fin à l’infraction apparente en cours de commission », à réintégrer la mère du requérant dans le lieu de vie dans lequel elle avait été admise en exécution de la décision du juge des tutelles, et à interpeller le requérant pour l’entendre sur les faits. Le Gouvernement ajoute que l’enquête de flagrance, qui est prévue et encadrée par les articles 53 à 73 du code de procédure pénale et qui est placée sous le contrôle et la direction d’un magistrat, le procureur de la République, permet aux agents et officiers de police judiciaire de procéder à l’interpellation des personnes en cause, y compris au moyen de l’entrée dans leur domicile sans leur consentement. Il observe qu’alors qu’une décision du procureur de la République n’était pas requise par les textes, c’est sur son ordre que les policiers ont pénétré dans le domicile du requérant, qui a ainsi bénéficié d’une garantie procédurale supplémentaire.
71. Le Gouvernement souligne ensuite que l’entrée dans le domicile du requérant poursuivait les buts légitimes de la « prévention des infractions pénales », « la protection de la santé » et la « protection des droits et libertés d’autrui », dès lors qu’elle visait à mettre fin à la situation dans laquelle se trouvait sa mère, en violation d’une décision du juge des tutelles, susceptible de mettre sa santé gravement en danger et de constituer une infraction pénale.
72. Quant à la « nécessité », le Gouvernement fait valoir à titre liminaire que l’entrée dans le domicile du requérant, qui visait à interpeler ce dernier et à mettre fin au danger encouru par sa mère et à l’infraction apparente, et qui n’a pas été suivie d’une fouille, les fonctionnaires de polices s’étant limités à vérifier visuellement s’il y avait une arme, était moins attentatoire aux droits garantis par l’article 8 que ne l’aurait été une perquisition.
73. Le Gouvernement fait valoir que l’intervention des forces de police avait été rendue nécessaire par la situation de danger dans laquelle se trouvait la mère du requérant au domicile de ce dernier. Elle avait été hospitalisée en 2009 dans un état physique et mental très dégradé, dans un état d’hygiène déplorable et en situation de déshydratation, en raison de négligences graves dans sa prise en charge par son fils, à ce point importantes que le procureur de la République avait non seulement saisi le juge des tutelles mais aussi diligenté une enquête pénale. Il ajoute que la mère du requérant, dont les capacités cognitives étaient altérées, était dans l’impossibilité de se protéger elle-même. Selon lui, l’impossibilité tant pour cette dernière que pour le requérant de prendre conscience de la situation de danger dans laquelle elle se trouvait impliquait une intervention rapide des autorités, conformément à l’obligation positive que les articles 2 et 3 de la Convention mettent à la charge des États parties. Le Gouvernement relève en outre que les membres de l’association Familles en Isère ont déclaré dans le cadre de l’enquête que lorsqu’elles ont récupéré la mère du requérant, elle était dans un état lamentable, était trempée, s’était fait sous elle, n’avait pas été changée depuis un moment et n’était pas en état de s’hydrater seule.
74. Le Gouvernement ajoute que la décision de procéder à une intervention des forces de police afin d’interpeller le requérant résulte principalement du comportement de ce dernier. Il souligne qu’il ressort des pièces du dossier que le requérant adoptait vis-à-vis des services sociaux chargés du suivi de sa mère, une attitude consistant à ne pas répondre à leurs sollicitations, voire à se montrer agressif et menaçant envers eux, et qu’il avait été virulent envers le personnel de l’hôpital dans lequel sa mère avait été admise à la fin de l’année 2009, menaçant de revenir armé d’un révolver. Le Gouvernement précise qu’une arme avait été saisie au domicile du requérant en juin 2010. Il indique aussi que le refus de ce dernier, le 12 juillet 2010, de reconduire sa mère à la maison de retraite méconnaissait la décision du juge des tutelles et de la Cour d’appel de Grenoble. Selon le Gouvernement, le recours à la force et à la contrainte, décidé par le procureur de la République, était une décision de dernier recours, prise après que le requérant eut refusé de répondre aux représentants de l’association Familles en Isère puis aux policiers. La personnalité du requérant expliquerait par ailleurs l’importance des moyens policiers mis en place pour procéder à son interpellation.
b) Appréciation de la Cour
75. Il est manifeste que l’intervention des forces de l’ordre au domicile du requérant le 12 juillet 2010 est constitutive d’une ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de son droit au respect de son domicile, protégé par l’article 8 de la Convention.
76. Pareille ingérence enfreint l’article 8, sauf si elle est « prévue par la loi », dirigée vers un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et « nécessaire dans une société démocratique » pour le ou les atteindre.
i. Prévue par la loi
77. La Cour rappelle que les mots « prévue par la loi » impliquent que la mesure litigieuse ait une base en droit interne. Ils recouvrent également une exigence de qualité de la loi en cause : ils exigent l’accessibilité de celle-ci à la personne concernée, qui de surcroît doit pouvoir en prévoir les conséquences pour elle, et vérifier sa compatibilité avec la prééminence du droit. Cette expression implique donc notamment que la législation interne doit user de termes assez clairs pour indiquer à tous de manière suffisante en quelles circonstances et sous quelles conditions elle habilite la puissance publique à recourir à des mesures affectant leurs droits protégés par la Convention (voir, parmi de nombreux autres, Fernández Martínez c. Espagne [GC], no 56030/07, § 117, CEDH 2014 (extraits), ainsi que les références qui y figurent).
78. En l’espèce, il résulte des pièces du dossier que les forces de l’ordre se sont introduites dans le domicile du requérant sur instruction du procureur de la République de Grenoble dans le cadre de l’enquête de flagrance ouverte pour « mauvais traitement à personne vulnérable » à la suite de la plainte déposée contre le requérant par la directrice de l’association Familles en Isère.
79. Les dispositions du code de procédure pénale pertinentes (paragraphe 32 ci-dessus) définissent le régime juridique de l’enquête de flagrance et les prérogatives dont sont dotés les agents et officiers de police judiciaire pour intervenir dans ce cadre afin de procéder à toutes constatations utiles ainsi que, le cas échéant, faire cesser les faits constitutifs d’un crime ou d’un délit flagrant, y compris, si nécessaire, au moyen d’une intrusion domiciliaire. Dans ces conditions, la Cour considère que l’ingérence litigieuse était « prévue par la loi ».
ii. But légitime
80. Il ressort des pièces du dossier que l’intervention des forces de l’ordre au domicile du requérant visait à permettre l’interpellation de celui-ci dans le cadre de l’enquête de flagrance ouverte pour « mauvais traitements à personne vulnérable » ainsi qu’à assurer la sécurité de sa mère et permettre son retour dans la maison de retraite afin qu’elle bénéficie d’une prise en charge adaptée à son état de santé. La Cour en déduit que l’ingérence dans le droit de ce dernier au respect de son domicile avait pour buts légitimes « la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales », et « la protection des droits et libertés d’autrui ».
iii. Nécessité de l’ingérence
81. Selon la jurisprudence constante de la Cour, les États contractants jouissent d’une certaine marge pour apprécier la nécessité de l’ingérence, mais elle va de pair avec un contrôle européen. Les exceptions que ménage le paragraphe 2 de l’article 8 appellent une interprétation étroite et leur nécessité dans un cas donné doit se trouver établie de manière convaincante. La notion de nécessité implique que l’ingérence corresponde à un besoin social impérieux et, en particulier, qu’elle soit proportionnée au but légitime poursuivi (voir, par exemple, Halabi c. France, no 66554/14, § 62, 16 mai 2019, ainsi que les références qui y figurent).
82. La Cour juge particulièrement important en l’espèce de rappeler le contexte dans lequel s’inscrit l’intrusion domiciliaire litigieuse.
83. Il ressort des pièces du dossier qu’en novembre 2009, un médecin du centre hospitalier où elle avait été admise, puis les services sociaux, ont signalé au procureur de Grenoble que la santé physique et mentale de la mère du requérant était dégradée et qu’elle vivait avec son fils dans des conditions d’hygiène déplorables et de prise en charge inadaptées à son état. À la suite de ces signalements, le procureur a saisi le juge des tutelles, qui, en décembre 2009, a placé la mère du requérant sous sauvegarde de justice et a désigné un mandataire spécial, l’association Familles en Isère. Le juge des tutelles a ensuite chargé l’association mandataire de la faire admettre dans un lieu d’hébergement compatible avec son état de santé. C’est ainsi qu’elle a été admise dans une maison de retraite le 4 mai 2010 contrairement à ses souhaits et à ceux du requérant. Le 10 juin 2010, le requérant, qui avait été autorisé à accueillir sa mère dans la maison familiale pour l’après-midi, a refusé de la reconduire dans sa maison de retraite. Il n’a consenti à le faire que le lendemain, à la suite de l’intervention d’employés de l’association mandataire. Le 11 juillet 2010, le requérant a une nouvelle fois refusé de reconduire sa mère dans sa maison de retraite après qu’elle eut passé l’après-midi dans la maison familiale. Des employées de l’association mandataire se sont rendues sur place le lendemain et ont vainement tenté de dialoguer avec le requérant afin de le convaincre d’accepter le retour de sa mère dans sa maison de retraite. Face à son refus de coopérer, la directrice de l’association mandataire a alerté la police. Des agents de police se sont rendus sur place et la commissaire responsable de l’opération a tenté sans plus de succès d’établir un contact avec le requérant afin qu’il ouvre la porte de son domicile. En l’absence de coopération du requérant, et confronté à une situation de risque imminent pour une personne particulièrement vulnérable, le procureur a donné l’ordre à la police de pénétrer dans les lieux en forçant la porte.
84. Il apparaît ainsi que le comportement du requérant a rendu nécessaire l’intervention de la police dans son domicile par la force, afin de procéder à son interpellation et de porter assistance à sa mère, une personne âgée dépendante, placée sous sauvegarde de justice, dont l’état de santé suscitait alors une légitime inquiétude.
85. La Cour rappelle à cet égard que la Convention met à la charge des États parties l’obligation positive de protéger les personnes relevant de leur juridiction contre les mauvais traitements, en particulier les personnes vulnérables (voir quant à l’énoncé du principe général, Association Innocence en Danger et Association Enfance et Partage c. France, nos 15343/15 et 16806/15, § 157, 4 juin 2020) telles que les personnes âgées dépendantes. L’inaction des autorités en l’espèce, alors qu’elles avaient connaissance de l’état de grande vulnérabilité de la mère du requérant et des risques que le comportement de celui-ci lui faisait courir, aurait pu engager la responsabilité de l’État défendeur sur le terrain de la Convention.
86. Il est vrai que l’ampleur de l’opération litigeuse, qui a mobilisé une vingtaine de policiers, dont la moitié est intervenue au domicile du requérant, pourrait porter à discussion. Elle s’explique toutefois par les circonstances particulières de l’espèce : le comportement passé du requérant et, en particulier, son agressivité envers les services sociaux et son refus répété de coopérer, l’urgence à intervenir en raison de la grande vulnérabilité de sa mère, ainsi que l’existence d’éléments donnant à penser qu’il était susceptible d’être armé, une arme à feu ayant précédemment été trouvée à son domicile (paragraphe 74 ci-dessus).
87. Au vu de l’ensemble de ce qui précède et du besoin social impérieux auquel elle répondait, la Cour admet, eu égard à la marge d’appréciation dont disposait l’État défendeur, la « nécessité dans une société démocratique » de l’ingérence dans le droit du requérant au respect de son domicile.
88. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 5 DE LA CONVENTION
89. Le requérant soutient qu’il n’a pas disposé d’un recours en réparation répondant aux exigences de l’article 5 § 5 de la Convention, aux termes duquel :
« 5. Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »
90. Renvoyant à ses observations relatives à l’épuisement des voies de recours internes s’agissant des griefs tirés des articles 5 § 1 et 8 de la Convention, le Gouvernement fait valoir que l’action en responsabilité de l’État sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire était en l’espèce une voie de droit effective et suffisante pour obtenir réparation en cas de détention arbitraire dans le respect des exigences de l’article 5 § 5 de la Convention.
91. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
92. Sur le fond, la Cour rappelle que l’article 5 § 5 se trouve respecté dès lors que l’on peut demander réparation du chef d’une privation de liberté opérée dans des conditions contraires aux paragraphes 1, 2, 3 ou 4. Le droit à réparation énoncé au paragraphe 5 suppose donc qu’une violation de l’un de ces autres paragraphes ait été établie par une autorité nationale ou par les organes de la Convention. À cet égard, la jouissance effective du droit à réparation garanti par cette dernière disposition doit se trouver assurée à un degré suffisant de certitude (Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 182, CEDH 2012, et N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 49, CEDH 2002‑X).
93. La Cour rappelle par ailleurs que pour qu’elle conclue à la violation de l’article 5 § 5, il doit être établi que le constat de violation d’un des autres paragraphes de l’article 5 ne pouvait, avant l’arrêt concerné de la Cour, ni ne peut, après cet arrêt, donner lieu à une demande d’indemnité devant les juridictions nationales (Stanev, précité, § 184).
94. Le cinquième paragraphe de l’article 5 de la Convention ne requiert pas que les victimes d’une privation de liberté contraire au premier paragraphe de cette disposition aient spécifiquement accès à une procédure en indemnisation dirigée contre l’État. Comme l’illustre en particulier l’affaire Houtman et Meeus c. Belgique (no 22945/07, 17 mars 2009), il suffit, lorsque des responsabilités personnelles peuvent être déterminées, que les victimes aient la possibilité d’engager une action civile en indemnisation.
95. Au cas d’espèce, la Cour a conclu à une violation de l’article 5 § 1 de la Convention. Le requérant est donc en mesure de se prévaloir de l’article 5 § 5.
96. Comme la Cour l’a précédemment constaté (paragraphe 60 ci-dessus), les juridictions internes saisies à la suite de la plainte avec constitution de partie civile ne se sont pas prononcées sur la question du respect de l’article 5 § 1 de la Convention alors même que cette plainte dénonçait la rétention arbitraire dont aurait fait l’objet le requérant et que l’appel et le recours en cassation exercés ultérieurement invoquaient la méconnaissance de cette disposition, faisant ainsi obstacle à l’indemnisation par cette voie du préjudice allégué par le requérant.
97. Dans ces circonstances très particulières, où les juridictions saisies par le requérant ont omis d’examiner la question de la conformité de sa détention à l’article 5 § 1 de la Convention, il y a eu violation de l’article 5 § 5, sans qu’il soit besoin de trancher la question de savoir si l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire aurait permis de respecter les exigences de cette disposition.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
98. Aux termes de l’article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
99. Le requérant demande 28 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’il estime avoir subi.
100. Le Gouvernement estime qu’en cas de constat de violation de la Convention, la Cour pourrait allouer 3 000 EUR au titre du préjudice moral causé par une méconnaissance de l’article 5 et 7 000 EUR au titre du préjudice moral causé par une méconnaissance de l’article 8.
101. La Cour juge équitable d’octroyer 3 000 EUR au requérant pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.
B. Intérêts moratoires
102. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;
2. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;
3. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 5 de la Convention ;
4. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention ;
5. Dit, par six voix contre une,
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette, à l’unanimité, le surplus de la demande de satisfaction équitable.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 décembre 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Victor Soloveytchik Síofra O’Leary
Greffier Présidente
_____________
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de la juge Mourou-Vikström.
S.O.L.
V.S.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DE LA JUGE MOUROU-VIKSTRÖM
Je ne peux pas suivre la décision de la majorité qui a jugé qu’une somme de 3.000 euros était suffisante afin d’indemniser le préjudice moral subi par le requérant. Ce dernier, dont la porte fut fracturée par une dizaine de policiers qui braquèrent leurs armes sur lui et procédèrent à une visite domiciliaire de sécurité, fut en outre menotté et conduit de force dans les locaux du commissariat de police. Il fut par la suite interrogé en dehors du cadre légal de la garde à vue qui s’imposait pourtant, compte tenu des infractions qui lui étaient reprochées.
Ainsi, la contrainte, l’humiliation et la privation de liberté pendant environ quatre heures auraient, à mon sens, nécessité l’allocation d’une somme supérieure à 3.000 euros, a fortiori si l’on considère qu’in fine le requérant n’a pas même été condamné pour délaissement de personne vulnérable, faits pour lesquels la directrice de la maison de retraite avait estimé devoir déposer plainte, jugeant que la prise en charge par le requérant de sa mère n’était pas satisfaisante.
Dernière mise à jour le décembre 9, 2021 par loisdumonde
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