QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE GRIGORESCU ET AUTRES c. ROUMANIE
(Requête no 17536/04 et 4 autres)
ARRÊT
(Révision)
STRASBOURG
16 novembre 2021
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Grigorescu et autres c. Roumanie (demande de révision de l’arrêt rendu le 29 septembre 2020),
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en un comité composé de :
Branko Lubarda, président,
Carlo Ranzoni,
Péter Paczolay, juges,
et de Ilse Freiwirth, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 octobre 2021,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. La requête no 25014/05, Gheorghiu et autres c. Roumanie, qui a été examinée avec 4 autres requêtes similaires, porte sur l’impossibilité pour les requérants, Mmes Virginia-Maria-Gabriela Gheorghiu et Smaranda-Ioana Brănescu et M. Șerban-Vasile Crețoiu, de jouir de leur droit de propriété, reconnu par les juridictions nationales, sur deux appartements situés dans un immeuble nationalisé par l’État pendant le régime communiste totalitaire, ces biens ayant été vendus par l’État à leurs locataires.
2. Par un arrêt du 29 septembre 2020, la Cour a jugé qu’il y avait eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention en raison de l’impossibilité pour les requérants de recouvrer la possession de leurs biens malgré l’adoption des décisions de justice définitives reconnaissant leur droit de propriété sur les biens en question et de l’absence d’indemnisation pour la privation de propriété. S’agissant de la requête no 25014/05, la Cour a décidé d’allouer conjointement aux requérants la somme de 195 000 euros (EUR) pour dommage matériel, 5 000 EUR pour dommage moral et 2 720 EUR pour frais et dépens.
3. Le 9 février 2021, le Gouvernement a informé la Cour qu’il avait été informé, lors de la procédure d’exécution de l’arrêt du 29 septembre 2020, que Mme Virginia-Maria-Gabriela Gheorghiu était décédée le 10 septembre 2015 et que M. Șerban-Vasile Crețoiu était décédé le 2 août 2015. En conséquence, il demandait la révision de l’arrêt, au sens de l’article 80 du règlement de la Cour.
4. Le 23 mars 2021, la Cour a examiné la demande en révision et a décidé d’accorder au représentant des requérants un délai de quatre semaines pour présenter d’éventuelles observations. Faute de réponse dans le délai imparti, une nouvelle lettre a été transmise, avec accusé de réception, au représentant des requérants. Simultanément, la lettre invitant le représentant des requérants à présenter d’éventuelles observations a été transmise, toujours avec accusé de réception, aux adresses de tous les requérants à l’attention, le cas échéant, de leurs éventuels héritiers. La lettre envoyée à l’avocat des requérants a été renvoyée à l’expéditeur avec la mention « non réclamée ». Bien que les lettres transmises aux domiciles des requérants fussent réceptionnées, aucune réponse n’est parvenue à la Cour.
EN DROIT
SUR LA DEMANDE EN RÉVISION
5. Le Gouvernement demande la révision de l’arrêt du 29 septembre 2020, en raison du décès de Mme Virginia-Maria-Gabriela Gheorghiu et M. Șerban-Vasile Crețoiu avant l’adoption dudit arrêt. Il demande la radiation de l’affaire du rôle.
6. Le représentant des requérants n’a formulé aucune observation au sujet de la demande en révision (paragraphe 4 ci-dessus).
7. La Cour estime qu’il y a lieu de réviser l’arrêt du 29 septembre 2020 par application de l’article 80 de son règlement qui, en ses parties pertinentes, est ainsi libellé :
« En cas de découverte d’un fait qui, par sa nature, aurait pu exercer une influence décisive sur l’issue d’une affaire déjà tranchée et qui, à l’époque de l’arrêt, était inconnu de la Cour et ne pouvait raisonnablement être connu d’une partie, cette dernière peut (…) saisir la Cour d’une demande en révision de l’arrêt dont il s’agit. (…) »
8. La Cour note que le décès des deux requérants, à savoir Mme Virginia‑Maria-Gabriela Gheorghiu et M. Șerban-Vasile Crețoiu, est survenu en 2015 (paragraphe 3 ci-dessus). Elle estime qu’il s’agit d’un élément factuel de nature à exercer « une influence décisive » sur l’issue de l’affaire au sens de l’article 80 de son règlement. À cet égard, elle note que ni le représentant des requérants, ni d’éventuels héritiers de ces deux requérants ne l’ont informée du décès de Mme Virginia-Maria-Gabriela Gheorghiu et de M. Șerban-Vasile Crețoiu (voir, a contrario, Nicolae Augustin Rădulescu c. Roumanie (révision), no 17295/10, § 9, 19 mai 2015, et Meryem Çelik et autres c. Turquie (révision), no 3598/03, § 8, 16 septembre 2014).
9. La Cour rappelle que, selon sa pratique, il convient de rayer du rôle les affaires en l’absence d’un héritier ou d’un parent proche qui exprime en temps utile le souhait de poursuivre la requête ou qui fournisse ultérieurement une explication pour un tel manquement (Cacuci et S.C. Virra & Cont Pad S.R.L. c. Roumanie (révision), no 27153/07, § 10, 13 novembre 2018, et, mutatis mutandis, Manushaqe Puto et autres c. Albanie (révision), nos 604/07 et 3 autres, § 9, 4 novembre 2014). Il y a donc lieu de rayer la requête no 25014/05 du rôle dans sa partie concernant les requérants Virginia-Maria-Gabriela Gheorghiu et Șerban-Vasile Crețoiu. Par ailleurs, en l’absence de circonstances particulières touchant au respect des droits garantis par la Convention et ses Protocoles, la Cour considère qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la partie de la requête concernant ces deux requérants, au sens de l’article 37 § 1 in fine.
10. La Cour constate ensuite que l’arrêt du 29 septembre 2020 reste valable dans sa partie concernant la requérante Smaranda-Ioana Brănescu. Néanmoins, étant donné que les trois requérants qui avaient saisi la Cour de cette requête étaient les copropriétaires des immeubles en litige et que la partie de la requête no 25014/05 concernant les requérants Virginia‑Maria‑Gabriela Gheorghiu et Șerban-Vasile Crețoiu est rayée du rôle, la Cour considère qu’elle se doit de recalculer les sommes à octroyer au titre de la satisfaction équitable.
11. Ainsi, s’agissant du préjudice matériel, la Cour note que dans son arrêt du 29 septembre 2020, elle a établi la valeur des appartements en litige à 195 000 EUR. Partant, elle estime qu’il est raisonnable et équitable, comme l’exige l’article 41 de la Convention, d’accorder à la requérante Smaranda-Ioana Brănescu la partie du montant de 195 000 EUR qui correspond à son quota du droit de propriété sur les appartements en litige, quota existant selon l’état du dossier au moment de l’introduction de la requête devant la Cour (voir, mutatis mutandis, Dickmann et Gion c. Roumanie, nos 10346/03 et 10893/04, § 118, 24 octobre 2017).
12. La Cour octroie également à la requérante Smaranda-Ioana Brănescu 5 000 EUR pour dommage moral et 2 720 EUR pour frais et dépens (voir, mutatis mutandis, Association des victimes de la Magistrature en Roumanie et autres c. Roumanie (révision), no 47732/06, § 12, 22 mars 2016).
13. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Décide d’accueillir la demande en révision de l’arrêt du 29 septembre 2020 en ses parties qui concernent la requête no 25014/05 ;
en conséquence
2. Décide de rayer la requête no 25014/05 du rôle dans sa partie concernant les requérants Virginia-Maria-Gabriela Gheorghiu et Șerban-Vasile Crețoiu ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser à la requérante Smaranda-Ioana Brănescu, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :
i. la partie du montant de 195 000 EUR (cent quatre-vingt quinze mille euros) correspondant à son quota du droit de propriété sur les appartements en litige existant selon l’état du dossier au moment de l’introduction de la requête devant la Cour, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage matériel ;
ii. 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;
iii. 2 720 EUR (deux mille sept cent vingt euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par la requérante à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 novembre 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Ilse Freiwirth Branko Lubarda
Greffière adjointe Président
Dernière mise à jour le novembre 17, 2021 par loisdumonde
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