Après des années de poursuites pénales, en 2012, le requérant fut acquitté de différents chefs d’accusation. En 2013, il fit une action en justice contre le ministère des Finances en demandant une réparation du préjudice causé par ces poursuites.
TROISIÈME SECTION
AFFAIRE LI c. RUSSIE
(Requête no 61417/15)
ARRÊT
STRASBOURG
9 novembre 2021
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Li c. Russie,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en un comité composé de :
Peeter Roosma, président,
Dmitry Dedov,
Andreas Zünd, juges,
et de Olga Chernishova, greffière adjointe de section,
Vu :
la requête (no 61417/15) contre la Fédération de Russie et dont un ressortissant de cet État, M. Vitaliy Nikolayevich Li, né en 1953 et résidant à Tomsk, représenté par Me T.V. Trubnikova, avocate, a saisi la Cour le 4 décembre 2015 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
la décision de porter à la connaissance du gouvernement russe (« le Gouvernement »), représenté initialement par M. M. Galperine, ancien représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, puis par M. M. Vinogradov, son successeur dans cette fonction, le grief concernant une notification faite au requérant relativement à l’examen de son affaire civile en cassation, et de déclarer irrecevable la requête pour le surplus,
la lettre par laquelle le Gouvernement a acquiescé à l’examen de l’affaire en formation de comité,
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 octobre 2021,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
OBJET DE L’AFFAIRE
1. Après des années de poursuites pénales, en 2012, le requérant fut acquitté de différents chefs d’accusation. En 2013, il fit une action en justice contre le ministère des Finances en demandant une réparation du préjudice causé par ces poursuites.
2. Par un jugement du 13 mai 2013, le tribunal du district Kirovski de Tomsk fit partiellement droit à l’action du requérant et lui alloua 600 000 roubles (RUB).
3. Le Parquet Général, participant comme tierce partie, et le requérant firent appel du jugement. Pendant l’examen de l’affaire en appel, en septembre 2013, le requérant déménagea, et il communiqua sa nouvelle adresse à la cour régionale de Tomsk.
4. Par un arrêt d’appel du 2 juillet 2014, la cour régionale de Tomsk infirma le jugement et alloua au requérant l’intégralité de la somme demandée (10 000 000 RUB).
5. Les deux juridictions (de première instance et d’appel) statuèrent après avoir entendu les parties, y compris le requérant et sa représentante, en audiences publiques.
6. Le 28 juillet, le requérant obtint le titre exécutoire où figurait sa nouvelle adresse.
7. Le Parquet Général et le ministère des Finances formèrent des pourvois en cassation devant le présidium de la cour régionale de Tomsk. Par une décision du 14 octobre 2014, un juge unique de la cour régionale refusa de transmettre les pourvois pour examen du présidium. Le Parquet et le ministère formèrent alors des pourvois en cassation devant la Cour suprême. Sur ces pourvois figurait l’ancienne adresse du requérant.
8. Par une décision du 18 mars 2015, un juge unique de la Cour suprême transmit l’affaire pour examen à la chambre civile de cette juridiction. Par une lettre du 21 mars 2015 envoyée à l’ancienne adresse du requérant, le secrétariat de la Cour suprême lui transmit une copie de cette décision et des pourvois, et invita le requérant à comparaître pour une audience fixée au 21 avril 2015. Le requérant ne reçut pas cette lettre.
9. Par un arrêt du 21 avril 2015, la chambre civile de la Cour suprême, statuant en l’absence des parties, annula l’arrêt d’appel et confirma le jugement de première instance. Le texte de l’arrêt de cassation ne contenait pas d’indications quant aux citations des parties à comparaître.
10. Dans une décision du 11 décembre 2015 où le tribunal de district releva le requérant de forclusion pour former un pourvoi en révision, le tribunal indiqua que l’intéressé avait correctement communiqué à la cour régionale son changement d’adresse. Le 29 février 2016, un juge unique de la Cour suprême refusa de transmettre le pourvoi en révision du requérant pour examen de cette juridiction.
L’APPRÉCIATION DE LA COUR
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
11. Le requérant se plaint de ne pas avoir pu participer à l’examen de son affaire civile en cassation, en violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
12. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
13. Les principes généraux concernant le droit d’un plaidant de participer effectivement à son procès et les notifications aux parties des audiences par les juridictions sont exposés dans l’arrêt Gankin et autres c. Russie (nos 2430/06 et 3 autres, §§ 25‑28 et 33‑39, 31 mai 2016).
14. En l’espèce, il a été établi au niveau interne que le requérant a dûment communiqué à la cour régionale – juridiction d’appel – sa nouvelle adresse, et cette juridiction a tenu compte de cette nouvelle adresse puisqu’elle avait délivré le titre exécutoire mentionnant celle-ci (paragraphes 6 et 10 ci‑dessus). Partant, le requérant s’était déchargé de son obligation prévue par l’article 118 du code de procédure civile de communiquer à la juridiction compétente tout changement d’adresse, et la Cour rejette la thèse du Gouvernement selon laquelle l’intéressé n’avait pas dûment notifié aux juridictions le changement de son adresse.
15. La Cour suprême n’a pas vérifié si l’adresse à laquelle elle a envoyé la citation à comparaître avec les pourvois correspondait à l’adresse dans le dossier de l’affaire qui lui était parvenue des juridictions inférieures. De plus, dans son arrêt de cassation, cette juridiction n’a fait aucune mention sur l’information du requérant et/ou de sa représentante sur la date de l’audience.
16. Dans ces circonstances où la juridiction de cassation ne s’est assurée, ni que le requérant ou sa représentante ont été dûment convoqués, ni qu’ils ont été au courant de la procédure de cassation, et où elle n’a aucunement traité cette question dans son arrêt annulant l’arrêt d’appel et confirmant le jugement de première instance, la Cour conclut que le droit du requérant de présenter effectivement sa cause en cassation n’a pas été respecté (mutatis mutandis, Gankin et autres, précité, §§ 40‑44, et, s’agissant précisément de la procédure de cassation, Belova c. Russie, no 33955/08, §§ 52‑54, 15 septembre 2020, et les références qui sont citées dans ces deux arrêts).
17. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
18. Le requérant demande 5 000 euros (EUR) pour préjudice moral, 55 000 roubles (RUB) pour les honoraires de son avocate et 7 500 RUB pour frais de traduction.
19. La Cour, statuant en équité et conformément à sa jurisprudence, octroie au requérant 1 500 EUR pour préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt (Gankin et autres, précité, § 49). En outre, elle estime que, dans la présente affaire, le moyen approprié de redresser la violation constatée est un réexamen de l’affaire du requérant (ibidem, §§ 50‑51).
20. Enfin, considérant que les frais et dépens sont réels, nécessaires et raisonnables, la Cour alloue au requérant 850 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être dû par le requérant sur cette somme à titre d’impôt.
21. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit,
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :
i. 1 500 EUR (mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par le requérant à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii. 850 EUR (huit cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 novembre 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Olga Chernishova Peeter Roosma
Greffière adjointe Président
Dernière mise à jour le avril 28, 2022 par loisdumonde
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