León Madrid c. Espagne (Cour européenne des droits de l’homme)

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 255
Octobre 2021

León Madrid c. Espagne – 30306/13

Arrêt 26.10.2021 [Section III]

Article 14
Discrimination

Nom du père précédant automatiquement celui de la mère dans l’ordre des noms de famille de l’enfant, si désaccord entre les parents, sans prise en compte des circonstances particulières : violation

En fait – Le 9 novembre 2005, la requérante donna naissance à une fille qui fut inscrite au registre de l’état civil avec les deux noms de famille de la mère.

Par un jugement du 14 février 2007, le juge de première instance reconnut l’ancien compagnon de la mère comme le père biologique. Il décida en outre que l’enfant porterait, conformément à la loi applicable, le nom de famille du père suivi de celui de la mère, vu le désaccord entre les parents.

La demande de la requérante d’inverser l’ordre des noms de famille portés par sa fille mineure a été rejetée.

En droit – Article 14 combiné avec l’article 8 :

1. Sur l’existence d’une distinction de traitement entre des personnes placées dans des situations analogues :

La règle en vigueur à l’époque des faits prévoyait qu’en cas de désaccord entre les parents, le nom de famille du père, suivi par celui de la mère, était automatiquement donné à l’enfant.

L’article 194 du Règlement pour l’application de la loi relative à l’état civil a été modifié par la loi 20/2011 qui prévoit qu’en cas de désaccord entre les parents il appartient au juge chargé de l’état civil de décider sur l’ordre d’attribution des noms de famille de l’enfant, en prenant comme critère principal l’intérêt supérieur de l’enfant. Cependant ces dispositions ne sont pas applicables à la fille de la requérante, qui a seize ans à ce jour. En outre, l’application automatique de la législation précédente n’a pas permis au juge de prendre en considération les plaintes de la requérante sur les circonstances concrètes du cas d’espèce, par exemple, l’insistance initiale du géniteur pour la convaincre d’interrompre la grossesse, ou encore le fait que l’enfant portait les noms de famille de la mère depuis sa naissance et pendant plus d’un an, faute de reconnaissance immédiate du père.

À la lumière de ce qui précède, deux individus placés dans une situation analogue, à savoir la requérante et le père de l’enfant, ont été traitées de manière différente sur la base d’une distinction fondée exclusivement sur le sexe.

2. Sur le point de savoir s’il existait une justification objective et raisonnable :

Le contexte social actuel en Espagne ne correspond pas à celui existant au moment de l’adoption de la loi en vigueur applicable au cas d’espèce. Ainsi, plusieurs changements sociaux ont traversé le pays depuis les années 50, qui ont permis d’aligner la législation interne avec les instruments internationaux en vigueur et d’abandonner le concept patriarcal de famille. L’Espagne a adopté de nombreuses mesures visant l’égalité entre les hommes et les femmes dans la société espagnole en accord avec les résolutions et recommandations du Conseil de l’Europe. La modification introduite par la loi 20/2011 traduit une avancée significative considérée par le législateur comme une manière de rapprocher la loi à la nouvelle réalité sociale en Espagne, privilégiant l’achèvement de l’égalité sur le maintien des traditions pouvant l’entraver. La Cour prend note de cette évolution, mais constate que c’est bien la précédente disposition qui s’applique au cas d’espèce et rappelle que des références aux traditions présupposées d’ordre général ou attitudes sociales majoritaires ayant cours dans un pays donné ne suffissent pas à justifier une différence de traitement fondée sur le sexe.

Le Gouvernement écarte l’existence de discrimination au motif que la fille de la requérante pourra, si elle le souhaite, modifier l’ordre de ses noms de famille une fois qu’elle aura atteint ses 18 ans. Outre l’impact certain qu’une mesure d’une telle durée peut avoir sur la personnalité et l’identité d’une mineure qui devra porter en premier le nom de famille d’un père avec qui elle n’est liée que de manière biologique, la Cour ne peut négliger les répercussions dans la vie de la requérante : en tant que son représentant légal partageant la vie de sa fille depuis la naissance de cette dernière, la requérante pâtit au quotidien des conséquences de la discrimination provoquée par l’impossibilité de modifier le nom de famille de son enfant. Il y a lieu de rappeler qu’il faut distinguer les effets de la détermination du nom à la naissance de la possibilité de changer de nom au cours de la vie.

Le caractère automatique de l’application de la loi en cause, qui a empêché les juridictions de prendre en compte les circonstances particulières du cas d’espèce ne trouve pas de justification valable du point de vue de la Convention. Si la règle voulant que le nom du père soit attribué en premier en cas de désaccord des parents peut se révéler nécessaire en pratique et n’est pas forcément en contradiction avec la Convention, l’impossibilité d’y déroger est excessivement rigide et discriminatoire envers les femmes.

Enfin, si la sécurité juridique peut être manifestée par le choix de placer le nom du père en premier, elle peut aussi bien être manifestée par le nom de la mère.

Ainsi, les raisons avancées par le Gouvernement ne s’avèrent pas suffisamment objectives et raisonnables pour justifier la différence de traitement subie par la requérante.

Conclusion : violation (unanimité).

Article 41 : 10 000 EUR pour préjudice moral.

(Voir aussi Ünal Tekeli c. Turquie, 29865/96, 16 novembre 2004, Résumé juridique ; Losonci Rose et Rose c. Suisse, 664/06, 9 novembre 2010, Résumé juridique ; Cusan et Fazzo c. Italie, 77/07, 7 janvier 2014, Résumé juridique)

Dernière mise à jour le octobre 27, 2021 par loisdumonde

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