AFFAIRE M.D. ET A.D. c. FRANCE (Cour européenne des droits de l’homme) Requête no 57035/18

Les requérantes, une mère et sa fille alors âgée de quatre mois, furent placées au centre de rétention administrative no 2 du Mesnil-Amelot dans le cadre d’une procédure de transfert en Italie pendant onze jours. Les requérantes soutiennent que leur placement et leur maintien en rétention administrative est contraire aux articles 3 et 5 § 1 f) de la Convention. Elles font également valoir l’inefficacité du recours pour contester la légalité de la rétention de l’enfant mineur sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention. Les requérantes soutiennent enfin que leur placement en rétention a porté atteinte à leur droit au respect de leur vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention.


CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE M.D. ET A.D. c. FRANCE
(Requête no 57035/18)
ARRÊT

Art 3 • Traitement inhumain et dégradant • Rétention administrative dans un centre inadapté durant onze jours d’un nourrisson de quatre mois et de sa mère
Art 5 § 1 • Absence de vérification par les autorités internes si le placement initial en rétention puis sa prolongation constituaient des mesures de dernier ressort ne pouvant être remplacées par aucune autre moins restrictive • Droit français définissant, de manière limitative, les cas de placement en rétention administrative d’une personne accompagnée d’enfants mineurs et les conditions de la prolongation de la période de rétention

Art 5 § 4 • Absence de contrôle portant sur l’ensemble des conditions subordonnant la régularité de la rétention du nourrisson

STRASBOURG
22 juillet 2021

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention . Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire M.D. et A.D. c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une Chambre composée de :

Síofra O’Leary, présidente,
Mārtiņš Mits,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Jovan Ilievski,
Lado Chanturia,
Arnfinn Bårdsen,
Mattias Guyomar, juges,

et de Victor Soloveytchik, greffier de section,

Vu :

la requête (no 57035/18) dirigée contre la République française et dont deux ressortissantes maliennes, Mmes M.D. et A.D. (« les requérantes ») ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 6 décembre 2018,

la décision de porter à la connaissance du gouvernement français (« le Gouvernement ») les griefs tirés des articles 3, 5 § 1, 5 § 4 et 8 de la Convention,

la décision de ne pas dévoiler l’identité des requérantes,

la mesure provisoire prise à l’égard du gouvernement défendeur en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour (« le règlement »),

les observations communiquées par le gouvernement défendeur et celles communiquées en réplique par les requérantes,

les commentaires reçus du Défenseur des droits, du Comité inter‑mouvements auprès des évacués (CIMADE), du Groupe d’information et de soutien des immigré.e.s (GISTI) et des Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE), que la présidente de la section avait autorisés à se porter tiers intervenants,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 juin 2021,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. Les requérantes, une mère et sa fille alors âgée de quatre mois, furent placées au centre de rétention administrative no 2 du Mesnil-Amelot dans le cadre d’une procédure de transfert en Italie pendant onze jours.

2. Les requérantes soutiennent que leur placement et leur maintien en rétention administrative est contraire aux articles 3 et 5 § 1 f) de la Convention. Elles font également valoir l’inefficacité du recours pour contester la légalité de la rétention de l’enfant mineur sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention. Les requérantes soutiennent enfin que leur placement en rétention a porté atteinte à leur droit au respect de leur vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention.

EN FAIT

3. Mmes M.D. (« la première requérante ») et A.D. (« la seconde requérante ») sont nées respectivement en 1995 et en 2018 et résident à Châteaudun. Elles sont représentées par Me F. Tercero, avocate.

4. Le Gouvernement a été représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

I. Période antérieure au placement en rétention

5. Après avoir fui le Mali au motif allégué qu’elle risquerait d’y subir des mutilations génitales féminines et d’y être mariée de force, la première requérante arriva en France, le 15 janvier 2018, via l’Italie.

6. Le 14 juin 2018, le préfet de Loir-et-Cher prit à son encontre un arrêté portant transfert aux autorités italiennes, responsables de l’examen de sa demande d’asile en application du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (le règlement dit Dublin III). Par un jugement du 6 juillet 2018, le tribunal administratif d’Orléans rejeta la demande d’annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté.

7. Le 20 juillet 2018, la première requérante donna naissance à sa fille en France.

8. Par un premier arrêté du 17 octobre 2018, la première requérante fut assignée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours dans l’attente de son transfert vers l’Italie. Par un jugement du 24 octobre 2018, le tribunal administratif d’Orléans annula cet arrêté au motif qu’il imposait à l’intéressée des sujétions excessives.

9. Par un nouvel arrêté du 8 novembre 2018, la première requérante fut assignée à résidence, selon des modalités moins contraignantes, pour une durée de quarante-cinq jours dans l’attente de son transfert vers l’Italie. Par un jugement du 16 novembre 2018, le tribunal administratif d’Orléans rejeta la demande d’annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté.

10. Le 26 novembre 2018, le procès-verbal établi à 13 h 45 au commissariat de police de Blois, dans le cadre de l’assignation à résidence de la première requérante, fit mention de la réquisition d’un interprète « dans le cadre d’une notification d’un arrêté préfectoral ».

11. Ce même jour, à 13 h 54, auditionnée dans le cadre de son assignation à résidence au commissariat de police de Blois, le 26 novembre 2018, la requérante apporta les réponses suivantes :

« QUESTION : Avez-vous effectué des démarches en vue de quitter la France ?

REPONSE : J’ai pris un avocat pour rester en France

(…)

QUESTION : Que ferez-vous si la préfecture vous obligeait à partir en direction de l’Italie ?

REPONSE : Je ne veux pas partir maintenant, je ne veux pas y aller

Les Italiens voulaient que je parte de là-bas car je parlais pas l’italien et ils ont menacé de m’enlever mon bébé

Et je ne sais pas ce que les Italiens vont faire de mon bébé une fois que je serai là-bas

QUESTION : Monterez-vous à bord d’un avion à destination de l’Italie ?

REPONSE : Non je ne monterai pas dans l’avion. »

II. Période de rétention administrative

12. Le même jour, à 14 h 40, fut notifié à la première requérante l’arrêté du 26 novembre 2018 par lequel le préfet de Loir-et-Cher, estimant qu’il existait un risque non négligeable de fuite de l’intéressée au sens de l’article L. 551-1 II du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) et qu’elle ne présentait pas les garanties propres à prévenir le risque de soustraction à l’exécution de la décision de transfert dont elle faisait l’objet, décida de la placer en centre de rétention administrative, accompagnée de son enfant, pour une durée maximale de quarante-huit heures en vue de son transfert vers l’Italie. La première requérante fut ensuite conduite avec sa fille au centre de rétention administrative no 2 du Mesnil-Amelot.

13. Le 27 novembre 2018, après son refus d’embarquer sur un vol à destination de l’Italie, la première requérante accompagnée de sa fille, fut reconduite au centre de rétention.

14. Le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Meaux fut saisi à la fois d’un recours de la première requérante dirigé contre la décision de placement en rétention et d’une demande du préfet de Loir-et-Cher de prolonger la rétention pour vingt-huit jours. Par une ordonnance du 28 novembre 2018, il rejeta le premier et fit droit à la seconde.

15. S’agissant de la contestation de l’arrêté de placement en rétention, le juge des libertés et de la détention releva que l’arrêté du préfet n’était pas motivé exclusivement par des considérations pratiques et organisationnelles, mais reposait également sur le « risque non négligeable de fuite au sens de l’article L. 551-1 II du CESEDA » qu’aurait révélé la déclaration de l’intéressée de ne pas vouloir se conformer à la mesure de transfert. Il nota que l’arrêté était également fondé sur l’impossibilité d’une assignation à résidence de la requérante dès lors qu’elle ne présentait pas « les garanties propres à prévenir le risque qu’elle se soustraie à l’exécution de la décision de transfert ».

16. Le juge des libertés et de la détention considéra « qu’à tous les stades de la procédure, l’administration [avait] pris en compte la situation personnelle de la requérante et mis en place des mesures proportionnées et ce d’autant plus que cette mesure de placement n’[avait] été prise qu’après avoir prévu un vol dès le lendemain du placement en rétention administrative afin d’éviter un maintien prolongé au centre de rétention administrative ». Le juge des libertés et de la détention ajouta « que le risque de fuite [était] ainsi parfaitement caractérisé et [avait] d’ailleurs été conforté par le refus postérieur d’embarquer et les déclarations de la requérante à l’audience ».

17. Il écarta le moyen tiré de la violation de l’article 3 de la Convention du fait du placement en rétention de la première requérante avec sa fille mineure au motif « que le centre [était] habilité à recevoir des familles et [disposait] d’équipements spécifiquement adaptés à cette fin ». Il écarta aussi le moyen tiré de la violation de l’article 3 de la Convention du fait de l’absence de prise en compte de l’état de vulnérabilité de la première requérante au motif que les difficultés d’allaitement n’étaient qu’alléguées à ce stade.

18. Il écarta également le moyen tiré de la violation de l’article 5 § 1 de la Convention au motif que les requérantes « n’[offraient] aucune solution d’hébergement et que le placement en rétention dans des locaux adaptés à l’accueil des familles [apparaissait] comme une mesure de dernier ressort en l’absence d’autre alternative ». Le juge des libertés et de la détention estima que, la première requérante disposant de tous les attributs de l’autorité parentale et seule représentante légale de la seconde requérante, aucune notification ne devait être faite à cette dernière âgée de quatre mois et non dotée de discernement.

19. Il écarta enfin le moyen tiré de la violation de l’article 8 de la Convention au motif que « compte tenu de la durée limitée de la rétention contestée, la décision n’[était] pas de nature à porter une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée et familiale » de la première requérante.

20. Par la même ordonnance, le juge des libertés et de la détention fit droit à la demande de prolongation de la rétention après avoir relevé respectivement « que la mesure d’éloignement n’[avait] pu être mise à exécution dans le délai de 48 heures qui s’[était] écoulé depuis la décision de placement en rétention », « que la rétention n’[excédait] pas le temps strictement nécessaire au départ » de la première requérante, que cette dernière « [avait] elle-même refusé d’embarquer dans le vol prévu le 27 novembre 2018 » et « qu’elle ne [remplissait] pas les conditions d’une assignation à résidence, telles que fixées par l’article L. 522-4 du CESEDA, en ce sens qu’elle n’[avait] pas préalablement remis à un service de police ou à une unité de gendarmerie un passeport en cours de validité, quels que soient les mérites de ses garanties de représentation ». Le juge des libertés et de la détention invita néanmoins l’administration à faire procéder, dans un délai de huit jours, à un examen médical de la première requérante afin de déterminer si son état de santé était compatible avec son maintien en rétention et son éloignement.

21. Par une ordonnance du 1er décembre 2018, le magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel de Paris confirma l’ordonnance du juge des libertés et de la détention du 28 novembre 2018 par les motifs suivants : « La cour observe qu’à ce jour, la rétention de Mme [M.D.], aurait cessé si celle-ci, alors qu’elle était accompagnée de son très jeune enfant, n’avait, en refusant d’embarquer sur l’avion prévu à cet effet, fait délibérément obstruction à l’exécution de l’arrêté par lequel le préfet de Loir-et-Cher a ordonné sa remise aux autorités italiennes ». L’auteur de l’ordonnance releva également « qu’il [était], au regard de l’intérêt de l’enfant, de la responsabilité de l’administration de continuer à poursuivre dans les plus brefs délais, ainsi qu’elle s’y [était] employée jusqu’ici, l’exécution dudit arrêté, afin que la rétention soit particulièrement brève mais qu’il [était] aussi de la responsabilité de Mme [M.D.] de cesser sa résistance injustifiée et illicite à une mesure qu’elle [avait] pu contester par toutes les voies de droit et qu’elle [était] désormais tenue de respecter ».

22. Saisi par la première requérante d’un référé-liberté présenté sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Melun par une ordonnance du 4 décembre 2018, enjoignit au préfet de Loir-et-Cher de transmettre aux autorités italiennes, avant l’exécution de l’arrêté de transfert vers l’Italie, les informations nécessaires relatives à la situation particulière de Mme M.D. et de son enfant, conformément aux obligations du règlement Dublin III, aux fins de s’assurer que ces autorités étaient en mesure d’apporter une assistance suffisante à la requérante. Il ne se prononça pas sur les conclusions dont il était également saisi tendant à ce qu’il soit mis fin à la rétention administrative de l’intéressée.

23. Le 6 décembre 2018, les requérantes introduisirent une demande de mesure provisoire devant la Cour en application de l’article 39 du règlement. Le même jour, la Cour fit droit à cette demande et demanda aux autorités françaises de mettre fin à la rétention administrative des requérantes. Le gouvernement exécuta cette mesure.

24. Il ressort des pièces du dossier que Mme M.D. et son enfant ont ensuite été prises en charge par les services du conseil départemental. La France étant devenue responsable de l’examen de la demande d’asile de la requérante M.D. en l’absence d’exécution de la mesure de transfert avant le 6 janvier 2020, celle-ci déposa une demande d’asile auprès de l’Office de protection des réfugiés et des apatrides et fut provisoirement admise au séjour à ce titre.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE PERTINENTS

I. Le droit et la pratique internes pertinents

A. Droit interne pertinent

25. La rétention administrative des étrangers en vue de leur éloignement est encadrée principalement, par les dispositions du CESEDA (voir l’arrêt A.B. et autres c. France, no 11593/12, §§ 19-28, 12 juillet 2016 pour une présentation du cadre juridique alors applicable). Les lois no 2016‑274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France et no 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie ont notamment modifié le régime juridique de la rétention administrative.

26. L’article L. 551-1 du CESEDA, dans sa version issue des lois du 7 mars 2016 et 10 septembre 2018 et applicable aux faits litigieux, prévoit, à son II, les cas et les conditions dans lesquels une personne faisant l’objet d’une décision de transfert en application du règlement Dublin III peut être placée en rétention administrative par exception à l’article L. 561-2 I 1o bis du CESEDA qui pose le principe de son assignation à résidence :

« II. – Toutefois, dans le cas prévu au 1o bis du I de l’article L. 561-2, l’étranger ne peut être placé en rétention que pour prévenir un risque non négligeable de fuite, sur la base d’une évaluation individuelle prenant en compte l’état de vulnérabilité de l’intéressé, et uniquement dans la mesure où le placement en rétention est proportionné et si les dispositions du même article L. 561-2 ne peuvent être effectivement appliquées. Le risque non négligeable de fuite peut, sauf circonstance particulière, être regardé comme établi dans les cas suivants :
(…)
12o Si l’étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à la procédure de détermination de l’Etat responsable de l’examen de sa demande d’asile ou à la procédure de transfert. »

27. L’article L. 551‑1 III bis du CESEDA, définit, dans cette même version les conditions dans lesquelles un mineur peut exceptionnellement être placé en rétention administrative :

« III bis. – L’étranger mineur de dix-huit ans ne peut faire l’objet d’une décision de placement en rétention. Il ne peut être retenu que s’il accompagne un étranger placé en rétention dans les conditions prévues au présent III bis.

Les I et II du présent article ne sont pas applicables à l’étranger accompagné d’un mineur, sauf :

1o S’il n’a pas respecté l’une des prescriptions d’une précédente mesure d’assignation à résidence ;

2o Si, à l’occasion de la mise en œuvre de la mesure d’éloignement, il a pris la fuite ou opposé un refus ;

3o Si, en considération de l’intérêt du mineur, le placement en rétention de l’étranger dans les quarante-huit heures précédant le départ programmé préserve l’intéressé et le mineur qui l’accompagne des contraintes liées aux nécessités de transfert.

Dans les cas énumérés aux 1o à 3o du présent III bis, la durée du placement en rétention est la plus brève possible, eu égard au temps strictement nécessaire à l’organisation du départ. Dans tous les cas, le placement en rétention d’un étranger accompagné d’un mineur n’est possible que dans un lieu de rétention administrative bénéficiant de chambres isolées et adaptées, spécifiquement destinées à l’accueil des familles.

L’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale pour l’application du présent article. »

28. Les modalités de contestation de la décision de placement en rétention sont définies à l’article L. 512-1 III du CESEDA, dans sa version applicable aux faits litigieux :

« (…) La décision de placement en rétention ne peut être contestée que devant le juge des libertés et de la détention, dans un délai de quarante-huit heures à compter de sa notification, suivant la procédure prévue à la section 1 du chapitre II du titre V du présent livre et dans une audience commune aux deux procédures, sur lesquelles le juge statue par ordonnance unique lorsqu’il est également saisi aux fins de prolongation de la rétention en application de l’article L. 552-1. (…) »

29. Les modalités de la prolongation de la rétention administrative sont définies par les articles suivants du CESEDA, dans sa version applicable aux faits litigieux :

Article L. 552-1

« Quand un délai de quarante-huit heures s’est écoulé depuis la décision de placement en rétention, le juge des libertés et de la détention est saisi aux fins de prolongation de la rétention. Le juge statue dans les vingt-quatre heures de sa saisine par ordonnance au siège du tribunal de grande instance dans le ressort duquel se situe le lieu de placement en rétention de l’étranger, sauf exception prévue par voie réglementaire, après audition du représentant de l’administration, si celui-ci, dûment convoqué, est présent, et de l’intéressé ou de son conseil, s’il en a un. L’étranger peut demander au juge des libertés et de la détention qu’il lui soit désigné un conseil d’office. Si une salle d’audience attribuée au ministère de la justice lui permettant de statuer publiquement a été spécialement aménagée à proximité immédiate de ce lieu de rétention, le juge statue dans cette salle. »

Article L. 552-4

« Le juge peut ordonner l’assignation à résidence de l’étranger lorsque celui-ci dispose de garanties de représentation effectives, après remise à un service de police ou à une unité de gendarmerie de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité, en échange d’un récépissé valant justification de l’identité et sur lequel est portée la mention de la mesure d’éloignement en instance d’exécution. L’assignation à résidence concernant un étranger qui s’est préalablement soustrait à l’exécution d’une obligation de quitter le territoire français en vigueur, d’une interdiction de retour sur le territoire français en vigueur, d’une interdiction de circulation sur le territoire français en vigueur, d’une interdiction administrative du territoire en vigueur, d’une mesure de reconduite à la frontière en vigueur, d’une interdiction du territoire dont il n’a pas été relevé, ou d’une mesure d’expulsion en vigueur doit faire l’objet d’une motivation spéciale. »

Article L. 522-9

« Les ordonnances mentionnées aux sections 1 et 2 du présent chapitre sont susceptibles d’appel devant le premier président de la cour d’appel ou son délégué, qui est saisi sans forme et doit statuer dans les quarante-huit heures de sa saisine ; l’appel peut être formé par l’intéressé, le ministère public et l’autorité administrative.

Le premier président de la cour d’appel ou son délégué peut, par ordonnance motivée et sans avoir préalablement convoqué les parties, rejeter les déclarations d’appel manifestement irrecevables. »

Article L. 554-1

« Un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L’administration doit exercer toute diligence à cet effet.

L’étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention au titre du 1o bis du I de l’article L. 561-2 que pour le temps strictement nécessaire à la détermination de l’État responsable de l’examen de sa demande d’asile et, le cas échéant, à l’exécution d’une décision de transfert. Lorsqu’un État requis a refusé de prendre en charge ou de reprendre en charge l’étranger, il est immédiatement mis fin à la rétention de ce dernier, sauf si une demande de réexamen est adressée à cet État dans les plus brefs délais ou si un autre État peut être requis. En cas d’accord d’un État requis, la décision de transfert est notifiée à l’étranger dans les plus brefs délais. »

30. L’article R. 553‑3 du CESEDA, relatif aux conditions d’accueil dans les centres de rétention administrative prévoit, dans sa version applicable aux faits litigieux, que « (…) Les centres de rétention administrative susceptibles d’accueillir des familles disposent en outre de chambres spécialement équipées, et notamment de matériels de puériculture adaptés » ainsi que de « lieux d’hébergement séparés, spécialement équipés ».

31. L’arrêté du 30 mars 2011 pris en application de l’article R. 553-1 du CESEDA, indique que le centre de rétention no 2 du Mesnil-Amelot, placé sous surveillance de la police nationale, est autorisé à accueillir des familles.

B. Avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme sur la rétention des mineurs

32. Dans son avis relatif à la proposition de loi visant à encadrer strictement la rétention des familles avec mineurs du 24 septembre 2020[1], la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) recommande, au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, d’interdire purement et simplement la rétention des mineurs, et de privilégier des alternatives.

C. Conditions d’accueil au centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot no 2

1. Rapport de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté

33. Les conclusions du rapport de la visite effectuée au centre de rétention administrative no 2 du Mesnil-Amelot du 5 au 8 mars 2018 par la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL)[2] sont synthétisées comme suit :

« (…) la capacité théorique au moment de la visite était la suivante :

– pour le CRA 2, 120 places : 80 pour les hommes, 24 pour les familles et 16 pour les femmes ; (…).

Les conditions matérielles d’hébergement, minimalistes, sont inchangées et sont notamment totalement inadaptées à l’accueil des enfants alors même que le nombre d’enfants admis avec leurs parents a considérablement augmenté en 2017 (127 en 2017, 32 en 2016). Le nettoyage et la maintenance restent largement insuffisants. Le mobilier des chambres est très dégradé tout comme les sanitaires communs des différents bâtiments qui ne sont toujours pas munis de dispositif de fermeture. Les locaux d’hébergement sont très sales malgré un nettoyage quotidien manifestement insuffisant.

Le service médical connaît de sérieux problèmes de ressources humaines qui impactent la prise en charge des personnes retenues. De plus, comme constaté en 2011 et en 2014, le respect du secret médical n’est pas garanti : les infirmières exigent pour envisager de recevoir (porte ouverte) un retenu dans le local infirmier la présence d’au moins un policier dans la salle d’attente contiguë.

Enfin, l’inactivité pèse sur la vie quotidienne des personnes retenues ce qui est d’autant plus regrettable que des locaux disponibles permettraient d’organiser diverses activités. »

34. Concernant plus spécifiquement la rétention des enfants, les contrôleurs constatent, ainsi qu’il était déjà souligné dans l’avis du 9 mai 2018 relatif à l’enfermement des enfants en centres de rétention administrative, que, dans la majorité des cas, le placement en rétention des enfants mineurs avec leurs parents constitue une pratique destinée à faciliter la mise en œuvre de la mesure d’éloignement.

35. Il est précisé que les locaux des bâtiments dédiés aux femmes et aux familles, locaux conçus sur le même modèle que les autres bâtiments de vie, présentent un état de moindre vétusté et de saleté et disposent d’un réfectoire propre. La CGLPL constate que les cuvettes des toilettes n’ont pas de lunettes et sont maculées de tartre. Au moment de la visite, une chambre de la zone de vie dédiée aux familles était condamnée en raison d’un problème de chauffage.

36. L’offre de produits alimentaires pour jeunes enfants apparait suffisante au contraire de l’offre de loisirs pour enfants qui semble presque inexistante. Les équipements disponibles spécifiquement prévus pour les bébés sont des lits parapluie, accompagnés de linge de lit pour adultes, ainsi qu’une baignoire pour bébé. Aucun matériel de change n’est prévu. Quant à l’accès aux soins, il a été indiqué aux contrôleurs que, sauf refus catégorique, les familles retenues sont systématiquement orientées vers l’unité sanitaire. Dans son précédent rapport de visite de ce même centre, la CGLPL avait préconisé que lors de l’arrivée d’une famille avec enfants, le personnel infirmier reçoive systématiquement ces enfants à l’issue de la procédure d’admission afin de s’assurer que leur état de santé n’est pas incompatible avec un placement en rétention.

37. La CGLPL recommande que le placement en rétention des enfants soit proscrit car, même de courte durée, il porte atteinte à leurs droits fondamentaux. Elle formule aussi les recommandations suivantes : proposer une offre de jeux adaptée aux enfants dans leurs locaux de vie réservés, mettre à disposition des familles ayant de jeunes enfants des kits de matériel de couchage adaptés aux lits parapluies pour enfants et du matériel pour le change, améliorer les conditions matérielles de remise en liberté de famille avec enfants.

2. Rapport des ONG

38. Dans leur rapport commun couvrant l’année 2018 sur les centres et locaux de rétention administrative, ASSFAM – groupe SOS Solidarités, Forum réfugiés-Cosi, France terre d’asile, La Cimade, Ordre de Malte France et Solidarité Mayotte[3] indiquaient que quarante-deux familles ont été placées au centre de rétention du Mesnil-Amelot, dont soixante-sept enfants, âgés entre un mois et dix-sept ans.

39. Dans ce rapport, les organisations déploraient la dégradation des conditions de rétention dans ce centre (entraves à l’accès aux soins, état de saleté avancé, qualité médiocre de l’alimentation, difficultés d’exercice des droits et de communication avec l’extérieur). Elles faisaient aussi état de l’augmentation de tensions (« violences interpersonnelles, automutilations et autres actes de désespoir ») et estimaient que les placements en rétention des familles avec enfants pourraient être évités. Ces organisations dénonçaient les conditions d’interpellations de ces familles (« interpellation surprise », longue durée des transferts dans un fourgon de police, absence d’alimentation avant l’arrivée au centre).

40. Dans leur rapport de 2017, elles faisaient état de ce que les familles étaient interpellées, soit à l’aube à leur domicile, soit au plus tard lors d’une convocation en préfecture, et transférées en fin de journée au centre de rétention, en vue d’y passer la nuit avant d’être présentées à l’embarquement pour un vol le lendemain matin. Elles soulignaient aussi que le traumatisme que cause l’enfermement, même pour une courte durée, du fait d’une coupure avec le milieu habituel, des conditions de privation de liberté médiocres et inadaptées, d’une confrontation à la violence imposée par l’administration aux parents et d’un environnement anxiogène.

II. Droit et pratique internationaux

41. Les éléments du droit et de la pratique internationaux relatifs à la rétention des mineurs sont rappelés dans les arrêts A.B. et autres c. France, précité, §§ 60-88, et G.B. et autres c. Turquie, no 4633/15, §§ 67-81, 17 octobre 2019.

A. Conseil de l’Europe, rapport de visite du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants

42. D’après le rapport au gouvernement français relatif à la visite effectuée en France par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du 23 au 30 novembre 2018 (CPT/Inf (2020) 11)[4], le nombre de mineurs accompagnant des personnes majeures placées en rétention a diminué en 2018 (197 mineurs, pour une durée moyenne de rétention de 40 heures) par rapport à 2017 (303 mineurs, pour une durée moyenne de 31 heures). Toutefois, en 2018, 12 mineurs ont passé plus de 5 jours en rétention et 1 plus de 12 jours.

43. Concernant les conditions matérielles dans le centre de rétention no 2 du Mesnil-Amelot, ce rapport précise que l’unité réservée aux familles, située dans le secteur des femmes, dispose de matériel de puériculture (« table à langer, lit et baignoire pour bébé, etc. ») et que des produits d’hygiène adaptés et du lait infantile sont disponibles. La cour jouxtant l’unité de vie est équipée de quelques jeux en plein air. Le rapport indique que le jour de la visite du CPT, cette unité héberge un couple sans enfant ainsi qu’une mère et son bébé, arrivés la veille et dont le retour est programmé le lendemain. Le CPT constate que, dans l’unité de vie pour femmes, il fait froid dans les pièces communes alors que les chambres semblent surchauffées.

44. Dans son rapport, le CPT encourage les autorités françaises à poursuivre leurs efforts visant à éviter le placement en rétention administrative des mineurs ainsi que la séparation des familles, en privilégiant les mesures alternatives à la rétention.

B. Conseil de l’Europe, Comité des ministres

45. À la date de l’adoption du présent arrêt, la procédure d’exécution de l’arrêt Popov c. France, nos 39472/07 et 39474/07, 19 janvier 2012, est pendante devant le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe.

C. Nations unies

46. Dans le rapport de 2017 sur les principes et directives pratiques sur la protection des droits de l’homme des migrants en situation de vulnérabilité (A/HRC/34/31)[5], le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme préconise l’adoption du principe tenant à ne jamais priver des enfants de liberté en raison de leur statut migratoire ou de celui de leurs parents.

47. Dans son rapport du 5 mars 2018, le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (A/HRC/28/68)[6], conclut que la privation de liberté des enfants fondée sur le statut migratoire de leurs parents n’est jamais dans l’intérêt supérieur de l’enfant, ne répond pas à une nécessité et peut constituer un traitement cruel, inhumain ou dégradant des enfants migrants. Il partage l’avis de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, selon lequel, lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant exige de garder la famille réunie, l’obligation de ne pas priver l’enfant de liberté s’étend à ses parents et implique que les autorités choisissent des mesures de substitution à la détention pour toute la famille.

III. Droit et pratique de l’Union européenne

48. Le règlement Dublin III est présenté dans l’arrêt Tarakhe c. Suisse [GC], no 29217/12, §§ 29-36, CEDH 2014 (extraits).

49. L’article 11 de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) autorise le placement en rétention administrative des mineurs sous certaines conditions :

« 1. L’état de santé, y compris l’état de santé mentale, des demandeurs placés en rétention qui sont des personnes vulnérables est pour les autorités nationales une préoccupation primordiale.

Lorsque des personnes vulnérables sont placées en rétention, les États membres veillent à assurer un suivi régulier de ces personnes et à leur apporter un soutien adéquat, compte tenu de leur situation particulière, y compris leur état de santé.

2. Les mineurs ne peuvent être placés en rétention qu’à titre de mesure de dernier ressort et après qu’il a été établi que d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être appliquées efficacement. Ce placement en rétention doit être d’une durée la plus brève possible et tout doit être mis en œuvre pour libérer les mineurs placés en rétention et les placer dans des lieux d’hébergement appropriés pour mineurs.

L’intérêt supérieur du mineur, comme l’exige l’article 23, paragraphe 2, est une considération primordiale pour les États membres.

Lorsque des mineurs sont placés en rétention, ils ont la possibilité de pratiquer des activités de loisirs, y compris des jeux et des activités récréatives adaptés à leur âge.

(…)

4. Les familles placées en rétention disposent d’un lieu d’hébergement séparé qui leur garantit une intimité suffisante. »

50. Dans sa résolution du 3 mai 2018, sur la protection des enfants migrants (no 2018/2666(RSP))[7], le Parlement européen rappelle que les enfants ont droit au respect de tous les droits consacrés par la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) et invite les États à appliquer le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant dans toutes les décisions concernant les enfants, quel que soit leur statut. Cette résolution indique aussi que :

« les enfants ne peuvent être placés en rétention dans le cadre des procédures d’immigration et invite les États membres à héberger tous les enfants et les familles avec enfants dans des logements implantés dans des structures de proximité, où ils ne sont pas privés de liberté, pendant l’examen de leur statut d’immigration. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

51. Les requérantes soutiennent que leur placement en rétention administrative constitue un traitement inhumain et dégradant. Elles invoquent l’article 3 de la Convention aux termes duquel :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

D. Sur la recevabilité

52. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

E. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Les requérantes

53. Les requérantes font valoir que la rétention de l’enfant a porté atteinte à son intégrité physique et psychique en raison de ses difficultés d’alimentation, du caractère inadapté du centre pour un enfant en bas-âge, de l’environnement sonore peu supportable du fait des annonces par haut-parleur et de la proximité avec l’aéroport. Elles affirment en outre que le dysfonctionnement du chauffage au sol au mois de novembre a été particulièrement problématique. Les requérantes font valoir en particulier qu’elles n’ont pas bénéficié d’un espace leur garantissant une intimité adéquate, ni d’un personnel et d’installations adaptés aux besoins de l’enfant. Cette dernière aurait également été exposée au risque d’assister à des scènes violentes.

54. Il est soutenu que la mère a souffert psychiquement et physiquement de la rétention comme en témoignent ses difficultés à allaiter. Par ailleurs, ne parlant pas le français, elle s’est retrouvée isolée et sans soutien alors même qu’elle avait toujours respecté les mesures d’assignation à résidence prises à son encontre. L’imminence de son éloignement lors de son placement en rétention et les modalités de celui-ci ne lui ont pas été expliquées dans une langue qu’elle comprend. Sa détresse est à l’origine de son refus d’embarquer.

55. Les requérantes soulignent enfin qu’aucune nouvelle date de départ ne leur a été communiquée pendant les onze jours de leur rétention qui n’a pris fin qu’avec l’intervention de la mesure provisoire prononcée par la Cour.

b) Le Gouvernement

56. S’agissant de l’enfant, le Gouvernement tient à rappeler que, dans des affaires similaires (Popov c. France, nos 39472/07 et 39474/07, 19 janvier 2012, et A.B. et autres c. France, précité), la Cour n’a pas jugé que la présence d’un enfant mineur dans un lieu de privation de liberté constituait par elle-même une atteinte à l’article 3 de la Convention. Concernant la durée de la rétention, le Gouvernement fait valoir qu’en faisant obstruction à l’exécution de la mesure de transfert, la première requérante s’est rendue responsable de son placement en rétention avec son enfant et de la prolongation de ce placement. Il ajoute que le préfet a pris toutes les diligences afin de limiter la durée de la rétention autant que possible.

57. Concernant les conditions de rétention, le Gouvernement précise que le centre de rétention no 2 du Mesnil-Amelot, habilité pour l’accueil des familles, possède une unité de vie dédiée aux familles avec des équipements spécifiques et distribution de produits de puériculture. Cette unité de vie, séparée de la zone dédiée aux hommes par un brise-vue installé deux jours après l’arrivée de la requérante, permet de circuler dans tout le centre. Ce centre bénéficie d’un système de portes anti-pince-doigts, d’un chauffage fonctionnel, d’un ménage quotidien, du respect des normes d’isolation sonores et de la présence de la CIMADE. Le Gouvernement indique que la première requérante n’a jamais demandé à voir un médecin alors qu’elle allègue des difficultés d’allaitement.

58. S’agissant de Mme M.D., le Gouvernement soutient que les conditions de la rétention n’atteignent pas le seuil requis pour qu’une violation de l’article 3 soit caractérisée.

2. Tiers intervenants

59. Le Défenseur des droits est favorable à une condamnation de principe de la rétention administrative des enfants mineurs au regard des dispositions de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) telles qu’interprétées par le Comité des droits de l’enfant. Il fait valoir que l’article L. 551-1 III du CESEDA tend plus à légaliser la pratique de la rétention des mineurs qu’à la prohiber et souligne l’augmentation du nombre d’enfants placés en rétention. Il relève que ces placements sont essentiellement fondés sur des considérations administratives, pour faciliter l’exécution de la mesure d’éloignement, sans que l’intérêt supérieur de l’enfant ne soit suffisamment pris en compte.

60. Il rappelle, à l’instar de sa décision no 2018-045 du 8 février 2018, les effets néfastes de la rétention des enfants sur leur santé et sur leur développement, même lorsqu’ils sont détenus pour une courte durée ou avec leur famille.

61. La CIMADE décrit le centre de rétention du Mesnil-Amelot comme un lieu, situé en bout de piste de l’aéroport Paris-Charles de Gaulle, très exposé au bruit et souffrant de saleté chronique. Elle ajoute que la zone dédiée aux familles ne dispose pas de services propres, est dotée de peu d’équipements pour les enfants et présente un problème de chauffage.

62. Le GISTI et l’ADDE qualifient de désastreuses les conditions matérielles de rétention dans ce centre, notamment en matière d’hygiène. Ils observent l’absence de pédiatre et de formation du personnel du centre à l’accompagnement des enfants.

3. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

63. Le placement d’enfants mineurs en rétention administrative soulève des questions spécifiques dans la mesure où, qu’ils soient ou non accompagnés, ils sont particulièrement vulnérables et appellent une prise en charge spécifique compte tenu de leur âge et de leur absence d’autonomie (Popov, précité, § 91). S’agissant du placement en rétention administrative de mineurs accompagnés, la Cour apprécie l’existence d’une violation de l’article 3 de la Convention en mobilisant les trois facteurs suivants : l’âge des enfants mineurs, le caractère adapté ou non des locaux au regard de leurs besoins spécifiques et la durée de leur rétention (voir notamment sur ce point, R.M. et autres c. France, no 33201/11, § 70, 12 juillet 2016, S.F. et autres c. Bulgarie, no 8138/16, §§ 78-83, 7 décembre 2017).

b) Application de ces principes au cas d’espèce

64. À titre préliminaire, la Cour souligne que le principe du transfert de la première requérante en Italie au titre du règlement Dublin III n’est pas en cause dans la présente affaire et qu’elle examinera seulement les modalités de sa mise en œuvre au cas d’espèce.

65. La Cour constate qu’en l’espèce, la requérante mineure était accompagnée de sa mère durant la période de rétention. Elle rappelle toutefois comme dans l’affaire A.B. et autres c. France, précitée, § 110, que cette circonstance n’est pas de nature à exonérer les autorités de leur obligation de protéger l’enfant mineur et de prendre des mesures adéquates au titre des obligations positives découlant de l’article 3 de la Convention. À ce titre, il convient de garder à l’esprit que la situation de particulière vulnérabilité de l’enfant mineur est déterminante et prévaut sur la qualité d’étranger en séjour irrégulier de son parent.

66. S’agissant du critère relatif à l’âge de l’enfant, la Cour relève qu’il s’agissait d’un nourrisson âgé de quatre mois, à la date de la rétention administrative. Même si l’âge constitue l’un seulement des trois critères qu’il convient de combiner ensemble, elle rappelle que, dans l’arrêt A.M. et autres c. France, no 24587/12, 12 juillet 2016, elle est parvenue à un constat de violation de l’article 3 s’agissant de mineurs âgés respectivement de deux ans et demi et quatre mois. Il en est allé de même, dans l’arrêt R.M. et autres c. France, précité, s’agissant d’un enfant de sept mois.

67. S’agissant du critère relatif aux conditions matérielles d’accueil, la Cour constate que le centre no 2 du Mesnil-Amelot est au nombre de ceux qui sont habilités à recevoir des familles (voir paragraphe 31). S’il n’est pas directement attenant aux pistes de l’aéroport comme dans l’affaire R.M. et autres c. France, précitée, § 74, ce centre est situé à proximité des pistes de décollage de l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle (voir paragraphe 61), exposant ainsi les personnes qui y sont retenues à de sérieuses nuisances sonores qu’aggravent encore les annonces du centre diffusées par haut-parleur (voir paragraphes 53 et 61). Si la cour extérieure grillagée de la zone de vie dédiée aux familles a ensuite été protégée par un brise-vue, elle était, au jour d’arrivée des requérantes, uniquement séparée par un simple grillage de la zone réservée aux hommes (voir paragraphe 57). En outre, si des équipements pour enfants et bébés y sont disponibles, il ressort des constats du CGLPL qu’ils sont sommaires et largement inadaptés aux besoins spécifiques d’un nourrisson (voir paragraphe 36).

68. Bien que les parties ne s’accordent ni sur l’ampleur du dysfonctionnement du système de chauffage ni sur les problèmes d’allaitement invoqués par la première requérante, la Cour est d’avis que les conditions d’accueil du centre de rétention telles que décrites au paragraphe précédent ne sont pas suffisamment adaptées à la rétention d’un nourrisson et de sa mère, et en déduit qu’elles sont de nature à avoir entraîné un effet particulièrement néfaste sur la seconde requérante.

69. Il reste à appliquer le critère relatif à la durée de la rétention. Ainsi qu’elle l’a rappelé notamment dans l’arrêt R.M. et autres c. France, précité, la Cour considère en effet que les conditions matérielles d’accueil réservées à un enfant mineur placé, ne suffisent pas, dans le cas d’une rétention de brève durée, à ce que soit regardé comme nécessairement atteint le seuil de gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3 même lorsqu’il apparaît qu’elles sont sources importantes de stress et d’angoisse. Elle réaffirme, en revanche, qu’au-delà d’une brève période de rétention, la répétition et l’accumulation des effets engendrés, en particulier sur le plan psychique et émotionnel, par une privation de liberté entraînent nécessairement des conséquences néfastes sur un enfant en bas âge, dépassant alors le seuil de gravité précité. Il s’ensuit que l’écoulement du temps revêt à cet égard une importance primordiale. La durée de la rétention constitue un élément encore plus déterminant lorsque l’enfant mineur est placé, comme en l’espèce, dans un centre inadapté à sa présence.

70. La Cour relève que même si, ainsi que le fait valoir le Gouvernement, les autorités nationales ont, dans un premier temps, mis en œuvre toutes les diligences requises pour exécuter au plus vite la mesure de transfert et limiter ainsi la durée de la rétention autant que possible, le droit absolu protégé par l’article 3 interdit qu’un mineur accompagné soit maintenu en rétention dans les conditions précitées pendant une période dont la durée excessive a contribué au franchissement du seuil de gravité prohibé. La Cour souligne que le comportement du parent, à savoir, dans la présente affaire, le refus de la première requérante d’embarquer, n’est pas déterminant quant à la question de savoir si le seuil de gravité prohibé est franchi à l’égard de l’enfant mineur. Au cas d’espèce, la Cour estime que la rétention d’un nourrisson de quatre mois dans les conditions existantes, à la date des faits litigieux, dans le centre no 2 du Mesnil-Amelot qui s’est prolongée pendant onze jours et n’a pris fin qu’à la suite de la mesure provisoire prononcée par la Cour sur le fondement de l’article 39 de son règlement est excessive au regard des exigences qui découlent de l’article 3 (voir R.M. et autres c. France, précité s’agissant d’un constat de violation de l’article 3 pour une durée de rétention de sept jours seulement).

71. Compte tenu du très jeune âge de la seconde requérante, des conditions d’accueil dans le centre de rétention no 2 du Mesnil-Amelot et de la durée du placement en rétention, la Cour estime que les autorités compétentes l’ont soumise, à un traitement qui a dépassé le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention. Eu égard aux liens inséparables qui unissent une mère et son bébé de quatre mois, aux interactions qui résultent de l’allaitement ainsi qu’aux émotions qu’ils partagent, la Cour estime qu’il en va de même, dans les circonstances particulières de l’espèce, s’agissant de la première requérante. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à leur égard.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

72. Les requérantes soutiennent que le placement en rétention de l’enfant mineur est contraire à l’article 5 § 1 de la Convention, aux termes duquel :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(…)

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »

A. Sur la recevabilité

73. En premier lieu, la Cour relève que la première requérante et son enfant ont été placées en rétention administrative dans la perspective de leur transfert vers l’Italie et qu’une telle mesure constitue une privation de liberté relevant de l’article 5 § 1 f) (voir pour une affaire concernant un transfert en application du règlement dit Dublin, Muskhadzhiyeva et autres c. Belgique, no 41442/07, 19 janvier 2010).

74. Constatant, en second lieu, que le grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Les requérantes

75. Les requérantes soutiennent que l’article L. 551-1 du CESEDA qui n’impose pas de rechercher si des mesures moins restrictives sont envisageables avant de placer en rétention une personne accompagnée d’un mineur méconnait l’article 5 de la Convention telle qu’interprété par la Cour. En outre, selon les requérantes, cet article, en permettant le placement en rétention d’un étranger accompagné d’un mineur pour éviter les contraintes d’un transfert (L. 551-1 III bis 3o), méconnait aussi le droit de l’Union européenne qui ne prévoit le placement en rétention qu’en cas de d’un risque de fuite ou d’obstruction à la mesure.

76. Elles font également valoir que l’arrêté portant placement en rétention du 26 novembre 2018 n’indique, ni la base légale, ni la justification factuelle de leur placement en rétention. Elles rappellent que la première requérante avait une adresse fixe et s’était toujours présentée au commissariat dans le cadre des mesures d’assignation à résidence.

77. Elles soutiennent que la déclaration de la première requérante selon laquelle elle refuserait de se rendre en Italie, a été suscitée par les autorités françaises lors de son rendez-vous au commissariat, par l’intermédiaire d’un interprète par téléphone, hors de la présence d’un avocat et sans aucune information des conséquences d’une telle déclaration. Elles affirment, que contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement, leur placement en rétention n’est pas consécutif à cette déclaration, la décision ayant déjà été prise avant qu’elles se présentent au commissariat de police dans le cadre du contrôle de la mesure d’assignation à résidence. Selon elles, le placement en rétention est en réalité fondé sur le fait que leur transfert vers l’Italie était prévu le lendemain. La première requérante n’a pas été informée de ce vol, ni avant sa présentation au commissariat, ni avant son audition, ni même lors de la notification du placement en rétention.

78. Par ailleurs, les requérantes font valoir que ni l’arrêté de placement en rétention ni la décision autorisant sa prolongation ne tiennent aucun compte de la présence de l’enfant mineur dans ses motifs. Elles en déduisent que leur situation concrète, notamment l’âge de l’enfant mineur, n’a pas été pris en compte dans cette décision.

79. Elles considèrent que, eu égard à la vulnérabilité de la première requérante et de son enfant mineur, les autorités françaises auraient pu décider d’accepter d’examiner leur demande de protection internationale ce qui aurait permis d’éviter le placement en rétention (article 17 § 1 du règlement no 604/13). Elles invoquent en outre la dégradation des conditions matérielles d’accueil réservées aux demandeurs d’asile en Italie en se référant à l’arrêt Tarakhel , précité, §§ 97 et suivants, et au décret-loi no 113/2018 relatif à la protection internationale, à l’immigration et à la sécurité publique du 13 octobre 2018.

80. Les requérantes font enfin valoir que les autorités nationales n’ont pas recherché s’il existait des solutions moins restrictives que leur placement en rétention. Elles leur reprochent de ne pas avoir vérifié si la poursuite de leur assignation à résidence était envisageable avant de décider du placement en rétention administrative.

b) Le Gouvernement

81. Le Gouvernement souligne que, conformément à la jurisprudence de la Cour, les autorités internes ont eu recours à la mesure de placement en rétention administrative, la veille du transfert, puis ont décidé de prolonger la période de rétention après avoir vérifié concrètement qu’aucune autre mesure moins attentatoire à la liberté, telle que l’assignation à résidence ne pouvait être envisagée afin de permettre la mise en œuvre du transfert.

2. Tiers intervenants

82. Le Défenseur des droits estime que, au regard de la CIDE, l’article 5 de la Convention ne devrait plus être interprété de manière à permettre le placement en rétention administrative des enfants mineurs, accompagnés ou non, d’autant plus qu’il existe des mesures alternatives telle l’assignation à résidence.

83. La CIMADE fait état de cas de placement en rétention de familles ayant toujours respecté leur assignation à résidence. Elle observe aussi que les décisions de placement en rétention ne mentionnent pas toujours l’existence de l’enfant mineur.

84. Le GISTI et l’ADDE observent que l’article L. 551-1 du CESEDA n’exige pas de rechercher si une solution alternative moins restrictive est envisageable avant de décider le placement en rétention d’une personne accompagnée d’un enfant mineur.

3. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

85. Pour être conforme à l’article 5 § 1, toute privation de liberté doit avoir respecté « les voies légales » et été « régulière ». La Cour se réfère aux principes applicables en la matière tels que développés dans l’arrêt A.B. et autres c. France, précité, §§ 119-123. Elle rappelle qu’en principe, pour qu’une mesure de rétention soit compatible avec l’article 5 § 1 f), il suffit qu’une procédure d’éloignement soit en cours et que cette mesure soit prise aux fins de son exécution. Il n’y a donc pas lieu de rechercher si la décision initiale d’éloignement se justifiait ou non au regard de la législation interne ou de la Convention ou si la rétention pouvait être considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour empêcher un risque de fuite. La Cour rappelle toutefois que, par exception, elle considère, quand un enfant mineur est en cause, que la mesure litigieuse doit être nécessaire pour atteindre le but poursuivi, à savoir pour assurer l’éloignement de la famille. Dans l’affaire Popov, elle a ainsi conclu à la violation de l’article 5 § 1 après avoir notamment constaté que les autorités n’avaient pas recherché si le placement en rétention administrative était une mesure de dernier ressort à laquelle aucune alternative ne pouvait se substituer (précitée, § 119).

86. Le placement puis le maintien en rétention d’un enfant mineur accompagnant ses parents ne sont donc conformes aux exigences de l’article 5 § 1 f) qu’à la condition que les autorités internes établissent qu’elles ont recouru à ces mesures en dernier ressort, seulement après avoir recherché effectivement qu’aucune autre moins attentatoire à la liberté ne pouvait être mise en œuvre (voir, par exemple, A.M. et autres c. France, précité, § 67).

b) Application de ces principes au cas d’espèce

87. En premier lieu et d’un point de vue général, la Cour constate que depuis l’affaire A.B et autres c. France, précitée, la législation française a connu d’importantes modifications (voir paragraphes 25 et 27). Elle relève avec satisfaction que désormais le droit français définit, de manière limitative, les cas dans lesquels une personne accompagnée d’enfants mineurs peut faire l’objet d’une décision de placement en rétention administrative ainsi que les conditions dans lesquelles peut être décidée la prolongation de la période de rétention. Il prévoit ainsi, dans le respect des exigences de l’article 5 § 1 telles qu’elles découlent de la jurisprudence de la Cour, que la rétention administrative d’un enfant mineur ne peut être décidée qu’en dernier ressort et pour une durée aussi brève que possible.

88. En second lieu, s’agissant du cas de l’espèce, la Cour relève qu’il ressort de l’arrêté de placement en rétention de la première requérante, pris la veille d’un vol prévu pour l’Italie aux fins de réaliser son transfert, que l’autorité préfectorale a recherché, si, compte tenu de la présence d’un enfant mineur, une mesure moins restrictive que le placement en rétention était possible. Elle a estimé qu’il n’était plus envisageable de recourir aux mesures d’assignation à résidence qui avaient été mises en œuvre dans un premier temps, compte tenu du risque de fuite que, selon elle, révélait la déclaration de la première requérante de refuser d’exécuter la procédure de transfert. La Cour observe qu’il ressort de l’ordonnance du 28 novembre 2018 que le juge des libertés et de la détention s’est livré aux mêmes vérifications et appréciations avant d’ordonner la prolongation de la période de rétention pour une durée de 28 jours.

89. S’il ne lui appartient pas en principe, dans le cadre du contrôle du respect de l’article 5 § 1, de substituer son appréciation à celle des autorités nationales, ainsi qu’il ressort de sa jurisprudence (voir paragraphe 86 ci-dessus), la Cour doit vérifier, dès lors qu’un enfant mineur est ici en cause, si la mesure litigieuse était nécessaire pour atteindre le but qu’elle poursuit. Au cas d’espèce, elle estime disposer d’éléments suffisants, lesquels ont conduit, compte tenu des conditions de rétention, au constat d’une violation de l’article 3 de la Convention (voir ci-dessus), pour établir que les autorités internes n’ont pas effectivement vérifié, dans le cadre de la mise en œuvre du régime juridique désormais applicable en France, que le placement initial en rétention administrative de la première requérante accompagnée de son enfant mineur puis sa prolongation constituaient des mesures de dernier ressort auxquelles aucune autre moins restrictive ne pouvait être substituée. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention à l’égard de la seconde requérante.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

90. Les requérantes soutiennent que la seconde requérante n’a pas bénéficié d’un recours effectif pour contester la légalité de son placement et de son maintien en rétention administrative. Elles invoquent la méconnaissance de l’article 5 § 4 de la Convention, aux termes duquel :

« 4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A. Sur la recevabilité

91. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Les requérantes

92. Les requérantes soutiennent qu’en dépit de l’intervention de la loi du 7 mars 2016, les mineurs placés en rétention administrative ne font l’objet d’aucune décision personnelle et motivée susceptible d’être contestée devant un tribunal et qu’ils ne disposent toujours pas d’un recours individuel qui leur permette de faire examiner par un juge la légalité de leur privation de liberté.

93. Elles font en outre valoir que les deux décisions juridictionnelles relatives au placement en rétention administrative et à la prolongation de sa durée ne prennent en compte la présence de l’enfant mineur que de manière marginale. Elles relèvent que les juges internes ont contrôlé leur placement en rétention au seul vu de la déclaration de la première requérante, effectuée en l’absence de tout conseil juridique dont il a été déduit qu’était caractérisée, dans les circonstances de l’espèce, l’existence d’un risque de fuite. Selon elles, les juges internes n’ont effectivement tenu compte ni de l’âge de l’enfant ni des conditions matérielles de rétention. Le très jeune âge de la seconde requérante n’est ainsi relevé par le juge de première instance que pour justifier l’absence de notification d’une décision lorsqu’il se prononce à l’égard de l’article 5 § 1 de la Convention. En outre, lorsqu’il se prononce à l’égard de l’article 3 de la Convention, ce même juge a recours à une motivation stéréotypée que révèlent l’usage du masculin pour désigner la première requérante et celui du pluriel pour désigner la seconde.

94. Les requérantes reprochent également au juge de première instance d’avoir écarté comme tardif le moyen tiré des difficultés d’allaitement en dépit des contraintes de la préparation du recours. Elles soutiennent enfin que le juge d’appel a validé la décision de première instance sans motivation particulière quant à l’enfant.

b) Le Gouvernement

95. Le Gouvernement rappelle tout d’abord que, depuis la loi no 2016‑274 du 7 mars 2016, les cas dans lesquels un étranger accompagné d’enfants mineurs peut faire l’objet d’un placement en rétention ont été précisés et que le juge judiciaire contrôle désormais la légalité des mesures de placement en rétention et doit prendre en considération la présence d’enfants mineurs avant d’en ordonner la prolongation. Il soutient qu’à l’instar des affaires A.M. et autres c. France, précitée et R.C. et V.C. c. France, no 76491/14, 12 juillet 2016, les juges judiciaires ont pris en compte la présence de l’enfant et ont examiné les griefs relatifs aux articles 3 et 5 § 1 de la Convention, lui permettant ainsi de bénéficier d’un recours au sens de l’article 5 § 4. Il précise que les juges internes ont recherché de façon effective si le placement en rétention administrative des requérantes constituait une mesure de dernier ressort à laquelle aucune autre, moins restrictive, ne pouvait se substituer.

2. Tiers intervenants

96. La Cour renvoie au résumé des observations du Défenseur des droits au paragraphe 59 ci-dessus. La CIMADE relève que la législation française ne prévoit pas que le mineur accompagnant fasse l’objet d’une décision personnelle de placement en rétention qu’il pourrait contester devant une juridiction. Le GISTI et l’ADDE font valoir qu’en pratique, lorsque le juge se prononce sur la régularité et la prolongation du placement en rétention des adultes accompagnés de mineurs, il ne tient pas nécessairement compte de la situation particulière de l’enfant, et ne contrôle pas plus le respect par l’administration de son obligation de rechercher des mesures alternatives à la rétention.

3. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

97. La Cour se réfère aux principes applicables en la matière tels que rappelés dans l’affaire Moustahi c. France, no 9347/14, 25 juin 2020 : « le concept de « lawfulness » (« régularité », « légalité ») doit avoir le même sens au paragraphe 4 de l’article 5 qu’au paragraphe 1, de sorte qu’une personne détenue a le droit de faire contrôler sa détention sous l’angle non seulement du droit interne, mais aussi de la Convention, des principes généraux qu’elle consacre et du but des restrictions qu’autorise le paragraphe 1. L’article 5 § 4 ne garantit pas le droit à un contrôle juridictionnel d’une ampleur telle qu’il habiliterait le tribunal à substituer sur l’ensemble des aspects de la cause, y compris des considérations de pure opportunité, sa propre appréciation à celle de l’autorité dont émane la décision. Il n’en veut pas moins un contrôle assez ample pour s’étendre à chacune des conditions indispensables à la régularité de la détention d’un individu au regard du paragraphe 1 » (§ 100).

98. La Cour rappelle qu’elle a conclu à l’absence de violation de l’article 5 § 4 de la Convention lorsque les juridictions internes avaient eu égard à la présence d’enfants et avaient recherché s’il était possible de recourir à une mesure alternative à la rétention (A.M. et autres c. France, précité, §§ 77-78, et R.C. et V.C. c. France, précité, §§ 63-64) mais qu’elle a en revanche constaté une violation lorsqu’une telle prise en considération des enfants n’avait pas été opérée (A.B. et autres c. France, précité, §§ 136‑138, R.M. et autres c. France, précité, §§ 91‑92, et R.K. et autres c. France, no 68264/14, §§ 94-95, 12 juillet 2016). Pour apprécier le respect des exigences découlant de l’article 5 § 4 de la Convention, s’agissant du placement en rétention administrative d’enfants mineurs accompagnant leurs parents et de la prolongation de la durée de celle-ci, la Cour vérifie donc si les juridictions internes ont effectivement tenu compte dans l’exercice du contrôle juridictionnel qu’il leur appartient d’effectuer, de la présence des enfants mineurs et ont recherché de façon effective s’il était possible de recourir à une mesure alternative à leur placement et maintien en rétention.

b) Application de ces principes au cas d’espèce

99. En premier lieu, et d’un point de vue général, la Cour relève avec satisfaction que le droit français définit, de manière précise, les conditions dans lesquelles le juge des libertés et de la détention contrôle la légalité du placement initial en détention (article L. 512-1 III du CESEDA) puis décide, le cas échéant, de prolonger la période de rétention (article L. 552-1 du CESEDA).

100. En second lieu, s’agissant du cas de l’espèce, la Cour considère que le juge des libertés et de la détention puis le magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel ont, contrairement à ce qui est soutenu, pris en compte, dans le cadre du contrôle juridictionnel qui leur incombait d’exercer, la présence de l’enfant mineur dans les appréciations auxquelles il leur appartenait de se livrer tant pour contrôler la légalité du placement initial en rétention que pour décider d’en ordonner la prolongation (voir notamment paragraphes 17, 18 et 21). Elle observe toutefois que le juge des libertés et de la détention s’est borné, pour ce faire, à relever que le centre de rétention était habilité à recevoir des familles et disposait d’équipements spécifiques adaptés, ainsi qu’à mentionner la durée limitée de la rétention (voir paragraphes 17 et 19) sans véritablement s’attacher, dans le cadre de son contrôle de la légalité de la mesure de rétention et de son appréciation de la possibilité de la prolonger au-delà d’une brève période, aux conditions concrètes dans lesquelles le nourrisson était privé de liberté.

101. La Cour relève ensuite que le juge des libertés et de la détention, alors qu’aucun vol à destination de l’Italie n’était prévu à bref délai, a conclu à l’absence de mesure alternative après avoir considéré que les requérantes n’offraient aucune solution d’hébergement et qu’elles ne remplissaient pas les conditions d’une assignation à résidence telles que prévues par l’article L. 552-4 du CESEDA (voir paragraphe 20). La Cour constate néanmoins que la circonstance que, jusqu’à leur placement en rétention, les requérantes faisaient l’objet, à l’endroit où elles étaient alors hébergées par le conseil départemental de Loir-et-Cher, de mesures d’assignation à résidence qu’elles avaient respectées, n’a pas été sérieusement prise en considération.

102. Enfin la Cour note, au vu de l’ensemble des motifs des ordonnances des 28 novembre et 1er décembre 2018, qu’alors même que le dernier alinéa de l’article L. 551-1 III bis prévoit qu’en la matière « L’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale » (voir paragraphe 27), que ni le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Meaux ni le magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel de Paris n’ont suffisamment tenu compte de la présence de la seconde requérante et de son statut d’enfant mineur, avant d’apprécier la légalité du placement initial et d’ordonner la prolongation de la rétention administrative pour une durée de vingt-huit jours dans le cadre du contrôle juridictionnel qu’il leur incombait d’exercer.

103. La Cour a constaté ci-dessus une violation de l’article 5 § 1 au motif que les autorités internes n’avaient pas effectivement vérifié, dans le cadre de la mise en œuvre du régime juridique désormais applicable en France, que le placement initial en rétention administrative de la première requérante accompagnée de son enfant mineur puis sa prolongation constituaient des mesures de dernier ressort auxquelles aucune autre moins restrictive ne pouvait être substituée (voir paragraphe 89 ci-dessus). Cette absence de vérification effective des conditions qui concernent tant la légalité de la mesure de rétention en droit interne que le principe de légalité au sens de la Convention est particulièrement imputable aux juridictions internes auxquelles il incombait de s’assurer effectivement de la légalité du placement initial puis du maintien en rétention de l’enfant mineur. Il s’ensuit que la requérante mineure n’a pas bénéficié d’un contrôle portant sur l’ensemble des conditions auxquelles est subordonnée la régularité de la rétention au regard du paragraphe 1 de l’article 5. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention à son égard.

IV. Sur la violation allÉguée de l’article 8 de la Convention

104. Les requérantes soutiennent que leur placement en rétention est contraire à l’article 8 de la Convention aux termes duquel :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

105. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

106. La Cour, ayant conclu à une violation de l’article 3 de la Convention à l’égard des deux requérantes, estime qu’il n’y a pas lieu de statuer séparément dans les circonstances de l’espèce sur le grief fondé sur l’article 8 de la Convention (voir, dans ce sens, Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, § 156, CEDH 2014).

V. ARTICLE 39 DU RÈGLEMENT DE LA COUR

107. La Cour rappelle que la mesure provisoire prise à l’égard du Gouvernement en vertu de l’article 39 du règlement (paragraphe 23 ci‑dessus) a été exécutée dans la mesure où il a été mis fin à la rétention des requérantes le 6 décembre 2018. Elle considère dès lors qu’elle est devenue sans objet et décide de la lever.

VI. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

108. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

109. Les requérantes demandent 20 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’elles estiment avoir subi.

110. Le Gouvernement conteste un tel préjudice et, à le supposer établi, son imputabilité aux décisions prises par les autorités françaises. Il estime cependant que si une somme devait être allouée aux requérantes celle-ci ne devrait pas dépasser 2 000 EUR.

111. La Cour rappelle qu’elle a constaté la violation des articles 3, 5 § 1 et 5 § 4 de la Convention. Statuant en équité, la Cour octroie aux requérantes 10 000 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

B. Frais et dépens

112. Les requérantes demandent dans le corps de leurs observations 7 000 EUR au titre des frais et honoraires engagés aux fins de la procédure menée devant la Cour. Elles réclament cependant la somme de 13 500 EUR dans les motifs de leurs observations.

113. Le Gouvernement relève que la demande des requérantes est confuse au regard des deux sommes différentes demandées. Il estime ainsi, si la Cour devait faire droit à la requête, qu’il serait raisonnable de leur verser 6 780 EUR, somme correspondant à la note de frais et honoraires de leur conseil jointe aux observations.

114. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer aux requérantes la somme de 6 780 EUR pour la procédure menée devant elle, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

F. Intérêts moratoires

115. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;

2. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à l’égard des requérantes ;

3. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention à l’égard de la seconde requérante ;

4. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention à l’égard de la seconde requérante ;

5. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief formulé sur le terrain de l’article 8 de la Convention à l’égard des requérantes ;

6. Dit, à l’unanimité, que la mesure prise en vertu de l’article 39 du règlement est devenue sans objet et décide de la lever ;

7. Dit, par six voix contre une,

a) que l’État défendeur doit verser, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, aux requérantes pour dommage moral ;

ii. 6 780 EUR (six mille sept cent quatre-vingts euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, aux requérantes pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

8. Rejette, à l’unanimité, le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 juillet 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Victor Soloveytchik                                     Síofra O’Leary
Greffier                                                         Présidente

__________

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de la juge Mourou-Vikström.

S.O.L.
V.S.

OPINION DISSIDENTE
DE LA JUGE MOUROU-VIKSTRÖM

Je ne peux pas souscrire à l’opinion de la majorité qui a conclu à une triple violation des articles 3, 5 § 1 et 5 § 4 de la Convention.

Rappelons que l’affaire a trait au placement et aux conditions de vie au sein du centre de rétention administrative de Mesnil-Amelot d’une requérante et de sa fille âgée de quatre mois pendant une durée de onze jours, du 26 novembre 2018 au 6 décembre 2018.

Sur la violation de l’article 3 de la Convention

L’analyse de la majorité consiste à dire que la combinaison de deux facteurs cumulatifs conduit à déclencher le seuil d’application de l’article 3.

– Le premier facteur relève des conditions d’accueil d’une mère et de son nourrisson dans un centre fermé de rétention administrative. S’il est avéré que les conditions dans le centre de Mesnil-Amelot sont loin de pouvoir être qualifiées de bonnes, elles ne sont pas, à elles seules, de nature à entraîner l’application de l’article 3 ; ce dont la majorité ne disconvient pas.

La visite du Comité contre la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) s’est déroulée en France du 23 au 30 novembre 2018. Des membres du comité se sont spécifiquement rendus dans le centre de Mesnil-Amelot au cours de cette visite en France. Or, les requérantes furent placées dans le centre en question du 26 novembre 2018 au 6 décembre 2018. La visite du comité coïncide donc, en partie du moins, avec la période pendant laquelle les requérantes s’y trouvaient, ce qui rend d’autant plus précis, fiables et donc proches de la réalité les éléments relevés dans le rapport. Les commentaires du CPT dont la rigueur et le niveau d’exigence sont connus, ne mettent en lumière qu’un point négatif qui est la différence de température entre les parties communes froides et les chambres surchauffées. Même si le CPT conclut, de manière générale, que le placement des enfants dans les centres de rétention administrative doit être évité, force est de constater que les conditions matérielles ne sont pas décrites comme inhumaines ou dégradantes ou à ce point indignes qu’elles seraient de nature à engendrer une violation de l’article 3. La position du CPT est que d’une manière générale, la rétention administrative des mineurs devrait être évitée ; il s’agit d’une position de principe à laquelle je peux parfaitement adhérer, tout en relevant que la rétention administrative des mineurs n’est pas, en tant que telle, prohibée par la loi.

– Le second critère concerne la durée du maintien dans le centre de rétention. Les requérantes y sont restées onze jours, ce qui correspond à une période longue au regard de la jurisprudence de la Cour. Une comparaison peut être faite avec l’affaire A.M. et autres c. France (no 24587/12, 12 juillet 2016) dans laquelle la requérante est restée au moins sept jours dans le centre de Metz-Queuleu. Cette durée a été considérée comme trop longue pour des enfants de deux ans et demi et quatre mois (voir, a contrario, l’arrêt Popov c. France (nos 39472/07 et 39474/07, § 100, 19 janvier 2012), dans lequel une période de rétention de quinze jours pour des enfants n’est pas excessive en soi, mais peut être définie comme infiniment longue compte tenu de l’inadéquation de l’adaptation des infrastructures à leur accueil et à leur âge).

Ainsi, avant de se livrer à une analyse critique de la durée de onze jours qui caractérise notre affaire, il convient d’avoir présent à l’esprit deux éléments : le transfert par avion des requérantes vers l’Italie était prévu dès le lendemain de leur arrivée, soit le 27 novembre 2018. Ainsi, les autorités avaient pris soin de limiter la durée de leur séjour dans le centre administratif au strict minimum. Le transfert n’a pas eu lieu du seul fait de la décision de la mère qui a refusé d’embarquer à bord de l’avion. L’Italie était l’État qui, en vertu de l’accord de Dublin, devait examiner sa demande d’asile. Ainsi, il ne peut pas être reproché aux autorités françaises le maintien prolongé dans le centre, alors que sans aucune raison sérieuse ni acceptable la requérante a refusé son transfert vers l’Italie, et ce, au mépris des prescriptions du droit international. Dans l’affaire A.M. et autres contre France, précitée, la Cour n’a pas mentionné le fait que la mère s’était opposée à son transfert vers la Pologne, État où sa demande d’asile devait être examinée. Dans la présente affaire, la majorité a choisi de ne pas passer sous silence le refus opposé par la mère à son transfert et à celui de sa fille, pour conclure qu’il n’était pas de nature à exonérer l’État de sa responsabilité de les avoir maintenues trop longtemps dans le centre. Cette position ne me semble pas aller dans le sens d’une approche juste et nuancée de la situation.

Il doit donc être relevé que d’une part, les conditions dans le centre ne sont pas de nature à déclencher le seuil de l’article 3, et d’autre part, la durée du maintien dans le centre est directement imputable à la première requérante.

Ainsi, une condamnation de l’État français dans cette affaire revient à affaiblir fortement le système même mis en place des accords de Dublin, lequel organise les demandes d’asile en les soumettant à des règles claires et rationnelles. Que deviendrait le « système de Dublin » si chaque demandeur d’asile décidait de le contourner en se rendant clandestinement dans un État qui n’est pas le premier État d’arrivée et en refusant d’être transféré dans l’État d’examen de sa demande ? Pour que l’obstruction de la requérante à son transfert et à celui de son enfant soit considérée comme ne pouvant pas être retenue contre elle, il faudrait, à tout le moins, qu’elle argue de conditions inhumaines et dégradantes auxquelles elle serait exposée avec son enfant en Italie et qui seraient établies par des rapports internationaux. Or, dans la présente affaire, la requérante se contente de dire que son enfant lui serait retiré en Italie, ce qui n’est corroboré par aucun élément.

Par ailleurs, est-il besoin de rappeler que les réticences légitimes au renvoi d’une personne dans un État où les droits de l’Homme sont susceptibles d’être bafoués, n’ont aucune raison d’être dès lors que le pays de transfert est l’Italie dont les conditions d’accueil ne sont pas même évoquées par les requérantes comme étant mauvaises ?

Sur la violation de l’article 5 § 1 de la Convention

Les règles relatives au placement en rétention administrative et à son prolongement dans le cadre de l’application du règlement de Dublin III applicables au cas d’espèce sont strictement encadrées par la loi.

Il ressort des dispositions légales internes (article L. 551-1 III bis du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA)) qu’une personne étrangère accompagnée d’un mineur peut être placée en rétention administrative après une appréciation individuelle et proportionnée de sa situation et si, à l’occasion de la mise en œuvre de la mesure d’éloignement, elle a pris la fuite ou a opposé un refus.

C’est précisément le cas de la requérante qui a bénéficié, dans un premier temps, d’une assignation à résidence, dès le 17 octobre 2018, et a déclaré le 26 novembre 2018 au commissariat de police de Blois qu’elle « ne monterait pas dans l’avion ». Le risque que la requérante décide de se soustraire avec son enfant à l’exécution du transfert vers l’Italie était bien réel et a été justement apprécié par les autorités nationales. Il apparaît difficile de comprendre comment la majorité peut écarter le risque de fuite ou simplement de refus prévu par loi et caractérisé en l’espèce.

Par ailleurs, les autorités ont décidé initialement d’assigner à résidence la requérante et son enfant, prouvant bien qu’elles entendaient privilégier une mesure alternative à rétention. La requérante ne remplissait, de surcroît, pas les conditions d’une assignation à résidence, fixées par l’article L. 522-4 du CESEDA puisqu’elle n’avait pas remis aux services de police un passeport en cours de validité. En appel, le magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel, releva qu’elle avait « délibérément » fait obstruction à l’exécution de l’arrêté ordonnant sa remise aux autorités italiennes.

Il apparaît que l’enfermement s’est avéré la seule mesure possible afin de garantir le transfert vers l’Italie, et ce, dans le respect des accords de Dublin.

La mesure de rétention administrative a donc bien été prise en dernier ressort et était destinée à avoir une durée aussi brève que possible, ce que le juge des libertés et de la détention a relevé dans son ordonnance du 28 novembre 2018 prolongeant la période de rétention des requérantes pour une période de 28 jours.

Sur la violation de l’article 5 § 4 de la Convention

Les mesures de placement en rétention et de prolongation de la mesure ont fait l’objet d’un contrôle par le juge des libertés et de la détention et par le magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel en prenant en compte la situation de l’enfant.

Conformément à la jurisprudence de la Cour, les juridictions internes ont apprécié si le recours à des solutions alternatives, moins attentatoires à la liberté d’aller et de venir, avait été envisagé (A.M. et autres contre France, précité). Le juge des libertés et de la détention a pris soin de relever aux termes de son ordonnance que le centre de rétention de Mesnil-Amelot était habilité à recevoir des familles et disposait d’équipements adaptés. Par ailleurs, ce magistrat a fait application de l’article L. 552-4 du CESEDA qui conditionne la possibilité d’assignation à résidence à la justification « de garanties de représentation effectives », dont la requérante ne justifiait pas.

Ainsi, je ne peux pas me ranger à l’avis de la majorité qui a conclu à une violation des articles 5 § 1 et 5 § 4. Les juridictions nationales n’ont, à mon sens, en rien failli dans l’appréciation individualisée de la situation de la requérante et de son enfant de quatre mois, conformément aux prescriptions du CESEDA.

Il m’apparaît que, dans une telle affaire, constater des violations des articles 3 et 5 concourt à une érosion progressive du système dit « Dublin » tout en présentant un risque d’instrumentalisation des enfants pour contourner les règles européennes régissant le droit d’asile.

_____________

[1] https://www.cncdh.fr/sites/default/files/avis_2020_-_12_-_ppl_retention_adm_familles_avec_mineurs_sept_2020.pdf
[2] http://www.cglpl.fr/wp-content/uploads/2019/07/Rapport-de-la-quatri%C3%A8me-visite-des-centres-de-r%C3%A9tention-administrative-2-et-3-du-Mesnil-Amelot-Seine-et-Marne.pdf.
[3] ²https://www.lacimade.org/wp-content/uploads/2019/06/La_Cimade_Rapport_Retention_2018.pdf.
[4] https://rm.coe.int/16809cffaf.
[5] https://undocs.org/fr/A/HRC/34/3.
[6] https://undocs.org/fr/A/HRC/28/68.
[7] C_2020041FR.01004101.xml (europa.eu).

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Dernière mise à jour le juillet 23, 2021 par loisdumonde

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