AFFAIRE KARGAKIS c. GRÈCE (Cour européenne des droits de l’homme) Requête no 27025/13

INTRODUCTION. La requête concerne notamment les conditions de détention du requérant dans la prison de Diavata et le suivi médical dont il a fait l’objet pendant sa détention provisoire (article 3 de la Convention), l’absence alléguée d’un recours effectif à cet égard (article 13 de la Convention) et l’examen du recours formé par l’intéressé contre le mandat de mise en détention dans un « bref délai » (article 5 § 4 de la Convention).

PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE KARGAKIS c. GRÈCE
(Requête no 27025/13)
ARRÊT

Art 3 (matériel) • Mauvaises conditions de détention (handicap et durée)
Art 13 + 3 • Recours effectif • Défaut de réponse aux griefs relatifs aux conditions de détention, nonobstant la libération de l’intéressé
Art 5 § 4 • Contrôle à bref délai • Délai de 65 jours entre la demande de libération invoquant des raisons médicales et l’ordonnance de remise en liberté • Allongement partiellement dû à l’obligation légale pour le juge d’instruction de consulter le parquet • Complexité de l’affaire • Fait que la mise en détention avait déjà elle-même été décidée par un juge d’instruction, autorité présentant des garanties d’indépendance et d’impartialité • Délais plus longs tolérables

STRASBOURG
14 janvier 2021

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Kargakis c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :

Ksenija Turković, présidente,
Krzysztof Wojtyczek,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Alena Poláčková,
Erik Wennerström,
Raffaele Sabato,
Lorraine Schembri Orland, juges,
et de Abel Campos, greffierde section,

Vu :

la requête susmentionnée (no. 27025/13) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet État, M. Kleanthis Kargakis (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 17 avril 2013,

la décision de porter à la connaissance du gouvernement grec (« le Gouvernement ») les griefs concernant les articles 3, 13 (conditions de détention du requérant et absence alléguée d’un recours effectif à cet égard) et 5 § 4 de la Convention (examen du recours formé par l’intéressé contre le mandat de mise en détention dans un « bref délai ») et la de déclarer irrecevable pour le surplus,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 décembre 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La requête concerne notamment les conditions de détention du requérant dans la prison de Diavata et le suivi médical dont il a fait l’objet pendant sa détention provisoire (article 3 de la Convention), l’absence alléguée d’un recours effectif à cet égard (article 13 de la Convention) et l’examen du recours formé par l’intéressé contre le mandat de mise en détention dans un « bref délai » (article 5 § 4 de la Convention).

EN FAIT

2. Le requérant est né en 1950. Il a été représenté par Me E.-L. Koutra, avocate au barreau d’Athènes.

3. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par la déléguée de son agent, Mme A. Dimitrakopoulou, assesseure auprès du Conseil juridique de l’État.

I. Le contexte de l’affaire

4. À une date non précisée, des poursuites pénales furent engagées contre le requérant pour tentative de facilitation de la sortie du territoire d’un ressortissant étranger en l’absence de soumission de ce dernier au contrôle prévu, par une personne agissant dans l’exercice de sa profession et en concours d’infractions (κατ΄επάγγελμακαικατάσυρροή).

5. Le 16 janvier 2013, le requérant fut arrêté et placé en détention provisoire en vertu du mandat émis par le juge d’instruction près le tribunal correctionnel de Thessalonique (« le juge d’instruction ») (mandat no 2/2013). Le même jour, il déposa son mémoire en défense devant ce juge.

6. Le 7 février 2013, il fut incarcéré à la prison de Diavata de Thessalonique.

II. Le suivi médical du requérant

7. D’après un certificat médical établi par les autorités de la prison de Thessalonique, lors de son placement en détention, le requérant avait signalé un antécédent d’accident vasculaire cérébral, ainsi qu’un historique de diabète et de myocardiopathie, et il était sous traitement.

8. Pendant sa détention, le requérant fut examiné par le psychiatre de la prison, qui lui diagnostiqua une dépression réactionnelle autodestructrice et le plaça sous traitement psychiatrique.

9. Le 24 janvier 2013, le requérant fut hospitalisé en urgence à l’hôpital général Papanikolaou de Thessalonique pour un probable accident cérébral.

10. Le 29 janvier 2013, il sortit de la clinique neurologique de l’hôpital, car son état s’était amélioré, et il fut hospitalisé à la clinique cardiologique pour des symptômes de fibrillation auriculaire et de flutter. Il fut placé sous suivi et fut soumis à des examens cliniques (échographie du cœur, mise en place d’un Holter et scanner du myocarde). Pendant l’hospitalisation, son état de santé s’améliora.

11. Le 6 février 2013, le requérant sortit de sa propre initiative de l’hôpital. Le formulaire de sortie de l’hôpital mentionnait comme diagnostic : « fibrillation auriculaire et flutter, accident vasculaire cérébral, cardiomyopathie hypertensive, arythmie cardiaque, arythmie, arrêt cardiaque et troubles de conductivité avec des affections coexistantes destructrices (systématiques) ou graves, complications ». La note d’information du patient, datée du même jour, mentionnait ce qui suit : « recommandation (au patient) d’éviter de fumer et de séjourner dans un environnement enfumé, de (se soumettre à un) suivi cardiologique régulier, de (suivre un) régime sans sel et sans graisses (…) ».

12. Le 15 mars 2013, le requérant fut de nouveau transféré à la clinique cardiologique de l’hôpital général Papanikolaou pour une douleur abdominale avec diffusion au niveau du dos. Il fut soumis à un examen cardiologique et neurologique clinique, puis fut reconduit à la prison.

13. Le 21 mars 2013, il fut transféré à la clinique neurologique de l’hôpital Papanikolaou d’urgence pour une céphalalgie et des troubles de la marche – mouvements involontaires de la jambe gauche. Il fit l’objet d’un suivi, subit une IRM, un contrôle neurophysiologique, un électroencéphalogramme, un examen par ultrasons des artères carotides‑vertébrales, un contrôle ophtalmologique et un contrôle clinique, et fut soumis à une étude clinique sur le sommeil. Selon un diagnostic en date du 29 mars 2013, l’intéressé souffrait d’un syndrome d’apnée du sommeil et le traitement recommandé était l’utilisation d’un appareil respiratoire durant le sommeil.

14. Un nouveau diagnostic fut établi le 5 avril 2013 par le directeur de la clinique neurologique de l’hôpital Papanikolaou. Celui-ci indiquait que le requérant était incapable de marcher et n’était pas autonome pour faire ses besoins et qu’il devait être hospitalisé dans un environnement dépourvu d’agents pathogènes (χωρίςτοξικέςεπιδράσεις) et suivre un traitement pharmaceutique, ainsi que des séances de physiothérapie.

15. Le 9 avril 2013, le requérant sortit de l’hôpital.

III. Les recours exercés par le requérant

16. Le requérant expose que, dès son placement en détention, il a désigné T.S. pour le représenter aux fins du dépôt d’un recours contre le mandat de mise en détention établi à son endroit et que celui-ci lui a fourni une copie du recours. Il ajoute que, ce recours n’ayant en fait jamais été déposé devant le juge d’instruction, sa femme a dénoncé T.S. auprès du barreau d’Athènes et qu’il a dû trouver un autre avocat. Il précise avoir découvert plus tard que T.S. était radié du barreau d’Athènes depuis 2007, et il produit à cet égard une attestation en date du 3 février 2017 émanant dudit barreau.

17. Le 18 février 2013, le requérant introduisit un recours devant le juge d’instruction contre son placement en détention, sur le fondement de l’article 286 § 2 du code de procédure pénale (CPP), et demanda la levée de sa détention ou, alternativement, son remplacement par d’autres mesures restrictives. À l’appui de son recours, il faisait état de ses problèmes de santé, de son invalidité, dont le taux avait été fixé à 80 %, ainsi que du fait qu’il avait été hospitalisé quelques jours après son placement en détention, et il joignait les certificats médicaux y afférents.

18. Le 1er avril 2013, le juge d’instruction transmit le recours au bureau du procureur (εισαγγελία) et, le 5 avril 2013, le recours fut attribué à un procureur près le tribunal de première instance (αντεισαγγελέαΠρωτοδικών).

19. À cette dernière date, le requérant introduisit trois demandes devant le juge d’instruction par lesquelles il sollicitait l’accélération de l’examen de son recours, l’autorisation de comparaître devant le procureur, ainsi que la délivrance d’une copie de l’avis de celui-ci sur son recours.

20. Dans ses demandes, le requérant faisait état de ses problèmes de santé, ainsi que de ses conditions de détention, qu’il disait être mauvaises.

21. Le 9 avril 2013, il déposa un mémoire supplémentaire. Il y mentionnait une aggravation de son état de santé et ses conditions de détention, qu’il qualifiait de mauvaises. Il s’appuyait à cet égard sur des articles de presse et sur un rapport du Médiateur de la République, ainsi que sur quatre attestations médicales établies après son placement en détention.

22. Le 15 avril 2013, le procureur près le tribunal de première instance rédigea son avis pour le juge d’instruction (avis no 52/2013). Il proposa d’ordonner la levée de la détention du requérant et de la remplacer par d’autres mesures restrictives. Le procureur s’exprima en ces termes :

« (…) En plus, un autre paramètre très sérieux en l’espèce qui doit être particulièrement pris en compte est le fait que le demandeur est une personne souffrant d’un taux d’invalidité de 80 % (il se déplace en fauteuil roulant) et de problèmes cardiologiques graves, selon les certificats médicaux produits ; aussi, par conséquent, la prolongation de son placement dans un établissement pénitentiaire peut s’avérer fatale en raison des mauvaises conditions qui, comme il est connu, règnent dans les lieux de détention en Grèce (…) ».

23. Le 24 avril 2013, le juge d’instruction entérina l’avis du procureur et décida la mise en liberté du requérant sous condition : a) du versement d’une caution de 3 000 euros (EUR), b) de la présentation de l’intéressé deux fois par mois au commissariat proche de son domicile, et c) de l’interdiction de sortie du territoire (ordonnance no 56/2013). Le juge d’instruction, se référant à l’avis du procureur, considéra que la raison pour laquelle le requérant avait été placé en détention n’était, en partie, plus valable. Il indiqua ce qui suit dans son ordonnance :

« (…) il est désormais assez douteux que le demandeur-accusé, après sa détention d’une durée de quatre mois environ, puisse être considéré comme membre du groupe de personnes (ayant commis l’infraction en question) et par conséquent qu’il risque de commettre de nouvelles infractions similaires. (…) »

24. Le 25 avril 2013, le requérant versa la caution de 3 000 EUR et fut remis en liberté.

25. Le 26 avril 2018, le requérant fut condamné à une peine d’emprisonnement de cinq ans pour l’infraction, consommée et tentée (τελειωμένηκαισεαπόπειρα), de facilitation de la sortie du territoire d’un ressortissant étranger en l’absence de soumission de ce dernier au contrôle prévu par une personne agissant dans l’exercice de sa profession seule et en commun, et en concours d’infractions (κατ΄επάγγελμακαικατάσυρροή) (jugement no 767/2018).

26. Le même jour, le requérant interjeta appel du jugement de condamnation.

IV. Les conditions de détention à la prison de Diavata

A. La version du requérant

27. Les conditions de détention sont décrites comme suit par le requérant.

28. Celui-ci partageait avec quatre autres détenus une cellule de 20 m2, qui n’était pas adaptée aux besoins des personnes handicapées et dans laquelle l’espace personnel octroyé à chaque détenu était légèrement supérieur à 3 m2. Ni les toilettes ni les douches n’étaient adaptées aux besoins des personnes handicapées, qui n’avaient pas à leur disposition d’assistance spéciale. Les détenus assuraient eux-mêmes le nettoyage des cellules et lavaient eux-mêmes leurs vêtements et leurs draps dans des bassines en plastique et les faisaient sécher dans la cour. La cellule n’était pas suffisamment éclairée par la lumière naturelle et il n’était pas interdit d’y fumer. Aucune désinfection n’avait été effectuée durant le séjour de l’intéressé à la prison, alors que le bâtiment était infesté de cafards. La prison disposait du chauffage central, qui ne fonctionnait que deux heures par jour, une le matin et une le soir, et l’eau chaude y était disponible seulement une heure par jour. Il y avait un seul gardien, qui était souvent absent, et les détenus devaient crier et frapper sur la porte de la cellule pour se faire entendre.

29. La nourriture n’était pas adaptée à l’état de santé des personnes diabétiques, tel le requérant. La direction de la prison avait elle-même admis que le coût journalier de la nourriture pour chaque détenu ne dépassait pas deux EUR. Les heures de promenade dans la cour, à laquelle l’intéressé ne pouvait accéder avec son fauteuil roulant, étaient de 9 heures à 12 heures et de 14 h 30 à 16 h 30, et la cour n’était ni adaptée aux besoins des personnes handicapées ni abritée. Les parapluies et les bonnets étant interdits, les détenus ne pouvaient pas sortir lorsqu’il pleuvait. La prison ne disposait pas de réfectoire et les détenus étaient obligés de manger sur leurs lits.

30. Le requérant soutient que ses conditions de détention ont contribué à l’aggravation de son état de santé, dès lors notamment que sa cellule n’aurait pas été adaptée à ses besoins, en tant que personne handicapée, et que ses codétenus y auraient fumé. En outre, il se plaint de n’avoir jamais reçu un concentrateur d’oxygène, pourtant prescrit par le médecin. Le requérant se réfère aux rapports du Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) concernant les conditions de détention dans les prisons grecques et les soins médicaux qui y sont offerts, ainsi qu’à la recommandation no R98 (7) du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire.

B. La version du Gouvernement

31. Le Gouvernement décrit comme suit les conditions de détention du requérant.

32. D’après un rapport du directeur de la prison de Diavata, annexé aux observations du Gouvernement, le requérant était placé dans un dortoir d’une superficie de 24 m2 destiné aux détenus handicapés, situé au rez‑de‑chaussée et équipé de cinq lits, d’un système de climatisation et d’une salle de bain de 2 m2, adaptée aux besoins de ceux-ci. À l’époque de sa détention, le requérant partageait le dortoir avec quatre autres détenus et disposait d’un espace personnel de 4,4 m2.

33. Dans tous les dortoirs, en plus des lits, il y avait des tables et des pièces de linge de lit, des tabourets, des chevets, une poubelle, des portemanteaux, une salle de bain et des WC séparés. Les dortoirs disposaient de grandes fenêtres donnant sur la cour de la prison et étaient équipés de lampes électriques assurant l’éclairage artificiel. De l’eau chaude était disponible plusieurs heures par jour. Le chauffage était assuré par un système central, et chaque dortoir était équipé de radiateurs. La prison disposait aussi d’un système d’extinction d’incendie.

34. En ce qui concerne la propreté des locaux, les détenus recevaient des produits d’hygiène personnelle, et des opérations de désinfection et de dératisation étaient menées (interventions attestées par des certificats de désinfection et dératisation délivrés par une entreprise privée, fournis par le Gouvernement). Les détenus avaient la possibilité de laver leurs vêtements dans les machines à laver de la prison, et les autorités de la prison veillaient à ce qu’il fût régulièrement procédé au nettoyage du linge de lit et au remplacement des matelas. La prison disposait aussi d’un salon de coiffure.

35. En ce qui concerne l’alimentation des détenus, trois repas par jour étaient fournis à ceux-ci (petit-déjeuner, déjeuner et dîner). Tous les menus étaient standardisés et approuvés par le médecin et le directeur de la prison. Des menus spéciaux étaient prévus pour les détenus de confessions religieuses spécifiques. Il en allait de même pour ceux qui souffraient de problèmes de santé, tel le requérant, à l’égard duquel le Gouvernement fournit les menus hebdomadaires servis pendant la période de détention en cause et indique qu’il n’est pas prouvé que son alimentation était inadaptée à son état de santé et qu’en tout état de cause les instructions des médecins avaient été respectées.

36. Les détenus avaient la possibilité de participer à des activités récréatives et culturelles organisées par différentes associations, telles que des concerts, conférences et spectacles. Ils pouvaient emprunter des ouvrages et des journaux de presse à la bibliothèque de la prison et également participer aux programmes éducatifs et de formation professionnelle. À cet égard, une « école de la deuxième chance » fonctionnait au sein de la prison. Les détenus travaillaient dans différents secteurs de la prison. Pour ce qui est du requérant, il n’avait pas demandé, pendant sa détention, à travailler ou à être autorisé à sortir de la prison.

37. Des contrôles sanitaires réalisés de manière régulière ou en urgence permettaient d’assurer le maintien de la propreté et de l’hygiène des lieux, ainsi que l’absence de maladies infectieuses. Les soins médicaux en prison étaient dispensés par un médecin généraliste, un médecin spécialiste en médecine interne et un dentiste, rémunérés à la visite, ainsi que par un médecin généraliste bénévole, par un psychiatre permanent et, enfin, par une cellule de médecins du réseau national de santé comprenant un médecin généraliste, un dentiste, un infirmier et un ingénieur de laboratoire. Ceux-ci étaient assistés par trois infirmiers permanents. Quand des examens médicaux ou des soins médicaux complémentaires s’avéraient nécessaires, les détenus étaient transférés à l’hôpital, même en urgence. Les frais des examens ou des traitements pharmaceutiques n’étaient pas supportés par les détenus. Les prisonniers étaient informés de leurs droits et avaient accès à un soutien psychologique pour eux-mêmes mais aussi pour les membres de leur famille relativement à leurs problèmes ou leur réinsertion. En ce qui concerne les détenus toxicomanes, ceux-ci pouvaient suivre les programmes consultatifs et thérapeutiques du centre de traitement des personnes sous dépendance fonctionnant au sein de la prison.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

I. LE DROIT INTERNE PERTINENT

38. Les dispositions du droit interne pertinentes en l’espèce sont décrites dans l’arrêt Christodoulou et autres c. Grèce (no 80452/12, §§ 45-47, 5 juin 2014).

II. LES CONSTATS DU COMITÉ POUR LA PRÉVENTION DE LA TORTURE ET DES PEINES OU TRAITEMENTS INHUMAINS OU DÉGRADANTS (CPT)

39. Dans son rapport du 5 juillet 2013, établi à la suite de sa visite du 4 au 16 avril 2013, le CPT a relevé que la prison de Diavata, d’une capacité officielle de 250 détenus, en accueillait 590. Il a noté que cette structure disposait de 53 cellules mesurant chacune 24 m2 et accueillant chacune 10 détenus, de 10 cellules de 11 m2 chacune qui accueillaient chacune 4 détenus et de 3 cellules où séjournaient 34 détenues femmes. Il a précisé que l’accès à la lumière naturelle et l’aération dans les cellules étaient satisfaisants, que les cellules étaient équipées de quelques tabourets, et que dans les salles d’eau se trouvaient quatre toilettes ainsi qu’un évier qui servait aussi pour laver le linge et faire la vaisselle.

EN DROIT

I. SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DU GOUVERNEMENT

A. Sur l’absence de qualité de victime

40. Dans un premier temps, le Gouvernement invite la Cour à rejeter la requête pour défaut de qualité de victime. Il expose, d’une part, que le requérant a introduit sa requête le 17 avril 2013 et, d’autre part, que sa demande de levée de la mesure de détention provisoire a été accueillie le 24 avril 2013 et qu’il a été mis en liberté le 25 avril 2013. Selon le Gouvernement, étant donné que la détention du requérant, qui était à l’origine du traitement prétendument inhumain et dégradant dénoncé par l’intéressé, a pris fin, celui-ci ne peut plus se prétendre victime d’une violation et, par conséquent, sa requête doit être déclarée irrecevable.

41. Le requérant soutient que, à l’époque de l’introduction de sa requête, il pouvait être encore considéré comme victime des violations alléguées, car il a saisi la Cour deux mois et demi après avoir introduit sa demande de libération conditionnelle et alors qu’il se trouvait encore en détention. Il ajoute que sa demande était encore pendante au moment de l’introduction de sa requête devant la Cour.

42. La Cour rappelle que, pour se prévaloir de l’article 34 de la Convention, un requérant doit pouvoir se prétendre victime d’une violation de celle-ci. L’intéressé doit pouvoir démontrer qu’il a « subi directement des effets » de la mesure litigieuse (Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, § 96, CEDH 2014, et la jurisprudence qui y est citée).

43. En l’espèce, la Cour observe que le requérant a introduit sa requête devant elle le 17 avril 2013, alors qu’il se trouvait encore en détention et alors qu’il avait introduit auparavant, le 18 février 2013, une demande de levée de la mesure de détention provisoire. Cette demande a abouti à la mise en liberté de l’intéressé le 25 avril 2013. À la date de l’introduction de la requête, la voie de recours interne qui pouvait conduire à la mise en liberté du requérant était donc encore pendante. Le requérant étant encore détenu à l’époque de l’introduction de la requête, il s’ensuit qu’il peut se prétendre victime d’une violation de la Convention, en ce qui concerne les conditions de sa détention et l’absence alléguée d’un recours effectif à cet égard, ainsi que le délai mis pour procéder à l’examen de son recours contre le mandat de mise en détention établi contre lui. La Cour rejette donc l’exception relative à la qualité de victime du requérant.

B. Sur le non-épuisement des voies de recours internes

44. Dans un second temps, le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il indique ce qui suit : le requérant a introduit sa requête le 17 avril 2013, alors qu’il avait introduit une demande de levée de la mesure de détention provisoire le 18 février 2013 ; cette demande a été accueillie par le juge d’instruction, et l’intéressé a été libéré le 25 avril 2013. Il s’ensuit, selon le Gouvernement, que le grief du requérant relatif à l’article 3 de la Convention ne peut avoir comme objet que l’octroi d’une indemnité pour le dommage moral subi. Se prévalant de l’arrêt Christodoulou et autres (précité), le Gouvernement expose que l’action indemnitaire fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil combiné avec les dispositions du code pénitentiaire était une voie de recours interne disponible au requérant, que ce dernier aurait pu et aurait dû exercer.

45. En outre, le Gouvernement soutient que le requérant n’a fait usage d’aucune des possibilités offertes par l’article 6 du code pénitentiaire et l’article 572 du CPP pour se plaindre de ses conditions de détention. Il se réfère également à l’article 25, intitulé « Auditions des détenus », de la décision no 58819/7-4-2003 du ministre de la Justice relative au « Règlement intérieur du fonctionnement des établissements pénitentiaires de types A et B ». Il considère que les doléances du requérant étaient liées à son état de santé et qu’elles ne concernaient pas la situation des détenus dans leur ensemble.

46. Le Gouvernement est d’avis que la demande du requérant de comparaître devant le procureur compétent ne peut être considérée comme satisfaisant à la condition de l’épuisement des voies de recours internes. Il ajoute à cet égard que le requérant a exercé le recours fondé sur l’article 286 § 2 du CPP, mais pas celui prévu par l’article 285 du même code, de sorte qu’il n’aurait jamais saisi les autorités internes d’une demande visant à l’amélioration de ses conditions de détention et à sa libération.

47. Le requérant rétorque que le défenseur, avocat de profession, qu’il avait désigné pour le représenter aux fins de l’introduction d’un recours contre l’ordonnance de mise en détention provisoire a disparu en janvier 2013 et qu’il n’a été informé que plus tard que cette personne avait été radiée du barreau. Il soutient qu’il a recouru contre son placement en détention après avoir trouvé un autre avocat. Il estime à cet égard que les autorités étaient coresponsables du retard qu’il a mis pour introduire sa demande, dès lors que le bureau du juge d’instruction aurait accepté la désignation d’une personne qui n’avait plus la qualité d’avocat.

48. Le requérant considère en outre que les voies de recours évoquées par le Gouvernement sont ineffectives, en raison du caractère structurel des problèmes dénoncés. Il ajoute à ce propos que sa libération était la seule mesure pertinente apte à redresser la violation, alléguée par lui, de l’article 3 de la Convention en l’espèce et que cette mesure pouvait être revendiquée seulement par la voie judiciaire, et non par la voie administrative. Il soutient que l’exercice des recours devant le procureur ou le conseil de la prison est inutile. S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour à cet égard, il expose que plusieurs personnes détenues à la prison de Diavata ont fait usage du recours prévu à l’article 572 du CPP sans succès et que la Cour a considéré que ledit recours n’était pas effectif. Le requérant indique qu’il avait informé les autorités, dès sa mise en détention, de ses problèmes de santé et de son handicap et que les autorités avaient l’obligation de les traiter effectivement. Il estime qu’il ne peut être considéré comme obligé d’engager des démarches supplémentaires auprès des autorités, étant donné, selon lui, que des recours similaires à celui prévu à l’article 572 du CPP avaient été jugés ineffectifs.

49. En ce qui concerne l’exception du Gouvernement relative à l’exercice préalable des voies de recours internes, et notamment celle prévue à l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, la Cour rappelle que l’article 35 § 1 de la Convention prévoit une répartition de la charge de la preuve. Le gouvernement défendeur doit ainsi la convaincre que le recours qu’il évoque était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible et susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et qu’il présentait des perspectives raisonnables de succès (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 68, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV, et Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 46, CEDH 2006-II).

50. La Cour rappelle cependant que, s’agissant de l’épuisement des voies de recours internes, la situation d’une personne qui a été détenue dans des conditions qu’elle estime contraires à l’article 3 de la Convention et qui la saisit après sa mise en liberté diffère de celle d’un individu qui la saisit alors qu’il est toujours détenu dans les conditions qu’il dénonce.

51. La Cour rappelle en outre que, dans son arrêt A.F. c. Grèce (no 53709/11, § 60, 13 juin 2013), elle a estimé qu’il convenait d’examiner si les dispositions d’un texte législatif ou réglementaire susceptibles d’être invoquées aux fins d’une action en application de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil étaient rédigées en termes suffisamment précis et garantissaient des droits « justiciables ».

52. Elle rappelle enfin que dans son arrêt rendu en l’affaire Christodoulou et autres (précité), comme le note le Gouvernement, elle a considéré que le grief du requérant concerné tiré de l’article 3 de la Convention relativement à ses conditions de détention était prématuré. À cet égard, elle a observé que le requérant en question, qui était encore détenu à la date de l’introduction de la requête, à savoir le 18 décembre 2012, avait introduit une demande de libération qui avait abouti à sa mise en liberté le 4 février 2013. Elle a conclu que, puisque ce requérant était en liberté depuis cette dernière date, le grief tiré de l’article 3 ne pouvait avoir pour objet, le cas échéant, que l’octroi par elle d’une indemnité pour le dommage moral subi et que l’intéressé aurait pu à cet égard, et pouvait encore à l’époque de la publication de son arrêt, exercer une action fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil.

53. La Cour estime que la présente cause doit être distinguée de cette affaire, dès lors que, en l’espèce, le requérant n’a plus la possibilité d’introduire une action indemnitaire fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil aux fins de l’obtention d’une indemnité pour le dommage moral subi. En outre, il ne ressort pas du dossier que le requérant a exercé une telle action après avoir saisi la Cour. Par ailleurs, la présente requête a été introduite le 17 avril 2013, soit avant l’arrêt A.F. c. Grèce, précité, dans lequel la Cour a estimé que des dispositions d’un texte législatif ou réglementaire pourraient être invoquées dans le cadre d’une action en application de l’article 105 de la loi d’accompagnement. Étant donné les circonstances particulières de la cause, la Cour estime que l’exception du Gouvernement à cet égard ne saurait être accueillie.

54. En ce qui concerne la partie de l’exception du Gouvernement de non‑épuisement des voies de recours internes se rapportant aux recours prévus par les articles 285 et 572 du CPP et par l’article 6 du code pénitentiaire, la Cour relève que le Gouvernement ne produit aucune décision administrative ou judiciaire susceptible d’établir que le requérant pouvait, au travers desdits recours, dénoncer effectivement les insuffisances alléguées quant à son traitement médical en prison (Lavrentiadis c. Grèce, no 29896/13, § 82, 22 septembre 2015). Au demeurant, la Cour observe que le requérant a suffisamment fait état devant les autorités compétentes de ses problèmes de santé et de ses conditions de détention, en saisissant le juge d’instruction d’un recours contre son placement en détention (paragraphe 17 ci-dessus).

55. Eu égard à ce qui précède, la Cour rejette cette partie de l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement.

II. SUR LEs VIOLATIONs ALLÉGUÉEs DES ARTICLES 3 ET 13 DE LA CONVENTION

56. Le requérant dénonce ses conditions de détention au sein de la prison de Diavata, ainsi que des défaillances dans son suivi médical. Il invoque à cet égard l’article 3 de la Convention. Sur le terrain de l’article 13 de la Convention, il se plaint également d’une absence de recours effectif pour se plaindre de ses conditions de détention et des défaillances alléguées dans son suivi médical. Ces dispositions sont ainsi libellées :

Article 3

« Nul ne peut être soumis (…) à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (…) Convention ont été violés a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. Sur l’assistance médicale fournie au requérant

57. Le requérant soutient que les conditions de sa détention ont eu comme conséquence l’aggravation de ses problèmes de santé. Il déclare être rentré dans la prison en marchant et en être ressorti dans un fauteuil roulant et avoir subi un arrêt cardiaque pendant sa détention. En outre, il soutient que le traitement médical dont il a fait l’objet était inadapté, car, selon lui, en plus d’avoir subi des transferts stressants, de sa cellule aux hôpitaux, il a vu les prescriptions des médecins ne pas être respectées : à ses dires, sa nourriture n’était pas adaptée à son état de personne diabétique, il devait partager sa cellule avec des fumeurs, et il n’a jamais reçu ni de concentrateur d’oxygène ni d’assistance en raison de « déficiences structurelles ». Pour sa part, le Gouvernement soutient que les problèmes de santé du requérant ont été traités de manière effective. Il dit qu’il n’apparaît pas que l’aggravation des problèmes de santé de l’intéressé a été causée par des déficiences dans le suivi médical de ce dernier, et il ajoute que le requérant est sorti de sa propre initiative de l’hôpital le 6 février 2013.

58. La Cour rappelle qu’il ressort de sa jurisprudence que le devoir de soigner le détenu malade au cours de son incarcération met à la charge de l’État les obligations particulières de veiller à administrer audit détenu les soins médicaux nécessaires et à adapter, le cas échéant, les conditions générales de détention à la situation particulière de l’état de santé de l’intéressé (Xiros c. Grèce, no 1033/07, § 73, 9 septembre 2010).

59. Concernant l’obligation d’administrer les soins médicaux nécessaires, la Cour rappelle que le manque de soins médicaux appropriés peut en principe constituer un traitement contraire à l’article 3 de la Convention (İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 87, CEDH 2000-VII, et Gennadiy Naoumenko c. Ukraine, no 42023/98, § 112, 10 février 2004). La Cour exige, tout d’abord, l’existence d’un encadrement médical pertinent du malade et l’adéquation des soins médicaux prescrits à sa situation particulière (Khatayev c. Russie, no 56994/09, § 84, 11 octobre 2011). De plus, la diligence et la fréquence avec lesquelles les soins médicaux sont dispensés à l’intéressé sont deux éléments à prendre en compte pour mesurer la compatibilité de son traitement avec les exigences de l’article 3 de la Convention. En particulier, ces deux facteurs sont évalués par la Cour, non pas en des termes absolus, mais en tenant compte chaque fois de l’état particulier de santé du détenu (Serifis c. Grèce, no 27695/03, § 35, 2 novembre 2006, et Rohde c. Danemark, no 69332/01, § 106, 21 juillet 2005).

60. À cet égard, la Cour note que les doléances du requérant se fondent sur l’absence alléguée de traitement adéquat de son handicap et des diverses pathologies présentées par lui. Elle tient à souligner qu’elle ne peut toutefois se prononcer sur des questions qui relèvent de l’expertise médicale. Afin de déterminer si l’article 3 de la Convention a été respecté, elle ne peut examiner que la seule question de savoir si les autorités nationales ont assuré au requérant un suivi médical approprié et mis en place un protocole thérapeutique adapté à la nature de ses pathologies.

61. À ce sujet, la Cour constate que, d’après le dossier, pendant sa détention à la prison de Diavata, le requérant a été transféré à plusieurs reprises dans différents établissements hospitaliers de Thessalonique : du 24 janvier au 6 février 2013, il a été hospitalisé en urgence à la clinique neurologique de l’hôpital général Papanikolaou, ainsi qu’à la clinique cardiologique du même hôpital et a subi des examens cliniques(paragraphes 9 et 11 ci-dessus) ; le 15 mars 2013, il a été de nouveau transféré à la clinique cardiologique de l’hôpital Papanikolaou, pour être soumis à un examen cardiologique et neurologique(paragraphe 12 ci‑dessus) ; le 21 mars 2013, il a été transféré en urgence à la clinique neurologique du même hôpital et y a fait l’objet de nouveaux examens cliniques (paragraphe 13 ci-dessus). L’intéressé est sorti de l’hôpital le 9 avril 2013. Dans ces circonstances, la Cour ne saurait conclure que les autorités nationales ont failli à leur devoir d’assurer un suivi médical au requérant. En outre, elle considère que, même si ce dernier n’a pas reçu en prison de concentrateur d’oxygène, pourtant prescrit par le médecin, ce constat n’est pas à lui seul suffisant pour l’amener à conclure qu’en l’espèce les autorités compétentes n’ont pas satisfait à leur obligation positive de fournir au requérant une assistance médicale adéquate.

62. Partant, cette partie du grief tiré de l’article 3 de la Convention est manifestement mal fondée et elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ a) et 4 de la Convention.

63. En outre, en ce qui concerne l’article 13 de la Convention se rapportant à cet aspect du grief tiré de l’article 3 de la Convention, la Cour rappelle que l’article 13 a été interprété comme n’exigeant un recours en droit interne que s’agissant de griefs pouvant passer pour « défendables » selon la Convention (voir, entre autres, Boyle et Rice c. Royaume-Uni, 21 juin 1988, § 52, série A no 131).

64. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que, pour ce qui est du caractère adéquat de l’assistance médicale fournie, le requérant n’a aucun grief défendable à cet égard (voir, mutatis mutandis, Passaris c. Grèce (déc.), no 5334/07, 24 septembre 2009).

65. Il s’ensuit que cette partie du grief tiré de l’article 13 de la Convention doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

B. Sur les conditions de détention du requérant

1. Sur la recevabilité

66. Par ailleurs, constatant que la partie des griefs tirés des articles 3 et 13 de la Convention se rapportant aux conditions générales de détention du requérant à la prison de Diavata n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

2. Sur le fond

a) Sur le grief tiré de l’article 3 de la Convention

i) Thèses des parties

67. Le requérant se réfère à l’affaire Christodoulou et autres (précitée) pour dire que, étant donné qu’il s’est trouvé détenu avec le requérant Ioannis Christodoulou à la prison de Diavata en janvier et février 2013, les observations du Gouvernement dans cette dernière affaire relatives aux conditions de détention dans cet établissement sont également pertinentes en tant qu’éléments de preuve dans la présente espèce. En outre, il se réfère in extenso aux observations des parties dans la même affaire.

68. Renvoyant à sa version de ses conditions de détention à la prison de Diavata, il soutient que ses conditions de détention dans la cellule destinée aux personnes handicapées et plus généralement dans cet établissement ‑ notamment les prétendues absence d’accès à l’eau chaude pendant 23 heures par jour, absence de lumière naturelle suffisante, mauvaises conditions d’hygiène, absence d’accès suffisant à la cour, et surtout impossibilité de sortir dans la cour avec un fauteuil roulant ‑ devraient être qualifiées de traitement inhumain et étaient incompatibles avec son état de santé. En ce qui concerne les détenus handicapés, la situation serait exacerbée en raison d’une absence d’équipement adapté pour l’accès aux toilettes et aux douches, d’une absence d’interdiction de fumer, d’un manque d’assistance médicale suffisante, ainsi que d’une absence de suivi à même de prévenir le placement des détenus souffrant de maladies contagieuses avec ceux présentant un déficit immunitaire – tel l’intéressé.

69. Le Gouvernement réplique, tout d’abord, en se référant à ses observations relatives aux conditions générales régnant à la prison de Diavata, telles que décrites ci-dessus, ainsi qu’au suivi médical dont le requérant a fait l’objet. Il allègue, ensuite, que la durée totale de l’hospitalisation de l’intéressé n’était pas insignifiante et qu’elle ne peut être prise en compte pour le calcul de la durée de la détention litigieuse. Il soutient, enfin, que les assertions du requérant concernant ses conditions de détention sont manifestement mal fondées et qu’il ne ressort pas que l’aggravation de ses problèmes de santé a été causée par ses conditions de détention.

ii) Appréciation de la Cour

70. La Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en matière de principes généraux d’application de l’article 3 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente cause (voir, en dernier lieu, Muršić c. Croatie [GC], no 7334/13, §§ 96‑141, 20 octobre 2016).

71. Dans l’affaire Muršić (précitée), la Cour a confirmé que, lorsqu’un détenu disposait de plus de 4 m2 d’espace personnel en cellule collective et que cet aspect de ses conditions matérielles de détention ne posait donc pas de problème, les autres aspects, tels que l’offre d’activités hors cellule, l’accès à la lumière naturelle et le caractère adéquat de la ventilation, ainsi que les conditions générales d’hygiène, demeuraient pertinents aux fins de l’appréciation du caractère adéquat des conditions de détention de l’intéressé au regard de l’article 3 de la Convention (idem, § 140).

72. En l’espèce, la Cour note que les versions des parties concernant la surpopulation (notamment en ce qui concerne la superficie de la cellule) mais aussi les autres conditions à la prison de Diavata sont différentes. À cet égard, elle relève que, même si les parties s’accordent à dire que le requérant partageait sa cellule avec quatre autres détenus, ce dernier allègue que la superficie totale de la cellule était de 20 m2 et que l’espace personnel octroyé à chaque détenu était légèrement supérieur à 3 m2, alors que le Gouvernement soutient que la superficie du dortoir du requérant était de 24 m2 et que l’espace personnel de chaque détenu était de 4,4 m2.

73. Pour se forger son opinion, la Cour s’efforcera de prendre en considération ceux des éléments qui lui paraissent les plus objectifs et qui émanent de sources autres que les parties dans la présente affaire.

74. Ainsi, la Cour note que, selon les informations fournies au sujet de la présente affaire par la direction de la prison de Diavata au Gouvernement dans un document daté de 9 mai 2018, qui se trouve annexé aux observations de celui-ci, le requérant avait été placé dans un dortoir d’une superficie totale de 24 m2, destiné aux personnes handicapées et équipé de cinq lits, d’un système de climatisation, de toilettes adaptées et d’une douche d’une superficie de 2 m2, de sorte que la surface restante du dortoir était de 22 m2. Selon les précisions apportées par la direction pénitentiaire dans ce même document, le requérant partageait le dortoir avec quatre autres détenus. Il résulte de ces indications que chaque détenu disposait d’environ 4,4 m2 d’espace personnel.

75. Faute de constats objectifs, la Cour ne peut pas se prononcer sur la plupart des allégations du requérant concernant les conditions relatives au chauffage, à l’eau chaude, à l’éclairage, à la propreté des dortoirs et à la fourniture des produits d’hygiène. Elle relève cependant que la prison de Diavata ne dispose pas de réfectoire et que les détenus sont obligés de prendre leurs repas dans leurs cellules, assis sur leurs lits. Par ailleurs, elle prend note des assertions du requérant, qui affirme qu’il n’avait pas accès à la cour de promenade, que celle-ci n’était pas adaptée aux besoins des personnes handicapées, que son alimentation n’était pas appropriée à son état de personne diabétique et qu’il devait partager sa cellule avec des fumeurs, malgré les prescriptions contraires des médecins. Or ces allégations n’ont pas été démenties par le Gouvernement.

76. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que les conditions de détention du requérant, compte tenu notamment du handicap de l’intéressé et de la durée de son incarcération, ont soumis ce dernier à une épreuve d’une intensité qui excédait le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.

77. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne les conditions générales de détention du requérant à la prison de Diavata.

b) Sur le grief tiré de l’article 13 de la Convention

i) Thèses des parties

78. Le requérant se réfère en substance à ses observations relatives à l’exception préliminaire de non-épuisement soulevée par le Gouvernement. Il allègue qu’en général le caractère inadéquat de l’assistance et des soins médicaux pour les détenus handicapés révèle des déficiences structurelles du système pénitentiaire. Il ajoute que, dès son arrivée à la prison de Diavata, il a signalé ses problèmes de santé aux autorités, lesquelles avaient selon lui l’obligation positive de lui fournir une assistance médicale adéquate. Il soutient que, malgré ses multiples hospitalisations, les autorités n’ont pas honoré cette obligation, en raison de déficiences structurelles en ce domaine.

79. Le Gouvernement estime que, en l’absence – à ses dires – d’une violation de l’article 3 de la Convention en l’espèce, le requérant n’a pas de « grief défendable » et ne peut donc invoquer l’article 13 de la Convention. À titre subsidiaire, il indique que le requérant avait à sa disposition des voies de recours effectives, et il renvoie à cet égard à son exception préliminaire relative à l’exercice préalable des voies de recours internes. Selon le Gouvernement, en l’occurrence, le recours prévu à l’article 286 § 2 du CPP était une voie de recours effective, dès lors que son exercice par le requérant a eu pour conséquences l’examen en détail des circonstances de la présente affaire et la mise en liberté de l’intéressé. Le Gouvernement argue que le fait que les autorités compétentes ont accueilli la demande du requérant ne constituait pas un cas isolé et exceptionnel de prise en considération par lesdites autorités des raisons évoquées par un détenu relativement à son état de santé et de remise en liberté, et il se réfère à cet égard à une ordonnance du juge d’instruction d’Athènes prise dans une affaire similaire.

ii) Appréciation de la Cour

80. La Cour rappelle que l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours pour les griefs que l’on peut estimer « défendables » au regard de la Convention. Un tel recours doit habiliter l’instance nationale compétente à connaître du contenu du grief fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié, même si les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que leur fait cette disposition et même si la portée de ces obligations varie en fonction de la nature du grief que le requérant tire de la Convention. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 de la Convention doit être « effectif » en pratique comme en droit (Mc Glinchey et autres c. Royaume-Uni, no 50390/99, § 62, CEDH 2003-V).

81. En l’espèce, la Cour relève que, dans son recours du 18 février 2013, le requérant a fait état, certificats médicaux à l’appui, de ses problèmes de santé, de son invalidité, dont le taux était de 80 %, ainsi que du fait qu’il avait été hospitalisé quelques jours après son placement en détention. De même, l’intéressé s’est référé à ses problèmes de santé, ainsi qu’à ses conditions de détention, qu’il qualifiait de mauvaises, lors de ses demandes introduites le 5 avril 2013 devant le juge d’instruction. De plus, le 9 avril 2013, le requérant a déposé un mémoire supplémentaire à son recours du 18 février 2013, dans lequel il affirmait que ses problèmes de santé avaient empiré depuis son placement en détention et que ses conditions de détention, qu’il décrivait en détail, étaient incompatibles avec son état de santé.

82. Or la Cour constate que, si le juge d’instruction a finalement décidé la mise en liberté sous condition du requérant, c’est seulement après avoir relevé que celui-ci ne risquait plus de commettre de nouvelles infractions. En revanche, le juge d’instruction ne s’est livré à aucune analyse des conditions de détention et des problèmes de santé du requérant, alors que, dans son avis, le procureur avait souligné le taux d’invalidité et les problèmes cardiologiques graves de l’intéressé et avait estimé que la prolongation du placement de ce dernier dans un établissement pénitentiaire pouvait s’avérer fatale en raison des mauvaises conditions régnant dans les prisons grecques.

83. Dès lors, la Cour considère qu’en l’espèce le recours exercé par le requérant sur le fondement de l’article 286 § 2 du CPP n’a pas assuré à celui-ci un redressement approprié, car, au-delà de la question de la remise en liberté, le juge d’instruction n’a pas répondu aux griefs formulés par l’intéressé relativement à ses conditions de détention.

84. Eu égard à ce qui précède, et suivant le même raisonnement que celui ayant conduit au rejet de l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement (paragraphes 44-55 ci‑dessus), la Cour estime qu’il y a donc eu violation de l’article 13 de la Convention, combiné avec l’article 3 relativement aux conditions générales de détention à la prison de Diavata.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

85. Le requérant se plaint que le juge d’instruction n’ait pas examiné dans un « bref délai » son recours contre le mandat de mise en détention établi contre lui. Il dénonce à cet égard une violation de l’article 5 § 4 de la Convention. Cette disposition se lit ainsi :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A. Sur la recevabilité

86. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

87. Le requérant expose qu’il a essayé d’attaquer l’ordonnance de mise en détention provisoire dans les cinq premiers jours de sa détention, mais que la personne qu’il avait désignée pour le représenter n’était plus membre du barreau. Il ajoute que, après avoir trouvé un nouvel avocat, il a introduit une demande de levée de la mesure de détention provisoire, comportant l’apposition de la mention « urgent ». Il dit aussi que, alors que sa demande était pendante, il a produit des mémoires et des attestations relatives à son état de santé, afin de démontrer sa mise en danger à raison de ses conditions de détention. S’agissant de l’allégation du Gouvernement selon laquelle le retard dans l’examen de sa demande était justifié en l’espèce par le nombre de ses coaccusés, le requérant rétorque qu’est en cause un problème systémique, déjà relevé dans des affaires similaires. Il estime que, étant donné qu’il a été libéré le 25 avril 2013 sous condition, l’examen de son recours, qui a pris deux mois et deux semaines, a été d’une durée qui ne peut être considérée comme raisonnable selon les critères établis par la jurisprudence de la Cour.

88. Procédant à une analyse chronologique des faits, le Gouvernement expose que le requérant a demandé le 18 février 2013 la levée de la mesure de sa détention ou, alternativement, son remplacement par d’autres mesures restrictives, que le juge d’instruction a transmis le recours au bureau du procureur près le tribunal de première instance de Thessalonique le 1er avril 2013 et que le recours a été attribué le 5 avril 2013 à un procureur pour examen. Il ajoute que celui-ci a rédigé son avis le 15 avril 2013, que le juge d’instruction a décidé le 24 avril 2013 de remplacer la mesure de détention par d’autres mesures restrictives et que le requérant a été mis en liberté le 25 avril 2013.

89. Le Gouvernement indique ensuite que, du 30 janvier au 15 mars 2013, le dossier de l’affaire ne se trouvait pas au bureau du juge d’instruction, car, selon lui, certains des coaccusés du requérant dans la même affaire avaient introduit le 29 janvier 2013 des demandes de levée de la mesure restrictive qui leur avait été infligée. À ses dires, ces demandes avaient été transmises au bureau du procureur près le tribunal de première instance de Thessalonique le 30 janvier 2013 puis attribuées à un procureur, et ce dernier avait rédigé des avis les 13 et 15 mars 2013, à la suite de quoi le juge d’instruction avait émis des ordonnances en date des 15 et 21 mars 2013 et du 1er avril 2013. Le laps de temps écoulé jusqu’au 1er avril 2013 aurait ainsi été nécessaire pour l’émission desdites ordonnances par le juge d’instruction. Le Gouvernement précise que, quand la procédure concernant les coaccusés du requérant s’est terminée avec l’émission de l’ordonnance du 1er avril 2013 du juge d’instruction, ce dernier a transmis le jour même la demande du requérant au bureau du procureur près le tribunal de première instance. Il ajoute que, le 5 avril 2013, le requérant a introduit devant le juge d’instruction trois demandes, et que celles-ci ont été transmises le jour même au bureau du procureur près le tribunal de première instance.

90. Aussi le Gouvernement considère-t-il que le délai mis pour l’examen des demandes du requérant contre son maintien en détention a été raisonnable et justifié en l’espèce, compte tenu de l’ensemble des actions ayant été menées par les autorités judiciaires, ainsi que du temps requis pour l’étude du dossier, nécessaire pour l’examen de l’affaire tant par le procureur que par le juge d’instruction. Selon lui, le délai mis pour l’examen du recours du requérant n’a pas été excessif en l’espèce et il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

91. La Cour renvoie aux principes généraux tels qu’ils se trouvent énoncés notamment dans l’arrêt Ilnseher c. Allemagne [GC], nos10211/12 et 27505/14, §§ 251-256, 4 décembre 2018).

92. Il en ressort que le point de savoir si le droit à une décision à bref délai a été respecté doit s’apprécier à la lumière des circonstances de l’espèce, notamment la complexité de la procédure, la manière dont elle a été conduite par les autorités nationales et par le requérant et l’enjeu qu’elle représentait pour ce dernier (Ilnseher, précité, § 252). Dans le cadre de l’examen d’une demande de libération, la complexité des questions médicales, ou autres, en jeu est un facteur pouvant entrer en ligne de compte lorsqu’il s’agit d’apprécier le respect de l’exigence du contrôle à « bref délai » posée par l’article 5 § 4. La complexité d’un dossier donné, quelque exceptionnelle qu’elle soit, ne saurait pourtant dispenser les autorités nationales de se conformer à leurs obligations essentielles au regard de cette disposition (Ilnseher, précité, § 253).

93. L’article 5 § 4 n’astreint pas les États contractants à instaurer plus d’un degré de juridiction pour l’examen de la légalité de la détention et pour celui des demandes d’élargissement. Néanmoins, un État qui offre un second degré de juridiction doit en principe accorder aux détenus les mêmes garanties aussi bien en appel qu’en première instance, y compris en ce qui concerne la célérité du contrôle par l’organe d’appel d’une ordonnance de détention imposée par une juridiction inférieure (Ilnseher, précité, § 254).

94. Pour déterminer s’il a été satisfait à l’exigence de respect d’un « bref délai », il faut se livrer à une appréciation globale lorsque la procédure s’est déroulée devant plusieurs degrés de juridiction. Lorsque l’ordonnance initiale de placement en détention a été prise par un tribunal (c’est-à-dire par un organe judiciaire indépendant et impartial) dans le cadre d’une procédure offrant les garanties judiciaires appropriées, et lorsque le droit interne instaure un double degré de juridiction, la Cour est disposée à tolérer que le contrôle devant une juridiction de deuxième instance prenne plus de temps (Ilnseher, précité, § 255).

95. La Cour a défini dans sa jurisprudence des normes relativement rigoureuses concernant le respect par l’État de l’exigence de célérité. Une analyse de sa jurisprudence révèle que, dans les procédures de recours qui se déroulent devant des juridictions ordinaires et qui font suite à une ordonnance de placement en détention prise par un tribunal de première instance, des retards de plus de trois à quatre semaines dont les autorités doivent être tenues pour responsables sont susceptibles de soulever un problème du point de vue de l’exigence de célérité énoncée à l’article 5 § 4, à moins que ce délai de contrôle plus long ne soit exceptionnellement justifié dans les circonstances de l’affaire (voir, entre autres, G.B. c. Suisse, no 27426/95, §§ 27 et 32-39, 30 novembre 2000 – où la Cour a dit qu’un délai de trente-deux jours pour qu’un procureur fédéral et un tribunal fédéral se prononcent sur la demande d’élargissement d’un requérant était contraire à l’article 5 § 4 –, et Lebedev, précité, §§ 98-102 – où la Cour a dit que les autorités étaient responsables de vingt-sept jours sur le délai total qu’il a fallu à la cour d’appel pour statuer sur la demande de remise en liberté du requérant, ce qui était incompatible avec l’article 5 § 4 – ; pour d’autres exemples, voir Piotr Baranowski c. Pologne, no 39742/05, § 64, 2 octobre 2007, et Shcherbina c. Russie, no 41970/11, § 65, 26 juin 2014).

96. Dans l’affaire Ilnseher, précité, la Cour a conclu à la non-violation de l’article 5 § 4 de la Convention à raison de la durée de la procédure de contrôle de la détention provisoire du requérant (onze mois et un jour pour trois degrés de juridiction). Elle a estimé que, compte tenu notamment de la complexité de l’affaire, d’un point de vue tant juridique que factuel, la durée de la procédure devant les juridictions internes avait satisfait à l’exigence de célérité posée par l’article 5 § 4. Dans cette affaire, la Cour a également réitéré sa jurisprudence selon laquelle, elle se dit disposée à tolérer que le contrôle devant une juridiction de deuxième instance prenne plus de temps lorsque l’ordonnance initiale de placement en détention a été adoptée par un tribunal dans le cadre d’une procédure qui a offert les garanties judiciaires appropriées.

b) Application de ces principes au cas d’espèce

97. En ce qui concerne la période à prendre en compte pour déterminer si l’État défendeur a satisfait à l’exigence de célérité posée par l’article 5§ 4, la Cour observe que cette période a commencé le 18 février 2013, date à laquelle il a demandé sa mise en liberté sous condition. Elle a pris fin le 24 avril 2013, date à laquelle le juge d’instruction a fait droit à sa demande. Cette période a donc duré soixante-cinq jours.

98. La Cour note en outre que le requérant a été arrêté et placé en détention provisoire en vertu d’un mandat émis par le juge d’instruction (mandat no 2/2013).

99. Il n’apparaît pas que le requérant ait substantiellement contribué à la durée de la procédure devant cette juridiction.

100. La Cour rappelle que le requérant fut arrêté et placé en détention provisoire, le 16 janvier 2013, par le juge d’instruction. Elle note que ce dernier jouit, en tant qu’organe judiciaire, d’indépendance et d’impartialité, ce qui n’est pas contesté par les parties. De l’avis de la Cour, la présente affaire doit être distinguée des affaires où la détention des intéressés est imposée par un organe administratif ne jouissant pas des mêmes garanties. Par ailleurs, le réexamen de la légalité de la détention du requérant, suite à l’introduction par lui de la demande du 18 février 2013, a eu lieu par un juge d’instruction, qui était, lui aussi, indépendant et impartial et qui a statué sur la base de l’avis no 52/2013 du procureur près le tribunal de première instance. En statuant sur la demande de libération du requérant, le 24 avril 2013, le juge d’instruction avait la plénitude de juridiction et était libre de maintenir la détention du requérant ou de le libérer, ce qu’il a d’ailleurs fait.

101. La Cour considère en outre que la procédure devant le juge d’instruction était relativement complexe, d’un point de vue tant juridique que factuel. En effet, le juge d’instruction devait examiner, en deuxième instance, le recours du requérant contre son placement en détention. Dans ce recours, le requérant faisait état de ses problèmes de santé, de son invalidité, dont le taux avait été déterminé au 80 %, ainsi que du fait qu’il avait été hospitalisé quelques jours après son placement en détention. Il fournissait également des certificats médicaux qui méritaient d’être examinées.

102. Qui plus est, la Cour note que, conformément à la procédure prévue par l’article 286 du CPP, tel qu’en vigueur à l’époque des faits, avant de statuer sur le recours du requérant du 18 février 2013, le juge d’instruction était tenu à transmettre le dossier de l’affaire au bureau du procureur, afin que ce dernier donne son avis sur le maintien de la détention du requérant. Cette procédure, prévue par le droit interne, prolonge bien entendu la durée de la procédure : à titre indicatif, le juge d’instruction envoya l’affaire au bureau du procureur le 1er avril 2013, le procureur donna son avis le 15 avril 2013 et le juge d’instruction décida la mise en liberté du requérant le 24 avril 2013.

103. Eu égard à la complexité de l’affaire et au fait que tant le juge d’instruction qui a imposé la détention du requérant que le juge d’instruction qui a réexaminé le placement en détention du requérant étaient des organes judiciaires qui jouissaient de l’indépendance et d’impartialité – situation dans laquelle la Cour est disposée à tolérer des délais de contrôle plus longs (paragraphes 95 et 96 ci‑dessus) – la Cour estime que la procédure devant la juridiction d’appel a satisfait à l’exigence de célérité dans les circonstances de l’espèce.

104. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention à cet égard.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

105. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

106. Le requérant réclame la somme totale de 13 418 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’il estime avoir subi. Il ventile sa demande comme suit : 8 000 EUR, correspondant à la somme versée à T.S., désigné pour le représenter, et 5 418 EUR, correspondant à la somme dépensée par sa femme et lui pendant sa détention. Il produit notamment des copies de relevés bancaires et des factures de divers montants à cet égard.

Au titre du dommage moral qu’il dit avoir subi, le requérant réclame, respectivement, 28 000 EUR, 12 000 EUR et 10 000 EUR, pour chacune des violations, alléguées par lui, de l’article 3 de la Convention, de l’article 5 §§ 1 et 4 de la Convention, et de l’article 13 de la Convention pris seul et combiné avec les articles susmentionnés. Il demande également 6 000 EUR pour l’éventuelle violation de tout autre article de la Convention, dont il s’est plaint dans sa requête. Enfin, le requérant demande que toute somme allouée soit versée directement sur le compte bancaire de sa représentante.

107. En ce qui concerne le dommage matériel, le Gouvernement soutient que les montants prétendument exposés par le requérant et sa femme ne sont ni spécifiés ni détaillés et qu’il n’y a pas de lien de causalité entre le dommage matériel allégué et la violation constatée. Pour ce qui est du dommage moral, il estime que les montants réclamés sont excessifs et non justifiés à l’égard des griefs communiqués, de la jurisprudence de la Cour en la matière et de la crise économique actuelle en Grèce. Selon le Gouvernement, le constat d’une violation constituerait en soi une satisfaction équitable en l’espèce. Quant à la demande du requérant de versement des sommes éventuellement allouées sur le compte bancaire de sa représentante, le Gouvernement invite la Cour à la rejeter.

108. À l’instar du Gouvernement, la Cour ne voit pas de lien de causalité entre les violations constatées et le dommage matériel allégué et elle rejette la demande y afférente. En revanche, elle rappelle qu’elle a conclu à la violation des articles 3 et 13 de la Convention quant aux conditions de détention du requérant et à l’absence d’un recours effectif à cet égard. Dès lors, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant la somme de 3 900 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

109. Le requérant demande également la somme de 8 000 EUR, qu’il dit avoir versée à T.S., censé le représenter, ainsi que la somme de 8 729, 60 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. En ce qui concerne cette dernière somme, il précise avoir signé un accord avec sa représentante aux termes duquel il versera à cette dernière la somme en question à l’issue de la procédure devant la Cour, et il produit une facture correspondant à ladite somme. En outre, il invite la Cour à ordonner le versement de cette somme, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par sa représentante, sur le compte de cette dernière.

110. Le Gouvernement argue que le requérant ne prouve pas avoir effectivement versé le montant de 8 000 EUR. Il ajoute qu’il ne peut être considéré comme responsable pour les accords conclus par le requérant avec un tiers. En ce qui concerne le montant de 8 729, 60 EUR, il estime que la Cour ne peut être liée par l’accord passé entre le requérant et sa représentante et que, en tout état de cause, le montant réclamé est excessif. En ce qui concerne la demande du requérant de versement de la somme allouée sur le compte bancaire de sa représentante, le Gouvernement invite la Cour à la rejeter.

111. La Cour rappelle qu’elle a conclu à une violation des articles 3 et 13 de la Convention. Compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, elle estime raisonnable d’accorder au requérant la somme de 1 000 EUR au titre des frais et dépens pour la procédure devant elle. Elle accueille aussi la demande du requérant concernant le versement direct de cette somme sur le compte bancaire de sa représentante.

C. Intérêts moratoires

112. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 3 et 13 de la Convention concernant les conditions de détention du requérant à la prison de Diavata, ainsi que de l’article 5 § 4 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à raison des conditions de détention du requérant à la prison de Diavata ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention à raison de l’absence d’un recours effectif offrant au requérant la possibilité de se plaindre de ses conditions de détention à la prison de Diavata;

4. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

5. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes:

i. 3 900 EUR (trois mille neuf cents euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens, à verser directement sur le compte bancaire de la représentante de l’intéressé ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 janvier 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Abel Campos                                          Ksenija Turković
Greffier                                                       Présidente

Dernière mise à jour le février 11, 2021 par loisdumonde

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