Cour européenne des droits de l’homme (Requête no 1162/22)
Les requérants soulignent qu’en raison de la nasse réalisée place Bellecour pendant plus de six heures, en dehors de tout fondement légal, de nombreux individus n’ont pu rejoindre la manifestation, autorisée, à laquelle ils souhaitaient participer, aucune sortie du cordon policier n’étant possible, sauf à s’exposer à une interpellation et à une sanction pénale. Ils ajoutent que ce n’est qu’à compter de la fin de la manifestation que la levée du dispositif a été envisagée, soit plus de trois heures et trente minutes après sa mise en place. Cela révélerait l’objectif réel poursuivi par les forces de l’ordre.
Selon les requérants, il ressort des observations du Gouvernement que les autorités ont privilégié leur obligation positive de maintien de l’ordre public afin de protéger les manifestants non violents au détriment de leur obligation négative de ne pas restreindre le droit de réunion pacifique, alors que l’une ne saurait absorber l’autre. Ils ajoutent qu’il faut prendre en compte l’effet dissuasif de la mesure d’encerclement – prise à titre préventif pour éviter l’infiltration de casseurs dans la manifestation – sur les manifestants pacifistes, qui ont été privés de leur droit de réunion et de manifestation alors qu’aucune infraction n’avait été commise. Ils estiment que les circonstances exceptionnelles invoquées par le Gouvernement ne justifiaient pas une telle mesure, dont l’effet a été que tous les manifestants pacifiques n’ont pas eu la possibilité de rejoindre la manifestation. Il en découlerait qu’à l’heure où elle a été décidée, la mesure d’encerclement était excessive, même si, comme le soutient le Gouvernement, son objet n’était pas d’empêcher les manifestants pacifistes de rejoindre la manifestation et d’entraver leurs libertés d’expression et de réunion.
Le Gouvernement déclare ne pas contester que les organisateurs de la manifestation du 21 octobre 2010 n’avaient pas d’intention violente et que le recours à la technique de l’encerclement constituait une ingérence dans l’exercice des libertés d’expression et de réunion. Renvoyant à ses arguments relatifs à l’article 2 du Protocole no 4, il estime toutefois que cette ingérence était prévue par la loi. Il ajoute qu’elle avait pour buts légitimes la défense de l’ordre et la prévention du crime, ainsi que la protection des droits et libertés d’autrui, dès lors qu’elle visait à éviter que des individus identifiés comme des casseurs, ayant commis des actes répréhensibles ou ayant le visage dissimulé, particulièrement mobiles, infiltrent la manifestation pacifique et fassent dégénérer la situation comme les jours précédents, lors desquels de nombreuses exactions violentes et des scènes d’émeutes et de pillages avaient eu lieu.
Le Gouvernement fait ensuite valoir que les forces de l’ordre avaient en vertu de l’article 11 l’obligation positive de protéger l’intégrité des manifestants non-violents et l’effectivité de leur liberté de réunion, que l’objectif n’était pas d’empêcher les manifestants pacifistes de rejoindre la manifestation – laquelle a bien eu lieu – , et que les autorités de police, qui avaient eu pour consigne de distinguer ceux-ci des casseurs, avaient autorisé certains à quitter le dispositif vers 15h30. Si tous n’ont pas eu la possibilité de rejoindre la manifestation, ce serait dû au fait qu’il y avait un nombre important de casseurs, ce qui aurait compliqué le filtrage, et à la survenance d’incidents tels que des jets de pierres sur les policiers. Il souligne que l’obligation à la charge des autorités était une obligation de moyens plutôt que de résultat, et que les juridictions nationales ont correctement contrôlé la nécessité et la proportionnalité, et ont considéré que le recours à la technique de l’encerclement était la mesure la plus appropriée et la plus efficace pour sauvegarder l’ordre public.
Cour européenne des droits de l’homme
La Cour constate que, confinés sur la place Bellecour l’après-midi du 21 octobre 2010 en conséquence de la mesure d’encerclement litigeuse, les requérants se sont vus empêchés de participer à la manifestation contre un projet de réforme du régime des retraites qui se déroulait concomitamment.
À cet égard, la Cour ne voit pas de raison de douter des déclarations, non contestées par le Gouvernement, des requérants selon lesquelles ils avaient l’intention de participer à cette manifestation dans le seul but d’exprimer leur opinion.
Elle note que, contrairement aux autres requérants, Mme Caroline Benkheffa a quitté la place Bellecour avant la fin de la manifestation, à 16 heures 45. Toutefois, à supposer qu’elle en ait eu la possibilité, sortie de la place à 16 heures 15, elle n’a été en mesure de rejoindre le cortège, parti vers 14 heures 30 d’un autre lieu, qu’alors que la manifestation s’achevait.
La Cour en déduit que le confinement des requérants sur la place Bellecour du fait de son encerclement par les forces de l’ordre est constitutif d’une ingérence dans l’exercice de leur liberté de réunion pacifique et de leur liberté d’expression, ce que le Gouvernement ne conteste pas.
Elle rappelle qu’aux termes de l’article 11 comme de l’article 10, toute mesure restreignant ces libertés doit avant tout être « prévue par la loi ».
Les raisons exposées aux paragraphes 87-95 ci-dessus dans le cadre de l’examen du grief relatif à l’article 2 du Protocole no 4 la conduisent à constater de même que cette condition n’était pas remplie en l’espèce. Partant, il y a eu violation de l’article 11 de la Convention, lu à la lumière de l’article 10.
AFFAIRE AURAY ET AUTRES c. FRANCE (Cour européenne des droits de l’homme) 1162/22. Texte intégral du document.
Dernière mise à jour le février 8, 2024 par loisdumonde
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