AFFAIRE LÉOTARD c. FRANCE – L’affaire concerne la compatibilité d’une procédure pénale diligentée à l’encontre d’un ancien ministre de la Défense avec exigences de l’article 6 §§ 1, 3 b) et 3 d) de la Convention

Cour européenne des droits de l’homme (Requête no 41298/21)

Le requérant prétend que le juge d’instruction initialement saisi des faits aurait dissimulé plusieurs pièces de nature à établir la prescription de l’action publique, en ne versant au dossier de la procédure que certains extraits de la procédure du Fondo. Il fait valoir que ces pièces évoquaient déjà le fait que des rétrocommissions avaient pu être versées en marge du contrat Sawari II, et qu’elles étaient connues des autorités judiciaires depuis 1998.

Il soutient par ailleurs que ces pièces, finalement produites par son coprévenu, ont ensuite été dénaturées par la CJR, qui aurait arbitrairement écarté l’exception de prescription.

Le Gouvernement conteste toute dissimulation de preuves. Il souligne que le requérant a été poursuivi et condamné dans l’affaire du Fondo, de sorte qu’il a eu accès à l’entier dossier de cette procédure. Il relève par ailleurs que le requérant n’a pas sollicité la production de pièces complémentaires dans le cadre de la procédure litigieuse, et qu’il ne s’est pas non plus prévalu de la prescription devant la CJR. Il fait enfin valoir que les pièces litigieuses ont été examinées avec attention par les juridictions internes dans le cadre d’une requête aux fins de constatation de la prescription puis d’un pourvoi en cassation formés par M. Balladur, et que le requérant cherche en réalité à remettre en cause leur appréciation.

La Cour européenne des droits de l’homme rappelle que l’article 6 § 1 exige que les autorités de poursuite communiquent à la défense toutes les preuves pertinentes, à charge comme à décharge, qu’elles ont en leur possession.

Elle rappelle par ailleurs qu’il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit éventuellement commises par les juridictions internes, sauf si et dans la mesure où elles peuvent avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention. L’article 6 § 1 ne réglemente pas l’admissibilité des preuves ou leur appréciation, matière qui relève au premier chef du droit interne et des juridictions nationales. En principe, des questions telles que le poids attaché par les tribunaux nationaux à tel ou tel élément de preuve ou à telle ou telle conclusion ou appréciation dont ils ont eu à connaître échappent au contrôle de la Cour. Celle-ci n’a pas à tenir lieu de juge de quatrième instance et elle ne remet pas en cause, sous l’angle de cette disposition, l’appréciation des tribunaux nationaux, sauf si leurs conclusions peuvent passer pour arbitraires ou manifestement déraisonnables.

S’agissant tout d’abord des allégations de dissimulation de preuves de nature à établir la prescription, la Cour constate que le juge d’instruction initialement saisi des faits a procédé de son propre chef à l’exploitation d’une procédure antérieure, dans laquelle l’existence de rétrocommissions liée au contrat Sawari II avait été évoquée. Elle note que celui-ci a versé au dossier de la procédure qu’il instruisait l’ensemble des actes d’investigation qui étaient susceptibles d’accréditer cette hypothèse. Dans le cadre de la procédure litigieuse, le requérant a ainsi eu accès à ces éléments factuels dès sa mise en examen.

Le requérant fait valoir que le juge d’instruction a omis de verser au dossier certains éléments de procédure, et en particulier la demande d’acte du ministère public du 6 août 1999, l’ordonnance de rejet de 3 août 2000 et l’arrêt rendu par la chambre de l’instruction de Paris le 31 janvier 2001 dans cette affaire. À supposer même que ces pièces soient pertinentes pour l’appréciation de la prescription et donc qu’elles soient de nature à disculper le requérant, la Cour constate que celui-ci a été partie à la procédure relative à l’affaire du Fondo et qu’il a eu accès à ce titre à l’ensemble de ces documents. De plus, ces pièces ont été produites et débattues devant la CJR à l’initiative de M. Balladur. La Cour en déduit que le requérant n’est pas fondé à se plaindre d’un défaut de communication de preuves à décharge.

S’agissant ensuite de l’appréciation de ces éléments de preuve, la Cour relève qu’ils ont tous été examinés par la commission d’instruction et par la CJR lorsqu’elles ont statué sur les demandes relatives à la prescription présentées par M. Balladur. Elle observe que le requérant a eu la possibilité de s’associer à ces demandes, mais qu’il s’en est abstenu. Elle note que le pourvoi en cassation formé par le requérant à l’encontre de l’arrêt du 4 mars 2021 ne permettait pas un réexamen de ces éléments, compte tenu de l’office du juge de cassation.

La Cour constate au surplus que la commission d’instruction de la CJR a, dans le cadre de son arrêt du 21 décembre 2017, procédé à un examen détaillé des éléments dont les magistrats en charge de la procédure du Fondo avaient connaissance en 1998. Elle a relevé qu’à cette date, l’existence de rétrocommissions en marge du contrat Sawari II n’avait été évoquée qu’en termes hypothétiques par deux journalistes, qui n’avaient pas souhaité communiquer l’identité de leur source. Elle a par ailleurs constaté que cette piste n’avait pas été corroborée, tandis que d’autres éléments tendaient au contraire à la démentir. Forte de ces constatations, elle a estimé que le ministère public n’était pas en mesure d’exercer l’action publique sur une telle base factuelle et en a conclu que le point de départ de la prescription ne pouvait être fixé à cette date. La Cour considère que de telles constatations ne peuvent passer pour arbitraires ou manifestement déraisonnables dans les circonstances de l’espèce.

À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour estime que la cause du requérant a été examinée dans le respect des exigences de l’article 6 §§ 1, 3 b) et d) de la Convention. Partant, il n’y a pas eu violation de cette disposition.

AFFAIRE LÉOTARD c. FRANCE (Cour européenne des droits de l’homme) 41298/21. Texte intégral du document.

Dernière mise à jour le décembre 14, 2023 par loisdumonde

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