Résumé juridique
Juillet 2023
Semenya c. Suisse – 10934/21
Arrêt 11.7.2023 [Section III]
Article 13
Recours effectif
Recours ineffectifs contre la discrimination d’une athlète professionnelle présentant des différences du développement sexuel obligée par un Règlement non étatique de réduire son taux naturel de testostérone afin de participer aux compétitions internationales dans la catégorie féminine : violation
Article 14
Discrimination
Discrimination d’une athlète professionnelle présentant des différences du développement sexuel obligée par un Règlement non étatique de réduire son taux naturel de testostérone afin de participer aux compétitions internationales dans la catégorie féminine : violation
En fait – La requête a été introduite par une athlète sud-africaine de niveau international spécialiste des courses de demi-fond (800 à 3 000 mètres), qui se plaint du « Règlement régissant la qualification dans la catégorie féminine (pour les athlètes présentant des différences du développement sexuel) » (Règlement DSD) de l’International Association of Athletics Federations (IAAF, désormais World Athletics) l’obligeant à réduire son taux naturel de testostérone par des traitements hormonaux pour pouvoir participer aux compétitions internationales dans la catégorie féminine. Refusant de se soumettre à un tel traitement, la requérante n’a pas pu participer aux compétitions internationales. Ses recours contre le règlement en question ont été rejetés par le Tribunal arbitral du sport (TAS) et le Tribunal fédéral.
En cours de procédure, l’IAAF modifia la liste des DSD couvertes par le Règlement DSD, de sorte qu’il s’applique désormais uniquement aux athlètes « 46 XY DSD », c’est-à-dire aux personnes possédant des chromosomes XY et non des chromosomes XX. En d’autres termes, les personnes possédant des chromosomes XX mais ayant un taux de testostérone plus élevé ne sont pas soumises à ce règlement.
En droit –
Compétence ratione personae et loci – La Cour ne voit pas de motifs justifiant de se départir de ses précédentes conclusions dans des affaires relevant d’arbitrage sportif. Le fait que l’IAAF est une entité de droit privé monégasque ayant son siège à Monaco, et non une association de droit privé suisse (comme la FIFA – Platini c. Suisse (déc.) et l’ISU – Mutu et Pechstein c. Suisse) ne change rien quant à la compétence ratione personae et loci de la Cour, en particulier dans la mesure où son examen portera avant tout sur la procédure menée devant le TAS et le Tribunal fédéral. En outre, dans la présente affaire, dans le cadre d’un arbitrage forcé qui privait la requérante de la possibilité de saisir les juridictions ordinaires dans son propre pays ou ailleurs, la seule voie qui était ouverte à l’intéressée était le recours au TAS, puis le recours au Tribunal fédéral. La Cour ne nie pas les avantages d’un tel système « centralisé » pour les litiges en matière de sport, notamment afin de garantir une certaine cohérence et uniformité de la jurisprudence du TAS au niveau international. Néanmoins, si la Cour se déclarait incompétente pour connaître de ce type de requêtes, elle risquerait de couper de son accès à toute une catégorie de personnes, à savoir les sportives professionnelles, ce qui ne peut pas être conforme à l’esprit, à l’objet et au but de la Convention.
Dans la mesure où les conclusions du TAS ont fait l’objet d’un examen par le Tribunal fédéral quant aux griefs soulevés par la requérante, la Cour conclut qu’à la lumière de sa jurisprudence, la cause de l’intéressée relève de la « juridiction » de la Suisse au sens de l’article 1 de la Convention, et ce même si la haute juridiction suisse ne s’est pas explicitement référée aux dispositions de la Convention et n’a bénéficié que d’un pouvoir de contrôle restreint, à savoir limité à la question de la compatibilité de la sentence attaquée avec l’ordre public suisse. Par conséquent, la Cour a compétence ratione personae et loci pour examiner la présente requête.
Conclusion : exception préliminaire rejetée (incompatibilité ratione personae et ratione loci).
Article 14 combiné avec l’article 8 :
1) Applicabilité – La requérante soutient que les mesures litigieuses affectent le noyau dur des droits protégés par l’article 8, notamment en ce que le TAS et le Tribunal fédéral ont estimé qu’elle n’était pas suffisamment féminine pour le domaine du sport. À cet égard, la Cour estime que les caractéristiques sexuelles d’une personne relèvent de sa « vie privée » au sens de l’article 8. Dans la mesure où l’intéressée est obligée de subir un traitement médical pour ne pas être exclue de la catégorie féminine de certaines compétitions d’athlétisme du fait de ses DSD qui entraînent un taux élevé de testostérone, elle est directement affectée dans son identité personnelle.
La notion d’autonomie personnelle reflète un principe important qui sous-tend l’interprétation des garanties de l’article 8. En l’espèce, le Tribunal fédéral a souligné que les pilules contraceptives ne sont pas prescrites de force aux athlètes féminines 46 XY DSD puisque celles-ci conservent toujours la possibilité de refuser de suivre un tel « traitement ». Cette conclusion est néanmoins la preuve du dilemme devant lequel se trouve la requérante : soit elle se soumet à un traitement médicamenteux, susceptible de porter atteinte à son intégrité physique et psychique, afin de diminuer son niveau de testostérone et de pouvoir exercer son métier, soit elle refuse ce traitement avec la conséquence de devoir renoncer à ses compétitions de prédilection, et donc à l’exercice de sa profession. Or, étant donné que l’autonomie personnelle est protégée par l’article 8 et que le choix auquel est confronté la requérante affecte nécessairement des droits qui relèvent du champ d’application de cet article, à savoir le droit d’exercer sa profession, d’une part, ou le droit à l’intégrité physique et psychique, d’autre part, les faits de la cause tombent sous l’empire de cette disposition.
Par ailleurs, l’article 8 peut s’étendre aux activités professionnelles. En l’espèce, la requérante est gravement entravée dans l’exercice de sa profession étant donné que le Règlement DSD l’empêche de participer aux compétitions internationales dans lesquelles elle a obtenu ses plus grands succès. Dans la mesure où ce règlement a sa propre logique concernant les caractéristiques sexuelles, notamment génétiques, des athlètes, la Cour estime que les « motifs » derrière l’adoption du règlement litigieux relèvent de la vie privée de la requérante. En outre, ce règlement est également susceptible d’avoir des « conséquences » considérables sur la jouissance par la requérante de son droit au respect de sa vie privée, notamment sur sa réputation, sa sphère privée et sa dignité.
Enfin, et à l’appui de ses conclusions, la Cour estime approprié de se référer à celles du rapport « Convergence de la discrimination raciale et de la discrimination fondée sur le genre dans le sport » de la Haute-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme qui y expose que les règlementations actuellement en vigueur concernant les conditions de participation des femmes dans la catégorie féminine peuvent avoir des incidences négatives, entre autres, sur le droit au travail et à des conditions équitables et satisfaisantes de travail, sur le droit au meilleur état de santé physique et mentale possible, sur le droit de ne pas subir d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, ainsi que sur le droit au respect de sa dignité, de son intégrité physique et de son autonomie corporelle.
Conclusion : article 14 combiné avec l’article 8 sous son volet « vie privée » applicable.
2) Fond –
a) Sur l’existence d’un motif de discrimination prohibé par l’article 14 – La requérante invoque principalement comme motif de discrimination ses caractéristiques sexuelles, en particulier son taux de testostérone élevé causé par ses DSD. À cet égard, elle peut se prétendre victime d’une discrimination fondée sur le « sexe » au sens de l’article 14, ainsi que sur les caractéristiques sexuelles (notamment génétiques), notion qui est couverte par cette disposition.
b) Sur l’existence d’une différence de traitement entre des personnes placées dans des situations analogues ou comparables – La requérante, du point de vue juridique, est femme depuis sa naissance, elle a grandi et a été élevée comme une femme, et elle a toujours participé aux compétitions en tant que femme.
Dans la procédure interne, aucun débat contradictoire n’a eu lieu sur la question de savoir si la requérante pouvait être comparée à des personnes placées dans des situations analogues ou comparables à la sienne. Cependant, le TAS et le Tribunal fédéral ont admis, tacitement, que la situation des athlètes femmes et celle de la requérante, en tant qu’athlète intersexe, étaient équivalentes. La Cour ne dispose pas d’éléments suffisants pour adopter actuellement une position différente.
Ainsi, la situation de la requérante pouvait être comparée à celle des autres athlètes femmes et l’intéressée a pu subir un traitement différent par rapport à celles-ci du fait de son exclusion des compétitions sur le fondement du Règlement DSD.
c) Sur la nature de l’obligation imposée à la Suisse et la marge d’appréciation dont elle jouissait dans le cas d’espèce –
i) Remarques préalables – Le Règlement DSD a été rédigé et adopté par World Athletics, une association de droit monégasque. En l’absence d’une mesure étatique, il appartient à la Cour d’examiner si, au regard de ses obligations positives découlant de l’article 14, l’État défendeur était tenu et, dans l’affirmative, dans quelle mesure, de protéger la requérante contre tout traitement discriminatoire découlant de l’adoption du Règlement DSD, lequel a été jugé nécessaire, raisonnable, proportionné et non arbitraire par le TAS et le Tribunal fédéral.
Il convient, en particulier, de vérifier si la requérante disposait des garanties institutionnelles et procédurales suffisantes, soit un système de juridictions devant lesquelles elle a pu faire valoir ses griefs, en particulier celui fondé sur l’article 14, et si celles-ci ont rendu des décisions dûment motivées et tenant compte de la jurisprudence de la Cour.
La Cour tiendra compte de la spécificité de la situation de la requérante, qui a librement choisi une carrière particulière dans le domaine de l’athlétisme impliquant la renonciation à certains droits. De telles limitations sont acceptables au regard de la Convention lorsqu’elles sont librement consenties. Or, contrairement à l’affaire Platini c. Suisse (déc.), la requérante pour pouvoir participer aux épreuves organisées par World Athletics, avait dû signer une clause d’arbitrage excluant le recours aux tribunaux ordinaires. Elle n’avait donc pas d’alternative à la saisine du TAS puis du Tribunal fédéral en vertu des règles sur l’arbitrage international en matière de sport.
Enfin, la Cour a maintes fois déclaré que les différences exclusivement fondées sur le sexe doivent être justifiées par des « considérations très fortes », des « motifs impérieux » ou des « raisons particulièrement solides et convaincantes ». Des considérations similaires s’appliquent si une différence de traitement est fondée sur les caractéristiques sexuelles d’un individu et son état de personne intersexe. En outre, lorsqu’un aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu se trouve en jeu la marge laissée à l’État est restreinte.
ii) Pouvoir de contrôle du TAS et du Tribunal fédéral – Dans l’affaire Mutu et Pechstein c. Suisse, la Cour n’a pas mis en doute l’indépendance et l’impartialité du TAS en tant que tribunal. Dans la présente affaire, le TAS a entendu, pendant cinq jours d’audience, beaucoup d’experts avant de rendre une sentence très détaillée. Le TAS a procédé à un examen détaillé de l’allégation de discrimination et il a conclu que si le Règlement DSD était discriminatoire, il n’en constituait pas moins une mesure nécessaire, raisonnable et proportionnée pour atteindre les buts poursuivis par l’IAAF, en particulier garantir une compétition équitable. Bien que le TAS ait appliqué des critères assez similaires aux considérations de la Cour sur le terrain de l’article 14 (caractère nécessaire, raisonnable et proportionné), son analyse ne se réfère ni à cette disposition, ni à la jurisprudence de la Cour.
Quant au Tribunal fédéral, son pouvoir était limité à la question de savoir si la sentence arbitrale était incompatible avec l’ordre public au sens de la loi. Selon sa pratique, tel est le cas si la sentence méconnaît les valeurs essentielles et largement reconnues qui, selon les conceptions prévalant en Suisse, devraient constituer le fondement de tout ordre juridique. L’incompatibilité de la sentence avec l’ordre public est une notion encore plus restrictive que celle d’arbitraire. Le Tribunal fédéral, à raison de son approche restrictive, jouissait d’un pouvoir d’examen très limité dans le cas d’espèce.
Si ce contrôle très limité peut se justifier dans le domaine de l’arbitrage commercial, où des entreprises qui se trouvent généralement sur un pied d’égalité s’accordent sur une base volontaire pour régler leurs litiges de cette manière, il peut s’avérer plus problématique en matière d’arbitrage dans le sport, où les individus se voient confrontés à des organisations sportives souvent très puissantes. Partant, la Cour ne voit pas pourquoi la protection judiciaire devrait être moindre pour des sportifs professionnels que pour des personnes exerçant un métier plus conventionnel.
iii) Doutes scientifiques quant à la justification du Règlement DSD – Le TAS a exprimé de sérieuses préoccupations concernant le Règlement DSD : les effets secondaires du traitement hormonal étaient « significatifs » ; une athlète, tout en suivant scrupuleusement le traitement hormonal qui lui avait été prescrit, pouvait se trouver dans l’incapacité de satisfaire aux exigences du Règlement DSD ; les preuves d’un avantage athlétique concret en faveur des athlètes 46 XY DSD dans les disciplines du 1 500 mètres et du mile étaient « peu nombreuses ».
Ces préoccupations sérieuses n’ont pas conduit le TAS à suspendre le règlement en cause, comme il l’avait fait dans une précédente affaire. À cet égard, le Règlement DSD prévoit que le bénéfice du doute doit profiter à l’athlète. Le Tribunal fédéral n’a pas non plus essayé d’écarter les doutes exprimés par le TAS. En revanche, des rapports récents de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et du Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme en particulier, font état de préoccupations sérieuses quant à la discrimination à l’égard des femmes dans le monde du sport, y compris des athlètes intersexes, sur le fondement de règlements tels que celui en cause en l’espèce. Ces propos se voient confirmés par les observations de certains tiers intervenants dans la présente affaire, ainsi que par des recherches scientifiques récentes.
Ainsi, ni le TAS ni le Tribunal fédéral ne se sont livrés à un examen approfondi, à la lumière de la Convention, des motifs à l’appui de la justification objective et raisonnable du Règlement DSD.
iv) Pesée des intérêts et prise en compte des effets secondaires causés par le traitement médicamenteux exigé – Le Tribunal fédéral s’est pour l’essentiel contenté d’entériner, à l’aune de la notion très restreinte de l’ordre public, les conclusions du TAS, sans se livrer à son propre examen des questions litigieuses. En particulier, il n’a pas procédé à un examen complet et suffisant du grief tiré du traitement discriminatoire, ni à une pesée appropriée et suffisante de tous les intérêts pertinents en jeu, comme l’exige la Convention. Ceci puisque, d’après sa jurisprudence, un tel examen ne relève pas de la notion de l’ordre public.
Le Tribunal fédéral est parti du principe que le Règlement DSD offrait à la requérante un vrai « choix », soulignant que les pilules contraceptives ne sont pas prescrites de force aux athlètes féminines 46 XY DSD qui conservent toujours la possibilité de refuser de suivre un tel « traitement ». Or, la Cour est d’avis que la requérante n’a pas de véritable choix : soit elle se soumet à un traitement médicamenteux pour pouvoir exercer son métier, soit elle le refuse et doit renoncer à l’exercice de sa profession. Quoi qu’elle décide, la solution retenue implique de toute façon une renonciation à certains droits garantis par l’article 8. Pour satisfaire aux exigences de la Convention, le Tribunal fédéral aurait dû aborder le dilemme auquel la requérante est confrontée. Le Tribunal fédéral n’a pas suffisamment pris en compte l’argument des effets secondaires liés à l’utilisation de contraceptifs oraux, renvoyant à la sentence du TAS selon lequel ces effets sont « significatifs ». Il a admis qu’un traitement médicalement administré contre la volonté d’un individu constitue une « atteinte grave » à la liberté personnelle et touche au cœur même de la dignité de la personne concernée. En même temps, il a entériné l’avis du TAS selon lequel ces effets ne diffèrent pas, par leur nature, des effets secondaires que ressentent des milliers, voire des millions d’autres femmes de caryotype XX qui prennent des contraceptifs oraux. La Cour n’est pas convaincue par cet argument qui ne tient pas compte du fait que : notamment à cause des effets secondaires d’un traitement hormonal, beaucoup de femmes ne prennent pas de contraceptifs oraux ; que les effets secondaires, tels que ressentis par les femmes exerçant une activité sportive hors compétition, peuvent avoir un impact encore plus important sur le corps et l’équilibre physique et psychique d’une athlète de haut niveau et, partant, influencer négativement sa performance sportive.
Enfin, certains tiers intervenants soulignent qu’imposer un traitement pouvant provoquer des effets secondaires importants, non pour des raisons strictement médicales mais en vue de se conformer aux conditions d’éligibilité fixées par le Règlement DSD, n’est pas compatible avec les standards internationaux d’éthique médicale. La Suisse est un État partie à la Convention d’Oviedo, le premier instrument international contraignant pour la protection de la dignité, des droits et des libertés de l’être humain contre toute application abusive des progrès biologiques et médicaux. Son article 2 prévoit le principe de la primauté de l’être humain « sur le seul intérêt de la société ou de la science ». Il en découle d’autres principes éthiques, notamment le principe de bienveillance et de non-malfaisance.
Afin de se livrer à un examen compatible avec les exigences de la Convention, le Tribunal fédéral aurait dû répondre de manière plus approfondie, notamment à l’argument des effets secondaires.
v) Effet horizontal de la discrimination – Il peut être déduit de la jurisprudence de la Cour que les tribunaux nationaux sont tenus de garantir une protection réelle et effective contre la discrimination commise par des particuliers. Or, en l’espèce, le Tribunal fédéral n’a pas considéré que la prohibition de la discrimination émanant des entités du droit privé tombait sous le coup de la notion de l’ordre public au sens de la loi. Dès lors, il n’a pas soumis le Règlement DSD au contrôle de la conformité à la Constitution ou à la Convention que demandait la requérante. Ainsi, le Tribunal fédéral n’a pas satisfait aux exigences de la jurisprudence de la Cour.
vi) Comparaison avec la situation des athlètes transgenres – La requérante soutient que la confusion que le gouvernement défendeur et World Athletics ont fait entre sa situation et celle des athlètes transgenres est inappropriée dans la mesure où la pesée des intérêts dans ces deux cas est très différente. À cet égard, la Cour constate les règlements de World Athletics étaient pour l’essentiel les mêmes concernant les sportives transgenres et intersexes au moment des faits de l’espèce.
Pour la Cour, cette égalité de traitement entre la requérante et les athlètes transgenres qui ont subi un changement de sexe d’homme à femme n’est pas évidente. Sans vouloir préjuger des affaires dont elle pourra être saisie, elle observe simplement à ce stade que, dans le cas de sportives transgenres, l’avantage dont elles bénéficient est dû à l’inégalité inhérente à leur naissance en tant qu’homme. Il découle de leur constitution biologique initiale et le traitement qu’il leur est demandé de suivre afin de faire baisser leur taux de testostérone correspond à une adaptation du traitement qui leur est déjà prescrit. Aussi, l’égalité de traitement avec les personnes relevant du Règlement DSD a été abandonnée par une décision de World Athletics ayant pris effet le 31 mars 2023.
Ainsi le Tribunal fédéral, même dans le cadre de son examen restreint, aurait dû soulever ce défaut de différenciation.
vii) Conclusions – L’État défendeur a outrepassé la marge d’appréciation réduite dont il jouissait dans le cas d’espèce. L’enjeu significatif de l’affaire pour la requérante et la marge d’appréciation réduite de l’État défendeur auraient dû se traduire par un contrôle institutionnel et procédural approfondi, dont la requérante n’a pas bénéficié en l’espèce. Il s’ensuit que la Cour n’est pas en mesure d’affirmer que le Règlement DSD, tel qu’appliqué à l’égard de la requérante, peut être considéré comme une mesure objective et proportionnée au but visé.
Conclusion : violation (quatre voix contre trois).
Article 13 au regard de l’article 14 combiné avec l’article 8 :
La Cour conclut à la violation du droit à un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention essentiellement pour les mêmes raisons que celles qui l’ont amenée à constater une violation de l’article 14 combiné avec l’article 8, à savoir l’absence de garanties institutionnelles et procédurales suffisantes en Suisse. Comme le TAS avant lui, le Tribunal fédéral, notamment à raison de son pouvoir de contrôle très limité, n’a pas répondu de manière effective aux allégations étayées et crédibles, entre autres de discrimination, formulées par la requérante. Considérés dans leur ensemble et dans les circonstances particulières du cas d’espèce, les recours internes ouverts à l’intéressée ne sauraient passer pour effectifs au sens de l’article 13.
Conclusion : violation (quatre voix contre trois).
(Voir aussi Mutu et Pechstein c. Suisse, 40575/10 et 67474/10, 2 octobre 2018, Résumé juridique ; Platini c. Suisse (déc.), 526/18, 11 mars 2020, Résumé juridique; et aussi Rapport « Convergence de la discrimination raciale et de la discrimination fondée sur le genre dans le sport » (A/HRC/44/26) de la Haute-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme du 15 juin 2020 ; Résolution 2465 (2022) « Pour des règles du jeu équitable – mettre fin à la discrimination à l’égard des femmes dans le monde du sport » de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du 13 octobre 2022 ; Rapport de la Commission sur l’égalité et la non-discrimination du 22 septembre 2022 relatif à la Résolution 2465 (2022) « Pour des règles du jeu équitable – mettre fin à la discrimination à l’égard des femmes dans le monde du sport » de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du 13 octobre 2022)
Dernière mise à jour le juillet 18, 2023 par loisdumonde
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