AFFAIRE O.H. ET G.H. c. ALLEMAGNE – 53568/18 et 54741/18

QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE O.H. et G.H. c. ALLEMAGNE
(Requêtes nos 53568/18 et 54741/18)
ARRÊT

Art 8 • Obligations positives • Vie privée • Impossibilité légale pour un parent transgenre d’indiquer son genre actuel, sans lien avec sa fonction procréatrice, sur l’acte de naissance de son enfant conçu après le changement de genre • Homme transgenre indiqué comme mère, du fait d’avoir donné naissance • Absence de consensus européen • Ample marge d’appréciation • Droit de l’enfant de connaître ses origines et son rattachement à ses père et mère de manière stable et immuable • •Possibilité de réduire des situations révélant l’identité transgenre d’un parent • Lien de filiation entre le parent transgenre et son enfant non remis en cause • Juste équilibre ménagé entre le droit à l’autodétermination du parent transgenre, les intérêts publics de sécurité juridique et de fiabilité et cohérence de l’état civil, et les intérêts et le bien-être de l’enfant

STRASBOURG
4 avril 2023

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire O.H. et G.H. c. Allemagne,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une Chambre composée de :
Gabriele Kucsko-Stadlmayer, présidente,
Tim Eicke,
Faris Vehabović,
Branko Lubarda,
Armen Harutyunyan,
Anja Seibert-Fohr,
Ana Maria Guerra Martins, juges,
et de Andrea Tamietti, greffier de section,

Vu :

les requêtes (nos 53568/18 et 54741/18) dirigées contre la République fédérale d’Allemagne et dont deux ressortissants de cet État, MM. O.H. et G.H. (« les requérants »), ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 7 novembre 2018,

la décision de porter à la connaissance du gouvernement allemand (« le Gouvernement ») les griefs concernant le refus d’enregistrer le premier requérant comme père du second requérant,

la décision de ne pas dévoiler l’identité des requérants,

les observations communiquées par le gouvernement défendeur et celles communiquées en réplique par les requérants,

les commentaires reçus du gouvernement slovaque, du Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ) et de l’Institut Ordo Iuris pour la culture juridique, les commentaires adressés conjointement par Transgender Europe (TGEU), par l’Association internationale des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans et intersexes (ILGA) Europe et par l’association trans allemande Bundesvereinigung Trans*, ainsi que les commentaires reçus de la professeure Sally Hines de l’université de Leeds, de l’Institut slovaque des droits de l’homme et de la politique familiale, de l’Association des juges slovaques du droit de la famille, et de la Conférence épiscopale de Slovaquie, que le président de la section avait autorisés à se porter tiers intervenants,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 mars 2023,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La requête porte, sous l’angle des articles 8 et 14 de la Convention, sur le refus des autorités administratives d’enregistrer le premier requérant (M. O.H.) comme père du second requérant (M. G.H.) au motif que le premier requérant a donné naissance au second requérant et devait de ce fait, en dépit de la reconnaissance judiciaire de son changement de sexe intervenu avant la conception, être enregistré en tant que mère de l’enfant, conformément aux dispositions du code civil (« le CC ») et de la loi relative au nom et au sexe des personnes transsexuelles (Transsexuellengesetz – « la loi TSG »).

EN FAIT

2. Les requérants dans la requête no 53568/18 sont nés respectivement en 1982 et en 2013 et résident à Berlin. Ils ont été représentés par Me I. Stern, avocate à Berlin. La requête no 54741/18 a été introduite par le premier requérant, M. O.H., au nom du second requérant, M. G.H.

3. Le Gouvernement a été représenté par son agente, N. Wenzel, du ministère fédéral de la Justice.

4. Les faits de l’espèce, tels qu’exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

5. Le premier requérant naquit comme enfant de sexe féminin et porta des prénoms féminins. Le 1er novembre 2008, le requérant contracta mariage avec un homme, dont il divorça le 18 février 2013.

6. Le 26 août 2010, le tribunal d’instance de Schöneberg (Berlin) déclara que le premier requérant portait désormais les prénoms masculins O.G. Il ajouta que la demande de celui‑ci tendant à faire constater son appartenance au sexe masculin ne pouvait pas être accueillie, au motif qu’il n’avait pas encore subi d’opération de modification de ses caractéristiques sexuelles externes et n’avait pas perdu sa capacité de procréer. Quelques mois plus tard, le 11 avril 2011, le tribunal d’instance reconnut que le premier requérant appartenait désormais au sexe masculin.

7. Le 28 mars 2013, le premier requérant donna naissance au second requérant. Selon ses dires, après avoir obtenu la reconnaissance de son appartenance au sexe masculin il avait arrêté son traitement hormonal et était redevenu fertile. Son fils serait né à l’aide d’un don de sperme et le donneur aurait consenti à ne pas avoir le statut de père légal de l’enfant.

8. Le 30 mars 2013, le premier requérant demanda au service de l’état civil de l’inscrire comme père du second requérant parce qu’il était de sexe masculin et avait accouché de l’enfant. Il ajouta que l’enfant n’avait pas de mère, que la case prévue pour consigner le nom de la mère devait rester libre, que l’enfant n’avait pas de deuxième parent légal et qu’il avait été conçu à l’aide d’un don de sperme. Il demanda en outre que ni le sexe ni la religion de l’enfant ne figurent sur l’acte de naissance.

9. Le 2 avril 2013, l’officier de l’état civil émit des doutes quant à la question de savoir si le premier requérant devait être inscrit en tant que père ou en tant que mère de l’enfant ou s’il y avait lieu de procéder à une inscription sans mention de parents. Il soumit la demande au tribunal d’instance de Schöneberg pour décision.

10. Le 13 décembre 2013, le tribunal d’instance ordonna au service de l’état civil d’inscrire le premier requérant en tant que mère du second requérant. Le 30 octobre 2014, la cour d’appel de Berlin confirma cette décision tout en autorisant un recours auprès de la Cour fédérale de justice.

11. Le 6 septembre 2017, la Cour fédérale de justice rejeta le recours des requérants et confirma l’arrêt de la cour d’appel.

12. Elle rappela qu’aux termes de l’article 1591 du CC – paragraphe 35 ci‑dessous) la mère d’un enfant était la personne qui avait donné naissance à celui‑ci. Elle expliqua que, si le premier requérant avait accouché du second requérant, il n’était néanmoins plus une « femme » au sens légal du terme puisqu’il appartenait depuis le 11 avril 2011 au sexe masculin (paragraphe 6 in fine ci‑dessus). Elle indiqua que cela n’était cependant pas déterminant pour l’attribution du statut juridique dès lors que l’article 11, première phrase, de la loi TSG (paragraphe 43 ci‑dessous) disposait que la décision de reconnaître l’appartenance d’une personne transsexuelle à l’autre sexe n’avait pas d’incidence sur la relation juridique entre cette personne et ses enfants. Concernant les enfants adoptés, le même article 11 précisait que cela ne s’appliquait que dans la mesure où les enfants avaient été adoptés avant que la décision de changement de sexe ne fût devenue définitive.

13. La Cour fédérale de justice confirma l’avis de la cour d’appel selon lequel l’article 11, première phrase, de la loi TSG s’appliquait aussi aux situations où l’enfant biologique d’une personne transsexuelle était né après la décision de changement de sexe de son parent. Elle exposa que cela ressortait clairement de la volonté du législateur et de l’objectif de la loi TSG. À cet égard, elle observa que, d’après l’article 11, première phrase, de la loi TSG, le statut de la personne transsexuelle (en tant que père ou mère) devait rester inchangé, notamment aux fins de la recherche de paternité et de l’action en contestation de paternité. La juridiction fédérale ajouta que, en faisant référence au droit en matière de filiation (Abstammungsrecht), la loi TSG visait à garantir d’une manière générale que le statut juridique de mère ou de père de l’enfant, défini biologiquement par l’accouchement ou la fécondation, ne fût susceptible d’aucune modification. Évoquant le processus législatif concernant la loi TSG, en particulier son article 11 (paragraphe 44 ci‑dessous), la Cour fédérale de justice précisa que cela s’appliquait à tous les enfants biologiques d’une personne transsexuelle, qu’ils fussent nés avant ou après la décision judiciaire relative au changement de sexe du parent. Elle indiqua que les enfants nés après l’adoption de la décision judiciaire ne devaient en effet pas être privés de la possibilité de faire établir leur filiation en raison d’une attribution de la maternité ou de la paternité juridique dépourvue de fondements biologiques.

14. La Cour fédérale de justice ajouta que c’était à juste titre que la cour d’appel avait décidé que non seulement le premier requérant ne devait pas être inscrit dans le registre des naissances en tant que père, mais que de plus il y avait lieu de le désigner par ses anciens prénoms féminins. D’après la haute juridiction, il n’était notamment pas possible d’indiquer les anciens prénoms (féminins) sous la seule forme de données additionnelles et d’inscrire les prénoms actuels (masculins) de la mère de l’enfant dans le registre, comme l’avait dit le tribunal d’instance de Münster dans sa décision du 4 janvier 2016 sur une autre affaire (paragraphes 60‑61 ci‑dessous). Selon la juridiction fédérale, le libellé et l’objectif de l’article 5 § 3 de la loi TSG (paragraphe 40 ci‑dessous) s’y opposaient puisque cette disposition visait l’intérêt de l’enfant à garder secrète la transsexualité d’un parent en évitant au premier d’avoir à présenter un acte de naissance permettant de conclure que le second est transsexuel. Pour la Cour fédérale de justice, ce but ne pouvait être atteint que si le registre des naissances et les actes de naissance établis sur la base de celui‑ci étaient dépourvus d’indications permettant de conclure à la transsexualité d’un des parents. Or, d’après elle, la contradiction entre la qualité de parent et le prénom actuel pouvait amener de telles conclusions.

15. La Cour fédérale de justice poursuivit en constatant qu’il n’y avait pas lieu de déférer l’affaire à la Cour constitutionnelle fédérale dès lors que le droit en vigueur en matière de filiation, qui attribuait au premier requérant le statut juridique de mère du second requérant, bien que le premier requérant fût désormais considéré comme appartenant au sexe masculin, ne faisait pas obstacle aux droits fondamentaux de celui‑ci, en particulier au droit à la protection de la personnalité découlant de l’article 2 § 1 combiné avec l’article 1 § 1 de la Loi fondamentale. Elle admit que l’attribution d’un statut juridique de père ou de mère à l’égard d’un enfant né après la décision de changement de sexe pouvait porter atteinte à la reconnaissance de l’identité de genre d’un parent transsexuel si le statut juridique ainsi attribué ne correspondait pas au sexe ressenti ou reconnu juridiquement. Elle estima cependant que le droit à la protection de la personnalité n’était garanti que dans la limite des lois dont faisaient partie les dispositions du CC et de la loi TSG.

16. La Cour fédérale de justice releva qu’à l’instar d’une large majorité des systèmes juridiques existant dans le monde, le droit allemand en matière de filiation reposait sur l’établissement d’un lien entre les fonctions procréatrices des parents et leur sexe, assignant le rôle de la personne qui accouche à une femme (la mère) et le rôle de la personne qui féconde à un homme (le père). D’après elle, la Loi fondamentale n’impliquait pas une obligation de créer un droit de la filiation neutre au regard du sexe qui aurait pour effet de réduire la paternité et la maternité à des rôles purement sociaux et de supprimer ces deux statuts en tant que catégories juridiques. À cet égard, elle expliqua qu’en définitive le lien entre la fonction procréatrice et le sexe était indéniablement fondé sur le fait biologique. Se référant à l’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale du 11 janvier 2011 (paragraphes 54‑56 ci‑dessus), elle rappela que s’il y avait des problèmes d’attribution de statut juridique résultant d’un écart entre la fonction procréatrice du sexe biologique et celle du sexe juridiquement attribué à un parent, ces problèmes pouvaient et devaient être résolus sur la base du droit de la filiation existant, fondé sur le sexe. Elle estima par ailleurs que de tels problèmes d’attribution ne devaient pas surgir fréquemment au vu du nombre restreint de personnes transsexuelles.

17. La Cour fédérale de justice poursuivit comme suit :

« La mère est la personne qui a donné naissance à l’enfant. Le père est la personne dont on peut supposer – suivant une approche qui catégorise –, sur le fondement de ses relations sociales avec la mère ou d’une décision judiciaire l’ayant établi, qu’il s’agit du géniteur de l’enfant. Par cette attribution, la loi répond à l’exigence résultant de l’article 6 § 2, première phrase, de la Loi fondamentale, qui attribue toujours le statut juridique de parent en fonction de la filiation biologique de l’enfant et qui aboutit ainsi, dans la mesure du possible, à une concordance entre la parenté biologique et la parenté juridique. L’article 11, première phrase, de la loi TSG vise à assurer que les enfants concernés soient toujours rattachés juridiquement à un père et à une mère même si l’un des parents a changé de sexe. Comme la Cour constitutionnelle fédérale l’a déjà déclaré expressément, le législateur agit dans un souci légitime lorsqu’il cherche à rattacher les enfants à leurs parents biologiques, y compris sur le plan juridique, de sorte que leur filiation ne soit pas établie par rapport à deux mères ou à deux pères juridiques, ce qui serait en contradiction avec leur conception biologique.

L’attribution d’un statut juridique sans lien avec les fonctions de procréation biologique aurait des conséquences très importantes pour la cohérence de l’ordre juridique, car la maternité et la paternité, en tant que catégories juridiques, ne sont pas interchangeables et se distinguent aussi bien par les conditions préalables à leur justification que par les conséquences juridiques qui en découlent. Sur la base de la législation en vigueur, un homme transgenre ne peut pas être considéré comme le père d’un enfant qu’il a lui‑même mis au monde parce que – sauf en cas de don d’ovule, interdit en Allemagne – son lien génétique avec l’enfant est établi non pas par l’apport du spermatozoïde mais par l’apport de l’ovule. »

18. La Cour fédérale de justice poursuivit en déclarant que, si l’on admettait le caractère déterminant de la filiation génétique résultant de l’ovule, on se mettrait en contradiction avec le choix fondamental du législateur, consacré par l’article 1591 du CC (paragraphe 35 ci‑dessous), selon lequel l’attribution d’un statut juridique ne devait précisément pas se fonder sur l’origine génétique de l’ovule. Elle conclut qu’un homme transgenre ayant donné naissance à un enfant pouvait de ce fait uniquement être considéré comme étant la mère. Elle indiqua que ce n’était qu’en rattachant l’enfant à une mère par sa naissance, que l’on pouvait le rattacher à un père. Elle ajouta que ce rattachement permettait par ailleurs à un homme transgenre célibataire d’obtenir l’autorité parentale exclusive, dont découlait aussi le droit de choisir le prénom de l’enfant.

19. La Cour fédérale de justice releva qu’un rattachement différent était de nature à porter atteinte aux droits fondamentaux de l’enfant. Elle observa, d’une part, que l’enfant avait le droit de connaître sa filiation biologique et que, si ce droit n’impliquait pas que l’enfant pût exiger la communication de tels éléments, il constituait néanmoins une protection contre la rétention par les services publics d’informations disponibles. La juridiction fédérale nota que des informations essentielles relatives à sa filiation, figurant dans le registre des naissances, seraient refusées à l’enfant si le droit relatif au statut de la famille n’indiquait pas clairement, ou s’il présentait seulement d’une manière contredisant les faits biologiques, sur quelle fonction procréatrice (accouchement ou fécondation) il entend fonder le lien concret parent‑enfant.

20. La Cour fédérale de justice releva, d’autre part, que le droit de l’enfant à recevoir soins et éducation de ses deux parents (article 2 § 1 combiné avec l’article 6 § 2, première phrase, de la Loi fondamentale) pouvait être lésé si un enfant, d’abord rattaché juridiquement à un seul parent, n’avait pas la possibilité d’obtenir, sur le plan du statut juridique, le rattachement à l’autre parent, lequel ne pourrait alors pas assumer la responsabilité parentale, au sens juridique du terme, pour veiller au bien‑être et à la protection de l’enfant. Elle indiqua que cela s’appliquait à un lien parent‑enfant basé sur une adoption et, à plus forte raison, à un lien qui devait être fondé sur la filiation biologique. La haute juridiction conclut que si le premier requérant était désigné en tant que père légal de l’enfant, celui‑ci ne pourrait obtenir l’établissement de sa filiation par rapport à son géniteur, le donneur de sperme avec lequel il aurait un lien social, qu’à la condition inacceptable d’entamer auparavant une procédure en contestation de la paternité concurrente de l’unique parent qui lui avait jusqu’alors été attribué.

21. La Cour fédérale de justice ajouta qu’il fallait aussi tenir compte de ce que le lien établi avec la fonction de procréation biologique créait pour l’enfant un rattachement stable, sur le plan juridique, à un père et à une mère. Elle estima que tel ne serait pas le cas si à l’état civil le lien était établi avec le sexe attribué au parent concerné, en raison de la possibilité, pas seulement théorique, d’annuler à l’état civil la reconnaissance du sexe auquel le parent se sentait appartenir. La haute juridiction observa à cet égard que, d’après les constats du tribunal d’instance, dix personnes avaient fait usage de cette possibilité entre 2011 et 2013, dans la seule ville de Berlin.

22. Par ailleurs, la Cour fédérale de justice ne constata pas l’existence d’une discrimination à l’égard du premier requérant. Elle considéra que le droit à l’égalité de traitement ne faisait pas obstacle à la prise en compte juridique de différences biologiques prégnantes lors de l’établissement du lien parents‑enfant en matière de filiation. La haute juridiction fit remarquer que le premier requérant se distinguait des autres personnes appartenant au sexe masculin sur le plan juridique par sa capacité biologique réelle de concevoir un enfant et de lui donner naissance. Cela justifiait, selon elle, de traiter le premier requérant, quant à son statut vis‑à‑vis d’un enfant qu’il avait lui‑même mis au monde, différemment d’autres hommes qui n’avaient pas cette capacité.

23. La Cour fédérale de justice releva en outre que le champ d’application du droit à la protection de la famille, au sens de l’article 6 § 1 de la Loi fondamentale, n’était pas touché dès lors que la cohabitation de l’enfant avec ses parents au sein d’une famille ne dépendait pas de l’attribution du statut juridique par le droit de la filiation.

24. La Cour fédérale de justice poursuivit en constatant que l’inscription des données ordonnée ne portait pas atteinte au droit du premier requérant à la liberté d’information qui, indiqua‑t‑elle, revêtait une importance particulière dans le domaine de la transsexualité du fait que l’appartenance à un sexe relevait de la sphère intime d’une personne. Elle exposa qu’il convenait en effet de ne pas divulguer inutilement un changement de prénom ou de sexe, afin de prévenir toute réaction d’incompréhension ou de discrimination de la part de tiers et de faciliter l’appartenance des personnes concernées au nouveau sexe. D’après la haute juridiction, le droit de ne pas être obligé de révéler ses anciens prénoms ou son ancien sexe n’était pas garanti de manière illimitée. Pour elle, l’article 5 § 1 de la loi TSG (paragraphe 40 ci‑dessous) prévoyait à juste titre que les anciens prénoms ou le changement de sexe ne pouvaient être communiqués que si des raisons particulières liés à l’intérêt public l’exigeaient ou s’il y avait à cela un intérêt légitime avéré.

25. La Cour fédérale de justice exposa que la tenue des registres de l’état civil visait à mettre à disposition des documents probants relatifs à l’état civil d’une personne. Elle souligna que seules les inscriptions dans les registres de l’état civil et les actes extraits de ces registres pouvaient certifier les données relatives à l’état civil, et que d’autres registres étaient dépourvus de cette fonction de preuve même si des documents publics contenant des données personnelles pouvaient en être extraits. La haute juridiction nota que l’état civil comportait les données concernant la naissance d’un individu et tous les faits y relatifs relevant du domaine du droit de la famille (familienrechtliche Tatsachen), notamment l’identité de la mère et du père de l’intéressé.

26. La Cour fédérale de justice ajouta que l’intérêt, digne de protection, à ce que les données des registres de l’état civil dotées d’une fonction de preuve particulière soient complètes et exactes l’emportait sur l’intérêt du premier requérant à ne pas s’exposer au risque que sa transsexualité soit révélée par les informations contenues dans le registre de l’état civil concernant son enfant. Elle releva que, de multiples manières, la réglementation relative à l’utilisation du registre de l’état civil atténuait ce risque. Elle indiqua tout d’abord que le cercle des personnes habilitées à consulter le registre des naissances ou à demander des actes de naissance était limité, conformément à l’article 62 § 1 de la loi sur l’état civil (paragraphe 51 ci‑dessous), et qu’il s’agissait notamment de l’individu concerné ainsi que de son conjoint, ses ascendants et ses descendants. Elle observa à cet égard que, compte tenu de la proximité familiale, ces personnes avaient vraisemblablement connaissance de la transsexualité de leur proche, le cas échéant. Elle précisa que les autres personnes devaient en revanche faire valoir un intérêt légitime pour pouvoir consulter le registre ou obtenir un acte. Elle indiqua par ailleurs que le parent transsexuel avait la possibilité, conformément à l’article 64 de la loi sur l’état civil (paragraphe 53 ci‑dessous), de demander un avis de blocage (Sperrvermerk) tant qu’il était habilité à agir en tant que représentant légal de son enfant mineur.

27. La Cour fédérale de justice exposa que le risque de divulgation de la transsexualité n’était susceptible de se concrétiser que si le parent transsexuel était lui‑même tenu de présenter un acte de naissance concernant son enfant. Elle ajouta toutefois que, dans l’hypothèse où c’était le seul fait de la naissance qui devait être prouvé, le parent transsexuel pouvait demander un acte de naissance où ne figuraient pas les données relatives aux parents, conformément à l’article 59 § 1, alinéa 4, et § 2 de la loi sur l’état civil – paragraphe 50 ci‑dessous). À cet égard, la haute juridiction souligna que cette possibilité avait précisément été ménagée par la réforme de la loi sur l’état civil en vue de l’interdiction de divulgation consacrée par l’article 5 § 1 de la loi TSG (paragraphe 40 ci‑dessous).

28. La Cour fédérale de justice estima par ailleurs que, sans que cela fût déterminant dans l’affaire portée devant elle, l’utilisation d’un acte de naissance dans lequel le premier requérant figurait comme « père » ou comme « parent neutre » (comme l’avait ordonné le tribunal d’instance de Münster dans sa décision du 4 janvier 2016 – paragraphes 60-61 ci‑dessous) n’était pas non plus apte à empêcher la divulgation de sa transsexualité. Elle indiqua qu’en effet, si les deux parents figuraient dans le registre des naissances, il n’était pas possible de délivrer un acte de naissance faisant seulement mention de l’un d’eux. Elle en conclut qu’un acte de naissance mentionnant simplement une personne de sexe masculin, comme seul parent d’un enfant né en Allemagne, donnerait inévitablement lieu à des spéculations sur les raisons pour lesquelles la personne ayant mis au monde l’enfant n’est pas mentionnée et mènerait à la conclusion probable, voire évidente, que le parent indiqué dans l’acte de naissance est une personne transsexuelle.

29. Pour ce qui est de la mention des anciens prénoms du premier requérant, la Cour fédérale de justice indiqua que l’intérêt public à la tenue correcte du registre des naissances commandait seulement de certifier le bon rattachement enfant‑parent. Dès lors, pour la haute juridiction, si le premier requérant devait être enregistré comme « mère » de l’enfant, l’inscription de ses anciens prénoms féminins n’avait plus aucune importance autonome au regard de l’interdiction de divulgation consacrée par le droit constitutionnel. La Cour fédérale de justice rappela à cet égard que l’article 5 § 3 de la loi TSG (paragraphe 40 ci‑dessous) visait à permettre à un enfant d’établir plus tard ses origines à l’aide des données inscrites dans le registre des naissances ou dans l’acte de naissance, sans que ces informations donnent lieu à des spéculations sur la transsexualité d’un de ses parents. Aux yeux de la haute juridiction, le législateur avait ainsi poursuivi un but légitime dans l’intérêt des enfants.

30. Examinant enfin la question sous l’angle des droits garantis par la Convention, la Cour fédérale de justice observa que l’Allemagne, en fondant le rattachement d’un enfant mis au monde ou conçu par une personne transsexuelle, après un changement juridique de sexe, sur la fonction de procréation et non pas sur le nouveau sexe de ce parent, n’avait pas dépassé les limites du large pouvoir d’appréciation que la Cour reconnaissait aux États s’agissant de ménager un juste équilibre entre des intérêts privés et publics contradictoires ou de régler des conflits entre des droits divergents protégés par la Convention. Elle nota l’absence d’approche uniforme en la matière dans les pays européens et souligna que les règles du droit allemand à cet égard tenaient dûment compte de l’intérêt général résidant dans la cohérence de l’ordre juridique national et dans le droit de l’enfant à connaître ses origines.

31. La Cour fédérale de justice ajouta que, pour autant que les requérants avaient invoqué une décision du tribunal administratif de Stockholm, il y avait lieu de noter que l’un des éléments sur lesquels celle‑ci reposait était l’absence de réglementation explicite en droit suédois qui eût permis de régler les conflits de rattachement, à l’état civil, en cas de discordance entre le sexe biologique et le sexe juridique attribué aux parents.

32. Le 8 novembre 2017, la Cour fédérale de justice rejeta le recours en audition des requérants. Elle précisa que, eu égard à ses conclusions relatives aux intérêts de l’enfant concernant l’enregistrement de sa naissance, elle n’avait clairement pas trouvé d’indications d’une violation des droits fondamentaux de celui‑ci.

33. Le 19 octobre 2017, les requérants saisirent la Cour constitutionnelle fédérale d’un recours contre les décisions rendues à leur égard et, indirectement, contre les articles 5 § 3, 7 § 1, 10 § 2, 11 § 1 de la loi TSG (paragraphes 40‑43 ci‑dessous) et les articles 1591 et 1592 du CC (paragraphes 35 et 36 ci‑dessous).

34. Le 15 mai 2018, la Cour constitutionnelle fédérale décida de ne pas admettre le recours constitutionnel des requérants, mais ne motiva pas sa décision (1 BvR 2831/17).

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE PERTINENTS

I. Le droit et la pratique internes

A. Le code civil

35. L’article 1591 du CC (Bürgerliches Gesetzbuch) dispose que la femme qui a donné naissance à un enfant est sa mère.

36. L’article 1592 du CC énonce que le père d’un enfant est l’homme qui, au moment de la naissance, était marié à la mère de l’enfant, qui a reconnu la paternité ou dont la paternité a été constatée judiciairement.

B. La loi relative au nom et au sexe des personnes transsexuelles

37. La loi relative au nom et au sexe des personnes transsexuelles (Gesetz über die Änderung der Vornamen und die Feststellung der Geschlechtszugehörigkeit in besonderen Fällen – Transsexuellengesetz, « la loi TSG ») du 10 septembre 1980, entrée en vigueur le 1er janvier 1981, régit notamment la reconnaissance du changement de sexe et la question des prénoms d’une personne transsexuelle.

38. L’article 1 de la loi TSG dispose que, à la demande d’une personne, ses prénoms doivent être changés par le juge si, en raison de son « empreinte transsexuelle » (transsexuelle Prägung), elle n’a plus le sentiment d’appartenir au sexe qui lui a été attribué à sa naissance mais à l’autre sexe, et se sent contrainte depuis au moins trois ans d’aligner son mode de vie sur ses idées, et s’il existe une forte probabilité que son sentiment d’appartenance à l’autre sexe ne changera plus.

39. Selon l’article 4 § 3 de la loi TSG, le juge ne peut accueillir une demande fondée sur l’article 1 qu’après avoir obtenu deux rapports d’expertise. Les experts doivent notamment se pencher sur la question de savoir si, d’après les connaissances médicales et selon une forte probabilité, le sentiment d’appartenance de l’intéressé ne changera plus.

40. L’article 5 de la loi TSG, intitulé « interdiction de divulgation », est ainsi libellé :

« 1) Si la décision en vertu de laquelle les prénoms de l’intéressé ont été changés est devenue définitive, il est interdit de révéler ou de collecter sans l’accord de l’intéressé les prénoms portés avant la décision, à moins que des raisons particulières liées à l’intérêt public l’exigent ou qu’il existe un intérêt légitime avéré (…)

3) L’acte de naissance d’un enfant biologique de l’intéressé, ou d’un enfant que l’intéressé avait adopté avant que la décision visée à l’article 1 [de la présente loi] ne fût devenue définitive, doit indiquer les prénoms que l’intéressé portait avant que la décision visée à l’article 1 ne fût devenue définitive. »

41. L’article 6 § 1 de la loi énonce que le juge doit annuler la décision en vertu de laquelle les prénoms de la personne concernée ont été changés si celle‑ci en fait la demande et si elle se sent à nouveau appartenir au sexe qui lui a été attribué à sa naissance.

42. L’article 10, intitulé « effets de la décision », est ainsi libellé :

« 1) À partir du moment où la décision en vertu de laquelle l’intéressé est considéré comme appartenant à l’autre sexe est devenue définitive, les droits et les devoirs liés au sexe s’appliquent en fonction du nouveau sexe, sauf disposition contraire de la loi.

2) L’article 5 s’applique mutatis mutandis. »

43. L’article 11 de la loi TSG, intitulé « relation parent‑enfant », se lit ainsi :

« La décision en vertu de laquelle l’intéressé doit être considéré comme appartenant au sexe opposé à celui qui lui a été attribué à la naissance ne modifie pas le rapport juridique entre l’intéressé et ses parents, d’une part, et entre l’intéressé et ses enfants, d’autre part ; lorsqu’il s’agit d’enfants adoptés, [cette disposition s’applique] uniquement dans la mesure où ceux‑ci ont été adoptés avant que la décision [portant reconnaissance du changement de sexe] ne soit devenue définitive (…) »

44. Il ressort des travaux préparatoires de la loi TSG (BT‑DrS 8/2947) que l’article 11 ne s’appliquait initialement qu’aux enfants conçus ou adoptés avant que la décision de reconnaissance du changement de sexe eût acquis force de chose jugée. Lors du processus législatif, la deuxième chambre fédérale (Bundesrat) exprima à ce sujet des doutes portant sur le fait que, d’après les connaissances médicales disponibles, il n’était pas exclu que des personnes considérées comme étant dans l’incapacité de procréer, en particulier des femmes ayant subi une opération de modification de leurs caractéristiques sexuelles, puissent néanmoins concevoir ou mettre au monde un enfant. En réaction à ces doutes, le gouvernement fédéral modifia l’article 11 et proposa le libellé qui a finalement été adopté par le législateur et qui est toujours en vigueur.

C. La loi sur l’état civil

45. L’article 1 § 1 de la loi du 19 février 2007 sur l’état civil (Personenstandsgesetz) définit l’état civil, au sens de cette loi, comme étant la position d’une personne dans l’ordre juridique qui résulte des éléments du droit de la famille, dont le nom. L’état civil comprend les données sur la naissance, le mariage, l’établissement d’un pacte civil et le décès, ainsi que les faits relevant du domaine du droit de la famille ou du droit des noms (familien‑ und namensrechtliche Tatsachen).

46. L’article 5 §§ 2 et 3 de la loi sur l’état civil dispose que les authentifications consécutives (Folgebeurkundungen) sont des inscriptions qui portent modification des authentifications tandis que les indications (Hinweise) établissent le lien entre les différentes authentifications qui concernent la personne, son époux, son partenaire, ses parents ou ses enfants.

47. L’article 21 § 1 de la loi énonce que sont inscrits dans le registre des naissances les prénoms et le nom de naissance de l’enfant, le lieu, le jour, l’heure et la minute de la naissance, le sexe de l’enfant, les noms et prénoms des parents, leur sexe ainsi que, sur demande de l’un des parents, l’appartenance de celui‑ci à une communauté religieuse revêtant le statut de personne morale de droit public.

48. L’article 54 indique que les authentifications dans les registres de l’état civil prouvent le mariage, l’établissement d’un pacte civil, la naissance, le décès et les détails y afférents, ainsi que d’autres informations relatives à l’état civil de la personne concernée. Les indications n’ont pas cette force probante. Le paragraphe 2 de l’article 54 précise que les actes de l’état civil au sens de l’article 55 revêtent la même force probante que les authentifications dans les registres de l’état civil.

49. L’article 55 § 1, alinéa 4, indique que le service de l’état civil délivre l’acte de naissance d’après le registre des naissances.

50. L’article 59, intitulé « acte de naissance », est ainsi libellé :

« 1) L’acte de naissance indique :

1. les prénoms et le nom de naissance de l’enfant ;

2. le sexe de l’enfant ;

3. le lieu et le jour de la naissance ;

4. les noms et prénoms des parents de l’enfant ;

5. l’appartenance juridique de l’enfant et de ses parents à une communauté religieuse, si pareille appartenance ressort des mentions portées dans le registre.

2) Sur demande, les mentions visées aux alinéas 2, 4 et 5 du premier paragraphe sont omises dans l’acte de naissance. »

51. L’article 62 indique notamment que les personnes qui peuvent obtenir, sur demande, un acte de l’état civil, sont les suivantes : la personne concernée par l’acte, son conjoint, son partenaire [enregistré], ses ascendants et ses descendants. Les autres personnes ne peuvent obtenir des renseignements relatifs à l’état civil d’un individu qu’à la condition de faire valoir un intérêt légitime à cet égard.

52. L’article 63 § 2 dispose que, si les prénoms d’une personne ont été modifiés en application de la loi TSG ou s’il a été établi que cette personne n’appartient pas au sexe qui lui est attribué dans son acte de naissance, un acte tiré du registre des naissances, par dérogation à l’article 62, ne peut être délivré qu’à la personne concernée ou à son conjoint ou partenaire de vie. Ces restrictions tombent lors du décès de la personne transsexuelle ; l’article 5 § 1 de la loi TSG (paragraphe 40 ci‑dessus), pris isolément ou combiné avec l’article 10 § 2 de la même loi (paragraphe 42 ci‑dessus), reste valable.

53. L’article 64 prévoit notamment la possibilité de faire inscrire une mention de blocage lorsque la délivrance d’un acte d’état civil ou l’autorisation d’accès à un acte d’état civil risque de porter atteinte à la vie, la santé, à la liberté personnelle ou à d’autres intérêts similaires dignes de protection d’une personne.

D. Jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale

54. Dans son arrêt du 11 janvier 2011 (1 BvR 3295/07), la première section de la Cour constitutionnelle fédérale déclara contraire à la Constitution l’article 8 § 1, alinéas 3 et 4, de la loi TSG en ce qu’il prévoyait l’obligation pour une personne transsexuelle de subir une opération de stérilisation permanente. Elle estima notamment que cette obligation exposait la personne transsexuelle à une situation de contrainte puisque celle‑ci devait choisir entre, d’un côté, refuser l’opération et renoncer à la reconnaissance juridique de son changement de sexe ou, de l’autre, accepter l’opération et ses énormes conséquences sur le corps et la perception de soi‑même. Elle jugea que, dans les deux cas, il y avait atteinte aux droits fondamentaux concernant l’intégrité physique et morale de l’intéressé.

55. La Cour constitutionnelle fédérale poursuivit en ces termes :

« Les raisons invoquées ne justifient pas ces atteintes graves et inévitables aux droits fondamentaux. Le législateur poursuit cependant un but légitime puisqu’en soumettant la reconnaissance du changement de sexe juridique à la condition de l’incapacité permanente de procréer, il vise à exclure que des personnes de sexe juridique masculin puissent donner naissance à un enfant et que des personnes de sexe juridique féminin puissent en concevoir, car cela serait en contradiction avec la perception des sexes et aurait des conséquences importantes pour l’ordre juridique.

Il est vrai que ces situations peuvent se produire si la reconnaissance du changement de sexe cesse d’être subordonnée à la condition de l’incapacité permanente de procréer. Chez les hommes transgenres, cela ne se produira que rarement car ces personnes sont dans leur grande majorité hétérosexuelles. Concernant en revanche les femmes transgenres ayant une orientation homosexuelle (…), on ne saurait exclure qu’elles conçoivent des enfants alors qu’elles sont reconnues juridiquement comme étant de sexe féminin. Il faut cependant tenir compte du fait que le traitement hormonal, souvent appliqué dans le cadre des thérapies destinées aux personnes transsexuelles, provoque une incapacité au moins temporaire à procréer. De plus, au vu des progrès réalisés dans le domaine de la médecine reproductive, même en maintenant la condition de l’incapacité permanente de procréer, on ne saurait exclure qu’une femme transgenre ayant subi une opération de stérilisation et ayant été reconnue comme appartenant au sexe féminin, conçoive ultérieurement un enfant à l’aide de sperme congelé, comme le montre l’affaire tranchée par la cour d’appel de Cologne (décision du 30 novembre 2009, 16 Wx 94/09 [paragraphe 59 ci‑dessous]).

De telles situations de discordance entre l’attribution du sexe juridique et le rôle de la personne dans la naissance d’un enfant (gestation, fécondation), qui ne se produiront pas souvent eu égard au petit nombre de personnes transsexuelles, concernent avant tout le rattachement des enfants au père et à la mère. La légitime préoccupation [du législateur] est de rattacher juridiquement les enfants à leurs parents biologiques de manière à ce que leur filiation, si elle est en contradiction avec leur conception biologique, ne soit pas rattachée à deux mères ou à deux pères légaux. »

56. La Cour constitutionnelle fédérale constata que le rattachement d’un enfant à un père et une mère qui fût sans équivoque et qui correspondît aux circonstances biologiques était déjà prévu par la loi. Rappelant les dispositions des articles 5 § 3, 8 et 10 de la loi TSG (paragraphes 40 et 42 ci‑dessus), elle nota ainsi qu’il était garanti que les enfants concernés gardaient toujours un père et une mère, qui leur étaient attribués même si l’un des parents changeait de sexe. La haute juridiction conclut que, si l’on mettait en balance, d’un côté, les raisons ayant amené le législateur à poser l’incapacité de procréer comme condition préalable à la reconnaissance d’un changement de sexe, et, de l’autre, les atteintes graves aux droits des personnes transsexuelles résultant de l’obligation de se soumettre à une opération médicalement non indiquée, d’autant que, exposa la juridiction constitutionnelle, pour les femmes transgenres le traitement hormonal entraîne déjà souvent un incapacité de procréer, le droit de la personne transsexuelle à l’autodétermination sexuelle revêtait plus de poids. Elle précisa :

« Cela est d’autant plus vrai qu’il existe des possibilités légales pour garantir que les enfants dont l’un des parents est transsexuel préservent néanmoins leur rattachement à leur père et à leur mère. »

57. Dans son arrêt du 10 octobre 2017 (1 BvR 2019/16), la Cour constitutionnelle fédérale déclara incompatible avec les articles 2 § 1, 1 § 1 et 3 § 3 de la Loi fondamentale l’impossibilité pour les personnes qui ne se sentent appartenir à aucun des deux sexes d’être enregistrées sous un sexe autre que « féminin » ou « masculin », et enjoignit au législateur de prévoir une telle possibilité pour le 31 décembre 2018 au plus tard. Elle estima notamment que l’option consistant à ne pas indiquer le sexe dans le registre des naissances ne correspondait pas à une reconnaissance de l’appartenance sexuelle ressentie des intéressés, mais donnait plutôt l’impression que le sexe de la personne n’avait pas encore été clarifié ou que la mention du sexe avait été oubliée. La haute juridiction observa que cette inscription ne revêtait une importance pour l’identité de genre de l’intéressé que parce que le droit relatif à l’état civil exigeait la mention du sexe d’une personne. En effet, en dépit de plusieurs réformes du régime de l’état civil, le législateur avait maintenu l’obligation d’indiquer le sexe d’une personne dans l’état civil. La Cour constitutionnelle fédérale considéra que la Loi fondamentale ne s’opposait pas à la reconnaissance d’une identité de genre autre que féminine ou masculine et, en particulier, n’exigeait pas que la mention du sexe d’une personne fasse partie de l’état civil et permettait au législateur de renoncer à cette mention dans l’état civil.

58. Le 22 décembre 2018, en réaction à l’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale, entra en vigueur la loi sur la modification des informations à renseigner dans le registre des naissances du 18 décembre 2018 (Gesetz zur Änderung der in das Geburtenregister einzutragenden Angaben). La loi porta entre autres modification de l’article 22 § 3 de la loi sur l’état civil qui prévoit depuis lors que si un enfant ne peut être attribué ni au sexe masculin ni au sexe féminin, la case correspondante du registre des naissances peut être laissée libre ou contenir la mention « divers ».

E. Jurisprudence des juridictions civiles

59. L’une des premières décisions judiciaires portant sur la mention dans le registre des naissances du statut de parent d’une personne transsexuelle fut rendue par la cour d’appel de Cologne le 30 novembre 2009 (16 Wx 94/09). Celle‑ci devait statuer sur la validité de la reconnaissance de paternité, par une femme transgenre, à l’égard des jumeaux auxquels sa compagne (en partenariat enregistré avec elle) avait donné naissance. Avant son changement de sexe, la personne transsexuelle avait fait congeler son sperme, avec lequel sa compagne s’était fait inséminer par la suite à l’étranger. La cour d’appel estima que la personne transsexuelle ayant reconnu la paternité devait être considérée comme le père des enfants et que c’était son prénom d’origine qui devait figurer dans le registre des naissances. Elle considéra notamment que le fait que l’intéressée n’appartenait plus au sexe masculin au moment de la reconnaissance de paternité ne changeait rien à la situation. Se référant au processus législatif, elle releva que le législateur avait indiqué clairement que tous les enfants naturels tombaient sous le coup de l’article 11 de la loi TSG (paragraphe 43 ci‑dessus). Elle conclut non seulement que la reconnaissance de paternité était valide et que l’intéressée devait dès lors être inscrite comme étant le père des enfants dans le registre des naissances, mais aussi qu’elle devait être désignée par ses prénoms d’origine, conformément aux articles 10 § 2 et 5 § 3 de la loi TSG (paragraphes 42 et 40 ci‑dessus). Pour la cour d’appel, ces dispositions garantissaient que, sur l’acte de naissance des enfants, les parents figuraient avec leurs prénoms correspondant au sexe indiqué dans l’acte, prévenaient ainsi toute divulgation inopinée de la transsexualité du parent transsexuel et visaient ainsi à protéger les intérêts légitimes des enfants et, en fin de compte, également ceux de la personne transsexuelle.

60. Dans une décision du 4 janvier 2016 (22 III 12/15), le tribunal d’instance de Münster rappela que la personne qui met au monde un enfant est la mère de l’enfant, même si l’appartenance de cette personne à son nouveau sexe masculin a été reconnue avant la naissance de l’enfant. Il ajouta que c’étaient les prénoms que cette personne avait portés avant son changement de sexe qui devaient être inscrits dans le registre des naissances. Cependant, d’après le tribunal, il suffisait d’indiquer ces prénoms dans la partie annexe (Hinweisteil) du registre des naissances, tandis que les prénoms actuels du parent transsexuel figureraient dans la partie centrale du registre. Ainsi, exposa le tribunal, l’acte de naissance de l’enfant, au sens de l’article 59 de la loi sur l’état civil (paragraphe 50 ci‑dessus), indiquait l’identité des parents (Eltern) désignés par les prénoms qu’ils portaient au moment de la naissance de l’enfant, sans que les anciens prénoms apparaissent.

61. Le tribunal observa à cet égard que l’article 5 § 3 de la loi TSG (paragraphe 40 ci‑dessus) devait être interprété de façon conforme au droit constitutionnel, compte tenu de l’interdiction de divulguer l’orientation sexuelle d’une personne et de la clarté de la filiation (Abstammungsklarheit). Il déclara qu’il suffisait dès lors que les anciens prénoms du parent transsexuel figurent dans le registre des naissances en tant qu’information additionnelle et non pas comme prénoms actuels. Le tribunal ajouta que l’article 5 § 3 de la loi TSG ne commandait pas que les anciens prénoms figurent aussi dans l’acte de naissance. Selon le tribunal, l’inscription des prénoms actuels d’un parent transsexuel et l’utilisation du terme neutre « parents » satisfaisaient à l’interdiction de divulgation (Offenbarungsverbot). À ses yeux, il n’était pas nécessaire que le sexe des parents soit révélé dans l’acte de naissance, dès lors que l’enfant pourrait consulter le registre des naissances pour obtenir les informations relatives à sa filiation.

62. Par un arrêt du 14 février 2019 (1 W 102/18), la cour d’appel de Berlin statua sur la situation d’une personne transsexuelle née femme qui, après avoir pris des prénoms masculins sans changer de sexe, avait donné naissance à un enfant conçu avec son mari et avait demandé l’inscription de ses prénoms actuels dans le registre des naissances et, à titre subsidiaire, la délivrance d’un acte de naissance sur lequel elle et son mari figureraient en tant que « parents ». La cour d’appel rappela notamment que l’article 5 § 3 de la loi TSG visait à protéger le droit général de la personnalité et le droit à l’autodétermination informationnelle des enfants. D’après la cour d’appel, il fallait éviter que les enfants fussent contraints de présenter des actes de naissance permettant de déduire que l’un des parents était transsexuel ou donnant lieu à des conjectures dans ce sens. À ses yeux, un acte de naissance contenant les prénoms masculins de la mère ne répondait pas à ce but, même dans l’hypothèse où l’intéressé y figurait non pas comme mère mais, à l’instar de son mari, comme « parent ».

63. La cour d’appel concéda que l’intérêt de l’enfant, et du reste celui des parents, à garder la transsexualité de l’intéressé confidentielle ne pouvait pas être protégé de manière effective si le lien avec l’un des parents devait être prouvé à l’aide d’un acte de naissance dans lequel les données ne concordaient pas avec celles contenues dans les documents d’identité du parent concerné. Cependant, aux yeux de la cour d’appel, dans de telles situations, qui ne devaient d’ailleurs se produire que rarement, et seulement pendant les premières années de vie, une protection complète de l’intérêt en question ne pouvait pas non plus être obtenue au moyen d’une inscription telle que celle demandée par l’intéressé. La cour d’appel souligna que le législateur avait réglé ce conflit entre les droits fondamentaux du parent transsexuel et ceux de l’enfant en prévoyant l’inscription de l’ancien prénom du parent tout en soumettant l’utilisation du registre des naissances et d’un acte de naissance aux mécanismes de protection prévus aux articles 59 § 2 et 64 de la loi sur l’état civil (paragraphes 50 et 53 ci‑dessus).

64. Par un arrêt du 26 janvier 2022, la Cour fédérale de justice rejeta le recours formé contre l’arrêt de la cour d’appel. Confirmant son arrêt du 6 septembre 2017 (paragraphes 11‑31 ci‑dessus), elle précisa que ses conclusions s’appliquaient d’autant plus à l’affaire portée devant elle que la mère en l’espèce n’avait pas changé de sexe mais seulement de prénoms.

II. Le Droit et La pratique internationaux

A. Dans le cadre du Conseil de l’Europe

65. Le 10 octobre 2018, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté la résolution 2239(2018) intitulée « Vie privée et familiale : parvenir à l’égalité quelle que soit l’orientation sexuelle ». Cette résolution appelle notamment les États à veiller à ce que l’identité de genre des parents transgenres soit correctement enregistrée sur l’acte de naissance de leurs enfants (point 4.6).

B. La Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant

66. Les dispositions pertinentes de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant, conclue à New York le 20 novembre 1989, se lisent comme suit :

Article 3

« 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.

2. Les Etats parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées. (…) »

Article 7

« 1. L’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux (…) »

Article 8

« 1. Les Etats parties s’engagent à respecter le droit de l’enfant de préserver son identité, y compris sa nationalité, son nom et ses relations familiales, tels qu’ils sont reconnus par la loi, sans ingérence illégale.

2. Si un enfant est illégalement privé des éléments constitutifs de son identité ou de certains d’entre eux, les Etats parties doivent lui accorder une assistance et une protection appropriées, pour que son identité soit rétablie aussi rapidement que possible. »

67. Dans son observation générale no 14 du 29 mai 2013 sur le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale (titre « L’intérêt supérieur de l’enfant » du chapitre « L’analyse juridique du paragraphe 1 de l’article 3 »), le Comité des droits de l’enfant des Nations unies mentionne le point suivant :

« 32. Le concept d’intérêt supérieur de l’enfant est complexe et sa teneur doit être déterminée au cas par cas. (…) Il devrait être ajusté et défini au cas par cas, en fonction de la situation particulière de l’enfant ou des enfants concernés, selon les circonstances, le contexte et les besoins des intéressés. Pour les décisions relatives à des cas individuels, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être évalué et déterminé en tenant compte de la situation concrète de l’enfant concerné. Pour ce qui est des décisions générales − telles que celles émanant du législateur −, l’intérêt supérieur des enfants en général doit être évalué et déterminé au vu de la situation du groupe concerné et/ou des enfants en général. (…) »

C. Rapport du rapporteur spécial sur le droit à la vie privée du 24 mars 2020 (43e session du Conseil des droits de l’homme – A/HRC/43/52)

68. Les parties pertinentes en l’espèce de ce rapport se lisent ainsi :

E. Enfants et jeunes

« (…)

34. Les États devraient :

a) Émettre les certificats de naissance dès la naissance, même pour les enfants autochtones et tribaux, et indiquer sur ce document l’identité de genre dans laquelle les parents se reconnaissent (…) »

F. Identité de genre et reconnaissance juridique

« 35. Les États et les acteurs non étatiques devraient :

a) Faciliter la reconnaissance officielle de l’identité, quel que soit le genre de la personne, en veillant à ce que :

(…)

ii) Les changements de nom ou de marqueur genre ne soient pas divulgués sans le consentement préalable, libre et éclairé de la personne concernée, sauf si le pouvoir judiciaire l’ordonne ;

b) Protéger les données des personnes qui ont changé de sexe ou de genre sur les registres officiels en :

i) Faisant en sorte que l’historique des changements de sexe, de genre ou de nom reste confidentiel ;

ii) Veillant à ce que les informations qui concernent les changements de sexe, de genre ou de nom ne soient enregistrées et consultées que lorsque l’historique présente un intérêt pour la prise de décisions (…)

36. Les États devraient :

(…)

b) Ne faire figurer sur les documents d’identité que les informations personnelles relatives au sexe et au genre qui sont pertinentes, raisonnables et nécessaires pour parvenir à un but légitime, comme l’exige la loi (…)

e) Offrir plusieurs choix de marqueurs genre et, parallèlement, tendre à ne plus indiquer le sexe et le genre sur les documents d’identité comme les certificats de naissance, les cartes d’identité, les passeports et les permis de conduire (…) »

III. Éléments de droit comparé

A. L’index des droits trans par Transgender Europe

69. D’après « l’index des droits trans » pour l’Europe et l’Asie centrale de 2021, publié par l’organisation non gouvernementale Transgender Europe, quatre pays européens (Belgique, Malte, Slovénie et Suède) prévoient dans leur ordre juridique une reconnaissance du statut de parent de personnes transgenres. Ce chiffre est resté inchangé depuis l’index de l’année 2018. D’après l’index de 2022, l’Islande a rejoint ce groupe de pays.

B. Décisions rendues récemment dans d’autres pays

1. France

70. Par un arrêt du 16 septembre 2020 (ECLI:FR:CCAS :2020:C100519), la Cour de cassation française a confirmé l’arrêt de la cour d’appel de Montpellier du 14 novembre 2018, qui avait rejeté la demande formée par une femme transgenre qui souhaitait être inscrite en tant que mère sur l’acte de naissance de son enfant. Celle‑ci, après la modification de la mention de son sexe dans les actes de l’état civil, avait procréé avec son épouse au moyen de ses gamètes mâles. La Cour de cassation a notamment estimé que l’intéressée n’était pas privée du droit de faire reconnaître un lien de filiation biologique avec l’enfant, mais ne pouvait le faire qu’en ayant recours aux modes d’établissement de la filiation réservée au père. Elle a ajouté que les dispositions du droit français applicables étaient conformes à l’intérêt supérieur de l’enfant, d’une part, en ce qu’elles permettaient l’établissement d’un lien de filiation à l’égard de ses parents, élément essentiel de son identité et qui correspondait à la réalité des conditions de sa conception et de sa naissance, garantissant ainsi son droit à la connaissance de ses origines personnelles, et, d’autre part, en ce qu’elles conféraient à l’enfant né après la modification de la mention du sexe de son parent à l’état civil la même filiation que celle de ses frère et sœur, nés avant cette modification, évitant ainsi les discriminations au sein de la fratrie, dont tous les membres seraient élevés par deux mères, tout en ayant à l’état civil l’indication d’une filiation paternelle à l’égard de leur géniteur, laquelle n’était au demeurant pas révélée aux tiers dans les extraits d’actes de naissance qui leur étaient communiqués.

71. La Cour de cassation a en revanche cassé l’arrêt de la cour d’appel de Montpellier en ce qu’il indiquait que, au nom de l’intérêt de l’enfant, l’intéressée devait être inscrite sur l’acte de naissance en tant que « parent biologique ». Sur ce point, la Cour de cassation a souligné que la loi française ne permettait pas de désigner, dans les actes de l’état civil, le père ou la mère de l’enfant comme « parent biologique ».

72. Par un arrêt du 9 février 2022, la cour d’appel de Toulouse, statuant en tant que juridiction de renvoi, a décidé d’établir judiciairement la filiation maternelle non gestatrice et a ordonné l’inscription du lien de filiation maternelle de la femme transgenre sur l’acte de naissance de l’enfant. Elle a relevé que la reconnaissance de paternité ne pouvait plus être retenue parce qu’elle contraindrait la mère non gestatrice de nier sa nouvelle identité de genre et serait contraire aux droits au respect de sa vie privée et à l’autodétermination de genre garantis par les articles 8 et 14 de la Convention. Examinant dès lors la possibilité d’établir une reconnaissance de maternité elle a observé que celle‑ci ne pouvait pas se faire par voie d’adoption en raison du refus de la mère gestatrice de l’enfant, ni par reconnaissance volontaire qui avait été rendue impossible par l’autorité de chose jugée s’attachant à l’arrêt de la Cour de cassation. Se fondant alors sur le silence du législateur relatif à la filiation des enfants nés postérieurement à la modification de la mention du sexe à l’état civil dans la loi du 18 novembre 2016 (autorisant le changement de sexe sans réassignation sexuelle), interprété à la lumière de la loi de bioéthique du 2 août 2021 (postérieur à l’arrêt de la Cour de cassation et qui consacrait une double filiation maternelle pour les couples de femmes recourant à l’assistance médicale à la procréation), la cour d’appel a conclu que, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant et de l’importance que la Cour européenne des droits de l’homme accordait à la dimension biologique de la filiation, et en l’absence de tout conflit et de toute contradiction entre les filiations des deux parents biologiques qui étaient tous deux de sexe féminin à l’état civil, la filiation maternelle pouvait être établie par voie judiciaire (voir C.V. et M.E.D. c. France (déc.), nos 13948/21 et 14333/21, §§ 3‑15, 30 juin 2022).

2. Angleterre et pays de Galles

73. Par un arrêt du 29 avril 2020 rendu dans l’affaire McConnell v. The Registrar General for England and Wales ([2020] EWCA Civ 559), la cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles a décidé qu’un homme transgenre qui avait donné naissance à un enfant, conçu (avec le sperme d’un donneur) et né après son changement de sexe, devait être inscrit sur l’acte de naissance de l’enfant comme étant la mère de celui‑ci. Examinant l’affaire à la lumière de la Convention, la cour d’appel a notamment relevé que cette façon de faire figurer l’intéressé sur l’acte de naissance visait à protéger les droits d’autrui, y compris ceux des enfants nés de parents transsexuels, et à maintenir une manière claire et cohérente d’enregistrer les naissances. Elle a estimé que les problèmes soulevés par l’affaire dépassaient le cas qui lui était soumis et revêtaient un caractère général puisque la question n’était pas tant celle de savoir s’il était dans l’intérêt de l’enfant que la personne l’ayant mis au monde fût enregistrée comme mère dans l’acte de naissance, mais de déterminer si les droits des enfants incluaient d’une manière générale le droit de savoir qui leur avait donné naissance et quel statut avait eu cette personne. Examinant la proportionnalité de la mesure, la cour d’appel releva entre autres que, selon la loi sur les enfants (Children Act), seule la mère détenait automatiquement l’autorité parentale sur l’enfant dès la naissance de celui‑ci, sans qu’il y ait besoin d’un document d’enregistrement quelconque. Elle souligna qu’il était important qu’une personne eût la responsabilité parentale à l’égard de l’enfant dès la naissance de celui‑ci, par exemple pour autoriser un traitement médical. Dans son raisonnement la cour d’appel s’appuya en outre sur les conclusions de la Cour fédérale de justice dans l’arrêt rendu dans les présentes requêtes.

74. Le 9 novembre 2020, la Cour suprême britannique a refusé l’autorisation de faire appel de cet arrêt au motif que la demande ne soulevait pas de question de droit défendable (communication du 16 novembre 2020).

EN DROIT

I. JONCTION DES REQUÊTES

75. Eu égard à la similarité de l’objet des requêtes, la Cour juge opportun de les examiner ensemble dans un arrêt unique (article 42 § 1 du règlement de la Cour).

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

76. Les requérants se plaignent du refus que les juridictions allemandes ont opposé à la demande formée par le premier requérant en vue d’être inscrit comme père du second requérant dans le registre des naissances, en dépit de son changement de genre reconnu judiciairement avant la conception de l’enfant, et de la décision desdites juridictions d’ordonner l’enregistrement du premier requérant en tant que mère de l’enfant, avec les prénoms qu’il portait avant son changement de sexe. Dans ce contexte, ils allèguent que les inscriptions contradictoires dans les registres respectifs les exposent au risque de devoir donner des explications et, ainsi, de révéler que le premier requérant est transgenre. Ils se plaignent aussi que la Cour fédérale de justice a considéré les droits du second requérant uniquement comme limitant les droits invoqués par le premier requérant.

77. Les requérants se plaignent par ailleurs que, du fait de l’inscription du premier requérant en tant que « mère » du second, la réalité de leurs liens familiaux, c’est‑à‑dire leur relation père‑fils, n’est pas respectée dès lors que le registre des naissances concernant le second requérant fait mention d’une personne de sexe féminin qui n’existe pas. De ce fait, le premier requérant rencontrerait des difficultés à prouver qu’il était bien le parent du second requérant. Les requérants invoquent l’article 8 de la Convention, dont la partie pertinente est ainsi libellée :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (…)

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (…) à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Sur la recevabilité

1. La qualité d’agir du premier requérant au nom du second requérant

78. La Cour note que le premier requérant a introduit la requête no 54741/18 au nom du second requérant. Elle rappelle qu’il peut exister des intérêts conflictuels entre un parent et son enfant qui doivent être pris en compte dès lors qu’il s’agit de statuer sur la recevabilité d’une requête introduite par une personne au nom d’une autre personne (Strand Lobben et autres c. Norvège [GC], no 37283/13, § 158, 10 septembre 2019).

79. La Cour relève qu’en l’espèce le premier requérant est la seule personne investie de l’autorité parentale sur le second requérant et que ni les juridictions internes ni le Gouvernement n’ont contesté la qualité d’agir du premier requérant au nom de son enfant. Elle estime dès lors qu’il n’y a pas lieu de mettre en doute la qualité d’agir du premier requérant au nom du second requérant, mais qu’il convient d’apprécier l’existence d’éventuels intérêts conflictuels entre les requérants lors de l’examen des griefs formulés par le premier requérant en son nom et au nom du second requérant sur le terrain de l’article 8 de la Convention.

2. L’applicabilité de l’article 8 de la Convention

80. Dans les présentes affaires, les requérants formulent leurs griefs sur le terrain de l’article 8 de la Convention, essentiellement en son volet « vie privée », mais aussi en son volet « vie familiale ». Le Gouvernement ne conteste pas l’application de cette disposition.

81. En ce qui concerne les griefs du premier requérant tirés du droit au respect de la vie privée, la Cour rappelle que ce droit englobe un droit à l’autodétermination, dont la liberté de définir son appartenance à un genre est l’un des éléments les plus essentiels, ainsi que le droit à la reconnaissance légale de l’identité de genre (A.P., Garçon et Nicot c. France, nos 79885/12 et 2 autres, 52471/13 et 52596/13, §§ 93‑94, 6 avril 2017, et S.V. c. Italie, no 55216/08, §§ 55‑56, 11 octobre 2018) qui implique également la protection d’une personne transgenre contre la révélation involontaire de son caractère transgenre (B. c. France, no 13343/87, §§ 60 et 62, 25 mars 1992 ; voir aussi Y. c. Pologne, no 74131/14, § 78, 17 février 2022). En ce qui concerne le second requérant la Cour rappelle que le droit au respect de la vie privée comprend la liberté de révéler ou non certains aspects de sa vie privée (voir, mutatis mutandis, M.L. et W.W. c. Allemagne, nos 60798/10 et 65599/10, § 86, 28 juin 2018, et X et autres c. Russie, nos 78042/16 et 66158/14, § 62, 14 janvier 2020).

82. Dans la mesure où les requérants invoquent aussi leur droit au respect de la vie familiale, la Cour note qu’ils vivent ensemble dans une relation parent‑enfant et que l’existence du lien de parenté entre eux n’est pas contestée en soi par les autorités allemandes. En ce qui concerne les difficultés alléguées du premier requérant à prouver sa parenté à certaines occasions, la Cour en tiendra compte lors de l’examen de la question de savoir s’il y a eu atteinte au droit du premier requérant au respect de sa vie privée.

83. La Cour estime dès lors que l’article 8 trouve à s’appliquer en l’espèce en son volet « vie privée ».

3. Autres motifs d’irrecevabilité

84. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Les requérants

85. Les requérants considèrent qu’il y a eu ingérence dans l’exercice de leur droit au respect de la vie privée. Ils expliquent que, si le premier requérant est suffisamment protégé en tant qu’individu transgenre par l’inscription de son changement de genre dans le registre de l’état civil le concernant et par l’interdiction de divulguer ces informations (Offenbarungsverbot), il n’en va pas de même pour ce qui est de son statut de parent. Ils soutiennent que la reconnaissance du changement de genre du premier requérant est privée d’effet si les autorités publiques lui attribuent un genre erroné qui impose des explications chaque fois que les requérants doivent présenter l’acte de naissance du second requérant et qui les expose à un traitement discriminatoire ou dégradant, que le premier requérant s’efforce d’épargner à son enfant. Le premier requérant ajoute que la mention de ses anciens prénoms féminins dans le registre des naissances a aussi porté atteinte à son droit au nom.

86. Les requérants estiment que c’est à eux de décider si et quand ils souhaitent révéler à des tiers des informations personnelles relatives à l’identité de genre du premier requérant. Ils ajoutent qu’ils doivent fréquemment présenter l’acte de naissance du second requérant – par exemple à la caisse maladie, aux autorités sociales de l’enfance, au jardin d’enfants ou à l’école, lors d’un changement d’employeur, lors de l’ouverture d’un compte bancaire ou lors d’une demande de passeport ou de carte d’identité pour l’enfant, lors des contrôles à la frontière – et que le premier requérant ne peut prouver sa qualité de parent qu’en présentant, chaque fois, la décision du tribunal d’instance reconnaissant son changement de genre.

87. Les requérants considèrent que le droit du second requérant de connaître ses origines ne justifie pas l’enregistrement contesté. Ils rappellent que ce droit ne confère pas un droit à des informations exhaustives, mais implique seulement l’obligation pour l’État de ne pas priver l’intéressé d’informations disponibles sur sa filiation. Ils observent à cet égard que la mention du premier requérant en tant que père, avec ses prénoms actuels, permettrait au second requérant de disposer des informations nécessaires sur ses parents tout en bénéficiant d’un rattachement juridique à une personne existant réellement, à savoir à son père. À cet égard, les requérants soutiennent que l’acte de naissance, tel qu’il a été établi en l’espèce, ne permet pas au second requérant de comprendre sa filiation sans explications de la part du premier requérant.

88. Les requérants considèrent que, pour respecter le droit de l’enfant de connaître ses origines, il suffirait que les autorités allemandes inscrivent le nom de la personne qui l’a mis au monde, avec ses prénoms actuels, dans la première case du registre des naissances, comme c’est la règle, même si cette personne est un homme, et qu’elles indiquent le caractère transgenre du parent dans un registre concernant celui‑ci, sans plus consigner ce point dans le registre des naissances chaque fois qu’un enfant vient au monde. Ils proposent aussi une autre option, qui consisterait à désigner le premier requérant comme père, avec ses prénoms masculins, en ajoutant la mention qu’il a donné naissance à l’enfant. Ils avancent enfin une troisième option, qui serait celle adoptée par le tribunal d’instance de Münster dans sa décision du 4 janvier 2016 (paragraphes 60‑61 ci‑dessus), consistant à ajouter une authentification complémentaire des prénoms masculins qui, par conséquent, pourraient figurer sur l’acte de naissance. Le premier requérant estime qu’il y a une différence entre être enregistré comme mère avec des prénoms féminins ou comme « parent » avec des prénoms masculins.

89. Les requérants font aussi remarquer qu’il existe bien des actes de naissance sur lesquels figurent deux pères ou deux mères, comme le montrent selon eux les situations d’adoption ultérieure au sein de couples homosexuels. Ils en déduisent qu’un acte de naissance qui ne mentionne qu’un père ne prête pas à confusion. Ils ajoutent que l’enregistrement du parent transgenre comme père n’empêcherait pas de faire état dans le registre des naissances d’une deuxième paternité, avec l’accord de la personne qui a accouché de l’enfant.

90. Les requérants sont d’avis qu’il n’y a pas eu en l’espèce de véritable mise en balance des intérêts en jeu, et notamment de prise en considération des droits du second requérant. Ils affirment que la Cour fédérale de justice n’a tenu compte des intérêts du second requérant que comme limitant les droits invoqués par le premier requérant et que l’intérêt supérieur de l’enfant n’était donc pas au cœur des considérations des juridictions allemandes, comme l’exigent la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant (paragraphe 66 ci‑dessus) et les principes de Jogjakarta de 2006. Les requérants rejettent par ailleurs l’idée que l’inscription litigieuse pourrait être justifiée par un intérêt public résidant dans la tenue d’un état civil complet et exact. Ils estiment qu’à la base de ce concept se trouve l’hypothèse d’un intérêt public intangible consistant à maintenir l’ordre juridique binaire fondé sur la dualité des sexes. À leurs yeux, la réticence des autorités à s’adapter aux changements sociétaux ne peut justifier l’enregistrement contesté, d’autant qu’en matière d’état civil deux nouveaux marqueurs de genre ont récemment été introduits, à savoir « divers » et « non précisé », ce qui selon eux appelle une nouvelle réglementation.

91. Les requérants se plaignent aussi que l’acte de naissance du second requérant fasse mention d’une personne de sexe féminin (« mère ») qui n’existe pas, alors qu’ils estiment avoir droit à ce que la réalité de leur situation familiale soit reflétée dans les registres de l’état civil. Pour eux, cette inscription équivaut à une attribution forcée du genre féminin au premier requérant et à une dépossession de son rôle de père, qu’il assume dans la vie réelle, et découle de la conviction que les personnes transgenres ne doivent pas pouvoir procréer.

b) Le Gouvernement

92. Le Gouvernement soutient que les présentes requêtes posent la question de savoir si l’Allemagne est tenue d’enregistrer le premier requérant, avec ses prénoms masculins, en tant que père du second requérant, et si ces requêtes doivent dès lors être examinées sous l’angle des obligations positives découlant de l’article 8 de la Convention.

93. Le Gouvernement estime que les droits des personnes transsexuelles sont amplement protégés en droit allemand, dès lors selon lui que tout changement de sexe est indiqué dans les registres de l’état civil, les actes de naissance ou les papiers d’identité, sans qu’une opération ou une incapacité permanente de procréer ne soient posées comme conditions préalables. Il considère cependant que la question de la reconnaissance du changement de sexe d’une personne transsexuelle dans les registres de l’état civil doit être distinguée de la question de savoir comment enregistrer la filiation d’un individu et expose qu’en effet, dans de tels cas, ne sont pas uniquement en jeu les intérêts de la personne transsexuelle mais aussi ceux de l’enfant.

94. Le Gouvernement rappelle que le droit de la filiation allemand se fonde sur la fonction procréatrice des parents, suivant leur sexe biologique, et que ces rôles ne sont pas interchangeables. Il explique en particulier que, à l’instar de beaucoup d’autres États contractants, le législateur allemand a opté pour un rattachement juridique immuable de l’enfant à la mère, c’est‑à‑dire à la personne qui a accouché de l’enfant, sans que la loi permette de contester la maternité. Le Gouvernement soutient que le lien avec la mère qui est établi à la naissance permet un rattachement rapide, facile et presque toujours juste du nouveau‑né à sa mère, sert ainsi le bien‑être de l’enfant et vise par ailleurs à empêcher la gestation pour autrui, qui est interdite en Allemagne.

95. Le Gouvernement ajoute que l’obligation d’inscrire dans le registre des naissances les prénoms que le parent portait avant son changement de sexe permet à l’enfant de décider lui‑même quand et à qui il souhaite révéler la transsexualité de son ou ses parents et d’éviter que le risque de divulgation se concrétise lorsqu’il doit présenter un acte de naissance.

96. Le Gouvernement insiste sur la marge d’appréciation en l’espèce très étendue des autorités allemandes, lesquelles, expose‑t‑il, devaient non seulement mettre en balance plusieurs intérêts privés et publics et différents droits garantis par la Convention, mais aussi trancher des questions éthiques sensibles sur lesquelles il n’existe pas de consensus européen. Il estime que la marge d’appréciation n’était pas réduite puisque ni le lien de filiation entre les requérants ni l’identité de genre du premier requérant ne sont en définitive remis en cause.

97. Concernant les droits et intérêts en jeu, le Gouvernement explique que les juridictions civiles devaient mettre en balance les droits du premier requérant avec ceux du second requérant qui, bien qu’étroitement liés, ne coïncident pas pour autant, et également prendre en considération l’intérêt public résidant dans le rattachement juridique clair et immédiat d’un enfant à ses parents et dans le fait de disposer de registres d’état civil exacts et complets dont les données sont dotées d’une force probante particulière en droit allemand. Il considère en particulier que le droit de l’enfant de connaître ses origines serait compromis si le droit de la filiation ne précisait pas, ou indiquait en contradiction avec les circonstances biologiques, sur quelle fonction procréatrice (accouchement ou fécondation) il fonde le rattachement de l’enfant à ses parents. Le Gouvernement estime par ailleurs que, dans des circonstances telles que celles de l’espèce, la désignation à l’état civil du donneur de sperme en tant que père biologique pourrait de surcroît être impossible et priver ce dernier de la possibilité d’assumer ses responsabilités parentales.

98. Le Gouvernement explique aussi que, dans une situation comme celle de l’espèce, le législateur doit nécessairement procéder à une appréciation standardisée du bien‑être de l’enfant en tenant compte du fait que des conflits peuvent surgir entre un enfant et son parent transsexuel, comme dans des familles avec des parents hétérosexuels, ou qu’un enfant peut ne pas avoir été informé de ses origines par son parent transsexuel. Il souligne que le législateur doit veiller à ce que les intérêts des enfants soient suffisamment protégés.

99. Sur la question d’un consensus européen en la matière, le Gouvernement indique avoir consulté les gouvernements de treize États (Belgique, Croatie, Danemark, Estonie, France, Lituanie, Norvège, Pays‑Bas, République tchèque, Royaume‑Uni, Serbie, Slovénie et Suisse) afin de savoir de quelle manière la situation dans les présentes affaires aurait été réglée au regard de leur droit national. Il indique qu’il ressort de ces réponses que, bien que les réglementations des États contractants consultés varient sur un certain nombre de points, dans douze des treize États l’ordre juridique fonde en principe la filiation sur la fonction procréatrice biologique en vue de déterminer qui est la mère d’un enfant et que dans six États, la situation du premier requérant serait réglée comme en Allemagne, c’est‑à‑dire qu’un homme transgenre qui met au monde un enfant après avoir changé de genre serait inscrit comme mère sur l’acte de naissance.

100. Le Gouvernement avance que, la société évoluant et voyant surgir des besoins juridiques nouveaux, le législateur travaille sur une réforme du droit des personnes transsexuelles et du droit de la filiation. Il expose que, dans ce contexte, un projet de texte a été présenté en mars 2019 qui, fondé sur l’avis unanime d’une commission pluridisciplinaire créée à cet effet, maintient le principe voulant que la mère soit la personne qui a donné naissance à l’enfant et que le père soit la personne qui est présumée en être le géniteur. Le Gouvernement observe enfin que, comme les termes « mère » et « père » utilisés dans la loi correspondent à l’usage courant, il serait difficile de faire admettre au public la nécessité de les remplacer par d’autres termes, tels que « parent 1 » et « parent 2 ». Pour le Gouvernement, un tel remplacement ne servirait d’ailleurs pas les intérêts des requérants parce que le rattachement à la fonction procréatrice subsisterait si la personne ayant mis au monde l’enfant était « parent 1 » et celle dont provient le sperme « parent 2 ». En réponse à un commentaire d’un tiers intervenant, il indique que d’autres documents que l’acte de naissance complet ne contenant pas d’indications du changement de sexe du premier requérant peuvent être utilisés, par exemple pour un employeur, afin de prévenir tout risque de divulgation de cette information.

2. Thèses des tiers intervenants

a) Le Gouvernement slovaque

101. Le gouvernement slovaque observe que la législation allemande correspond aux règles applicables en Slovaquie. Il estime que l’élément clé doit être le bien‑être de l’enfant, dont la naissance crée des droits et des obligations réciproques qui ne peuvent pas être écartés ou auxquels on ne doit pas pouvoir renoncer. Il expose que le droit protège traditionnellement le plus faible, qui dans une relation parent‑enfant est généralement l’enfant, lequel doit être protégé contre la divulgation de la transsexualité de l’un de ses parents. Il ajoute qu’un acte de naissance sur lequel ne figurerait pas de mère, mais uniquement un père qui n’a pas donné son sperme mais qui a accouché de l’enfant ne servirait pas le droit de l’enfant de connaître ses parents, consacré à l’article 7 de la Convention relative aux droits de l’enfant (paragraphe 66 ci‑dessus), ni le droit de connaître ses origines tel que la jurisprudence de la Cour l’a défini. Le gouvernement slovaque rappelle que les autorités de l’État ont la responsabilité de garantir l’exactitude et l’exhaustivité des données inscrites dans le registre des naissances, qui sont importantes non seulement pour le bon fonctionnement de l’État mais aussi pour les individus lorsqu’une identité doit être établie. Il soutient par ailleurs que les occasions où un acte de naissance doit être présenté sont limitées et concernent dans un certain nombre de cas des demandes adressées aux autorités administratives, qui ont de toute façon déjà connaissance de la transsexualité du parent.

b) TGEU, ILGA et Bundesvereinigung Trans*

102. Dans leurs observations communes, les associations TGEU, ILGA et Bundesvereinigung Trans* remarquent que beaucoup de personnes transgenres vivent dans des familles et que les cas d’accouchement par des hommes transgenres ont augmenté ces dernières années. Elles notent cependant que les réformes du droit de la filiation et de la loi TSG ont laissé inchangées les dispositions régissant la relation entre une personne transgenre et son enfant. Elles estiment que même l’apparition de la nouvelle catégorie « divers » n’a rien changé puisque les personnes de sexe juridique masculin ou « divers » qui ont donné naissance à un enfant demeurent des « mères », et que les personnes de sexe féminin ou « divers » qui ont donné leur sperme restent des « pères » dans le registre des naissances concernant leur enfant. Les associations intervenantes soulignent que les parents transgenres ont des difficultés à prouver leur identité en tant que parents, qu’ils sont souvent obligés de révéler leur transidentité lorsqu’ils doivent présenter un acte de naissance de leur enfant, par exemple à leur employeur, que leurs démarches administratives durent plus longtemps et sont parfois dégradantes et que beaucoup sont contraints de garder deux identités distinctes.

c) Le Centre européen pour le droit et la justice

103. Le Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ) plaide en faveur d’une ample marge d’appréciation des autorités allemandes, pour trois raisons notamment : il constate d’abord l’absence de consensus européen sur le point de savoir comment régler les conséquences d’un changement de sexe, et en particulier sur la question des inscriptions au registre des naissances. Ainsi, se référant à une vue d’ensemble publiée par l’organisation TGEU pour 2019, il expose que seuls quatre des quarante‑sept États contractants reconnaissent l’identité de genre de parents transsexuels dans le registre des naissances tandis que les quarante-trois autres États maintiennent le rattachement de l’enfant à une mère ou à un père en fonction des circonstances génétiques et biologiques. L’ECLJ fait ensuite observer qu’il s’agit de questions morales et éthiques délicates, que les juridictions allemandes ont dû mettre en balance des intérêts privés et publics divergents et que, en particulier, les intérêts du premier et du second requérant ne coïncident pas. Il pose enfin une double question : d’une part, celle des conséquences à prévoir pour les inscriptions à l’état civil si un parent transsexuel revient sur sa décision de changement de sexe ; d’autre part, celle de l’impossibilité pour le père biologique, en tant que donneur de sperme, d’être mentionné dans le registre des naissances si le parent transgenre femme‑homme y est déjà inscrit comme père.

d) Ordo Juris

104. L’Ordo Iuris soutient que la Convention n’empêche pas les États de définir la personne qui a donné naissance à un enfant comme étant la mère de celui‑ci, comme c’est le cas dans les ordres juridiques allemand, autrichien, suisse et polonais, ni de désigner comme père l’homme qui a cohabité avec la mère, ou bien le donneur de sperme, même si le principe d’anonymat du donneur prévaut dans les États contractants, ce qui soulève d’ailleurs des doutes du point de vue des droits de l’enfant. Le tiers intervenant affirme que la distinction entre un père et une mère fondée sur le critère du sexe biologique est d’une importance cruciale et est d’ailleurs reconnue comme faisant partie du droit coutumier international, ainsi que le montrerait notamment l’article 7 § 3 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

e) La professeure Sally Hines

105. La professeure Sally Hines explique que, selon le droit britannique, un homme transgenre ayant donné naissance à un enfant et n’ayant pas de partenaire est enregistré comme mère puisqu’il doit toujours y avoir une mère. Elle ajoute que, si la mère ainsi définie a un partenaire, celui‑ci est désigné en tant que « parent » s’il s’agit d’une personne de sexe féminin, et en tant que « père » s’il s’agit d’un individu de sexe masculin, qu’il soit ou non le père biologique de l’enfant. La professeure fait remarquer en outre que les lois sur les personnes transgenres sont très variées en Europe, notamment celles régissant la question de la transcription du changement de genre dans le registre des naissances. Elle expose que, si dans quarante et un États le changement de genre est pris en compte dans les papiers d’identité, dans vingt‑neuf de ces États il faut encore engager des procédures à cet effet, qui peuvent décourager les intéressés. La professeure souligne qu’il ressort des études qu’elle a dirigées que la question de la transcription du changement de genre dans les actes de naissance est un sujet pénible pour les parents transgenres.

f) L’Institut slovaque des droits de l’homme et de la politique familiale

106. L’Institut slovaque des droits de l’homme et de la politique familiale souligne qu’il n’y a pas de consensus sur les questions de sexe et de genre parmi les États contractants, qu’il n’y a pas de droit international que la Cour pourrait appliquer et interpréter en la matière et que, partant, il appartient aux autorités de l’État de régler ces questions. Par ailleurs, le tiers intervenant indique que beaucoup de pays ont prévu des règles relatives au changement de sexe dans le but d’alléger la souffrance des personnes concernées. Il insiste aussi sur l’importance pour les enfants de connaître leurs parents biologiques, comme le montre l’expérience des enfants adoptés.

g) L’Association des juges slovaques du droit de la famille

107. L’Association des juges slovaques du droit de la famille observe que les règles du droit slovaque sur la mention du sexe d’un parent transgenre correspondent à celles du droit allemand. Elle se demande ce qui se passerait si le donneur du sperme souhaitait être inscrit comme « père » dans le registre des naissances. Elle considère par ailleurs que, dans une situation telle que celle des présentes affaires, les intérêts du parent et de l’enfant sont divergents et que l’enfant devrait être représenté par une personne neutre. L’intérêt de l’enfant consisterait d’ailleurs à supprimer la discordance entre la parenté juridique et la parenté biologique.

h) La Conférence épiscopale de Slovaquie

108. La Conférence épiscopale de Slovaquie estime que l’ordre juridique et les lois régissant les relations familiales se fondent sur la famille en tant que cellule de la société humaine qu’ils entendent protéger. Le tiers intervenant soutient qu’aucune inscription dans un registre de l’État ne saurait changer la réalité objective. Il en déduit qu’une femme biologique qui a gardé sa faculté féminine de procréer et qui donne naissance à un enfant reste la mère de celui‑ci pour toujours. Le tiers intervenant déclare qu’il n’est pas possible d’abolir ou d’échanger librement les concepts de « mère » et de « père », tout en précisant que la notion de « mère » englobe non seulement la femme qui a donné naissance à un enfant, ce qui reflète la réalité objective, mais inclut aussi la relation entre une mère adoptive et son enfant adoptif. Il précise que, dans ce dernier cas, l’enfant a objectivement une mère biologique mais aussi une mère légale, qui a obtenu ce statut pour le bien‑être de l’enfant. Le tiers intervenant rappelle que d’un point de vue objectif il est impossible de ne pas avoir de mère biologique, en dépit des technologies de procréation modernes, qui ne devraient pas pouvoir remettre en cause les principes fondamentaux sur lesquels l’humanité repose depuis sa création.

3. Appréciation de la Cour

a) Sur la question de savoir si l’affaire concerne une obligation positive ou une ingérence

109. La Cour rappelle que, si l’article 8 a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l’État de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement plutôt négatif s’ajoutent des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée. La frontière entre les obligations positives et les obligations négatives de l’État au titre de l’article 8 de la Convention ne se prête pas à une définition précise, mais les principes applicables dans le cas des premières sont comparables à ceux valables pour les secondes. Pour déterminer si une obligation – positive ou négative – existe, il faut prendre en compte le juste équilibre à ménager entre l’intérêt général et les intérêts de l’individu (voir, entre autres, Söderman c. Suède [GC], no 5786/08, § 78, CEDH 2013, et X, Y et Z c. Royaume‑Uni, 22 avril 1997, § 41, Recueil des arrêts et décisions 1997‑II).

110. Dans des affaires comparables, la Cour a jugé plus approprié d’examiner des allégations liées au refus de réassignation de genre sous l’angle des obligations positives de garantir le respect de l’identité de genre des individus (voir, par exemple, Hämäläinen c. Finlande [GC], no 37359/09, §§ 62‑64, CEDH 2014 ; A.P., Garçon et Nicot, précité, § 99 ; S.V. c. Italie, précité, §§ 60‑75). Compte tenu des faits et des observations des parties, la Cour estime qu’en l’occurrence la question principale à trancher est celle de savoir si le dispositif réglementaire en place et les décisions prises à l’égard des requérants permettent de constater que l’État s’est acquitté de ses obligations positives de respect de la vie privée des requérants.

111. Les principes généraux applicables à l’appréciation des obligations positives de l’État ont été résumés dans l’arrêt Hämäläinen (précité, §§ 65‑67, ainsi que dans les affaires qui y sont citées). La Cour rappelle en particulier qu’elle a établi un certain nombre d’éléments pertinents pour apprécier le contenu de ces obligations positives, notamment l’importance de l’intérêt en jeu pour un requérant ou la mise en cause de valeurs fondamentales ou d’aspects essentiels de la vie privée de celui‑ci, ainsi que l’impact sur l’intéressé d’un conflit entre la réalité sociale et le droit, et l’impact sur l’État en cause du caractère ample et indéterminé, ou étroit et défini, de l’obligation positive alléguée (ibid., § 66).

b) Sur la marge d’appréciation

112. Dans la mise en œuvre des obligations positives qui leur incombent au titre de l’article 8, les États jouissent d’une certaine marge d’appréciation. Pour déterminer l’ampleur de cette marge d’appréciation, il y a lieu de prendre en compte un certain nombre de facteurs. Lorsqu’un aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu se trouve en jeu, la marge laissée à l’État est d’ordinaire restreinte (S.H. et autres c. Autriche [GC], no 57813/00, § 94, CEDH 2011 ; L.D. et P.K. c. Bulgarie, nos 7949/11 et 45522/13, § 59, 8 décembre 2016 ; et Mennesson c. France, no 65192/11, § 77, CEDH 2014 (extraits)). En revanche, lorsqu’il n’y a pas de consensus entre les États membres du Conseil de l’Europe, que ce soit sur l’importance relative de l’intérêt en jeu ou sur les meilleurs moyens de le protéger, en particulier lorsque l’affaire soulève des questions morales ou éthiques délicates, la marge d’appréciation est plus large. La marge d’appréciation est d’une façon générale également ample lorsque l’État doit ménager un équilibre entre des intérêts privés et publics concurrents ou entre différents droits protégés par la Convention qui se trouvent en conflit (Hämäläinen, précité, § 67 ; S.H. et autres c. Autriche, précité, § 94 ; et Evans c. Royaume-Uni [GC], no 6339/05, § 77, CEDH 2007‑I).

113. La Cour relève que les requérants soutiennent que les droits invoqués par eux touchent notamment à l’identité de genre et à la filiation, qui constituent un aspect fondamental du droit au respect de la vie privée et relèvent d’un domaine dans lequel les États ne disposent en règle générale que d’une marge d’appréciation restreinte (A.P., Garçon et Nicot, précité, § 123, et Mandet c. France, no 30955/12, § 52, 14 janvier 2016). Elle observe que, pour ce qui est du premier requérant, ce ne sont pas les inscriptions contenues dans les documents officiels le concernant, mais les informations figurant dans le registre des naissances de son enfant, c’est‑à‑dire d’une autre personne, qui sont à l’origine de son grief. Pour ce qui est du second requérant, le droit à l’autodétermination n’est pas remis en cause par la possible divulgation d’un fait concernant sa propre identité de genre mais par celle de l’identité transgenre de son parent. La Cour relève par ailleurs que si le droit de connaître sa filiation du second requérant est concerné, en l’espèce ce droit est de nature à limiter les droits invoqués par le premier requérant. Il s’ensuit que la marge d’appréciation ne s’en trouve pas restreinte par les droits invoqués en jeu.

114. La Cour observe ensuite qu’il n’y a pas de consensus parmi les États européens sur la question de savoir comment indiquer, dans les registres de l’état civil concernant un enfant, que l’une des personnes ayant la qualité de parent est transgenre. En effet, ainsi que cela ressort des données publiées par l’organisation Transgender Europe (paragraphe 69 ci‑dessus), seuls cinq États membre du Conseil de l’Europe ont prévu une mention dans ces registres du sexe reconnu, tandis que la majorité des États continuent à désigner la personne ayant accouché d’un enfant comme étant la mère de celui‑ci. Les commentaires de certains tiers intervenants et les éléments de droit comparé que le Gouvernement a présentés (paragraphe 99 ci‑dessus) corroborent ce constat. Cette absence de consensus reflète le fait que le changement de genre combiné avec la qualité de parent suscite de délicates interrogations d’ordre éthique, et confirme que les États doivent en principe se voir accorder une ample marge d’appréciation.

115. La Cour note enfin que les autorités allemandes ont été appelées à mettre en balance plusieurs intérêts privés et publics et plusieurs droits divergents : d’abord les droits du premier requérant ; ensuite, les droits fondamentaux et les intérêts du second requérant, c’est‑à‑dire son droit de connaître sa filiation, son droit à recevoir soins et éducation de ses deux parents, ainsi que son intérêt à un rattachement stable à ses parents, droits et intérêts qui, selon les considérations formulées par la Cour fédérale de justice, ne se trouvaient pas tant là où les requérants les voyaient (voir, mutatis mutandis, Mandet, précité, §§ 57 et 59) ; enfin, l’intérêt public résidant dans la cohérence de l’ordre juridique et dans l’exactitude et l’exhaustivité des registres de l’état civil, qui ont une force probante particulière. Cette circonstance plaide également pour l’existence d’une ample marge d’appréciation.

116. Dès lors, au vu de l’ensemble de ces circonstances, la Cour estime que les autorités allemandes disposaient en l’espèce d’une ample marge d’appréciation.

117. La Cour rappelle cependant que les choix opérés par l’État, même dans les limites de cette marge, n’échappent pas à son contrôle. Il lui incombe d’examiner attentivement les arguments dont il a été tenu compte pour parvenir à la solution retenue et de rechercher si un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts de l’État et ceux des individus directement touchés par cette solution. Ce faisant, elle doit avoir égard au principe essentiel selon lequel, chaque fois que la situation d’un enfant est en cause, l’intérêt supérieur de celui-ci doit primer (Mennesson, précité, § 81 ; Mandet, précité, § 53 ; et L.D. et P.K. c. Bulgarie, précité, § 61).

c) Sur le droit des requérants au respect de leur vie privée

118. La Cour note que, contrairement aux requérants dans d’autres affaires qu’elle a examinées par le passé, le premier requérant ne se plaint pas de l’absence de reconnaissance de son changement de genre dans les documents officiels le concernant (voir, par exemple et parmi beaucoup d’autres, Christine Goodwin c. Royaume‑Uni [GC], no 28957/95, CEDH 2002‑VI), mais de la portée selon lui insuffisante de cette reconnaissance de son identité de genre du fait de la mention de son ancien genre et de ses anciens prénoms dans un registre officiel concernant son fils.

119. La Cour relève que, selon l’intention du législateur allemand, l’ancien sexe et l’ancien prénom du parent transgenre devaient être indiqués non seulement en cas de naissance survenue avant que la reconnaissance du changement de genre du parent fût devenue définitive, mais aussi lorsque, comme en l’espèce, la conception ou la naissance de l’enfant était postérieure au changement de genre. En effet, le texte de l’article 11 § 1 de la loi TSG avait été explicitement modifié en ce sens au cours du processus législatif au motif que, selon les connaissances médicales d’alors, il n’était pas exclu que des personnes présumées incapables de procréer pussent néanmoins concevoir ou mettre au monde un enfant après une opération de changement de sexe (paragraphes 43 et 44 ci‑dessus).

120. La Cour observe que la présente situation a été rendue possible notamment après que la Cour constitutionnelle fédérale, dans son arrêt du 11 janvier 2011 (paragraphes 54‑56 ci‑dessus), eut déclaré contraires à la Loi fondamentale l’obligation, pour une personne désireuse d’obtenir une reconnaissance de changement de genre, de subir une opération chirurgicale, ainsi que la condition d’une stérilité irréversible. La juridiction constitutionnelle avait en effet estimé que le droit des personnes transgenres à l’autodétermination l’emportait sur les raisons qui avaient amené le législateur à poser de telles conditions préalables à la reconnaissance d’un changement de genre. La Cour note que cet arrêt visait à renforcer les droits des personnes transgenres et à assurer leur protection à un niveau qu’elle a elle-même demandé ultérieurement, comme découlant des obligations positives au regard de l’article 8 de la Convention (voir, notamment, A.P., Garçon et Nicot, précité, § 135). Elle relève qu’il ressort de l’arrêt en question que la Cour constitutionnelle fédérale était consciente que des situations telles que celle de l’espèce étaient susceptibles de se produire dans le futur, mais qu’elle a estimé qu’il existait des possibilités légales de garantir que les enfants ayant un parent transgenre préserveraient leur rattachement à leur père et à leur mère (paragraphe 56 ci‑dessus).

121. La Cour note que la Cour fédérale de justice a relevé que la mention du sexe d’origine du premier requérant dans le registre des naissances concernant le second requérant pouvait porter atteinte notamment au droit du premier requérant à l’autodétermination en raison du risque de divulgation de son ancien genre et de ses anciens prénoms. La haute juridiction a cependant rappelé que ce droit n’était pas garanti de manière illimitée et devait être mis en balance avec, d’une part, des intérêts publics, en particulier la cohérence de l’ordre juridique et la tenue de registres de l’état civil complets et exacts et, d’autre part, les droits et intérêts de l’enfant, notamment le droit de connaître ses origines, le droit à recevoir soins et éducation de ses deux parents et l’intérêt à faire l’objet dès sa naissance d’un rattachement juridique stable, fondé sur les fonctions dans le cadre de la procréation biologique, à une mère et à un père. Dans ce contexte, elle a souligné que la maternité et la paternité, en tant que catégories juridiques, n’étaient pas interchangeables et se distinguaient aussi bien par les conditions préalables à leur justification que par les conséquences juridiques qui en découlaient (voir le paragraphe 17 ci‑dessus).

122. En ce qui concerne les intérêts publics invoqués par la Cour fédérale de justice, la Cour a admis dans le passé que la cohérence de l’ordre juridique pouvait revêtir une certaine importance dans la pesée des intérêts (Christine Goodwin, précité, §§ 86‑88 et 91 ; X, Y et Z c. Royaume-Uni, précité, § 47 ; Rees c. Royaume‑Uni, 17 octobre 1986, §§ 43‑44, série A no 106). Elle a notamment reconnu que la garantie de la fiabilité et de la cohérence de l’état civil et, plus largement, l’exigence de sécurité juridique, relèvent de l’intérêt public (Y.T. c. Bulgarie, no 41701/16, § 70, 9 juillet 2020 ; X et Y c. Roumanie, nos 2145/16 et 20607/16, § 158, 19 janvier 2021 ; A.P., Garçon et Nicot, précité, § 132 ; et S.V. c. Italie, précité, § 69). Dans ce contexte, elle relève aussi que les transcriptions dans les registres de l’état civil revêtent une fonction de preuve particulière dans le système juridique allemand (paragraphe 26 ci‑dessus).

123. Pour ce qui est des droits de l’enfant, la Cour note que les requérants critiquent la Cour fédérale de justice pour ne s’être pas penchée sur les droits individuels du second requérant mais avoir considéré ceux‑ci uniquement comme limitant les droits invoqués par le premier requérant. Elle rappelle d’une manière générale qu’un État peut, sans enfreindre l’article 8 de la Convention, adopter une législation régissant des aspects importants de la vie privée qui ne prévoit pas de mise en balance des intérêts concurrents dans chaque cas, mais qui édicte une règle à caractère absolu visant à promouvoir la sécurité juridique (S.H. et autres c. Autriche, précité, § 110 ; Evans, précité, § 89 ; voir aussi l’Observation générale no 14 du Comité des droits de l’enfant des Nations unies sur le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale, paragraphe 32, cité au paragraphe 67 ci‑dessus). Elle considère par ailleurs, sans mettre en question les droits parentaux (voir l’article 3 § 2 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant – paragraphe 66 ci‑dessus), que la Cour fédérale de justice n’était pas limitée à prendre en considération les intérêts du second requérant tels qu’ils ont été présentés par le premier requérant, mais devait, au contraire, les examiner d’une manière exhaustive et notamment tenir compte des conflits d’intérêts entre les deux requérants.

124. Cela étant, la Cour note que la Cour fédérale de justice a explicitement examiné la question de savoir si l’attribution aux parents d’un statut juridique sans lien avec les fonctions dans le cadre de la procréation biologique était de nature à porter atteinte aux droits fondamentaux de l’enfant, et qu’elle a d’ailleurs souligné, en réponse aux griefs que les requérants avaient soulevés dans leur recours en audition, qu’elle n’avait pas relevé d’indications suffisantes quant à l’existence d’une violation des droits fondamentaux de l’enfant. Par ailleurs, si les conclusions que la Cour fédérale de justice a formulées à cet égard contiennent des considérations générales qui n’abordent pas explicitement les droits individuels invoqués par le second requérant, cela tient au fait que les juridictions nationales saisies par l’un des parents (ou les deux) et son (leur) enfant ne peuvent pas tenir compte uniquement des intérêts invoqués par le(s) parent(s), mais doivent donner la priorité à l’intérêt supérieur de l’enfant (voir notamment l’article 3 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant – paragraphe 66 ci‑dessus) et aussi prendre en considération les possibles intérêts futurs de celui‑ci ainsi que les intérêts des enfants qui se trouvent dans une situation comparable et auxquels les dispositions législatives régissant l’affaire devant elles s’appliquent également (voir, mutatis mutandis, X, Y et Z c. Royaume‑Uni, précité, § 51).

125. La Cour note en l’espèce que la divergence entre les intérêts du premier requérant et ceux du second requérant est naturellement apparue peu après la naissance de l’enfant, lorsqu’il a fallu déterminer quelles informations consigner dans le registre des naissances, autrement dit à un moment où le bien‑être du second requérant ne pouvait être examiné de manière individualisée en raison de son bas âge. Par ailleurs, pour la Cour fédérale de justice, les intérêts du second requérant se confondaient dans une certaine mesure avec l’intérêt général attaché à la fiabilité et à la cohérence de l’état civil, ainsi qu’à la sécurité juridique (voir, mutatis mutandis, A.P., Garçon et Nicot, précité, § 142).

126. La Cour note que le droit de l’enfant de connaître ses origines, que la Cour fédérale de justice a mis en avant pour limiter le droit à l’identité de genre du premier requérant, est également protégé par la Convention (Mikulić c. Croatie, no 53176/99, § 54, CEDH 2002‑I ; Odièvre c. France [GC], no 42326/98, § 29, CEDH 2003‑III ; et Godelli c. Italie, no 33783/09, §§ 45‑46, 25 septembre 2012) et englobe notamment le droit d’établir les détails de sa filiation (Mennesson, précité, § 46, et Labassee c. France, no 65941/11, § 38, 26 juin 2014). En ce qui concerne le droit de l’enfant à être élevé par ses deux parents, la Cour observe que la Cour fédérale de justice a identifié derrière ce droit notamment l’intérêt de l’enfant à pouvoir établir et faire enregistrer, le cas échéant, la paternité de son père biologique. En effet, en cas d’inscription du premier requérant comme père dans le registre des naissances, le père biologique du second requérant ne pourrait être inscrit comme père qu’à condition que le second requérant conteste au préalable la paternité du premier requérant, option que la Cour fédérale de justice a jugée inacceptable pour l’enfant.

127. La Cour relève enfin que la Cour fédérale de justice a souligné que le rattachement juridique de l’enfant à ses parents suivant leurs fonctions procréatrices permettait à l’enfant d’être rattaché de manière stable et immuable à une mère et à un père qui ne changeraient pas, même dans l’hypothèse que la haute juridiction a considérée comme n’étant pas seulement théorique, où le parent transgenre demanderait l’annulation de la décision de changement de genre. Le Gouvernement a par ailleurs déclaré que ce rattachement de principe vise aussi à empêcher la gestation pour autrui, qui est prohibée en Allemagne (paragraphe 94 ci‑dessus), interdiction que la Cour a reconnue comme correspondant à un intérêt général légitime (Paradiso et Campanelli c. Italie [GC], no 25358/12, §§ 203‑204, 24 janvier 2017 ; Mennesson, précité, § 62 ; et Valdís Fjölnisdóttir et autres c. Islande, no 71552/17, § 65, 18 mai 2021).

128. En ce qui concerne l’indication des anciens prénoms du requérant dans le registre des naissances, la Cour observe que, d’après la Cour fédérale de justice, elle correspondait au but visé par la seule possibilité prévue par la loi, à savoir l’inscription du premier requérant en tant que mère du second requérant et servait par ailleurs à éviter à celui-ci d’avoir à révéler que son parent était transgenre.

129. Dans la mesure où les requérants affirment (paragraphe 88 ci‑dessus) que le droit d’un enfant de connaître sa filiation et l’intérêt des autorités publiques à garder une trace de la réalité biologique d’un accouchement par un parent transgenre pourraient être satisfaits d’une manière différente, comme l’a par exemple montré le tribunal d’instance de Münster (paragraphes 60‑61 ci‑dessus), la Cour rappelle que le choix des mesures propres à garantir l’observation de l’article 8 de la Convention dans les rapports interindividuels relève en principe de la marge d’appréciation des États contractants. Il existe à cet égard différentes manières d’assurer le respect de la vie privée et la nature de l’obligation de l’État dépend de l’aspect de la vie privée qui se trouve en cause (Odièvre, précité, § 46 ; Godelli, précité, § 65 ; Evans, précité, § 91 ; S.H. et autres c. Autriche, précité, § 106 ; et, mutatis mutandis, Vavřička et autres c. République tchèque [GC], nos 47621/13 et 5 autres, § 273, 8 avril 2021).

130. La Cour note d’abord que, pour la Cour fédérale de justice, la solution proposée par le tribunal d’instance de Münster n’était pas seulement incompatible avec le libellé de l’article 5 § 3 de la loi TSG (paragraphe 40 ci‑dessus), mais s’opposait aussi à l’objectif de cette disposition qui était de garder secret le caractère transgenre d’un parent afin de ne pas obliger l’enfant à présenter un acte de naissance qui permettait la conclusion que le parent était transgenre (paragraphe 14 ci‑dessus ; voir aussi l’arrêt de la cour d’appel de Berlin du 14 février 2019 – paragraphes 62‑63 ci‑dessus).

131. La Cour relève ensuite que, si la présentation, par le premier requérant, d’un acte de naissance du second requérant est susceptible de révéler l’identité transgenre du premier requérant, la Cour fédérale de justice a indiqué qu’il était possible d’obtenir un acte de naissance dépourvu de toute mention des parents (paragraphe 27 ci‑dessus). La haute juridiction a en outre précisé que seul un nombre restreint de personnes, ayant généralement connaissance du caractère transgenre de l’intéressé (paragraphe 26 ci‑dessus), étaient habilitées à demander une copie intégrale de l’acte de naissance, toute autre personne devant faire valoir un intérêt légitime pour en obtenir une (voir, mutatis mutandis, Y. c. Pologne, précité, § 79, et S.W. et autres c. Autriche (déc), no 1928/19, § 50, 6 septembre 2022). De plus, comme le Gouvernement l’a indiqué, d’autres documents que l’acte de naissance complet ne contenant pas d’indications du changement de genre du premier requérant peuvent être utilisés, par exemple pour un employeur, afin de prévenir tout risque de divulgation de cette information (paragraphe 100 ci‑dessus).

132. La Cour observe que les précautions susmentionnées sont de nature à réduire les désagréments auxquels le premier requérant, notamment, pourrait être exposé en se trouvant contraint de prouver sa qualité de parent vis‑à‑vis de son fils. Elle note par ailleurs que les requérants se sont limités à soutenir qu’ils doivent fréquemment présenter un acte de naissance complet du second requérant pour faire un certain nombre de démarches administratives (paragraphe 86 ci‑dessus), sans toutefois préciser si une version abrégée de l’acte de naissance ou un autre document pouvaient suffire aux administrations et établissements concernés, dont certains en règle générale ont déjà connaissance du caractère transgenre d’une personne et sont tenus de garder cette information confidentielle.

133. La Cour relève enfin, à l’instar de la Cour fédérale de justice, que dans la situation particulière où se trouve le premier requérant en tant que père célibataire, la mention de celui‑ci comme père du second requérant dans le registre des naissances concernant ce dernier ne semble pas pouvoir avoir l’effet escompté, car l’absence de mention d’une mère dans l’acte de naissance est également de nature à soulever des questions sur le statut du premier requérant. De la même façon, comme l’a fait remarquer le Gouvernement (paragraphe 100 ci‑dessus), le remplacement, proposé par les requérants, des termes « mère » et « père » par « parent 1 » et « parent 2 » ne protégerait pas davantage les requérants contre une divulgation, dans la mesure où le « parent 1 » resterait associé à la personne qui a donné naissance à l’enfant.

134. Dès lors, eu égard, d’une part, au fait que le lien de filiation entre les requérants n’a pas été mis en cause en soi et au nombre limité de situations pouvant mener, lors de la présentation d’un acte de naissance du second requérant, à la révélation de l’identité transgenre du premier requérant et, d’autre part, à la marge d’appréciation étendue dont dispose l’État défendeur (paragraphe 116 ci‑dessus), la Cour estime que les juridictions allemandes ont ménagé un juste équilibre entre les droits du premier requérant, les intérêts du second requérant, les considérations relatives au bien‑être de l’enfant et les intérêts publics.

d) Conclusion

135. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 combiné avec l’article 8 DE LA CONVENTION

136. Les requérants soutiennent que si le premier requérant est protégé en tant qu’individu transgenre, il est forcé en tant que parent de révéler qu’il est transgenre au détriment du second requérant et expose son enfant et soi-même de façon permanente à un risque de discrimination et de traitements dégradants. Ils invoquent les articles 3 et 8 combinés avec l’article 14 de la Convention.

137. La Cour souligne d’emblée que le risque de traitement dégradant que les requérants font valoir n’atteint pas le seuil de gravité nécessaire pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention et qu’il convient dès lors d’examiner ce grief uniquement à la lumière de l’article 8 de la Convention combiné avec l’article 14, qui est ainsi libellé :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (…) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

A. Thèses des parties

1. Les requérants

138. Le premier requérant déclare subir une discrimination par rapport au père transgenre qui était à l’origine de la procédure devant le tribunal d’instance de Münster (paragraphes 60‑61 ci‑dessus). D’après lui, ce père, bien qu’enregistré comme mère de ses enfants dans le registre des naissances, peut néanmoins obtenir des actes de naissance indiquant son rôle de parent avec les prénoms qu’il porte depuis son changement de genre. Il soutient par ailleurs que des hommes transgenres deviennent père en épousant la personne qui a accouché d’un enfant ou en reconnaissant la paternité d’un enfant né d’une femme en dépit du fait qu’ils n’ont pas eux‑mêmes la capacité de concevoir. Souvent, par ailleurs, ils auraient la capacité de donner naissance à un enfant mais ils n’y auraient pas recours.

139. Le second requérant s’estime victime d’une discrimination par rapport aux enfants dont le père transgenre susmentionné a obtenu l’inscription des prénoms qu’il porte depuis son changement de genre sur les actes de naissance, sur ordonnance du tribunal d’instance de Münster (paragraphes 60‑61 ci‑dessus). Il considère que les actes de naissance de ces enfants reflètent la réalité de leur vie familiale. Il dit aussi subir une discrimination par rapport à des enfants nés d’une gestation pour autrui qui grandissent avec deux pères (ou deux mères) et dont les actes de naissance mentionnent deux parents portant des prénoms masculins, ou par rapport à des enfants adoptés par un seul parent masculin.

2. Le Gouvernement

140. Le Gouvernement est d’avis que la situation du premier requérant n’est pas comparable à celle dans laquelle se trouvent des hommes hétérosexuels, dans la mesure où le premier requérant peut donner naissance à des enfants et où le second requérant ne saurait être comparé à des enfants conçus par leur père. Le Gouvernement soutient en outre que les requérants ne peuvent se prétendre victimes d’une discrimination en raison d’une décision d’un tribunal d’instance qui a permis à un homme transgenre d’être inscrit avec ses prénoms masculins dans le registre des naissances de ses deux enfants. Il explique que, si une jurisprudence divergente peut donner lieu à une inégalité de traitement lorsque, sans raison, des tribunaux ont livré des interprétations contradictoires d’une norme juridique, tel n’est pas le cas en l’occurrence dès lors selon lui que la Cour fédérale de justice a montré en quoi l’interprétation de l’article 5 § 3 de la loi TSG faite par le tribunal d’instance n’était pas conforme à la loi.

B. Appréciation de la Cour

141. La Cour relève que les griefs initialement formulés par les requérants sur le terrain de l’article 14 de la Convention se confondent avec les griefs formulés sur le terrain de l’article 8 de la Convention et ne font notamment état d’aucune situation discriminatoire par rapport à un autre groupe de personnes. Elle conclut que ces griefs n’ont dès lors pas été étayés. Cependant, à supposer même que l’on considère que ces griefs aient été valablement soulevés, la Cour estime que, compte tenu de ses conclusions ci‑dessus que l’attribution du rôle de mère, au sens de l’article 1591 du CC (paragraphe 35 ci‑dessus), à la personne qui a donné naissance à un enfant dans le registre des naissances, relève de la marge d’appréciation des États, la situation du premier requérant n’est pas comparable à celle d’un père ayant conçu un enfant à l’aide de ses gamètes mâles. Dans la mesure où le premier requérant fonde son grief sur la décision du tribunal d’instance de Münster (paragraphes 60‑61 ci‑dessus), la Cour observe que la Cour fédérale de justice, en tant que juridiction civile suprême, a donné une interprétation différente de l’article 5 § 3 de la loi TSG (paragraphe 40 ci‑dessus). Elle considère que l’existence de la décision du tribunal d’instance ne saurait être constitutive de la discrimination invoquée. En ce qui concerne la situation du second requérant, la Cour estime que les mêmes considérations s’appliquent et que celui‑ci ne se trouve pas dans une situation comparable à celle d’enfants adoptés par des couples homosexuels ou par un parent masculin célibataire.

142. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 (a) et 4 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de joindre les requêtes ;

2. Déclare le grief tiré de l’article 8 de la Convention recevable et le restant des requêtes irrecevable ;

3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 4 avril 2023, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Andrea Tamietti                 Gabriele Kucsko-Stadlmayer
Greffier                                  Présidente

__________

Appendix

Liste des requérants

No Requête no Requérant
Année de naissance
Lieu de résidence
Nationalité
Anonymat et notes
1. 53568/18 O. H.
1982
Berlin
allemande
Anonymat accordé
2. 54741/18 G. H.
2013
Berlin
allemande
Anonymat accordé

Dernière mise à jour le avril 4, 2023 par loisdumonde

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