AFFAIRE TEST-ACHATS c. BELGIQUE (Cour européenne des droits de l’homme) 77039/12

La présente affaire concerne la procédure civile initiée par la requérante contre une compagnie d’assurances en raison de pratiques prétendument discriminatoires de cette dernière sur la base de l’âge des assurés.


DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE TEST-ACHATS c. BELGIQUE
(Requête no 77039/12)
ARRÊT

Art 6 § 1 (civil) • Égalité des armes non respectée compte tenu d’un partenariat conclu entre l’adversaire de la requérante et un institut universitaire présidé par l’expert désigné par la cour d’appel, de l’impact déterminant du rapport d’expertise sur la procédure et du rejet de la demande d’écartement du rapport d’expertise formulée par la requérante • Requérante ayant pu critiquer le contenu et la forme du rapport devant la cour d’appel
Art 6 § 1 (civil) • Procédure contradictoire • Juridictions internes ayant estimé que l’argumentation des parties avait été rencontrée pour autant qu’elle soit en lien avec la mission confiée à l’expert • Expert ayant explicité les raisons pour lesquelles il ne jugeait pas opportun de répondre aux questions lui ayant été adressées

STRASBOURG
13 décembre 2022

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Test-Achats c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en unechambrecomposée de :
Arnfinn Bårdsen, président,
Egidijus Kūris,
Saadet Yüksel,
Lorraine Schembri Orland,
Andreas Zünd,
Diana Sârcu, juges,
Stefaan Smis, juge ad hoc,
et de Dorothee von Arnim, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête (no 77039/12) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont une association de droit belge, Test-Achats (« la requérante »), a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 27 novembre 2012,
la décision de porter à la connaissance du gouvernement belge (« le Gouvernement ») le grief concernant le principe de l’égalité des armes et du contradictoire et de déclarer irrecevable la requête pour le surplus,
les observations des parties,
le déport de M. Frédéric Krenc, juge élu au titre de la Belgique (article 28 du règlement de la Cour) et la décision du président de la chambre de désigner M. StefaanSmis pour siéger en qualité de juge ad hoc (article 29 § 1 a) du règlement) ;
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 novembre 2022,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La présente affaire concerne la procédure civile initiée par la requérante contre une compagnie d’assurances en raison de pratiques prétendument discriminatoires de cette dernière sur la base de l’âge des assurés.

2. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante met en cause la neutralité de l’expert désigné par la cour d’appel de Bruxelles et se plaint d’une violation de l’égalité des armes, ainsi que du principe du contradictoire, et partant de son droit à un procès équitable. Elle fait valoir en particulier qu’alors que la cause était pendante devant la cour d’appel, un partenariat fut conclu entre la partie adverse et un institut universitaire présidé par l’expert désigné par la cour d’appel. Elle allègue également que l’expert n’aurait pas répondu à certaines questions qu’elle lui avait adressées en cours d’expertise.

EN FAIT

3. Selon ses statuts, l’association requérante a pour but, notamment, de promouvoir, de défendre et représenter les intérêts des consommateurs et des droits de l’homme en général, ainsi que de combattre toutes discriminations.

4. La requérante a été représenté par Me V. Callewaert, avocat à Bruxelles.

5. Le Gouvernement a été représenté par son agente, Mme I. Niedlispacher, du service public fédéral de la Justice.

6. Le 16 août 2004, la requérante déposa une requête en cessation devant le président du tribunal de première instance de Bruxelles à l’encontre d’une compagnie d’assurance sur le fondement de l’article 19 de la loi du 25 février 2003 tendant à lutter contre la discrimination et modifiant la loi du 15 février 1993 créant un Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme (ci-après « loi anti-discrimination de 2003 »), en demandant la cessation des pratiques jugées discriminatoires de cette dernière sur la base de l’âge des assurés.

7. Le 7 mars 2005, le président du tribunal de commerce de Bruxelles fit droit à la demande de cessation introduite par la requérante.

8. Le 11 mai 2005, la défenderesse interjeta appel de cette ordonnance. Par un arrêt avant dire droit du 25 septembre 2006, la cour d’appel de Bruxelles ordonna une expertise complémentaire. Le 10 avril 2008, l’expert désigné par la cour d’appel déposa son rapport définitif. Le 27 février 2009, un partenariat fut conclu entre l’adversaire de la requérante et un institut universitaire présidé par l’expert désigné par la cour d’appel. Dans ses conclusions déposées devant la cour d’appel, la requérante sollicita l’écartement du rapport d’expertise. Par un arrêt du 14 septembre 2010, la cour d’appel jugea notamment que l’expert avait répondu en substance aux questions posées par les parties qui étaient en lien avec la mission qui lui avait été confiée. Elle infirma l’ordonnance du premier juge et considéra que la différence de traitement instaurée par l’appelante en fonction de l’âge de ses assurés reposait sur une justification objective et raisonnable.

9. Le 4 juin 2012, la Cour de cassation rejeta les pourvois introduits par la requérante contre les deux arrêts de la cour d’appel.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

I. L’expertise

10. La procédure d’expertise est réglée par les articles 962 à 991bis du code judiciaire.

11. En vertu de l’article 962 alinéa 1 du code judiciaire, « Le juge peut, en vue de la solution d’un litige porté devant lui ou en cas de menace objective et actuelle d’un litige, charger des experts de procéder à des constatations ou de donner un avis d’ordre technique ».

12. Dans un arrêt du 15 février 2006 (P.05.1583.F), la Cour de cassation a défini l’expert comme « une personne qualifiée en raison de ses connaissances qui, sans être son mandataire, est désignée par le juge pour lui donner en toute indépendance et impartialité un avis d’ordre technique en vue de l’exercice de la mission dont ce juge est saisi (…) ». Dans un arrêt du 20 décembre 2007 (C.07.0307.N), la Cour de cassation s’est prononcée en ce sens : « Le droit d’une personne à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) peut être violé lorsque le juge du fond fonde sa décision sur l’avis d’un expert partial ou apparemment partial ».

II. La législation anti-discrimination

13. À l’époque des faits, l’article 19 § 1er de la loi anti-discrimination de 2003 prévoyait ce qui suit :

« À la demande de la victime de la discrimination ou d’un des groupements visés à l’article 31, le président du tribunal de première instance, (…) constate l’existence et ordonne la cessation d’un acte, même pénalement réprimé, constituant un manquement aux dispositions de la présente loi ».

L’article 31 de la même loi disposait :

« Peuvent également ester en justice dans les litiges auxquels l’application de la présente loi donnerait lieu, lorsqu’un préjudice est porté aux fins statutaires qu’ils se sont donnés pour mission de poursuivre : 1o tout établissement d’utilité publique et toute association, jouissant de la personnalité juridique depuis au moins cinq ans à la date des faits, et se proposant par ses statuts de défendre les droits de l’homme ou de combattre la discrimination (…)

Toutefois, lorsque la victime de l’infraction ou de la discrimination est une personne physique ou une personne morale, l’action des groupements visés aux premier et second alinéas ne sera recevable que s’ils prouvent qu’ils ont reçu l’accord de la victime. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

14. La requérante se plaint d’une violation de l’égalité des armes, ainsi que du principe du contradictoire, et partant de son droit à un procès équitable, en raison des doutes, qu’elle juge objectivement justifiés, quant à la neutralité de l’expert désigné par la cour d’appel de Bruxelles. Elle allègue également que l’expert n’aurait pas répondu à certaines questions qu’elle lui avait adressées en cours d’expertise. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention, qui, en ses parties pertinentes, est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. »

A. Sur la recevabilité

15. La Cour relève que la requérante disposait d’un droit d’action en droit interne l’habilitant à ester en justice en vue d’obtenir la cessation de pratiques discriminatoires (paragraphe 13 ci-dessus) et qu’à aucun moment la recevabilité de son action n’a été remise en cause devant les juridictions internes. Elle note que la requérante a prouvé avoir reçu l’accord de plusieurs personnes physiques, victimes de la discrimination dénoncée conformément à l’article 31 alinéa 2 de la loi anti-discrimination de 2003 (paragraphe 13 ci‑dessus). La Cour rappelle avoir déjà reconnu la qualité de victime à une association qui avait été partie à la procédure engagée devant les juridictions internes pour défendre les intérêts de ses membres (GorraizLizarraga et autres c. Espagne, no 62543/00, § 36, CEDH 2004 III, Association pour la protection des acheteurs d’automobiles et autres c. Roumanie (déc.), no 34746/97, 10 juillet 2001). Par ailleurs, la Cour relève que la procédure introduite par la requérante devant les tribunaux internes portait sur les possibles pratiques discriminatoires d’une compagnie d’assurances, pratiques susceptibles d’entraîner des effets patrimoniaux importants sur les assurés. De l’avis de la Cour, l’objet de la procédure introduite par la requérante portait donc bien sur un droit civil. Dans la mesure où l’action en cessation introduite par la requérante visait à mettre un terme à des pratiques jugées discriminatoires, la Cour considère que la procédure était déterminante pour le droit civil en question. La Cour en conclut qu’en l’espèce, la requérante a bien la qualité de victime, ce qui est du reste reconnu par le Gouvernement défendeur.

16. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

17. La requérante souligne qu’en droit belge, l’expert est considéré comme un auxiliaire de justice et qu’il doit de ce fait être indépendant et impartial. En réponse à l’argument du Gouvernement selon lequel, le partenariat n’a été conclu qu’après que l’expert a rendu son rapport, s’appuyant sur l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Sacilor Lormines c. France (no 65411/01, 9 novembre 2006, § 69), elle fait valoir que ledit partenariat a dû être précédé de pourparlers et a, en tout état de cause, été conclu à un moment où l’affaire était toujours pendante devant la cour d’appel. Elle considère que cet élément a nécessairement entraîné des « doutes objectivement justifiés » dans son chef quant à l’équité de la procédure d’expertise et, par conséquent, de la procédure judiciaire dans son ensemble, d’autant que la cour d’appel a réformé la décision de première instance en prenant appui de façon déterminante sur le rapport d’expertise concerné. Elle souligne qu’elle a expressément sollicité l’écartement du rapport d’expertise et qu’il appartient en toute hypothèse au juge de contrôler l’expertise judiciaire et d’en tirer les conséquences. Enfin, elle fait valoir que l’expert n’aurait pas répondu aux questions qu’elle lui a adressées.

18. Le Gouvernement fait valoir en substance que le partenariat dénoncé par la requérante n’a pris cours qu’après que l’expert a rendu son rapport et qu’aucune contre-expertise n’a été demandée par la requérante. Il souligne que l’article 6 § 1 n’exige pas qu’un expert respecte les mêmes conditions d’indépendance et d’impartialité que le tribunal lui-même dès lors que les conclusions de l’expert ne lient pas le juge. Il rappelle qu’il appartient à l’expert comme au juge de répondre aux observations des parties mais que l’article 6 § 1 de la Convention n’exige pas une réponse détaillée à chaque argument. Il souligne à cet égard que la cour d’appel a relevé que l’expert avait répondu aux questions pertinentes des parties et qu’il avait expliqué pourquoi il estimait ne pas devoir répondre aux autres questions, jugées non pertinentes.

19. La Cour rappelle que l’article 6 § 1 de la Convention garantit le droit à un procès équitable devant un « tribunal » indépendant et impartial et ne requiert pas expressément qu’un expert entendu par un tribunal réponde aux mêmes critères. Toutefois, l’avis d’un expert nommé par la juridiction compétente pour traiter les questions soulevées par l’affaire est susceptible de peser de manière significative sur la manière dont ladite juridiction appréciera l’affaire. La Cour a reconnu dans sa jurisprudence que le manque de neutralité d’un expert nommé par une juridiction peut dans certaines circonstances emporter violation du principe d’égalité des armes inhérent à la notion de procès équitable. La question décisive est celle de savoir si les doutes nourris par le requérant quant à l’absence de neutralité de l’expert peuvent être considérés comme objectivement justifiés. Il faut notamment tenir compte de facteurs tels que la place et le rôle de l’expert dans la procédure (Sara Lind Eggertsdóttir c. Islande, no 31930/04, § 47, 5 juillet 2007, Letinčić c. Croatie, no 7183/11, 3 mai 2016, § 51, et Devinar c. Slovénie, no 28621/15, §§ 47-48, 22 mai 2018).

20. Par ailleurs, la Cour rappelle que l’un des éléments d’une procédure équitable au sens de l’article 6 § 1 est le caractère contradictoire de celle-ci : chaque partie doit en principe avoir la faculté non seulement de faire connaître les éléments qui sont nécessaires au succès de ses prétentions, mais aussi de prendre connaissance et de discuter toute pièce ou observation présentée au juge en vue d’influencer sa décision (Regner c. République tchèque [GC], no 35289/11, § 146, 19 septembre 2017, et Manzano Diaz c. Belgique, no 26402/17, §§ 40-41, 18 mai 2021). À ce titre, elle précise que le respect du contradictoire, comme celui des autres garanties de procédure consacrées par l’article 6 § 1, vise l’instance devant un « tribunal » et qu’il ne peut donc être déduit de cette disposition un principe général et abstrait selon lequel, lorsqu’un expert a été désigné par un tribunal, les parties doivent avoir dans tous les cas la faculté d’assister aux entretiens conduits par le premier ou de recevoir communication des pièces qu’il a prises en compte. L’essentiel est que les parties puissent participer de manière adéquate à la procédure devant le « tribunal » (Mantovanelli c. France, 18 mars 1997, §§ 33‑36, Recueil des arrêts et décisions 1997‑II, et Cottin c. Belgique, no 48386/99, § 30, 2 juin 2005).

21. Se tournant vers les circonstances de l’affaire, la Cour relève que l’existence d’un partenariat entre l’adversaire de la requérante et un institut universitaire présidé par l’expert désigné par la cour d’appel n’est pas contestée par le Gouvernement.

22. De l’avis de la Cour, la circonstance invoquée par le Gouvernement que ledit partenariat ait été conclu à un moment où l’expert avait déjà rendu son rapport n’est pas décisive. En effet, la Cour note que le partenariat a été conclu à une date proche de la date de la remise du rapport de l’expert et à un moment où la cour d’appel était encore saisie de l’affaire. De plus, elle juge vraisemblable que la conclusion de ce partenariat a été précédée de pourparlers(mutatis mutandis, Sacilor Lorminesprécité,§ 69).

23. Eu égard à ces éléments, la Cour considère que l’existence dudit partenariat a nécessairement pu entraîner des doutes objectivement justifiés dans le chef de la requérante quant à l’équité de la procédure d’expertise et, par conséquent, de la procédure judiciaire dans son ensemble. Il en va d’autant plus ainsi que la cour d’appel a réformé la décision de première instance en prenant appui de façon déterminante sur le rapport d’expertise litigieux. La Cour observe que la requérante a sollicité expressément l’écartement de l’expertise litigieuse, de sorte que le Gouvernement ne saurait être suivi quand il reproche à la requérante de ne pas avoir sollicité de contre‑expertise.

24. La Cour note que la requérante a eu la possibilité de critiquer le contenu et la forme du rapport d’expertise devant la cour d’appel. Cependant, compte tenu de la nature des liens entre l’expert et l’adversaire de la requérante, de l’impact déterminant du rapport d’expertise sur la procédure et du rejet de la demande d’écartement dudit rapport formulé par la requérante, les considérations qui précèdent sont suffisantes pour permettre à la Cour de conclure que la procédure n’a pas respecté le principe de l’égalité des armes et qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

25. Concernant le défaut allégué de contradictoire de l’expertise, en ce que l’expert n’aurait pas répondu à certaines questions soulevées par la requérante, la Cour relève que la cour d’appel a constaté que l’expert avait répondu que certaines questions posées par la requérante étaient sans lien avec la mission qui lui avait été confiée ou n’étaient pas pertinentes. Il apparaît donc que les questions litigieuses ont été adressées à l’expert, qui a explicité les raisons pour lesquelles il ne jugeait pas opportun d’y répondre. La Cour rappelle que l’article 6 § 1 n’exige pas des tribunaux une réponse détaillée à chaque argument (Perez c. France [GC], no 47287/99, § 81, CEDH 2004-I). Elle considère qu’il en va a fortiori ainsi des experts qui ne sont pas directement visés par cette disposition. Par ailleurs, la Cour rappelle que la requérante a eu la possibilité de critiquer le contenu et la forme des conclusions de l’expert devant la cour d’appel. Elle observe que cette dernière a jugé qu’il ressortait du rapport de l’expert que l’argumentation des parties avait été rencontrée pour autant qu’elle soit en lien avec la mission confiée à ce dernier. Elle note que ce raisonnement a ensuite été validé par la Cour de cassation. La Cour n’aperçoit pas de raisons sérieuses qui permettraient de justifier qu’elle substitue son appréciation à celle des juridictions internes sur ce point.

26. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il n’y pas a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention concernant le principe du contradictoire.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

27. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

28. La requérante demande 23 632,30 euros (EUR) au titre du dommage matériel qu’elle estime avoir subi. Ce montant vise les frais de l’expertise litigieuse. Elle réclame également 10 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’elle estime avoir subi. À cet égard, elle fait valoir, d’une part, qu’elle ne peut obtenir de réouverture de la procédure civile au niveau interne, la législation belge n’offrant pas cette possibilité, et, d’autre part, qu’elle a été victime d’une violation procédurale grave qui affecte l’efficacité et la crédibilité du mécanisme mis en place en Belgique pour lutter contre les discriminations et, ainsi, qu’elle a été entravée et préjudiciée dans la réalisation de son objet social.

29. Le Gouvernement estime que le dommage matériel devrait en toute hypothèse se limiter aux seuls frais de l’expertise litigieuse. Il conteste le fait que la requérante ait pu subir un dommage moral pour avoir enduré une attente ou connu une angoisse liée à un dossier dans la poursuite de la défense de son objet social. À tout le moins, il juge le montant de 10 000 euros (EUR) disproportionné.

30. La Cour juge qu’il est impossible de spéculer sur ce qui aurait pu se produire si la violation de l’article 6 § 1 n’avait pas existé. Par conséquent, la Cour ne distingue aucun lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette la demande formulée à ce titre. La Cour ne peut faire sien l’argument du Gouvernement suivant lequel la requérante ne pourrait prétendre à la réparation d’un dommage moral. Elle rappelle avoir jugé dans l’affaire Comingersoll S.A. c. Portugal ([GC], no 35382/97, § 35, CEDH 2000-IV), qu’il ne peut être exclu qu’il puisse y avoir, pour une société commerciale, un dommage autre que matériel appelant une réparation pécuniaire. Elle rappelle que, dans l’affaire L’Erablière ASBL c. Belgique (no 49230/07, 24 février 2009, § 49), après avoir reconnu que l’association requérante avait subi une violation de l’article 6 de la Convention, elle a estimé vraisemblable que la requérante avait subi une frustration en raison de la violation constatée et lui a dès lors accordé un certain montant en équité au titre de son dommage moral. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, et au vu des circonstances de l’espèce, la Cour octroie à la requérante 4 000 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.

B. Frais et dépens

31. La requérante réclame 6 945,20 euros (EUR) au titre des frais et dépens qu’elle a engagés dans le cadre de la procédure menée devant la Cour. Elle fait valoir que si les frais et honoraires de l’expertise devaient ne pas être remboursés au titre du dommage matériel, ils devraient l’être à tout le moins au titre des frais et dépens.

32. Le Gouvernement ne formule pas d’observations.

33. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En outre, les frais et dépens doivent se rapporter à des frais exposés par la requérante pour tenter d’empêcher la violation ou d’y porter remède. La Cour juge que les frais de l’expertise litigieuse ne visaient pas à empêcher la violation constatée de l’article 6 ou à y porter remède. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer à la requérante la somme de 4 000 euros (EUR) pour la procédure menée devant elle, plus tout montant pouvant être dû par la requérante sur cette somme à titre d’impôt.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention s’agissant du principe de l’égalité des armes ;

3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention s’agissant du principe du contradictoire ;

4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 4 000 EUR (quatremille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 4 000 EUR (quatremille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par la requérante à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette, à l’unanimité, le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 décembre 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Dorothee von Arnim                  Arnfinn Bårdsen
Greffière adjointe                         Président

Dernière mise à jour le décembre 15, 2022 par loisdumonde

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