AFFAIRE MOLOȚIU ET AUTRES c. ROUMANIE (Cour européenne des droits de l’homme) 30787/03 et 20 autres

La requête no 44958/11, qui a été examinée avec 20 autres requêtes similaires, porte sur l’impossibilité pour les requérants, M. Mircea Dan Ioan Armasu et Mmes Liliana Gabriela Burtan et Laura-Alexandra Burtan, de jouir de leur droit de propriété, reconnu par les juridictions nationales, sur trois appartements situés dans un immeuble nationalisé par l’État pendant le régime communiste.


QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE MOLOȚIU ET AUTRES c. ROUMANIE
(Requête no 30787/03 et 20 autres)
ARRÊT
(Révision)
STRASBOURG
30 août 2022

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Moloțiu et autres c. Roumanie (révision de l’arrêt du 29 septembre 2020),

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en un comité composé de :

Branko Lubarda, président,
Carlo Ranzoni,
Péter Paczolay, juges,
et de Crina Kaufman, greffière adjointe de section f.f.,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 juillet 2022,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. La requête no 44958/11, qui a été examinée avec 20 autres requêtes similaires, porte sur l’impossibilité pour les requérants, M. Mircea Dan Ioan Armasu et Mmes Liliana Gabriela Burtan et Laura-Alexandra Burtan, de jouir de leur droit de propriété, reconnu par les juridictions nationales, sur trois appartements situés dans un immeuble nationalisé par l’État pendant le régime communiste. En 2014, le premier requérant, M. Armasu, est décédé et la seconde requérante, Mme Liliana Gabriela Burtan, son héritière, a exprimé le souhait de poursuivre l’instance au nom de son auteur.

2. Par un arrêt du 29 septembre 2020, la Cour a jugé qu’il y avait eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention en raison de l’impossibilité pour les requérantes de recouvrer la possession de leurs biens malgré l’adoption d’une décision de justice définitive reconnaissant leur droit de propriété sur les biens en question et de l’absence d’indemnisation pour la privation de propriété. S’agissant de la requête no 44958/11, la Cour a décidé d’allouer aux requérantes les sommes de 378 801 euros (EUR) pour dommage matériel et de 5 000 EUR pour dommage moral.

3. Le 8 octobre 2021, le Gouvernement a informé la Cour qu’il avait été porté à sa connaissance, lors de la procédure d’exécution de l’arrêt du 29 septembre 2020 et après le règlement des sommes dues aux requérantes, que ces dernières étaient entrées en possession des biens litigieux en 2014. En conséquence, il demandait la révision de l’arrêt, au sens de l’article 80 du règlement de la Cour.

4. Le 8 février 2022, la Cour a examiné la demande en révision et a décidé d’accorder au représentant des requérantes un délai de quatre semaines pour présenter d’éventuelles observations. Celles-ci sont parvenues à la Cour le 15 mars 2022.

EN DROIT

SUR LA DEMANDE EN RÉVISION

5. Le Gouvernement demande la révision de l’arrêt du 29 septembre 2020 compte tenu du fait que la partie requérante avait récupéré les biens litigieux. Il dénonce la conduite des requérantes qui ont omis de porter à la connaissance de la Cour avant le prononcé de son arrêt, cet élément factuel. Par conséquent, il demande la radiation de l’affaire du rôle.

6. Le représentant des requérantes confirme que ces dernières sont entrées en possession des appartements litigieux entre avril 2013 et juin 2014 à l’issue de plusieurs litiges avec les occupants de ces biens. Il souligne que depuis l’entrée en possession, les requérantes paient les taxes et les impôts afférents à ces biens et soutient que le Gouvernement aurait dû procéder à des vérifications avant de procéder au règlement des sommes dues aux requérantes en vertu de l’arrêt de la Cour, dont il réclame désormais le remboursement.

7. La Cour doit déterminer s’il y a lieu de réviser l’arrêt prononcé le 29 septembre 2020 en application de l’article 80 de son règlement qui, en ses parties pertinentes, est ainsi libellé :

« En cas de découverte d’un fait qui, par sa nature, aurait pu exercer une influence décisive sur l’issue d’une affaire déjà tranchée et qui, à l’époque de l’arrêt, était inconnu de la Cour et ne pouvait raisonnablement être connu d’une partie, cette dernière peut (…) saisir la Cour d’une demande en révision de l’arrêt dont il s’agit. (…) »

8. Pour savoir si les faits à la base de la demande en révision sont de « nature à exercer une influence décisive », au sens de l’article 80 § 1 du règlement, il faut les considérer par rapport à l’arrêt de la Cour dont la révision est sollicitée (voir, parmi d’autres, Petroiu et autres c. Roumanie (révision), no 30105/05, §§ 11 et suiv., 14 juin 2016 et Toșcuță et autres c. Roumanie (révision), no 36900/03, §§ 10 et suiv., 5 décembre 2017).

9. En l’espèce, la Cour constate que la requête a été communiquée au Gouvernement le 9 avril 2018. Le 5 juin 2018, les requérantes ont envoyé à la Cour leurs commentaires en réponse aux observations du Gouvernement. Elles ont réclamé pour le préjudice matériel la somme de 378 801 EUR qui représentait le prix sur le marché immobilier des appartements litigieux.

10. La Cour note qu’avant le prononcé de l’arrêt du 29 septembre 2020, ni le représentant des requérantes, ni ces dernières n’ont informé la Cour de l’entrée en possession des biens litigieux plus de six ans avant (paragraphes 5 et 6 ci-dessus). Aucune justification n’a été avancée pour leur omission de l’informer de cette circonstance factuelle importante.

11. La Cour estime que l’entrée en possession des appartements litigieux avant le prononcé de l’arrêt a ôté aux requérantes la qualité de victimes au sens de l’article 34 de la Convention (mutatis mutandis, Petroiu et autres, précité, § 14 et Toșcuță et autres, précité, § 14).

12. Elle estime qu’il s’agit d’un élément factuel de nature à exercer « une influence décisive » sur l’issue de l’affaire au sens de l’article 80 de son règlement.

13. Pour ce qui est de « l’absence de connaissance des faits découverts », la Cour observe que la partie requérante a obtenu la restitution des biens litigieux dans le cadre des litiges entre particuliers (paragraphe 6 ci-dessus). Il ne saurait donc être raisonnablement reproché au Gouvernement de ne pas en avoir eu connaissance. Ce dernier allègue d’ailleurs n’en avoir pris connaissance qu’au cours de l’exécution de l’arrêt du 29 septembre 2020 (paragraphe 3 ci-dessus).

14. Dans ces conditions et compte tenu de la spécificité de l’affaire, la Cour conclut que le Gouvernement ne pouvait « raisonnablement » connaître l’existence de ces faits.

15. Au vu de ce qui précède, la Cour estime qu’il y a lieu de réviser l’arrêt du 29 septembre 2020.

16. Par ailleurs, en l’absence de circonstances particulières touchant au respect des droits garantis par la Convention et ses Protocoles, la Cour considère qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête, au sens de l’article 37 § 1 in fine.

17. Il y a donc lieu de rayer la requête no 44958/11 du rôle.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide d’accueillir la demande en révision de l’arrêt du 29 septembre 2020 en ses parties qui concernent la requête no 44958/11 ;

en conséquence

2. Décide de rayer la requête no 44958/11 du rôle.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 août 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Crina Kaufman                       Branko Lubarda
Greffière adjointe f.f.                      Président

Dernière mise à jour le août 30, 2022 par loisdumonde

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