B et C c. Suisse (Cour européenne des droits de l’homme)

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 245
Novembre 2020

B et C c. Suisse – 43987/16 et 889/19

Arrêt 17.11.2020 [Section III]

Article 3
Expulsion

Examen insuffisant des risques qu’un homosexuel subisse en Gambie des mauvais traitements aux mains d’acteurs non étatiques, ainsi que des protections disponibles à cet égard : l’expulsion emporterait violation

En fait – Les requérants sont des ressortissants de nationalité gambienne et suisse respectivement qui avaient conclu un partenariat enregistré. Le premier requérant réside en Suisse depuis 2008. Les autorités internes rejetèrent sa demande d’asile puis sa demande de permis de séjour fondée sur son partenariat enregistré et lui ordonnèrent de quitter le pays. Les requérants firent appel de ces décisions mais furent déboutés. Le second requérant est décédé en 2019.

En droit – Article 3 :

Le premier requérant n’ayant pas encore été expulsé, la question de savoir s’il serait exposé en cas de renvoi vers la Gambie à un risque réel de subir des mauvais traitements contraires à l’article 3 doit être examinée à la lumière de la situation actuelle.

L’orientation sexuelle constitue un aspect fondamental de l’identité d’un individu et il ne saurait être exigé de quiconque qu’il la dissimule pour éviter de subir des persécutions (I.K. c. Suisse, 21417/17, 19 décembre 2017). Dans ce contexte, la question de savoir si l’orientation sexuelle du premier requérant est déjà connue des autorités ou de la population en Gambie importe peu puisque cette information pourrait être portée à leur attention si le premier requérant venait à être renvoyé vers la Gambie. Il en était ainsi au moment où les autorités internes ont examiné l’affaire, et la situation est toujours la même depuis le décès du second requérant, qui pourrait d’ailleurs conduire le premier requérant à chercher un nouveau partenaire. La Cour ne partage pas la conclusion des autorités internes qui consiste à dire qu’il est probable que les autorités gambiennes et la population ne découvrent pas l’orientation sexuelle du premier requérant.

a)  Sur le risque de mauvais traitements aux mains des autorités

Les actes homosexuels restent pénalement répréhensibles en droit interne, et sont punis par de lourdes peines de prison. La Cour estime, dans le droit fil de l’arrêt I.I.N. c. Pays-Bas (2035/04, 9 décembre 2004) et de la jurisprudence de la CJUE (X, Y et Z c. Minister voor Immigratie en Asiel, C-201/12, 7 novembre 2013), que le simple fait que des lois incriminant les actes homosexuels existent dans le pays de destination ne suffit pas à rendre le renvoi d’un individu vers le pays en question contraire à l’article 3 de la Convention. La question déterminante en l’espèce est celle de savoir s’il y a un risque réel que les lois en question soient appliquées dans la pratique. Or, au regard des éléments disponibles, ce n’est pas le cas en Gambie actuellement. Les persécutions menées par des acteurs étatiques à raison de l’orientation sexuelle et de l’identité sexuelle peuvent également être le fait d’agents « voyous ». Les rapports sur la Gambie publiés récemment ne font état d’aucun acte de cette nature mais il y est précisé d’une part que ce constat peut être dû au fait que ces actes ne sont pas tous déclarés et d’autre part que les personnes LGBTI qui expriment ouvertement leur orientation sexuelle et/ou leur identité sexuelle risquent de faire l’objet de discriminations de la part d’acteurs étatiques.

b)  Sur le risque de mauvais traitements aux mains d’acteurs non étatiques

Les autorités internes ont considéré que le premier requérant avait fait des déclarations contradictoires et que ses allégations concernant sa famille n’étaient donc pas crédibles. Elles ont par conséquent conclu que le premier requérant ne risquait pas de subir de mauvais traitements aux mains des membres de sa famille. La Cour ne voit pas de raison de s’écarter de cette conclusion.

Elle considère en revanche que le premier requérant pourrait être victime de mauvais traitements aux mains d’acteurs non étatiques extérieurs à sa famille. Il ressort des rapports communiqués à la Cour que l’homophobie et les discriminations contre les personnes LGBTI sont répandues en Gambie, l’ancien président ayant attisé plusieurs années durant la haine à l’égard des personnes LGBTI. D’après les tiers intervenants, la menace est en fait plus forte depuis l’arrivée du nouveau gouvernement.

Une autre question connexe se pose également. Il convient en effet de déterminer si les autorités gambiennes auraient la capacité et la volonté d’offrir au premier requérant la protection nécessaire contre les mauvais traitements que des acteurs non étatiques pourraient lui faire subir à raison de son orientation sexuelle. Les autorités suisses devaient rechercher d’office si pareille protection serait offerte au premier requérant par les autorités gambiennes en cas d’expulsion. Elles n’ont toutefois pas cherché à déterminer si le premier requérant pourrait bénéficier de la protection des autorités gambiennes contre les persécutions émanant d’acteurs non étatiques. Or certains éléments tendent à montrer que les autorités gambiennes refusent généralement d’accorder leur protection aux personnes LGBTI et qu’il ne serait pas raisonnable d’attendre d’une personne LGBTI qu’elle sollicite la protection des autorités étant donné que les actes homosexuels demeuraient pénalement répréhensibles en Gambie.

Les juridictions internes n’ont donc suffisamment apprécié ni le risque de mauvais traitements auquel le premier requérant, en tant que personne homosexuelle, se trouverait exposé en Gambie, ni la protection offerte par les autorités gambiennes contre les mauvais traitements émanant d’acteurs non étatiques.

Conclusion : une expulsion en l’absence d’un nouvel examen des risques encourus s’analyserait en une violation (à l’unanimité).

Article 41 : aucune demande formulée pour dommage.

Par ailleurs, le second requérant étant décédé, la Cour raye sa requête et considère qu’il n’est pas nécessaire d’examiner le grief fondé sur l’article 8.

(voir aussi F.G. c. Suède [GC], 43611/11, 23 mars 2016, Note d’information 194, Immigration – Guide sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, Fiche thématique – Orientation sexuelle)

Dernière mise à jour le décembre 3, 2020 par loisdumonde

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