AFFAIRE ROCA BULGARIA AD c. BULGARIE (Cour européenne des droits de l’homme) 47080/14

La présente affaire concerne la conformité avec l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention de la confiscation d’un lot de marchandises en raison de la désignation d’un code tarifaire erroné dans la déclaration douanière pour leur importation.


QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE ROCA BULGARIA AD c. BULGARIE
(Requête no 47080/14)
ARRÊT
STRASBOURG
3 mai 2022

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Roca Bulgaria AD c. Bulgarie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en un comité composé de :

Iulia Antoanella Motoc, présidente,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Pere Pastor Vilanova, juges,
et de Ludmila Milanova, greffière adjointe de section f.f.,

Vu :

la requête (no 47080/14) contre la République de Bulgarie et dont une société de droit bulgare, Roca Bulgaria AD (« la société requérante »), enregistrée en 1992 et ayant son siège social à Kaspichan, représentée par Me D. Dobrev, avocat à Sofia, a saisi la Cour le 20 juin 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

la décision de porter à la connaissance du gouvernement bulgare (« le Gouvernement »), représenté par son agent, Mme R. Nikolova, du ministère de la Justice, le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention concernant la confiscation des marchandises importées par la société requérante et de déclarer irrecevable la requête pour le surplus,

les observations des parties,

la décision par laquelle la Cour a rejeté l’opposition du Gouvernement à l’examen de la requête par un comité,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 mars 2022,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

OBJET DE L’AFFAIRE

1. La présente affaire concerne la conformité avec l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention de la confiscation d’un lot de marchandises en raison de la désignation d’un code tarifaire erroné dans la déclaration douanière pour leur importation.

2. En 2012, après avoir accompli les formalités douanières et avoir payé les droits de douane, la société requérante importa en Bulgarie un lot de 1 220 barres de douche avec support. À la suite d’une inspection, les autorités douanières constatèrent que le code tarifaire mentionné dans la déclaration d’importation n’était pas correct. Elles imposèrent à la société requérante une amende égale au montant des droits de douane non acquittés, à savoir 757,70 levs bulgares (BGN), et ordonnèrent la confiscation de la totalité du lot de marchandises en cause, d’une valeur douanière de 14 684,34 BGN.

3. La société requérante contesta les sanctions imposées devant les tribunaux compétents. Le tribunal de première instance lui donna gain de cause. Statuant sur l’appel de l’administration douanière, par un arrêt définitif du 21 décembre 2013, le tribunal administratif de Varna infirma la décision du tribunal inférieur et confirma l’imposition des sanctions attaquées après avoir estimé que le code tarifaire correct était celui déterminé par les autorités douanières à l’issue de l’inspection (paragraphe 2 ci-dessus).

4. Invoquant l’article 1 du Protocole no 1, la société requérante allègue que la confiscation des marchandises importées par elle constitue une ingérence injustifiée dans l’exercice de son droit au respect de ses biens.

APPRÉCIATION DE LA COUR

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No1 à LA CONVENTION

5. Les principes généraux en matière d’épuisement des voies de recours internes ont été rappelés par la Grande Chambre dans son arrêt Vučković et autres c. Serbie ((exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, §§ 69-77, 25 mars 2014).

6. En application de ces principes, il y a lieu de rejeter les objections de non-épuisement des voies de recours internes soulevées par le Gouvernement dans la présente affaire. En particulier, la société requérante a soulevé en substance son grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention dans le cadre de l’examen d’un recours interne disponible et suffisant qui aurait pu aboutir à l’annulation de la confiscation dont elle se plaignait. La société requérante n’était donc pas tenue d’introduire par la suite d’autres recours, compensatoires ou extraordinaires, pour faire valoir le droit au respect de ses biens.

7. De même, la Cour ne saurait reprocher à la société requérante de ne pas avoir soutenu dans le cadre de la procédure suivie en l’espèce que la valeur des marchandises confisquées était disproportionnée par rapport au préjudice subi par l’État ou par rapport au caractère de l’omission constatée, étant donné que la législation interne en vigueur à l’époque des faits prévoyait la confiscation de la totalité des marchandises et ne laissait aucune discrétion aux autorités à cet égard.

8. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

9. Les principes généraux concernant la conformité des confiscations ordonnées pour non-accomplissement des formalités déclaratives à la douane avec l’article 1 du Protocole no 1 ont été résumés, mutatis mutandis, dans les arrêts Grifhorst c. France (no 28336/02, §§ 81-83, 26 février 2009), Gabrić c. Croatie (no 9702/04, §§ 31-35, 5 février 2009) et Stoyan Nikolov c. Bulgarie (no 68504/11, §§ 55 et 56, 20 juillet 2021).

10. Dans le cas d’espèce, la confiscation du lot de marchandises importé par la société requérante constituait une ingérence dans l’exercice du droit au respect des biens de celle-ci. Cette ingérence était « prévue par la loi », au sens de l’article 1 du Protocole no 1, et elle poursuivait un but d’intérêt général, à savoir le contrôle des importations sur le territoire de l’État.

11. Cependant, les autorités de l’État n’ont pas ménagé un juste équilibre entre l’intérêt général et les droits de la société requérante. En particulier, s’agissant du caractère et de la gravité de la faute commise, la Cour note qu’il s’agissait de l’importation de marchandises légales et que la seule omission de la société requérante a été la désignation d’un code tarifaire incorrect dans la déclaration d’importation. Concernant la sanction, elle relève que la valeur des marchandises confisquées était dix-neuf fois supérieure au préjudice causé à l’État du fait du non-acquittement des droits de douane dus et que l’amende imposée couvrait déjà le montant de ce préjudice (paragraphe 2 ci‑dessus). Ainsi, la confiscation de la totalité des marchandises en cause, qui est venue s’ajouter à cette amende, apparaît comme disproportionnée et a fait supporter une charge exorbitante à la société requérante.

12. Partant, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

13. La société requérante demande 14 684,34 BGN au titre du dommage matériel qu’elle estime avoir subi, cette somme étant équivalente à la valeur douanière des marchandises confisquées, ainsi que 860 EUR au titre des frais et dépens qu’elle dit avoir engagés dans le cadre de la procédure menée devant la Cour.

14. Le Gouvernement s’oppose à ces prétentions en alléguant qu’elle sont exorbitantes et injustifiées.

15. Compte tenu des circonstances spécifiques de l’espèce et du caractère de la violation constatée de l’article 1 du Protocole no 1, la Cour octroie à la société requérante la somme de 7 507,98 EUR pour dommage matériel, soit l’équivalent de la valeur douanière des marchandises confisquées, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt (voir, mutatis mutandis, Gabrić, précité, § 48, et Stoyan Nikolov, précité, §§ 79 et 80).

16. Compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour juge raisonnable d’allouer au requérant la somme de 860 EUR pour la procédure menée devant elle, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

3. Dit,

a) que l’État défendeur doit verser à la société requérante, dans un délai de trois mois les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i. 7 507,98 EUR (sept mille cinq cent sept euros et quatre‑vingt‑dix‑huit centimes), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage matériel ;

ii. 860 EUR (huit cent soixante euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 mai 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Ludmila Milanova                          Iulia Antoanella Motoc
Greffière adjointe f.f.                            Présidente

Dernière mise à jour le mai 3, 2022 par loisdumonde

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