La requête concerne le possible renvoi au Pakistan du requérant, ressortissant de ce pays, s’étant converti de l’islam au christianisme en Suisse, suite au rejet de sa demande d’asile. Le requérant se plaint que son renvoi lui ferait courir un risque réel pour sa vie ou d’être soumis à des mauvais traitements et que sa liberté de religion serait considérablement entravée.
TROISIÈME SECTION
AFFAIRE M.A.M. c. SUISSE
(Requête no 29836/20)
ARRÊT
Art 2 + Art 3 • Expulsion • Possible renvoi au Pakistan d’un pakistanais s’étant converti de l’islam au christianisme en Suisse • Demande d’asile fondée sur sa conversion • Absence d’une appréciation ex nunc approfondie et rigoureuse par les autorités de la situation générale des chrétiens convertis au Pakistan et de la situation personnelle du requérant
STRASBOURG
26 avril 2022
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire M.A.M. c. Suisse,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une Chambre composée de :
Georges Ravarani, président,
Georgios A. Serghides,
María Elósegui,
Darian Pavli,
Peeter Roosma,
Andreas Zünd,
Frédéric Krenc, juges,
et de Milan Blaško, greffier de section,
Vu :
la requête (no 29836/20) dirigée contre la Confédération suisse et dont un ressortissant pakistanais, M. M.A.M. (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 22 juillet 2020,
la décision de porter à la connaissance du gouvernement suisse (« le Gouvernement ») les griefs concernant les articles 2, 3 et 9 de la Convention,
la décision de ne pas dévoiler l’identité du requérant,
la mesure provisoire indiquée au gouvernement défendeur en vertu de l’article 39 du Règlement de la Cour (« le règlement »),
les observations communiquées par le gouvernement défendeur et celles communiquées en réplique par le requérant,
les commentaires reçus de l’ADF International France, du Centre européen pour la justice et les droits de l’homme (ECLJ), et d’Ordo Iuris – Institute for Legal Culture, que le président de la section avait autorisés à se porter tiers intervenants,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 1er et 29 mars 2022,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
INTRODUCTION
1. La requête concerne le possible renvoi au Pakistan du requérant, ressortissant de ce pays, s’étant converti de l’islam au christianisme en Suisse, suite au rejet de sa demande d’asile. Le requérant se plaint que son renvoi lui ferait courir un risque réel pour sa vie ou d’être soumis à des mauvais traitements et que sa liberté de religion serait considérablement entravée.
EN FAIT
2. Le requérant est né en 1992 et réside à Tramelan en Suisse. Il est représenté par Me H. Hembach, avocat.
3. Le Gouvernement a été représenté par son agent suppléant, Adrian Scheidegger, de l’Office fédéral de la Justice.
4. Le requérant est un ressortissant pakistanais. À son arrivée en Suisse, il y déposa une demande d’asile le 3 octobre 2015, dans laquelle il affirma qu’il était originaire du village de Meira, dans la province du Pendjab. Les dix dernières années de sa vie au Pakistan furent marquées par un conflit foncier entre sa famille et la famille voisine hostile. Après que sa famille eut obtenu gain de cause en justice, des membres de la famille voisine avaient tenté de tuer le requérant. En conséquence, il avait décidé de quitter le pays.
5. Le requérant fut entendu personnellement par les autorités en matière d’asile le 14 octobre 2015 sans être représenté par un avocat. Le but de cet entretien était d’établir son identité, son itinéraire vers la Suisse (compte tenu de la compétence de la Suisse à examiner sa demande à la lumière des règles de Dublin) et les motifs de sa demande d’asile. Le 17 décembre 2015, le requérant fut informé que la procédure Dublin le concernant avait pris fin et que le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) allait mener la procédure d’asile.
6. En Suisse, le requérant séjourna d’abord dans un camp de réfugiés à Lyss. Il assista à la messe dans différentes églises de la région, car il était à la recherche d’une congrégation chrétienne qu’il pourrait rejoindre.
7. En décembre 2015, le requérant fut transféré de Lyss vers un centre pour réfugiés à Tramelan. Peu après le transfert, il choisit l’Armée du Salut pour église qui fait partie intégrante de l’Église chrétienne.
8. Le requérant suivit les cours de bible que lui donna, P.D. le pasteur de l’église de l’Armée du Salut de Tramelan. Il assista régulièrement aux cultes et participa à diverses autres activités au sein de l’église. Il y fit la connaissance de F.A. et W.A. avec lesquels il vécut pendant plusieurs mois, et ils étudièrent la bible et prièrent ensemble.
9. Le requérant décida de se faire baptiser. Pour des raisons historiques, l’Armée du Salut ne pratique pas le baptême, mais n’y est pas opposée. Il fut donc baptisé dans une église mennonite le 23 novembre 2016, devant des dizaines de membres de l’Armée du Salut.
10. Le requérant fut entendu personnellement par les autorités en matière d’asile le 28 février 2017. Non représenté par un avocat, il fut accompagné par le pasteur M.F. L’entretien porta sur les raisons pour lesquelles le requérant avait quitté le Pakistan, le conflit entre sa famille et la famille voisine, et les raisons pour lesquelles il pensait que sa vie était en danger. À la fin de cet entretien, il fut demandé au requérant s’il souhaitait ajouter quelque chose. Il remit une lettre de recommandation datée du 27 février 2017 dans laquelle, le pasteur P.D. confirma, entre autres, qu’il participait régulièrement aux activités de l’Armée du Salut, notamment aux cultes. Le fonctionnaire chargé de l’entretien ne posa aucune question à l’égard de la conversion du requérant.
11. Le 2 mai 2018, le SEM rejeta la demande d’asile du requérant estimant qu’au vu de ses déclarations, les conditions pour l’octroi de l’asile n’étaient pas remplies. Le SEM souligna que la crainte du requérant d’être persécuté en raison d’un conflit territorial n’était pas une raison valable pour lui accorder l’asile, car il était en mesure d’échapper à la persécution en se déplaçant vers une autre partie du Pakistan. En outre, il n’y avait pas de situation de violence générale au Pakistan qui s’étendait à l’ensemble du territoire ; le pays devait être considéré comme désireux et capable de fournir une protection.
12. Le 4 juin 2018, le requérant, non assisté d’un avocat, saisit le Tribunal administratif fédéral d’un recours contre la décision du SEM du 2 mai 2018. Il demanda l’annulation de la décision en question et la reconnaissance de sa qualité de réfugié en raison de sa conversion au christianisme. À l’appui de son recours, il joignit plusieurs éléments de preuve, y compris un certificat de baptême du 23 novembre 2016 et une lettre du 30 mai 2018 rédigée par F.A. et W.A. dans laquelle ils déclaraient « De par sa conversion, la foi de M.A.M. est une foi de type évangélique. Elle est donc peu marquée par des rituels. Mais tout, dans son comportement, dans son caractère et dans sa manière de vivre nous prouve que M.A.M. a une foi profonde en Jésus ». Le requérant souligna que l’apostasie était un délit passible de la peine de mort en vertu de la loi islamique. Il déclara également que les lois sur le blasphème au Pakistan étaient utilisées de manière abusive contre les non-musulmans pour leur nuire. Il argua aussi que l’option retenue par le SEM, à savoir qu’il pourrait le cas échéant s’installer dans une autre partie du Pakistan, serait désormais exclue puisqu’en tant que converti, il ne pourrait plus compter sur le moindre soutien de sa famille.
13. En mai 2019, la famille du requérant lui fit savoir qu’elle s’était arrangée pour qu’il épouse aux Pays-Bas une fille musulmane aux racines pakistanaises, ayant la citoyenneté de l’UE, pour lui permettre de rester en Europe. Le requérant rejeta cette idée, informant sa famille qu’il avait adhéré à la foi chrétienne et qu’il ne pouvait donc pas épouser une femme musulmane. Sa famille le menaça de lui couper les vivres et, après de longues disputes, l’informa finalement qu’elle ne le considérait plus comme son membre. Les colocataires du requérant furent présents lors de ses échanges houleux avec sa famille au téléphone.
14. Le 14 juin 2019, le SEM invita le Tribunal administratif fédéral à rejeter le recours du requérant. Il souligna qu’il ne contenait pas de faits nouveaux pertinents. Le dossier ne renfermait aucun élément indiquant que le requérant s’était converti à la foi chrétienne.
15. Le 28 juin 2019, le pasteur M.F. envoya un courrier au Tribunal administratif fédéral pour l’inviter à réexaminer l’affaire et à ordonner au SEM de mener un nouvel entretien. Il confirma que le requérant avait assisté régulièrement aux cultes et aux groupes de prière de l’Armée du Salut et de l’église mennonite pendant plus d’un an et qu’il avait été baptisé le 23 novembre 2016, soit environ 18 mois avant la décision de rejet de sa demande d’asile, ne s’étant ainsi pas simplement converti pour l’obtenir. Le pasteur M.F. souligna que le requérant n’avait jamais essayé de cacher sa conversion pendant l’entretien par les autorités en matière d’asile. Il avait remis au fonctionnaire chargé de l’entretien la lettre rédigée par le pasteur P.D. (paragraphe 10 ci-dessus). Cependant, le fonctionnaire avait initialement refusé d’accepter la lettre et déclaré qu’elle n’était pas pertinente pour décider de la demande d’asile du requérant. Le pasteur M.F. expliqua que lorsque le fonctionnaire avait demandé au requérant s’il souhaitait ajouter quelque chose, celui-ci l’avait compris dans le contexte des motifs d’asile qui avaient été discutés au cours des six dernières heures. Il ne s’était pas rendu compte que cette question visait d’éventuelles autres raisons d’asile.
16. Le requérant a transmis neuf lettres de référence au Tribunal administratif fédéral dans sa réplique du 30 juin 2019.
17. Dans son arrêt du 2 juin 2020, le Tribunal administratif fédéral rejeta le recours du requérant.
18. Le Tribunal administratif fédéral examina dans un premier temps le motif du conflit territorial avancé devant le SEM. Il releva, comme le SEM, qu’il s’agissait d’un litige entre particuliers de nature locale, de sorte que le requérant pouvait le cas échéant s’installer dans une autre région du pays. En outre, sa famille avait pu s’adresser aux tribunaux.
19. En ce qui concerne le nouveau motif avancé devant le Tribunal administratif fédéral, à savoir la conversion du requérant au christianisme, la haute juridiction le qualifia de crédible.
20. Puis, le Tribunal administratif fédéral analysa la situation des chrétiens au Pakistan, en mettant l’accent sur la question de savoir s’ils étaient exposés au risque d’une persécution collective. À cet effet, il consulta un large éventail de sources et les évalua. Au terme de cette analyse, il conclut qu’au Pakistan on pouvait supposer qu’il existait une intolérance sociale, un risque accru de représailles à l’encontre des minorités religieuses et une augmentation des actes de violence à motivation religieuse à l’encontre des chrétiens de la part des groupes islamistes militants. Toutefois, les attaques connues n’étaient pas fréquentes au point que chaque membre de la minorité chrétienne devait s’attendre à être victime de persécutions simplement parce qu’il professait sa foi chrétienne. Le nombre d’attaques, touchant environ 1,6 ou 2 % de la population totale, ne fut pas jugé suffisamment élevé pour que l’on puisse supposer l’existence d’une persécution de groupe ou collective.
21. Ensuite, le Tribunal administratif fédéral examina si le requérant était personnellement exposé à des risques de persécution, notamment en raison de sa conversion au christianisme. Il considéra que l’on ne pouvait pas supposer qu’il serait soumis à une pression psychologique insupportable au sens de l’article 2 de la loi sur l’asile en raison de sa conversion et qu’une vie digne au Pakistan ne serait pas possible. La pratique de la foi chrétienne dans ce pays est en principe possible et la conversion n’est pas interdite. Le Tribunal administratif fédéral examina les nombreuses lettres (dont celles du pasteur et de F.A. et W.A.) et documents que le requérant avait joints à son recours. Il en conclut qu’il ne pratiquait pas sa foi de manière visible pour le monde extérieur, et que sa pratique n’était donc pas discernable pour les non‑croyants. En particulier, les membres de sa propre communauté chrétienne en Suisse, avec laquelle le requérant vit depuis juillet 2016, l’ont décrit comme réservé dans la pratique des rituels religieux. Il ne pouvait être conclu qu’il pratiquait sa foi d’une manière presque missionnaire. Il était ainsi douteux que le requérant, en cas de retour au Pakistan, veuille réellement pratiquer la foi chrétienne et soit donc contraint de nier sa conversion et de mener une double vie pour ne pas être découvert.
22. En outre, il n’y avait pas d’indications suffisamment concrètes que l’environnement familial et social du requérant au Pakistan avait effectivement eu connaissance de sa conversion. Aussi, celui-ci pouvait échapper à tout inconvénient éventuel de la part de tiers en s’installant dans une autre partie de son État d’origine, par exemple dans une région de sa province d’origine (le Pendjab), où se trouvent également de très importantes communautés chrétiennes, s’il décidait de continuer à pratiquer activement sa foi. On ne pouvait donc pas présumer que le requérant, en cas de retour au Pakistan, devait s’attendre à être accusé par sa famille ou d’autres personnes d’avoir violé les dispositions de la loi sur le blasphème.
23. Par une lettre du 13 juillet 2020, le requérant introduisit une demande de révision de l’arrêt du 2 juin 2020 auprès du Tribunal administratif fédéral. Il l’informa que, pour expliquer son refus du mariage arrangé par sa famille avec une femme musulmane aux Pays-Bas, il avait dû avertir en mai 2019 l’ensemble de sa famille de sa conversion. Suite à cette confession, sa famille le menaça de lui couper les vivres et, après de longues disputes, l’informa finalement qu’elle ne le considérait plus comme son membre. Et son frère imam lui annonça que sa décision allait avoir des conséquences. Le requérant expliqua au Tribunal administratif fédéral qu’il aurait dû l’en avertir immédiatement, mais, comme il n’avait pas été représenté par un avocat et qu’il avait dû rédiger l’appel lui-même, il n’en avait pas eu connaissance.
24. Dans sa réponse du 16 juillet 2020, le Tribunal administratif fédéral souligna que l’arrêt du 2 juin 2020 était définitif et qu’il ne pourrait être réexaminé que si des faits nouveaux apparaissaient, dont le tribunal n’aurait pas pu tenir compte dans son jugement. En outre, il souligna que le requérant aurait pu présenter le fait nouvellement allégué sans difficulté lorsque sa procédure de recours était encore pendante.
25. Le 15 juillet 2020, le requérant saisit la Cour d’une demande de mesure provisoire sur le fondement de l’article 39 de son règlement pour qu’il soit indiqué au Gouvernement de ne pas procéder à son renvoi vers le Pakistan. Le 5 août 2020, le juge de permanence prit la décision de faire droit temporairement à sa demande de mesure provisoire.
26. Dans sa lettre du 26 juillet 2020 à la Cour, le requérant indiqua que son frère imam, dont le permis de séjour en Arabie saoudite expirait fin septembre 2020, avait l’intention de retourner au Pakistan.
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE PERTINENTS
I. LE DROIT INTERNE
27. Les articles 3, 5, 7 et 54 de la loi du 26 juin 1998 sur l’asile (« LAsi », RS 142.31) prévoient ce qui suit :
Article 3 : Définition du terme de réfugié
« 1. Sont des réfugiés les personnes qui, dans leur État d’origine ou dans le pays de leur dernière résidence, sont exposées à de sérieux préjudices ou craignent à juste titre de l’être en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social déterminé ou de leurs opinions politiques.
2. Sont notamment considérées comme de sérieux préjudices la mise en danger de la vie, de l’intégrité corporelle ou de la liberté, de même que les mesures qui entraînent une pression psychique insupportable. Il y a lieu de tenir compte des motifs de fuite spécifiques aux femmes.
3. Ne sont pas des réfugiés les personnes qui, au motif qu’elles ont refusé de servir ou déserté, sont exposées à de sérieux préjudices ou craignent à juste titre de l’être. Les dispositions de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés sont réservées.
4. Ne sont pas des réfugiés les personnes qui font valoir des motifs résultant du comportement qu’elles ont eu après avoir quitté leur pays d’origine ou de provenance s’ils ne constituent pas l’expression de convictions ou d’orientations déjà affichées avant leur départ ni ne s’inscrivent dans leur prolongement. Les dispositions de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés sont réservées. »
Article 5 : Interdiction du refoulement
« 1. Nul ne peut être contraint, de quelque manière que ce soit, à se rendre dans un pays où sa vie, son intégrité corporelle ou sa liberté seraient menacées pour l’un des motifs mentionnés à l’art. 3, al. 1, ou encore d’où il risquerait d’être astreint à se rendre dans un tel pays.
2. L’interdiction du refoulement ne peut être invoquée lorsqu’il y a de sérieuses raisons d’admettre que la personne qui l’invoque compromet la sûreté de la Suisse ou que, ayant été condamnée par un jugement passé en force à la suite d’un crime ou d’un délit particulièrement grave, elle doit être considérée comme dangereuse pour la communauté. »
Article 7 : Preuve de la qualité de réfugié
« 1. Quiconque demande l’asile (requérant) doit prouver ou du moins rendre vraisemblable qu’il est un réfugié.
2. La qualité de réfugié est vraisemblable lorsque l’autorité estime que celle-ci est hautement probable.
3. Ne sont pas vraisemblables notamment les allégations qui, sur des points essentiels, ne sont pas suffisamment fondées, qui sont contradictoires, qui ne correspondent pas aux faits ou qui reposent de manière déterminante sur des moyens de preuve faux ou falsifiés. »
Article 54 : Motifs subjectifs survenus après la fuite
« L’asile n’est pas accordé à la personne qui n’est devenue un réfugié au sens de l’art. 3 qu’en quittant son État d’origine ou de provenance ou en raison de son comportement ultérieur. »
28. L’article 83 al. 1, 3 et 4 de la loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les étrangers et l’intégration (« LEI ») sont libellées comme suit :
« 1. Le SEM décide d’admettre à titre provisoire l’étranger si l’exécution du renvoi ou de l’expulsion n’est pas possible, n’est pas licite ou ne peut être raisonnablement exigée.
2. L’exécution n’est pas possible lorsque l’étranger ne peut pas quitter la Suisse pour son État d’origine, son État de provenance ou un État tiers, ni être renvoyé dans un de ces États.
3. L’exécution n’est pas licite lorsque le renvoi de l’étranger dans son État d’origine, dans son État de provenance ou dans un État tiers est contraire aux engagements de la Suisse relevant du droit international. »
II. LA RÉSOLUTION DU PARLEMENT EUROPÉEN SUR LES LOIS SUR LE BLASPHÈME AU PAKISTAN
29. Le 29 avril 2021, le Parlement européen a adopté une Résolution sur les lois sur le blasphème au Pakistan, en particulier le cas de Shagufta Kausar et de Shafqat Emmanuel (2021/2647(RSP))[1] qui mentionne :
« (…)
A. (…) les lois (…) sur le blasphème sont en vigueur (…) depuis 1986, et (…) punissent de mort ou d’emprisonnement à perpétuité (…) ;
B. (…) bien qu’elles n’aient jamais donné lieu à des exécutions officielles, incitent au harcèlement, à la violence et au meurtre contre les personnes accusées ; (…) sont souvent utilisées (…) pour formuler de fausses accusations qui servent les intérêts personnels de l’accusateur ;
C. (…) il est dangereux pour les minorités religieuses de s’exprimer librement ou de participer publiquement à des activités religieuses (…) ;
(…)
J. (…) la situation au Pakistan a continué de se détériorer en 2020, étant donné que le gouvernement a systématiquement appliqué les lois sur le blasphème et n’a pas protégé les minorités religieuses contre les abus commis par des acteurs non étatiques, avec une forte augmentation des assassinats ciblés, des cas de blasphème, des conversions forcées et des discours haineux à l’encontre des minorités religieuses, y compris (…) les chrétiens (…) ;
(…)
R. (…) au moins 1 855 personnes ont été accusées au titre des lois sur le blasphème entre 1987 et février 2021, le plus grand nombre d’accusations ayant eu lieu en 2020 ;
(…)
T. (…) un nombre croissant d’agressions en ligne et hors ligne est perpétré à l’encontre (…) des membres de minorités religieuses (…) ; de telles agressions consistent souvent en des accusations mensongères de blasphème, ce qui peut déboucher sur des agressions physiques, des meurtres, des arrestations arbitraires et des détentions ;
(…)
W. (…) le Pakistan continue de recourir aux lois sur le blasphème dans un contexte de durcissement généralisé des restrictions de la liberté religieuse et de la liberté d’expression en matière de religion et de croyances (…) ;
(…)
4. se dit préoccupé par le recours abusif permanent aux lois sur le blasphème au Pakistan, qui exacerbe les fractures religieuses existantes et crée dès lors un climat d’intolérance religieuse, de violence et de discrimination ; (…) sont incompatibles avec le droit international relatif aux droits de l’homme (…) ; invite dès lors le gouvernement pakistanais à réviser, dans la perspective de leur abrogation, ces lois et leurs modalités d’application ;
(…)
7. invite le gouvernement pakistanais à condamner sans équivoque l’incitation à la violence et la discrimination à l’encontre des minorités religieuses dans le pays ; (…) à mettre en place des garanties réelles, procédurales et institutionnelles aux niveaux de l’enquête, des poursuites et de la procédure judiciaire pour empêcher le recours abusif aux lois sur le blasphème, dans l’attente de leur abrogation (…) ;
(…). »
III. LES DOCUMENTS D’INFORMATION PERTINENTS CONCERNANT LES CHRÉTIENS ET les CONVERTIS AU CHRISTIANISME AU PAKISTAN
30. Le rapport annuel d’octobre 2020 du Bureau européen d’appui pour l’asile (EASO) « Country of origin information report| Pakistan: Security Situation »[2] indique que :
« (…) Les minorités religieuses continuent d’être violemment visées au Pakistan, mais heureusement pas au niveau des années précédentes. Toutefois, cela ne signifie pas qu’elles ne sont pas menacées – (…) les chrétiens (…) continuent de faire l’objet d’une discrimination systématique. (…) Et les lois sur le blasphème ont continué à être exploitées par les partisans de la ligne dure pour cibler les minorités religieuses. Le Pakistan res e un pays très intolérant, même s’il n’est plus aussi violent qu’avant (…). »
31. Le rapport du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni de février 2021 « Country Policy and Information Note Pakistan: Christians and Christian converts »[3] dispose que :
« 2.5. Risques (…)
c) Traitement public des convertis chrétiens (…)
2.5.33. La situation est beaucoup plus difficile pour une personne qui est connue pour s’être convertie de l’islam au christianisme que pour une personne qui est née chrétienne. Il est rare, au Pakistan, qu’une personne se convertisse ouvertement au christianisme, car il est probable que la conversion d’une personne deviendra bien connue au sein de sa communauté, avec des répercussions potentielles.
2.5.34. En général, la société est extrêmement hostile envers les convertis au christianisme. Un mollah peut émettre une fatwa appelant à la peine de mort contre un converti qui a été considéré comme un apostat. Les personnes connues pour s’être converties au christianisme subissent des actes de violence, d’intimidation et de discrimination grave de la part d’acteurs non étatiques, qui peuvent, dans des cas individuels, équivaloir à de la persécution et/ou à des préjudices graves. Ce traitement est répandu dans tout le Pakistan. (…)
2.5.36. En général, une personne qui est connue ou susceptible d’être connue pour s’être convertie de l’islam au christianisme et qui est ouverte à sa foi et à sa conversion est susceptible de faire face à la discrimination et au harcèlement de la société qui, de par sa nature et sa répétition, équivaut à de la persécution. Toutefois, chaque cas doit être examiné en fonction de ses faits.
2.5.37. Une personne qui retourne au Pakistan après s’être convertie de l’islam au christianisme à l’étranger, qui ne cherche pas activement à faire du prosélytisme ou à exprimer publiquement sa foi, et/ou qui considère sa religion comme une affaire personnelle, peut être en mesure de continuer à pratiquer le christianisme discrètement. (…)
2.7. Réinstallation interne (…)
2.7.7. (…) étant donné que les mauvais traitements envers les convertis chrétiens sont répandus dans tout le Pakistan, la réinstallation interne pour échapper à un tel traitement est peu susceptible d’être une option raisonnable, en particulier lorsque la personne est connue pour s’être convertie au christianisme. (…)
7.1. Accusations de blasphème
7.1.1. (…) Comme l’a fait remarquer la BHC (British High Commission) en 2021, « l’abus et le mauvais usage des lois pakistanaises sur le blasphème pour régler des différends personnels sont courants, et les minorités religieuses, y compris les chrétiens, sont ciblées de façon disproportionnée », ajoutant que « la majorité des cas de blasphème proviennent du Pendjab, qui a une forte population chrétienne. » (…)
7.1.5. Le Christian Solidarity Worldwide (CSW) a rapporté en 2019 : « (…) La relocalisation interne est extrêmement difficile et même si les victimes y parviennent, elles sont constamment poursuivies par leurs accusateurs. (…) « Quiconque est accusé de blasphème est pratiquement condamné à mort même s’il est libéré. »
7.1.6. Le rapport du Centre for Social Justice (CSJ) de 2019 indiquait que « la simple accusation de blasphème, même en l’absence de preuve, a souvent donné lieu à des agressions violentes contre les accusés, à de l’intimidation de leur famille (…). »
32. Le rapport du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) de janvier 2017 « Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Members of Religious Minorities from Pakistan »[4] mentionne que :
« V. Admissibilité à la protection internationale (…)
Les personnes qui se convertissent de l’islam à une autre religion peuvent être à risque à la fois parce qu’elles sont maintenant membres d’une minorité religieuse et parce qu’elles peuvent être perçues comme ayant commis l’apostasie. (p. 29) (…)
On ne devrait pas s’attendre à ce que les individus cachent, modifient, répriment ou renoncent à leurs croyances religieuses, à leur identité ou à leur mode de vie afin d’éviter la persécution. (p. 30) (…)
Profils potentiels de risque (…)
3. Chrétiens (…)
Les dispositions pénales, en particulier les lois sur le blasphème, seraient utilisées (…) pour intimider et harceler les chrétiens, ainsi que pour se venger ou régler des différends personnels ou commerciaux. (p. 43) (…)
Les allégations de blasphème par des membres de la société ont, dans certains cas, dégénéré en meurtres et attaques de la foule (p. 44) (…)
Le HCR considère que les membres de la communauté chrétienne, y compris (…) accusés d’infractions criminelles en vertu des dispositions relatives au blasphème (…), peuvent, selon les circonstances individuelles de l’affaire, avoir besoin de la protection internationale des réfugiés en raison de leur religion (…) (p. 45) ».
IV. LA RECOMMANDATION DE POLITIQUE GÉNÉRALE no 15 DE LA COMMISSION EUROPÉENNE CONTRE LE RACISME ET L’INTOLÉRANCE (ECRI) sur la lutte contre le discours de haine
33. La Recommandation de politique générale no 15 de l’ECRI sur la lutte contre le discours de haine[5] adoptée le 8 décembre 2015 appelle entre autres les personnalités publiques à réagir rapidement face au discours de haine et à la sensibilisation aux conséquences dangereuses du discours de haine. La Recommandation stipule que :
« 7. Aux fins de la présente Recommandation, on entend par : (…)
h. « discrimination », toute différence de traitement fondée sur un motif tel que (…) la religion (…) qui manque de justification objective et raisonnable ; (…)
w. « racisme », la croyance qu’un motif tel que (…) la religion (…) justifie le mépris envers une personne ou un groupe de personnes ou l’idée de supériorité d’une personne ou d’un groupe de personnes ; (…)
9. Aux fins de la Recommandation, le discours de haine désigne l’usage d’une ou de plusieurs formes particulières d’expression – à savoir, l’appel à, la promotion de ou l’incitation au dénigrement, à la haine ou à la diffamation à l’encontre d’une personne ou d’un groupe de personnes, ainsi que le harcèlement, les injures, les stéréotypes négatifs, la stigmatisation ou les menaces à l’encontre de cette ou ces personne(s) et toute justification de ces diverses formes d’expression – fondée(s) sur (…) la religion (…). »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 2 et 3 DE LA CONVENTION
34. Le requérant se plaint qu’en raison de sa conversion de l’islam au christianisme en Suisse, un renvoi vers le Pakistan emporterait violation des articles 2 et 3 de la Convention, dont les parties pertinentes se lisent ainsi :
Article 2
« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi.
(…) »
Article 3
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
35. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
36. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
a) Le requérant
37. Le requérant relève que ses motifs d’asile initialement invoqués, concernant les menaces résultant d’un conflit entre deux familles au sujet d’un terrain, ne font pas l’objet de sa requête.
38. Il indique s’être converti au christianisme depuis son arrivée en Suisse et que son retour au Pakistan l’exposerait à un réel risque de traitements contraires aux articles 2 et 3 de la Convention.
39. Les chrétiens au Pakistan sont exposés à un risque de persécution, à de nombreuses attaques violentes entraînant fréquemment des décès selon des rapports internationaux, dont celui de l’EASO (paragraphe 30 ci-dessus).
40. Les convertis au christianisme au Pakistan risquent d’être persécutés par leurs familles ou par l’État.
41. Si la conversion n’y est pas légalement interdite, comme l’a souligné le Tribunal administratif fédéral, l’apostasie est un crime pour la loi islamique.
42. En outre, les convertis y sont exposés à un risque particulièrement élevé d’être accusés de blasphème, une infraction pénale punie de la peine de mort, pouvant être commuée en une condamnation à perpétuité limitée à vingt-cinq ans. Le 29 avril 2021, le Parlement européen a adopté une Résolution (2021/2647(RSP) au regard de l’aggravation de ce type d’accusations au Pakistan de plus en plus utilisées pour des règlements de comptes personnels (paragraphe 29 ci-dessus).
43. Le requérant soutient que, contrairement à ce que suggère le Tribunal administratif fédéral, il court le risque d’être accusé de blasphème en s’installant dans une autre partie du pays. Le communiqué de presse du Département d’État des États-Unis du 30 juillet 2020[6] mentionne que Tahir Naseem, qui a été tué dans un tribunal, avait été attiré au Pakistan depuis son domicile aux États-Unis par des individus qui ont ensuite utilisé les lois sur le blasphème pour le piéger. En outre, la Cour suprême du Pakistan a souligné que la majorité des cas de blasphème sont fondés sur de fausses accusations découlant de problèmes de propriété, personnels ou familiaux. Le risque auquel le requérant est exposé est d’autant plus élevé que sa famille et lui-même étaient impliqués dans un conflit de propriété avec une autre famille.
44. Le requérant affirme que le Tribunal administratif fédéral n’a pas suffisamment examiné les effets de sa conversion au christianisme étant donné qu’il était susceptible d’appartenir à un groupe de personnes qui pouvaient être exposées à un risque de mauvais traitement en cas de retour au Pakistan. Il n’a pas abordé la manière dont il avait vécu sa foi en Suisse depuis son baptême et voulait continuer à la pratiquer au Pakistan au cas où la décision d’éloignement serait mise en œuvre à savoir qu’en communauté et donc publiquement.
45. Faisant référence à la lettre de F.A. et W.A. du 30 mai 2018 (paragraphe 12 ci-dessus), la haute juridiction a considéré que le requérant n’exerçait pas sa foi évangélique, peu marquée par des rituels, d’une façon visible de l’extérieur et les non-chrétiens ne pouvaient donc pas la remarquer (paragraphe 21 ci-dessus). Cependant, selon le site Internet de l’Armée du Salut[7], il est très important pour ses membres, dont le requérant, de promouvoir leur foi et de la faire connaître, en la pratiquant de manière ouverte, en participant à des groupes de prière, de jeunes, et à de nombreuses activités telles que le prêche des paroles de Dieu dans les rues. Plus de 130 membres de l’Armée du Salut ont confirmé la pratique du requérant. Ainsi, sa conversion serait remarquée au Pakistan.
46. D’après le Tribunal administratif fédéral, le requérant sera en sécurité tant qu’il ne pratiquera pas sa foi de manière trop visible et n’offensera pas les non-chrétiens. Or, on ne peut pas lui demander de pratiquer sa foi de manière discrète. Et l’évaluation du risque auquel il serait exposé en cas de retour au Pakistan ne peut être basée sur l’hypothèse selon laquelle il pratiquerait ou devrait pratiquer sa foi en secret.
47. Le requérant indique que sa famille est informée de sa conversion depuis mai 2019 (paragraphe 23 ci-dessus). Une lettre de ses colocataires de l’époque, présents lors de ses échanges houleux avec sa famille au téléphone, adressée à la Cour européenne le confirme. S’il est vrai que cet argument n’a pas été présenté en temps utile devant les juridictions suisses, toutefois, selon une jurisprudence constante de la Cour européenne, l’évaluation du risque doit être effectuée ex nunc.
48. Le Tribunal administratif fédéral n’aurait pas tenu compte du fait que son frère était un imam. De plus, il avait l’intention de retourner au Pakistan suite à l’expiration de son permis de séjour en Arabie saoudite fin septembre 2020 (paragraphe 26 ci-dessus).
49. Ainsi, si le requérant devait retourner au Pakistan, il serait contraint de modifier ses habitudes d’exprimer sa foi chrétienne et de la confiner dans la sphère purement privée. Il devrait ainsi vivre dans le mensonge et pourrait se voir forcé de renoncer à tout contact avec d’autres personnes de sa confession. La dissimulation et la négation quotidienne de ses convictions dans le contexte de la société pakistanaise pourraient être qualifiées de pression psychologique insupportable, constitutive de torture au sens de l’article 3 de la Convention.
50. Le requérant a développé la question de sa religion dans son recours contre la décision du SEM. Le Tribunal administratif fédéral a considéré sa conversion comme crédible. Dès lors que les autorités suisses ont été informées qu’il s’était converti de l’islam au christianisme, il leur incombait d’établir dans ce contexte les faits susceptibles d’être pertinents pour évaluer le risque auquel un retour au Pakistan l’exposerait – d’autant plus qu’il n’était pas représenté par un conseil juridique devant les autorités et les tribunaux suisses.
b) Le Gouvernement
51. Le Gouvernement prend acte que les motifs d’asile initialement invoqués, quant aux menaces résultant d’un conflit entre deux familles au sujet d’un terrain, ne font pas l’objet de la présente requête. Il renvoie ainsi aux conclusions du Tribunal administratif fédéral dont il ressort qu’au moment de son départ du Pakistan, le requérant n’était pas exposé à un risque de persécution.
52. Le requérant consacre l’essentiel de sa requête à la situation générale des chrétiens au Pakistan qui y subiraient une persécution de groupe ou collective. Or, le Tribunal administratif fédéral a procédé à une analyse complète de cette question avant d’y répondre par la négative. Des sources plus récentes n’infirment pas sa conclusion.
53. Dans la mesure où le requérant fait valoir un manque d’analyse de sa manière de pratiquer sa foi chrétienne, le Gouvernement relève qu’il n’a fait valoir sa conversion que dans son recours au Tribunal administratif fédéral. Dans son arrêt du 2 juin 2020, la haute juridiction a évalué, à la lumière des éléments mis à sa disposition, la manière dont le requérant pratiquait sa foi et a déclaré qu’elle n’avait pas de traits missionnaires (paragraphe 21 ci-dessus). À cet égard, il est difficilement compréhensible que le requérant soit contraint de nier sa conversion en cas de retour au Pakistan.
54. Le Tribunal administratif fédéral a également considéré qu’il ne ressortait pas du dossier que la famille du requérant ou son environnement social au Pakistan avait eu connaissance de sa conversion au christianisme (paragraphe 21 ci-dessus). Devant la Cour, le requérant ne conteste pas cette appréciation, alors que le 13 juillet 2020, il avait saisi le Tribunal administratif fédéral par une lettre selon laquelle en mai 2019 il aurait informé l’ensemble de sa famille de sa conversion au christianisme. Le Gouvernement s’interroge sur les raisons pour lesquelles le requérant n’a présenté ce fait, ni dans sa réplique du 30 juin 2019 (paragraphe 16 ci-dessus) ni spontanément. Indépendamment de ces éléments, le requérant n’a pas étayé sa nouvelle allégation.
55. En outre, il n’y a pas d’indices concrets que, depuis cette divulgation, des membres de sa famille ou des tiers l’auraient menacé ou dénoncé auprès des autorités pakistanaises, par exemple pour avoir enfreint les dispositions de la loi sur le blasphème. Le requérant n’a pas non plus affirmé qu’il aurait fait du prosélytisme et donc critiqué publiquement l’islam. L’éventuel retour de son frère imam au Pakistan ne constitue pas, en soi, la preuve concrète d’une crainte fondée. En d’autres termes, le requérant est libre de s’installer en dehors du lieu de résidence de ses proches et à l’insu de ceux-ci. Il ne réussit donc pas à rendre plausible l’existence d’un danger concret ou de menaces de torture ou de traitements inhumains en cas de retour au Pakistan.
56. Le Gouvernement soutient que les affirmations du requérant ont fait l’objet d’un examen rigoureux dès qu’elles ont été présentées. Sa conversion au christianisme n’a pas fait l’objet de controverse. Le Tribunal administratif fédéral a procédé à une analyse complète de la situation des chrétiens et convertis au christianisme au Pakistan afin d’élucider l’existence d’une éventuelle persécution collective ou de groupe avant d’évaluer le cas individuel du requérant. Devant la Cour, le requérant n’avance pas de nouveaux arguments ou moyens de preuve le concernant personnellement. Il n’explique notamment pas en quoi les autorités et tribunaux ayant examiné ses demandes d’asile ne l’auraient pas fait de manière circonstanciée et impartiale. Le requérant n’a donc pas apporté d’éléments qui témoigneraient de défauts procéduraux sur le plan national et qui pourraient justifier, de ce fait, une appréciation différente des faits par la Cour.
c) Les tiers intervenants
57. L’ADF International France, le Centre européen pour la justice et les droits de l’homme (ECLJ), et Ordo Iuris – Institute for Legal Culture soutiennent que les minorités religieuses au Pakistan, notamment les convertis de l’islam au christianisme, sont soumises à de graves persécutions, des actes de violence et de discrimination de la part des autorités étatiques et non étatiques. Des accusations de blasphème, assorties de lourdes peines, sont portées contre des chrétiens et des cas de conversion forcée témoignent d’une volonté de contraindre les minorités religieuses à se conformer à la religion officielle de l’État.
58. Selon l’ECLJ, la personne, convertie de l’islam au christianisme et renvoyée de force au Pakistan, court un danger extrême pour sa vie et son intégrité physique.
59. Pour l’ADF International France, lorsqu’elles évaluent la véracité de déclarations liées à une « crainte fondée de persécution (religieuse) », les autorités doivent accorder le bénéfice du doute au demandeur d’asile, tout en suivant les conseils de la Commission des droits de l’homme des Nations unies concernant l’évaluation de ces demandes conformément aux normes internationales en matière de droits de l’homme.
2. Appréciation de la Cour
60. La Cour prend note à titre liminaire que les motifs d’asile que le requérant avait initialement invoqués, à savoir les menaces résultant d’un conflit entre deux familles au sujet d’un terrain, ne font pas l’objet de la présente requête.
a) Principes généraux
61. La Cour rappelle que les États contractants ont le droit, en vertu d’un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, y compris la Convention, de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux (voir, par exemple, J.K. et autres c. Suède [GC], no 59166/12, § 79, CEDH 2016, et Üner c. Pay‑Bas [GC], no 46410/99, § 54, CEDH 2006‑XII). Cependant, dans le contexte de l’expulsion, lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire qu’un individu, si on l’expulse vers le pays de destination, y courra un risque réel d’être soumis à la peine capitale, à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants, tant l’article 2 que l’article 3 impliquent que l’État contractant ne doit pas expulser la personne en question.
62. La Cour constate que les griefs du requérant tirés des articles 2 et 3 de la Convention sont indissociables et elle les examinera donc ensemble (voir, notamment, mutatis mutandis, F.G. c. Suède [GC], no 43611/11, § 110, CEDH 2016, N.A. c. Suisse, no 50364/14, § 40, 30 mai 2017, Tatar c. Suisse, no 65692/12, § 45, 14 avril 2015, et T.A. c. Suède, no 48866/10, § 37, 19 décembre 2013).
63. Les principes généraux relatifs à l’évaluation du risque, à la nature de l’examen de la Cour, et aux obligations procédurales dans le cadre de l’examen d’une demande d’asile ont été résumés dans l’arrêt F.G. c. Suède, précité, §§ 111-127.
b) Application de ces principes en l’espèce
64. Les autorités en matière d’asile s’étant entretenues avec le requérant, le 28 février 2017, n’ont pas relevé la question de sa fréquentation de l’Église évangélique chrétienne de l’Armée du Salut qui avait été évoquée dans la lettre du pasteur P.D. du 27 février 2017 que le requérant leur a remis (paragraphes 10 et 15 ci-dessus). Et le 2 mai 2018, le SEM rejeta la demande d’asile du requérant sans prendre en considération cette question (paragraphe 11 ci-dessus).
65. La Cour remarque que le 28 février 2017, les autorités en matière d’asile avaient eu connaissance que le requérant participait régulièrement aux activités de l’Armée du Salut, notamment aux cultes. Cependant, elles ont omis de réagir et de poser des questions au requérant à ce sujet, et ceci alors qu’il n’était pas représenté par un avocat. Eu égard au caractère absolu du droit garanti par l’article 3 de la Convention, et à la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouvent souvent les demandeurs d’asile, si un État contractant est informé de faits, relatifs à un individu donné, propres à exposer celui-ci à un risque de mauvais traitements contraires à ladite disposition en cas de retour dans le pays en question, les obligations découlant pour les États de l’article 3 de la Convention impliquent que les autorités évaluent ce risque d’office (F.G. c. Suède, précité, § 127). Selon le rapport du HCR de janvier 2017 « Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Members of Religious Minorities from Pakistan » (paragraphe 32 ci-dessus), les personnes qui se convertissent de l’islam à une autre religion peuvent être à risque à la fois parce qu’elles sont maintenant membres d’une minorité religieuse et parce qu’elles peuvent être perçues comme ayant commis l’apostasie. La Cour est donc d’avis que les autorités en matière d’asile auraient dû évaluer le risque encouru pour le requérant dès leur connaissance de la lettre du pasteur P.D.
66. Le requérant demanda, dans son recours au Tribunal administratif fédéral du 4 juin 2018, la reconnaissance de sa qualité de réfugié en raison de sa conversion au christianisme (paragraphe 12 ci-dessus). La haute juridiction rejeta son recours dans son arrêt du 2 juin 2020 après avoir évalué le risque pour le requérant au regard des critères exposés par la jurisprudence de la Cour (paragraphes 17-21 ci-dessus).
67. Quant à la conversion au christianisme du requérant, les autorités suisses se sont trouvées confrontées à une conversion sur place. Le Tribunal administratif fédéral a donc dû vérifier si sa conversion était sincère et avait atteint un degré suffisant de force, de sérieux, de cohérence et d’importance, avant de rechercher si le requérant serait exposé au risque de subir un traitement contraire aux articles 2 et 3 de la Convention en cas de retour au Pakistan (F.G. c. Suède, précité, § 144, et A.A. c. Suisse, no 32218/17, § 49, 5 novembre 2019).
68. Le Tribunal administratif fédéral a conclu que la conversion du requérant était crédible (paragraphe 19 ci-dessus). La Cour n’aperçoit pas de raison de s’écarter de cette appréciation.
69. Puis la haute juridiction a recherché si les chrétiens au Pakistan étaient exposés au risque d’une persécution collective et si le requérant serait personnellement exposé au risque de subir un traitement contraire aux articles 2 et 3 de la Convention en cas de retour au Pakistan (paragraphes 20‑21 ci-dessus) (F.G. c. Suède, précité, § 144).
70. S’agissant de la situation générale des chrétiens au Pakistan, la cause du requérant, en substance, repose sur le fait qu’au cours des dernières années des chrétiens, dont des convertis, ont fait l’objet d’attaques et d’accusations de blasphème qui est une infraction pénale au Pakistan punie de la peine de mort, cette peine pouvant être commuée en une condamnation à perpétuité limitée à vingt-cinq ans (paragraphe 42 ci-dessus).
71. La Cour observe que le Tribunal administratif fédéral a consulté de nombreux rapports internationaux et il a conclu qu’il existait une intolérance sociale, un risque accru de représailles à l’encontre des minorités religieuses et une augmentation des actes de violence à motivation religieuse à l’encontre des chrétiens de la part des groupes islamistes militants (paragraphe 20 ci‑dessus) tels qu’allégués par le requérant (paragraphe 39 ci-dessus).
72. Ces considérations sont corroborées par la Résolution sur les lois sur le blasphème au Pakistan (2021/2647(RSP) du Parlement européen du 29 avril 2021 (paragraphe 29 ci-dessus), le rapport annuel d’octobre 2020 sur la sécurité au Pakistan du EASO (paragraphe 30 ci-dessus), le rapport du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni de février 2021 « Country Policy and Information Note Pakistan: Christians and Christian converts » (paragraphe 31 ci-dessus), le rapport du HCR de janvier 2017 « Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Members of Religious Minorities from Pakistan » (paragraphe 32 ci-dessus) et les documents à l’appui des tierces interventions (paragraphes 57-58 ci-dessus) concernant les attaques à l’encontre des non-musulmans et les accusations de blasphème.
73. Toutefois, le Tribunal administratif fédéral a aussi souligné dans son arrêt qu’au regard des documents disponibles, les attaques connues n’étaient pas fréquentes au point que chaque membre de la minorité chrétienne devait s’attendre à être victime de persécutions liées à l’asile du seul fait de son engagement envers le christianisme (paragraphe 20 ci-dessus). La haute juridiction a estimé que les chrétiens au Pakistan ne sont donc pas exposés au risque d’une persécution collective. La communauté chrétienne du Pakistan n’était frappée d’aucune interdiction officielle.
74. Le Tribunal administratif fédéral a bel et bien étudié la situation des chrétiens au Pakistan mais n’a pas précisément examiné celle des convertis au christianisme pour établir ses conclusions quant à la situation générale des chrétiens au Pakistan.
75. Le rapport du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni de février 2021 « Country Policy and Information Note Pakistan: Christians and Christian converts » (paragraphe 31 ci-dessus) mentionne que les personnes connues pour s’être converties au christianisme subissent des actes de violence, d’intimidation et de discrimination graves de la part d’acteurs non étatiques, qui peuvent, dans des cas individuels, équivaloir à de la persécution et/ou à des préjudices graves. Ce traitement est répandu dans tout le Pakistan. Une personne qui est connue ou susceptible d’être connue pour s’être convertie de l’islam au christianisme et qui est ouverte à sa foi et à sa conversion est susceptible de faire face à la discrimination et au harcèlement de la société qui, de par sa nature et sa répétition, équivaut à de la persécution. Une personne qui retourne au Pakistan après s’être convertie de l’islam au christianisme à l’étranger, qui ne cherche pas activement à faire du prosélytisme ou à exprimer publiquement sa foi, et/ou qui considère sa religion comme une affaire personnelle, peut être en mesure de continuer à pratiquer le christianisme discrètement.
76. Au regard des rapports internationaux faisant état de graves violations des droits de l’homme au Pakistan à l’égard des chrétiens convertis tels que le requérant, la Cour estime que le Tribunal administratif fédéral aurait dû prendre en compte ces éléments pour établir ses conclusions quant à la situation générale des chrétiens et des chrétiens convertis au Pakistan (voir a contrario S.F. et autres c. Suède, no 52077/10, § 64, 15 mai 2012).
77. Au-delà de la situation générale des chrétiens convertis au Pakistan, il importe également d’avoir égard à la situation personnelle du requérant au regard des articles 2 et 3 de la Convention en cas de retour dans son pays d’origine.
78. Ainsi, sachant que l’intéressé s’était converti en Suisse de l’islam au christianisme et qu’il était dès lors susceptible d’appartenir à un groupe de personnes qui, pour diverses raisons, pouvaient être exposées à un risque de subir un traitement contraire aux articles 2 et 3 de la Convention en cas de retour au Pakistan, les autorités en matière d’asile se devaient d’évaluer le risque d’office (paragraphe 65 ci-dessus). Par ailleurs, le SEM s’est abstenu de clarifier la situation (paragraphe 11 ci-dessus). De plus, le Tribunal administratif fédéral s’est livré à un examen approfondi de la situation des chrétiens au Pakistan, mais non suffisamment approfondi de la situation des convertis au christianisme et de la situation personnelle du requérant concernant sa conversion, le sérieux de ses convictions, sa manière de manifester sa foi chrétienne en Suisse, la façon dont il entendait la manifester au Pakistan si la décision d’éloignement était mise en œuvre, la connaissance de sa conversion par sa famille et sa vulnérabilité à des persécutions et à des accusations de blasphème. Les autorités suisses n’ont donc pas suffisamment évalué le risque que le requérant courrait, du fait de sa conversion, en cas de retour au Pakistan, pour confirmer le rejet de sa demande d’asile sachant qu’il n’était pas représenté par un avocat au cours de toute la procédure nationale.
79. Le requérant présente devant la Cour d’autres documents pertinents que ceux déjà examinés par le Tribunal administratif fédéral (paragraphes 23 et 26 ci-dessus). À la lumière de ces éléments et de ceux précédemment soumis par le requérant aux autorités nationales, la Cour conclut que l’intéressé a démontré à suffisance que sa demande d’asile fondée sur sa conversion mérite d’être examinée de manière plus détaillée par lesdites autorités. C’est à celles-ci qu’il appartient de prendre en considération ces éléments, ainsi que toute évolution pouvant intervenir dans la situation générale des convertis au christianisme au Pakistan et les circonstances propres au cas du requérant (F.G. c. Suède, précité, § 157).
80. Il s’ensuit qu’il y aurait violation des articles 2 et 3 de la Convention si le requérant était renvoyé au Pakistan en l’absence d’une appréciation ex nunc approfondie et rigoureuse par les autorités suisses de la situation générale des chrétiens convertis au Pakistan et de la situation personnelle du requérant converti au christianisme en cas de retour dans ce pays.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION
81. Le requérant se plaint que, s’il était renvoyé au Pakistan, il serait dans l’incapacité de vivre ouvertement et librement en tant que chrétien. Il invoque l’article 9 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
82. Le Gouvernement conteste cette thèse.
83. Constatant que le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
84. Compte tenu des conclusions auxquelles elle est parvenue sur le terrain des articles 2 et 3 de la Convention (paragraphe 80 ci-dessus), la Cour ne décèle pas de question distincte dans ce grief. Il n’y a donc pas lieu de l’examiner séparément.
III. ARTICLE 39 DU RÈGLEMENT DE LA COUR
85. La Cour rappelle que, en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention, le présent arrêt ne deviendra définitif que a) lorsque les parties auront déclaré ne pas demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre ; ou b) à l’expiration d’un délai de trois mois, si le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre n’a pas été demandé ; ou c) lorsque le collège de la Grande Chambre aura rejeté une demande de renvoi formée en vertu de l’article 43 de la Convention.
86. Elle considère que, jusqu’à ce moment et à moins qu’elle ne prenne une nouvelle décision à cet égard, la mesure provisoire indiquée au Gouvernement en vertu de l’article 39 du règlement (paragraphe 25 ci‑dessus) doit continuer de s’appliquer (voir ci-dessous le dispositif de l’arrêt) (voir, mutatis mutandis, A.M. c. France, no 12148/18, § 136, 29 avril 2019).
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
87. Aux termes de l’article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
88. Le requérant demande une somme globale équitable au titre du dommage matériel pour perte de gain et de prestations de l’assurance‑chômage qui ont été bloquées par le SEM le 1er août 2020 et 2 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il estime avoir subi.
89. Le Gouvernement soutient quant à la réparation du dommage matériel qu’étant donné que le requérant n’a ni ventilé par rubrique ses prétentions ni produit les justificatifs nécessaires, il ne respecte pas les exigences de l’article 60 du Règlement de la Cour. Il convient donc d’écarter sa demande présentée au titre du dommage matériel. En outre, le Gouvernement rappelle que la présente procédure concerne uniquement la question de savoir si le requérant risque d’être exposé à des traitements contraires aux articles 2 et 3 de la Convention en cas de renvoi au Pakistan. Les conséquences du refus des autorités internes de lui accorder l’asile sur sa situation personnelle et professionnelle n’ont fait l’objet ni de la procédure interne ni de sa requête devant la Cour. Il n’existe ainsi pas un lien suffisant entre la violation alléguée et la réparation demandée. De plus, le requérant aurait eu la possibilité de contester la prétendue interruption du versement des prestations de l’assurance-chômage, y compris devant les tribunaux internes. Aucune procédure n’ayant été menée à ce sujet, le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes sur ce point. Concernant la réparation du dommage moral, de l’avis du Gouvernement, en cas de constatation d’une violation de la Convention par la Cour, la somme de 2 000 EUR constituerait une réparation suffisante du tort moral allégué.
90. La Cour ne distingue aucun lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué. Elle rejette donc la demande formulée à ce titre.
91. La Cour observe que les violations des articles 2 et 3 de la Convention n’ont pas encore eu lieu en l’espèce. Dans cette situation, elle estime que le constat que l’expulsion, si elle était menée à exécution, constituerait une violation de ces dispositions, représente une satisfaction équitable suffisante (O.D. c. Bulgarie, no 34016/18, § 72, 10 octobre 2019, Auad c. Bulgarie, no 46390/10, § 144, 11 octobre 2011, et les affaires qui y sont citées).
B. Frais et dépens
92. Le requérant réclame le remboursement de 750 francs suisses (CHF) au titre des frais et dépens qu’il a engagés dans le cadre de la procédure menée devant le Tribunal administratif fédéral et 6 192 EUR au titre de ceux qu’il a engagés aux fins de la procédure menée devant la Cour.
93. Le Gouvernement ne conteste pas la prétention concernant les frais de procédure encourus devant le Tribunal administratif fédéral. En ce qui concerne les frais de représentation devant la Cour, le Gouvernement estime qu’en comparaison avec d’autres affaires d’une complexité comparable, ils sont manifestement exagérés (A.A. c. Suisse, précité, §§ 68-70).
94. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer au requérant la somme de 6 885 EUR tous frais confondus, plus tout montant pouvant être dû par lui sur cette somme à titre d’impôt.
C. Intérêts moratoires
95. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit que dans l’éventualité de la mise à exécution de la décision de renvoi du requérant vers le Pakistan, il y aurait violation des articles 2 et 3 de la Convention en l’absence d’une évaluation du risque encouru par lui à la lumière de la situation générale des chrétiens convertis au Pakistan et de sa situation personnelle ;
3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief formulé sur le terrain de l’article 9 de la Convention ;
4. Décide d’indiquer au Gouvernement en vertu de l’article 39 du règlement qu’il reste souhaitable dans l’intérêt du bon déroulement de la procédure que le requérant ne soit pas expulsé jusqu’à ce que le présent arrêt soit devenu définitif ou jusqu’à nouvel ordre ;
5. Dit que le constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;
6. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 6 885 EUR (six mille huit cent quatre-vingt-cinq euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
7. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 avril 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Milan Blaško Georges Ravarani
Greffier Président
____________
[1] https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2021-0157_FR.html
[2] https://coi.easo.europa.eu/administration/easo/PLib/10_2020_EASO_COI_Report_Pakistan_Security_situation.pdf
[3] https://www.gov.uk/government/publications/pakistan-country-policy-and-information-notes
[4] https://www.refworld.org/docid/5857ed0e4.html
[5] http://rm.coe.int/recommandation-de-politique-generale-n-15-de-l-ecri-sur-la-lutte-contr/16808b5b03
[6] https://2017-2021.state.gov/killing-of-tahir-naseem/index.html
[7] https://www.armeedusalut.ch/
Dernière mise à jour le avril 26, 2022 par loisdumonde
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