AFFAIRE ASSEMBLÉE CHRÉTIENNE DES TÉMOINS DE JÉHOVAH D’ANDERLECHT ET AUTRES c. BELGIQUE (Cour européenne des droits de l’homme) 20165/20

La présente affaire concerne la privation pour les requérantes, des congrégations de Témoins de Jéhovah, à partir de l’exercice d’imposition 2018, du bénéfice de l’exonération du précompte immobilier portant sur les immeubles affectés à l’exercice public de leur culte, à défaut de rencontrer le nouveau critère légalement prévu, à savoir l’appartenance à une « religion reconnue ». Les requérantes invoquent l’article 9 combiné avec l’article 11 de la Convention, l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, ainsi que l’article 14 de la Convention combiné avec les articles 9 et 11 de la Convention et avec l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE ASSEMBLÉE CHRÉTIENNE DES TÉMOINS DE JÉHOVAH D’ANDERLECHT ET AUTRES c. BELGIQUE
(Requête no 20165/20)
ARRÊT

Art 14 (+ Art 9 et Art 1 P1) • Discrimination • Pas d’exonération fiscale des immeubles affectés à l’exercice public du culte non reconnu, le régime de reconnaissance manquant de garanties minimales d’équité et d’objectivité • Art 9 et Art 1 P1 applicables • Imposition affectant considérablement le fonctionnement des communautés religieuses • Critères et procédure de reconnaissance par l’autorité fédérale non prévus par un texte accessible et prévisible • Risque d’arbitraire • Différence de traitement sans justification objective et raisonnable

STRASBOURG
5 avril 2022

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Assemblée chrétienne des Témoins de Jéhovah d’Anderlecht et autres c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une Chambre composée de :

Georges Ravarani, président,
Georgios A. Serghides,
María Elósegui,
Anja Seibert-Fohr,
Andreas Zünd,
Frédéric Krenc,
Mikhail Lobov, juges,
et de Olga Chernishova, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête (no 20165/20) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont neuf associations de droit belge, l’Assemblée chrétienne des Témoins de Jéhovah d’Anderlecht, l’Assemblée chrétienne des Témoins de Jéhovah de Molenbeek, l’Assemblée chrétienne des Témoins de Jéhovah d’Auderghem, l’Assemblée chrétienne des Témoins de Jéhovah de Forest, l’Assemblée chrétienne des Témoins de Jéhovah de Koekelberg, l’Assemblée chrétienne des Témoins de Jéhovah de Saint-Josse, l’Assemblée chrétienne des Témoins de Jéhovah de Woluwe-Saint-Pierre-Tomberg, l’Assemblée chrétienne des Témoins de Jéhovah d’Ixelles et l’Assemblée chrétienne des Témoins de Jéhovah d’Uccle (« les requérantes »), ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 14 mai 2020,

la décision de porter à la connaissance du gouvernement belge (« le Gouvernement ») les griefs concernant l’article 9 combiné avec l’article 11 de la Convention, l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, ainsi que l’article 14 de la Convention combiné avec les articles 9 et 11 de la Convention et avec l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 février 2022 et le 8 mars 2022,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

INTRODUCTION

1. La présente affaire concerne la privation pour les requérantes, des congrégations de Témoins de Jéhovah, à partir de l’exercice d’imposition 2018, du bénéfice de l’exonération du précompte immobilier portant sur les immeubles affectés à l’exercice public de leur culte, à défaut de rencontrer le nouveau critère légalement prévu, à savoir l’appartenance à une « religion reconnue ».

2. Les requérantes invoquent l’article 9 combiné avec l’article 11 de la Convention, l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, ainsi que l’article 14 de la Convention combiné avec les articles 9 et 11 de la Convention et avec l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

EN FAIT

3. Les requérantes ont été représentées par Me P. Muzny, avocat à Thoune (Suisse).

4. Le Gouvernement a été représenté par son agente, Mme I. Niedlispacher, du service public fédéral de la Justice.

5. Le 23 novembre 2017, le législateur de la Région de Bruxelles‑Capitale adopta une ordonnance « effectuant les adaptations législatives en vue de la reprise du service du précompte immobilier par la Région de Bruxelles‑Capitale ». Le texte de ladite ordonnance prévoyait qu’elle entrerait en vigueur à partir de l’exercice d’imposition 2018. En son article 12, cette ordonnance modifie le code des impôts sur les revenus en réservant désormais aux seules « religions reconnues » l’exonération du précompte immobilier en ce qui concerne les immeubles sis en Région de Bruxelles-Capitale affectés à l’exercice public d’un culte.

6. Les requérantes, neuf congrégations de Témoins de Jéhovah, n’appartenant pas à une religion reconnue, ne bénéficient dès lors plus de l’exonération dont elles bénéficiaient jusqu’alors sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale.

7. Le 6 juin 2018, les requérantes introduisirent un recours en annulation contre la disposition litigieuse de l’ordonnance précitée devant la Cour constitutionnelle. Elles invoquèrent la violation des articles 10 et 11 (principe d’égalité et de non-discrimination), 19 (liberté des cultes) et 172 (égalité devant l’impôt) de la Constitution combinés avec les articles 9, 11 et 14 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

8. Par un arrêt du 14 novembre 2019 (no 178/2019), la Cour constitutionnelle rejeta ce recours en annulation. La Cour constitutionnelle jugea que le critère de la reconnaissance du culte était objectif et pertinent pour répondre au but légitime de la lutte contre la fraude fiscale. Elle estima également que l’impact financier subi par les requérantes n’était pas tel qu’il menacerait leur organisation interne, leur fonctionnement et leurs activités religieuses. Elle considéra que le critère de la reconnaissance du culte n’était pas disproportionné dès lors que les cultes non reconnus pouvaient solliciter la reconnaissance de leur culte. Pour le reste, elle souligna que la procédure de reconnaissance des cultes, critiquée par les parties requérantes, n’était pas régie par la disposition attaquée devant elle, de sorte qu’elle ne faisait pas l’objet du présent recours.

9. D’après les informations qu’elles ont fait parvenir à la Cour, les requérantes ne se sont pas encore acquittées de l’impôt litigieux.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

I. La Constitution belge

10. L’article 10 de la Constitution prévoit l’égalité des citoyens devant la loi. Son article 11 interdit toute forme de discrimination dans l’exercice de leurs droits et libertés. L’article 19 de la Constitution garantit la liberté des cultes et de leur exercice public. L’article 172 de la Constitution prévoit qu’il ne peut être établi de privilège en matière d’impôts et que nulle exemption ou modération d’impôt ne peut être établie que par une loi. Enfin, l’article 181 de la Constitution dispose que les traitements et pensions des ministres des cultes sont à la charge de l’État et que les sommes nécessaires pour y faire face sont annuellement portées au budget.

II. L’évolution des conditions de l’exonération du précompte immobilier en ce qui concerne les immeubles affectés à l’exercice public d’un culte en Région de Bruxelles-Capitale

11. La loi spéciale du 13 juillet 2001 portant refinancement des communautés et extension des compétences fiscales des régions a prévu la régionalisation du précompte immobilier. Le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale a repris le service du précompte immobilier à partir de l’année 2018. L’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 23 novembre 2017 « effectuant les adaptations législatives en vue de la reprise du service du précompte immobilier par la Région de Bruxelles‑Capitale » formalise cette reprise.

12. Avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance précitée (paragraphe 13 ci‑dessous), l’exonération du précompte immobilier, qui relevait de la compétence du législateur fédéral, concernait les immeubles ou parties d’immeubles « affectés sans but de lucre à l’exercice public d’un culte, ou de l’assistance morale laïque à l’enseignement, à l’installation d’hôpitaux, de cliniques, de dispensaires, de maisons de repos, de homes de vacances pour enfants ou personnes pensionnées, ou d’autres œuvres analogues de bienfaisance », sans que ne soit exigé que l’exercice public du culte justifiant l’octroi de l’exonération se rapporte à « une religion reconnue » (article 253 du Code des impôts sur les revenus).

13. L’article 12 de l’ordonnance du 23 novembre 2017 prévoit que l’article 253 du Code des impôts sur les revenus est remplacé par ce qui suit, en ce qui concerne les immeubles sis en Région de Bruxelles-Capitale :

« § 1er. Les exonérations prévues par les paragraphes 2 à 7 ne sont accordées que si l’occupant a affecté sans but de lucre le bien immobilier ou la partie de bien immobilier en question (…)

§ 2. Sur demande du contribuable, est exonéré du précompte immobilier, le revenu cadastral des biens immobiliers ou des parties de biens immobiliers qui remplissent les conditions cumulatives suivantes : a) être utilisés exclusivement comme lieu où se pratique l’exercice public d’un culte d’une religion reconnue ou de l’assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle ; b) être accessibles au public ; c) être utilisés fréquemment pour des évènements de culte ou d’assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle ; d) être gérés par un établissement local, reconnu par l’autorité compétente, chargée de la gestion du temporel du culte, ou par un établissement d’assistance morale du Conseil central laïque.

Ne sont pas visés par l’exonération mentionnée à l’alinéa précédent : a) les biens immobiliers ou parties de biens immobiliers utilisés comme habitation, ou équipés pour une telle utilisation ; b) les salles de fête ou de réunion, à moins que ne soit apportée la preuve qu’il s’agit là du lieu principal d’exercice public du culte ou de l’assistance morale et que des évènements de culte ou d’assistance morale s’y tiennent en moyenne au moins trois fois par semaine. »

14. Il ressort des travaux préparatoires de l’ordonnance précitée que l’insertion du critère de l’appartenance à un culte reconnu était justifiée par la nécessité de lutter contre les abus fiscaux et contre les cultes fictifs (Projet d’ordonnance effectuant les adaptations législatives en vue de la reprise du service du précompte immobilier par la Région de Bruxelles‑Capitale, exposé des motifs, Doc. parl., Parlement bruxellois, sess. ord., 2016-2017, A-554/1, p. 9).

15. Par un avis du 19 juin 2017, la section de législation du Conseil d’Etat a attiré l’attention du législateur bruxellois sur la nécessité de justifier la différence de traitement entre les cultes, selon qu’ils sont ou non reconnus par la loi fédérale afin d’éviter toute discrimination (Projet d’ordonnance effectuant les adaptations législatives en vue de la reprise du précompte immobilier par la Région de Bruxelles-Capitale, exposé des motifs, Doc. parl., Parlement bruxellois, sess. ord., 2016-2017, A-554/1, p. 28) : « En ce qui concerne l’exonération de précompte immobilier pour les biens immobiliers affectés à l’exercice d’un culte, il convient, comme la section de législation l’a déjà observé pour d’autres avantages accordés au bénéfice des seuls cultes reconnus, de justifier la différence de traitement ainsi réalisée entre les cultes existant en Belgique, selon qu’ils sont ou non reconnus par la loi fédérale, justification à apporter au regard des articles 10 et 11 de la Constitution combinés avec l’article 19 de celle-ci, ainsi qu’au regard de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme combiné avec l’article 9 du même instrument. »

III. La procédure et les critères de reconnaissance des cultes en Belgique

16. La Belgique offre la possibilité aux cultes d’introduire une demande de reconnaissance. Il s’agit d’une faculté et non d’une obligation. La reconnaissance des cultes est une compétence de l’autorité fédérale. L’une des principales conséquences de la reconnaissance réside, conformément à l’article 181 de la Constitution (paragraphe 10 ci-dessus), dans la prise en charge par l’État des traitements et pensions des ministres des cultes reconnus et des délégués de l’organisation philosophique non confessionnelle reconnue.

17. La procédure relative à cette reconnaissance n’est pas établie par une loi mais résulte d’une pratique administrative. Il ressort des réponses données par le ministre de la Justice à plusieurs questions parlementaires que, pour pouvoir prétendre à une reconnaissance, un culte doit : « 1) avoir suffisamment d’adeptes (plusieurs dizaines de milliers) ; 2) être structuré ; 3) être établi dans le pays depuis suffisamment longtemps (plusieurs décennies) ; 4) représenter un intérêt social ; 5) ne développer aucune activité qui pourrait aller à l’encontre de l’ordre social » (voir Question no 631 de M. Borginon du 4 juillet 1997, Q.R., Chambre, 1996-1997, p. 12970 ; Question no 231 de M. Borginon du 21 juin 2000, Q.R., Chambre, p. 5122 ; Question no 130 de M. Bex du 8 janvier 2004, Q.R., Chambre, p. 2843 ; Question orale no 3-999 de Mme Nyssen du 6 février 2006, Q.R., Chambre, 2005-2006).

18. La demande de reconnaissance doit être introduite auprès du ministre de la Justice, qui statue sur la réunion des critères précités. En cas de décision positive de sa part, le ministre peut déposer un projet de loi portant reconnaissance devant la Chambre des représentants, la reconnaissance du culte étant une prérogative du législateur.

19. À l’heure actuelle, il existe six cultes reconnus en Belgique : le culte catholique (loi du 18 Germinal an X (8 avril 1802)), le culte protestant (loi du 18 Germinal an X (8 avril 1802)), le culte israélite (décret du 17 mars 1808), le culte anglican (loi du 4 mars 1870), le culte musulman (loi du 19 juillet 1974) et le culte orthodoxe (loi du 17 avril 1985). La laïcité organisée a également été reconnue par une loi du 21 juin 2002. En 2017, un dialogue interreligieux a été mis en place entre l’autorité fédérale et les organes représentatifs des cultes reconnus et de l’organisation philosophique non confessionnelle reconnue.

20. Dans ses observations, le Gouvernement indique qu’une demande de reconnaissance du bouddhisme a été introduite le 20 mars 2006 par l’Union bouddhique belge et qu’une demande de reconnaissance de l’hindouisme a été introduite le 14 mars 2013 par le Forum hindou de Belgique. Á ce jour, il n’a pas été statué sur ces demandes de reconnaissance.

EN DROIT

I. OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES

21. Les requérantes allèguent une violation de l’article 9 combiné avec l’article 11 de la Convention, de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, ainsi que de l’article 14 de la Convention combiné avec les articles 9 et 11 de la Convention et avec l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

22. Les requérantes focalisant leurs critiques sur le nouveau critère réservant désormais aux seules religions reconnues le bénéfice de l’exonération du précompte immobilier pour les immeubles affectés à l’exercice public du culte, la Cour considère que la question posée par la présente affaire est avant tout celle de l’existence d’une différence de traitement entre les religions reconnues et les religions non reconnues. La Cour examinera dès lors prioritairement le grief pris de la violation alléguée de l’article 14 de la Convention combiné avec les articles 9 et 11 de la Convention et avec l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION combinÉ avec les articles 9 et 11 de la convention et AVEC l’article 1 du protocole no 1

23. Les requérantes s’estiment victimes d’une discrimination, en ce que par l’application de la nouvelle législation bruxelloise, l’octroi du bénéfice de l’exonération du précompte immobilier se trouve désormais conditionné au fait d’appartenir à une « religion reconnue ». Elles invoquent l’article 14 de la Convention combiné avec les articles 9 et 11 de la Convention et avec l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

L’article 14 de la Convention se lit comme suit :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (…) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

L’article 9 de la Convention se trouve ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

L’article 11 de la Convention dispose que :

« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.

2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État. »

L’article 1 du Protocole no 1 à la Convention prévoit quant à lui que :

« 1. Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

2. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

A. Sur la recevabilité

24. La Cour constate que les requérantes n’ont pas étayé leur grief tiré de l’article 14 combiné avec l’article 11 de la Convention. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention.

25. Constatant au surplus que le grief tiré de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 9 de la Convention et avec l’article 1 du Protocole no 1 n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

26. Les requérantes font valoir qu’elles ont été victimes d’une différence de traitement injustifiée par rapport aux religions reconnues, qui se trouvent dans une situation en tout point comparable à la leur, et peuvent, quant à elles, continuer à bénéficier de l’exonération du précompte immobilier. Elles remettent en cause l’objectif de lutte contre la fraude fiscale avancé par le Gouvernement. Elles considèrent que ce dernier n’apporte pas la preuve de l’existence d’abus en la matière et qu’il reste en défaut d’expliquer la raison pour laquelle les requérantes qui pratiquent un culte dont l’authenticité n’est pas remise en cause et qui n’ont jamais commis ou été suspectées de fraude fiscale, devraient être traitées comme des cultes fictifs, alors même qu’elles bénéficient depuis plusieurs décennies de la confiance des autorités. Elles considèrent que la possibilité avancée par le Gouvernement de demander et d’obtenir le statut de religion reconnue est un processus politique, qui dépend du pouvoir discrétionnaire du ministre de la Justice et ensuite du Parlement. Elles allèguent que le processus de reconnaissance du culte organisé au niveau fédéral présente des déficiences qui affectent tant les critères de reconnaissance que la procédure de reconnaissance et qui le rendent arbitraire. Elles considèrent que le fait que les cultes bouddhiste et hindouiste ne sont toujours pas reconnus en dépit de l’introduction de demandes par l’Union bouddhique belge en 2006 et par le Forum hindou de Belgique en 2013 illustre l’inefficience de la procédure de reconnaissance. Elles font encore valoir qu’il ne s’est jamais agi pour les autorités fiscales de contrôler l’authenticité du culte en tant que telle, mais de vérifier si un bâtiment est bien utilisé pour l’exercice d’un culte et que dès lors le critère de la reconnaissance du culte ne permet pas de faciliter l’exercice du contrôle sur la réalité de la pratique du culte dans les bâtiments exonérés. Elles remettent en cause la nécessité de limiter l’exonération du précompte immobilier aux seules religions reconnues dès lors que cette limitation ne concerne que les immeubles sis en Région de Bruxelles-Capitale, au contraire des immeubles situés en Région flamande et en Région wallonne. Enfin, elles soulignent, à l’appui de documents comptables, que le montant du précompte immobilier constitue une part substantielle des frais annuels de fonctionnement liés aux immeubles qu’elles affectent à l’exercice public de leur culte.

27. Le Gouvernement reconnaît l’existence d’une différence de traitement. Il affirme cependant que cette différence de traitement repose sur une justification raisonnable et objective, poursuit un but légitime et qu’il existe un rapport raisonnable et proportionné entre le but et les moyens utilisés. En particulier, le Gouvernement souligne que l’objectif du législateur bruxellois était de lutter contre la fraude fiscale et d’éviter que l’exonération ne soit accordée à des bâtiments affectés à l’exercice d’un culte qui, en pratique, n’en est pas un et avec pour seul objectif de permettre l’exonération du bâtiment. Il considère que le critère de la reconnaissance du culte au niveau fédéral est un critère objectif qui permet d’éviter de laisser aux autorités fiscales d’apprécier l’authenticité du culte. Le Gouvernement précise à cet égard que tout culte peut demander à être reconnu et que les requérantes sont libres de solliciter une reconnaissance officielle et d’ainsi bénéficier de l’exonération. Il expose encore que l’exonération est appliquée de manière neutre à tous les groupes satisfaisant aux critères objectifs établis par le législateur fiscal bruxellois. Enfin, il souligne que le précompte immobilier ne représente que 1,25 % du revenu cadastral majoré des centimes additionnels communaux et des centimes additionnels en faveur de l’agglomération bruxelloise.

2. Principes généraux

28. La Cour rappelle que l’article 14 de la Convention complète les autres dispositions normatives de la Convention et de ses Protocoles. Il n’a pas d’existence indépendante, puisqu’il vaut uniquement pour « la jouissance des droits et libertés » qu’elles garantissent. Certes, il peut entrer en jeu même sans un manquement à leurs exigences et, dans cette mesure, possède une portée autonome, mais il ne saurait trouver à s’appliquer si les faits du litige ne tombent pas sous l’empire de l’une au moins desdites clauses (voir, parmi beaucoup d’autres, Thlimmenos c. Grèce [GC], no 34369/97, § 40, CEDH 2000‑IV, et İzzettin Doğan et autres c. Turquie [GC], no 62649/10, § 155, 26 avril 2016).

29. Selon la jurisprudence constante de la Cour, pour qu’une question se pose au regard de l’article 14, il doit y avoir une différence dans le traitement de personnes placées dans des situations comparables. Une telle différence est discriminatoire si elle ne repose pas sur une justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement (voir, parmi d’autres, İzzettin Doğan et autres, précité, § 156).

30. La « religion » est expressément mentionnée à l’article 14 parmi les motifs de discrimination interdits. La Cour rappelle à cet égard que dans une société démocratique basée sur les principes du pluralisme et du respect de la diversité culturelle, toute différence fondée sur la religion ou la conviction doit être justifiée par des motifs impérieux (İzzettin Doğan et autres, précité, § 182).

31. Dans sa relation avec les divers religions, cultes et croyances, l’état se doit d’être neutre et impartial (Magyar Keresztény Mennonita Egyház et autres c. Hongrie, nos 70945/11 et 8 autres, § 76, CEDH 2014 (extraits)). Sauf dans des cas très exceptionnels, le droit à la liberté de religion tel que l’entend la Convention, exclut toute appréciation de la part de l’État sur la légitimité des croyances religieuses ou sur les modalités d’expression de celles-ci (Association Les Témoins de Jéhovah c. France, no 8916/05, § 48, 30 juin 2011).

32. Par ailleurs, la Cour rappelle que l’interdiction de la discrimination que consacre l’article 14 dépasse la jouissance des droits et libertés que la Convention et ses Protocoles imposent à chaque État de garantir. Elle s’applique également aux droits additionnels – pour autant qu’ils relèvent du champ d’application général de l’un des articles de la Convention – que l’État a volontairement décidé de protéger (Paroisse gréco-catholique Lupeni et autres c. Roumanie [GC], no 76943/11, § 162, 29 novembre 2016).

33. Par conséquent, si la liberté de religion, telle qu’elle est garantie par l’article 9 de la Convention, n’astreint pas les États contractants à créer un cadre juridique déterminé pour accorder aux communautés religieuses un statut spécial impliquant des privilèges particuliers, un État qui a créé un tel statut doit cependant veiller à ce que les critères fixés pour bénéficier de ce statut ne soient pas discriminatoires (İzzettin Doğan et autres, précité, § 164, et Molla Sali c. Grèce [GC], no 20452/14, § 155, 19 décembre 2018).

34. Enfin, en ce qui concerne la charge de la preuve, la Cour considère que, quand un requérant a établi l’existence d’une différence de traitement, il incombe au Gouvernement de démontrer que cette différence de traitement était justifiée (D.H. et autres c. République tchèque [GC], no 57325/00, § 177, CEDH 2007‑IV, et Molla Sali, précité, § 137).

3. Application au cas d’espèce

35. Se tournant vers les circonstances de la cause, la Cour note qu’à partir de l’exercice d’imposition 2018, les requérantes, neuf congrégations de Témoins de Jéhovah, ont été privées du bénéfice de l’exonération du précompte immobilier se rapportant aux immeubles qu’elles possèdent en Région de Bruxelles-Capitale et qu’elles prétendent affecter à l’exercice public de leur culte.

a) Quant à l’applicabilité de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 9 de la Convention et avec l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention

36. La Cour rappelle que si la liberté de religion, telle qu’elle est garantie par l’article 9 de la Convention, relève d’abord du for intérieur, elle implique de surcroît, notamment, celle de « manifester sa religion » individuellement et en privé, ou de manière collective, en public et dans le cercle de ceux dont on partage la foi. L’article 9 énumère les diverses formes que peut prendre la manifestation d’une religion ou d’une conviction, à savoir le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites (Association Les Témoins de Jéhovah, précité, § 48). En l’occurrence, il n’a pas été contesté par les parties que les immeubles des requérantes concernés par l’imposition litigieuse sont affectés à l’exercice public d’un culte.

37. Par ailleurs, les associations requérantes soutiennent, sans être contredites par le Gouvernement, que l’imposition litigieuse représente 23 % des dons qui leur sont versés et qui constituent, selon elles, leur source exclusive de financement. En outre, si cette imposition s’élève à 1,25 % du revenu cadastral majoré des centimes additionnels communaux et des centimes additionnels au profit de l’agglomération bruxelloise, il ressort des documents comptables produits par les requérantes, qui ne sont pas davantage contestés par le Gouvernement, que le montant dû au titre de cette imposition constitue, en réalité, une part conséquente des frais annuels de fonctionnement liés à ces immeubles. En effet, le précompte immobilier dû par les requérantes représente globalement entre 21,4 % (soit 41 984,23 euros pour l’ensemble des requérantes) et 32 % (soit 42 830,25 euros pour l’ensemble des requérantes) de ces frais suivant les années concernées. Dans cette mesure, il peut être considéré que cette imposition n’est pas insignifiante et affecte considérablement le fonctionnement des requérantes en tant que communautés religieuses (voir Association Les Témoins de Jéhovah, précité, § 53, qui statuait sur l’existence d’une « ingérence » dans le droit garanti par l’article 9 de la Convention).

38. De surcroît, la Cour observe que les autorités nationales ont elles‑mêmes lié l’exonération de l’imposition litigieuse à l’exercice public d’un culte, considérant implicitement mais nécessairement qu’une telle exonération contribue à un exercice effectif de la liberté de religion au sens de l’article 9 de la Convention. Les requérantes, qui bénéficiaient antérieurement de cette exonération, critiquent le fait que celle-ci se voit désormais subordonnée, pour le seul territoire de la Région de Bruxelles‑Capitale, à l’exercice public d’un culte d’une religion reconnue.

39. La Cour rappelle enfin que l’interdiction de la discrimination que consacre l’article 14 de la Convention dépasse la jouissance des droits et libertés que la Convention et ses Protocoles imposent à chaque État de garantir (paragraphe 32 ci-dessus). Cette interdiction s’applique également aux droits additionnels – pour autant qu’ils relèvent du champ d’application général de l’un des articles de la Convention – que l’État a volontairement décidé de protéger. Ce principe est profondément ancré dans la jurisprudence de la Cour (voir, parmi d’autres, Affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique » (fond), 23 juillet 1968, pp. 33‑34, § 9, série A no 6, et Stec et autres c. Royaume-Uni (déc.) [GC], nos 65731/01 et 65900/01, § 40, CEDH 2005‑X). Si l’État est allé au-delà de ses obligations et a créé des droits supplémentaires qui relèvent de la portée plus large des droits garantis par la Convention dans leur ensemble, il ne peut, dans l’application de ces droits, adopter de mesures discriminatoires au regard de l’article 14 (Cumhuriyetçi Eğitim ve Kültür Merkezi Vakfi c. Turquie, no 32093/10, § 48, 2 décembre 2014). Par conséquent, lorsque les autorités nationales octroient des privilèges fiscaux à certaines communautés sans y être nécessairement tenues par l’article 9 de la Convention, elles doivent également respecter l’article 14 de la Convention.

40. Aux yeux de la Cour, l’ensemble des éléments qui précèdent suffit à considérer que les faits de l’espèce tombent sous l’empire de l’article 9 de la Convention.

41. Par ailleurs, dans la mesure où la différence de traitement concernée porte sur l’octroi d’une exonération fiscale, qui, le cas échéant, pourrait permettre aux requérantes de se soustraire légalement au paiement d’un impôt, elle tombe également sous l’empire de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (Jehovas Zeugen in Österreich c. Autriche, no 27540/05, § 36, 25 septembre 2012, § 48, et Burden c. Royaume-Uni [GC], no 13378/05, § 59, CEDH 2008).

b) Quant à l’existence d’une différence de traitement

42. La Cour observe que les parties s’accordent sur l’existence d’une différence de traitement entre les communautés religieuses qui, à l’instar des requérantes, se trouvent privées, à défaut de reconnaissance, du bénéfice de l’exonération du précompte immobilier en Région de Bruxelles-Capitale à raison des immeubles affectés à l’exercice public d’un culte, et les autres communautés qui peuvent, quant à elles, continuer à en bénéficier dès lors qu’elles sont reconnues.

43. Elle estime que, quant à l’imposition en cause, les requérantes se trouvent dans une situation comparable à celle des communautés dont la religion est reconnue et dont les bâtiments sont affectés à l’exercice public d’un culte. Il reste donc à déterminer si la différence de traitement litigieuse repose sur une justification objective et raisonnable au regard de l’article 14, ce qui suppose la poursuite d’un but légitime et l’existence d’un rapport raisonnable de proportionnalité entre le moyen employé et le but visé (paragraphe 29 ci-dessus).

c) Quant à la poursuite d’un but légitime

44. La Cour note que par l’adoption de la mesure litigieuse, le législateur de la Région de Bruxelles-Capitale entendait lutter contre les abus tenant au bénéfice de l’exonération du précompte immobilier relativement à des immeubles qui étaient, en réalité, affectés à des cultes dits « fictifs » (paragraphe 14 ci-dessus).

45. La Cour observe qu’aucun cas concret de fraude n’a été cité dans les travaux préparatoires précédant l’adoption de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 23 novembre 2017. Le Gouvernement n’en a pas davantage fait état devant elle. Par ailleurs, il ne ressort pas du dossier soumis devant la Cour que les requérantes auraient commis ou auraient été suspectées d’avoir commis une quelconque fraude en bénéficiant antérieurement de l’exonération fiscale relative au précompte immobilier afférent à leurs lieux de culte. Cependant, la lutte contre la fraude fiscale constitue un but dont la légitimité ne saurait, en soi, être remise en cause par la Cour.

d) Quant à l’existence d’un rapport raisonnable de proportionnalité entre le moyen utilisé et le but visé au regard des garanties offertes dans le cadre de la procédure fédérale de reconnaissance des cultes

46. La Cour considère qu’en retenant la reconnaissance du culte comme critère de distinction présidant à l’exonération du précompte immobilier, les autorités ont opté pour un critère qui revêt un caractère objectif et qui peut s’avérer pertinent au regard du but poursuivi. En soi, le choix d’un tel critère relève de la marge d’appréciation dont les autorités nationales disposent dans le domaine considéré. Il n’entre pas dans les attributions de la Cour d’indiquer le critère qui devrait être adopté par les autorités nationales compétentes.

47. S’il est vrai que le critère de la reconnaissance est actuellement retenu par la seule Région de Bruxelles-Capitale, à la différence de la Région flamande et de la Région wallonne, il ne peut en être inféré une discrimination contraire à l’article 14 de la Convention. La Cour rappelle en effet qu’elle a toujours respecté les particularités du fédéralisme dans la mesure où celles-ci sont compatibles avec la Convention (Osmanoğlu et Kocabaş c. Suisse, no 29086/12, § 99, 10 janvier 2017, Affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique », précité, § 10).

48. En l’occurrence, le Gouvernement soutient que les requérantes sont libres de solliciter une reconnaissance de leur culte au niveau fédéral pour continuer de bénéficier de l’exonération litigieuse sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale. Les requérantes objectent qu’il serait totalement vain de solliciter pareille reconnaissance en raison des graves déficiences entourant la procédure de reconnaissance.

49. Á cet égard, la Cour note que si, par son arrêt 178/2019 du 14 novembre 2019, la Cour constitutionnelle a rejeté le recours introduit par les requérantes contre la différence de traitement litigieuse instaurée par l’ordonnance du 23 novembre 2017, la Cour constitutionnelle ne s’est toutefois pas prononcée sur les critiques des requérantes portant sur la procédure de reconnaissance des cultes dès lors qu’elle a estimé que celle-ci n’était pas régie par la disposition attaquée devant elle et qu’elle échappait par conséquent à son contrôle de constitutionnalité (paragraphe 8 ci-dessus).

50. De son côté, dès lors que l’exonération fiscale dont les requérantes sont désormais privées, repose entièrement sur le critère de la reconnaissance du culte, la Cour se doit de vérifier si le régime fédéral de la reconnaissance offre des garanties suffisantes contre des traitements discriminatoires contraires à l’article 14 de la Convention dans le bénéfice de cette exonération.

51. Sur ce point, la Cour ne peut que constater que ni les critères de reconnaissance, ni la procédure au terme de laquelle un culte peut être reconnu par l’autorité fédérale, ne sont prévus par un texte satisfaisant aux exigences d’accessibilité et de prévisibilité, lesquelles sont inhérentes à la notion de prééminence du droit qui gouverne l’ensemble des articles de la Convention (Karácsony et autres c. Hongrie [GC], nos 42461/13 et 44357/13, § 156, 17 mai 2016).

52. Ainsi, la Cour constate, d’une part, que la reconnaissance d’un culte procède de critères qui n’ont été identifiés par le ministre de la Justice qu’à la faveur de questions parlementaires qui lui ont été adressées (paragraphe 17 ci-dessus). En outre, libellés en des termes particulièrement vagues (ibid.), ils ne peuvent, à l’estime de la Cour, être considérés comme offrant un degré suffisant de sécurité juridique. La Cour rappelle que le principe de sécurité juridique est implicite dans l’ensemble des articles de la Convention (Guðmundur Andri Ástráðsson c. Islande [GC], no 26374/18, § 238, 1er décembre 2020).

53. La Cour relève, d’autre part, que la procédure relative à la reconnaissance des cultes n’est pas davantage encadrée par un texte, qu’il soit législatif ou même réglementaire. Il en résulte notamment que l’examen d’une demande de reconnaissance ne s’accompagne d’aucune garantie, tant en ce qui concerne l’adoption même de la décision statuant sur pareille demande qu’en ce qui concerne le processus précédant cette décision et le recours qui pourrait, le cas échéant, être exercé ultérieurement contre celle‑ci. La Cour observe notamment, à la suite des requérantes, qu’aucun délai ne régit cette procédure de reconnaissance. Elle note à cet égard, sur la base des observations du Gouvernement, qu’aucune décision n’a été prise à ce jour concernant les demandes de reconnaissance introduites par l’Union bouddhique belge et par le Forum hindou de Belgique, respectivement en 2006 et en 2013 (paragraphe 20 ci-dessus).

54. Enfin, la Cour relève que l’octroi de la reconnaissance est subordonné à la seule initiative du ministre de la Justice et dépend ensuite de la volonté purement discrétionnaire du législateur. Or, pareil régime comprend intrinsèquement un risque d’arbitraire et on ne pourrait raisonnablement attendre de communautés religieuses qu’en vue de bénéficier de l’exonération fiscale litigieuse, elles se soumettent à un processus qui ne repose pas sur des garanties minimales d’équité, ni ne garantit une appréciation objective de leur demande (comparer Magyar Keresztény Mennonita Egyház et autres, précité, §§ 102-103).

55. En conclusion, dès lors que l’exonération fiscale litigieuse est subordonnée à une reconnaissance préalable dont le régime n’offre pas de garanties suffisantes contre des traitements discriminatoires, la différence de traitement dont les requérantes font l’objet manque de justification objective et raisonnable.

56. Partant, il y a eu violation de l’article 14 de la Convention, combiné avec l’article 9 de la Convention et avec l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

III. Sur les autres violations alléguées

57. Eu égard à la conclusion à laquelle elle est parvenue sous l’angle de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 9 de la Convention et avec l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (paragraphe 56 ci-dessus), la Cour considère qu’il n’est pas nécessaire d’examiner séparément s’il y a eu violation de ces deux dernières dispositions prises isolément (Ponomaryovi c. Bulgarie, no 5335/05, § 64, CEDH 2011 ; voir également Cumhuriyetçi Eğitim ve Kültür Merkezi Vakfi, précité, § 54).

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

58. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

59. Les requérantes indiquent n’avoir, à ce jour, subi aucun dommage matériel dans la mesure où, d’après les informations qu’elles ont soumises à la Cour, elles ne se sont pas encore acquittées de l’impôt litigieux. Elles demandent chacune 1 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’elles estiment avoir subi.

60. Le Gouvernement ne formule pas d’observations au sujet de cette demande.

61. La Cour considère, compte tenu des circonstances de la cause, que le constat de violation de l’article 14, combiné avec l’article 9 et avec l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention constitue une satisfaction équitable suffisante à cet égard. Elle n’accorde donc aucune somme à ce titre.

B. Frais et dépens

62. Les requérantes réclament au total 5 000 EUR au titre des frais et dépens qu’elles ont engagés dans le cadre de la procédure menée devant la Cour.

63. Le Gouvernement ne formule pas d’observations.

64. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer aux requérantes la somme totale de 5 000 EUR pour la procédure menée devant elle, plus tout montant pouvant être dû par elles sur cette somme à titre d’impôt.

C. Intérêts moratoires

65. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Déclare, à l’unanimité, recevable le grief tiré de l’article 14 combiné avec l’article 9 de la Convention et avec l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention et déclare irrecevable le grief tiré de l’article 14 combiné avec l’article 11 de la Convention ;

2. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 9 de la Convention et avec l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

3. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément les griefs tirés de l’article 9 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

4. Dit, par six voix contre une, que le constat de violation constitue en lui-même une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par les requérantes ;

5. Dit, à l’unanimité,

a) que l’État défendeur doit verser aux neuf requérantes, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme totale de 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par les requérantes à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette, à l’unanimité, le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 avril 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Olga Chernishova                            Georges Ravarani
Greffière adjointe                                 Président

___________

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Serghides.

G.R.
O.C.

OPINION EN PARTIE dissidente DU JUGE Serghides

(Traduction)

1. Le seul aspect de l’arrêt que je désapprouve concerne le point 4 du dispositif, où la Cour dit que le constat de violation, livré au point 2, constitue en lui-même une satisfaction équitable pour le dommage moral subi par les requérantes.

2. À mon avis, l’article 41 de la Convention, tel qu’il est libellé, ne saurait être interprété comme signifiant que le constat d’une violation d’une disposition de la Convention peut en lui-même représenter une « satisfaction équitable » suffisante pour « la partie lésée » : le premier élément constitue une condition préalable au second et l’on ne peut pas considérer que les deux sont équivalents (voir, dans le même sens, les paragraphes 5 à 9 de l’opinion en partie dissidente commune aux juges Serghides et Felici jointe à l’arrêt Grzęda c. Pologne [GC] no 43572/18, 15 mars 2022, et le paragraphe 9 de l’opinion en partie dissidente du juge Serghides jointe à l’arrêt Abdi Ibrahim c. Norvège [GC], no 15379/16, 10 décembre 2021).

3. Au demeurant, indépendamment de la justesse ou non de ma lecture de l’article 41 telle qu’exposée ci-dessus, j’aurais en tout état de cause accordé une indemnité pour dommage moral aux requérantes, car j’estime que, dans les circonstances particulières de l’espèce, elles devaient recevoir une satisfaction équitable à ce titre.

4. Ne pas allouer aux requérantes de somme pour le préjudice moral que leur a causé la violation de leurs droits revient selon moi à rendre illusoire et fictive la protection de ces droits (voir, dans le même sens, les opinions visées au paragraphe 2 ci-dessus). Cela va à l’encontre de la jurisprudence de la Cour, qui dit que la protection des droits de l’homme doit être à la fois concrète et effective, et non théorique et illusoire (Artico c. Italie, 13 mai 1980, §§ 33 et 47-48, série A no 37).

5. Par conséquent, j’aurais accordé aux requérantes une satisfaction équitable pour dommage moral au titre de l’article 41 de la Convention. Comme mon avis est minoritaire, je n’ai toutefois pas à déterminer quel montant il aurait fallu leur allouer.

Dernière mise à jour le avril 5, 2022 par loisdumonde

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