AFFAIRE BENGHEZAL c. FRANCE (Cour européenne des droits de l’homme) 48045/15

La requête concerne principalement la motivation de l’arrêt d’une cour d’appel qui, saisie d’un recours portant sur les seuls intérêts civils après un jugement de première instance ayant définitivement mis le requérant hors de cause sur le plan pénal, a condamné ce dernier au versement de dommages-intérêts en des termes susceptibles de le présenter comme coupable de l’infraction pour laquelle il venait pourtant d’être relaxé (article 6 § 2 de la Convention), ainsi que la condamnation du requérant par la Cour de cassation à payer une somme à la partie civile au titre des frais engagés par elle pour sa défense à hauteur de cassation (article 6 § 1 de la Convention).


CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE BENGHEZAL c. FRANCE
(Requête no 48045/15)
ARRÊT

Art 6 § 2 • Présomption d’innocence • Cour de cassation rejetant le pourvoi mais censurant sans ambiguïté le raisonnement de la cour d’appel et les termes inappropriés utilisés lors d’un litige civil jetant un doute sur le bien-fondé de la relaxe pénale du requérant
Art 6 § 1 (civil) • Restriction au droit d’accès à un tribunal disproportionnée lors de la condamnation du requérant à payer le montant relativement élevé des frais engagés par la partie civile pour sa défense devant la Cour de cassation • Procédure ayant permis d’obtenir un remède à l’atteinte à l’article 6 § 2 • Juridiction pouvant ne pas procéder ainsi

STRASBOURG
24 mars 2022

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Benghezal c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une Chambre composée de :

Síofra O’Leary, présidente,
Mārtiņš Mits,
Ganna Yudkivska,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Lətif Hüseynov,
Lado Chanturia,
Mattias Guyomar, juges,
et de Victor Soloveytchik, greffier de section,

Vu :

la requête (no 48045/15) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet État, M. Rachid Benghezal (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 24 septembre 2015,
la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement français (« le Gouvernement »),
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er mars 2022,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La requête concerne principalement la motivation de l’arrêt d’une cour d’appel qui, saisie d’un recours portant sur les seuls intérêts civils après un jugement de première instance ayant définitivement mis le requérant hors de cause sur le plan pénal, a condamné ce dernier au versement de dommages-intérêts en des termes susceptibles de le présenter comme coupable de l’infraction pour laquelle il venait pourtant d’être relaxé (article 6 § 2 de la Convention), ainsi que la condamnation du requérant par la Cour de cassation à payer une somme à la partie civile au titre des frais engagés par elle pour sa défense à hauteur de cassation (article 6 § 1 de la Convention).

EN FAIT

2. Le requérant, M. Rachid Benghezal, est un ressortissant français né en 1960 et résidant au Tampon. Il est représenté devant la Cour par Me B. Colin, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation.

3. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. François Alabrune, directeur des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

4. En 2006, les époux L. achetèrent un terrain pour y faire construire leur résidence principale. Le requérant, propriétaire du logement qu’ils louaient jusqu’alors et entrepreneur, les conseilla dans leur projet. Les époux L. établirent un contrat avec G.-N.P., qui leur avait été présenté par le requérant, en vue de faire réaliser sur ce terrain, des travaux de construction de deux villas. Par la suite, le 28 avril 2006, ils signèrent un contrat portant sur les mêmes travaux avec la société EGB, prétendument dirigée par G.P., qui leur avait également été recommandée par le requérant. À cette occasion, une attestation de garantie décennale leur fut remise.

5. Au cours d’une réunion de chantier organisée pour évoquer le non-respect des délais de construction ainsi que des malfaçons, les époux L. découvrirent que le requérant avait perçu une commission de 25 000 euros (EUR) pour les avoir mis en relation avec la seconde entreprise, que cette dernière n’était pas immatriculée, n’avait plus d’existence légale depuis 2003 et que l’attestation de garantie décennale était un faux.

6. Le 18 février 2009, les époux L. déposèrent plainte avec constitution de partie civile auprès du tribunal de grande instance de Saint-Pierre pour faux et usage de faux, ainsi que pour abus de confiance.

7. Par une ordonnance du 4 avril 2011, le juge d’instruction renvoya le requérant devant le tribunal correctionnel de Saint-Pierre pour escroquerie. Il lui était reproché d’avoir employé des manœuvres frauduleuses, en l’espèce en établissant un devis, un contrat de chantier et diverses correspondances au nom d’une société dépourvue de toute existence légale, et d’avoir trompé les époux L. pour les déterminer à contracter avec G.P. et à lui remettre des fonds, dans le but de percevoir ensuite une commission.

8. Par un jugement du 24 mai 2012, le tribunal correctionnel renvoya le requérant des fins de la poursuite et débouta les époux L. de leur demande de dommages-intérêts à son égard. Il estima que si les infractions reprochées à G.P. étaient constituées, tel n’était pas le cas s’agissant du requérant, faute de preuve. Ce jugement est définitif sur le plan pénal.

9. Mme L., en sa qualité de partie civile, interjeta appel du jugement sur les dispositions civiles. Comme relevé ultérieurement par la cour d’appel dans son arrêt, elle fonda son argumentation sur l’information judiciaire conduite par le juge d’instruction et sur les déclarations faites au cours des débats devant le tribunal correctionnel pour soutenir que tant la « culpabilité » du requérant que la « réunion des éléments constitutifs de l’infraction d’escroquerie » étaient établies.

10. Par un arrêt du 11 décembre 2013, la chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion, statuant sur l’appel de la partie civile concernant ses seuls intérêts civils, infirma, dans cette mesure, le jugement de première instance. Dans sa motivation, sous le titre « Sur les faits d’escroquerie », la cour d’appel reprocha tout d’abord au tribunal correctionnel d’avoir relaxé le requérant « sans pour autant rechercher si les actes positifs qui pouvaient [lui] être attribués n’avaient pas constitué des manœuvres frauduleuses déterminantes dont le but avait été d’amener les époux [L.] » à agir comme il le souhaitait pour parvenir à ses fins. Appréciant ensuite le comportement du requérant, les juges d’appel retinrent les motifs suivants :

« (…) [Le requérant] a employé des manœuvres frauduleuses au préjudice [des époux L.], qui avaient alors toute confiance en lui en sa qualité de professionnel et de propriétaire de la maison qu’ils louaient, en vue de les tromper en leur faisant croire que le premier entrepreneur retenu ne pouvait pas exécuter le chantier des deux villas, et afin de les déterminer à s’engager avec un autre entrepreneur, encore une fois choisi par lui, au profit duquel ils ont accepté de débloquer des fonds dont [le requérant] a partiellement bénéficié par l’attribution d’une commission de plusieurs dizaines de milliers d’euros. (…)

[Le requérant] a fini par admettre qu’il avait au moins édité sur son ordinateur personnel une grande partie des documents contractuels pour l’entreprise EGB, ce qui dénote une absence de réalité de cette société incapable de mettre en forme ses propres documents contractuels. (…)

Ces manœuvres frauduleuses commises par [le requérant], qui sont des actes positifs accomplis dans un but déterminé et non pas de simples mensonges, ont eu un caractère déterminant dans l’engagement des [époux L.] (…)

Il importe peu que la preuve de la connaissance par [le requérant] des manœuvres frauduleuses commises par [G.P.] n’ait pas été rapportée, l’intention frauduleuse est ici clairement caractérisée par tous les actes positifs initiaux accomplis par [le requérant].

Quant au mobile, distinct de l’intention coupable, il réside dans l’objectif visant à obtenir une commission sur le montant du chantier, la réalité de cette commission n’étant contestée que par son bénéficiaire [le requérant] et ayant été confirmée par [G.P.] devant les premiers juges.

Le préjudice subi n’est pas contestable, les remises d’espèces, dont une partie n’a pas été utilisée pour le chantier, ne l’ont été qu’en raison de manœuvres frauduleuses.

Ainsi, sur le plan civil, [le requérant] sera reconnu avoir commis le délit d’escroquerie. (…)

Par ces motifs,

La Cour (…) dit que sur le plan civil [le requérant] a commis une escroquerie au préjudice de [Mme L.] »

11. Le requérant fut condamné, solidairement avec G.P., à indemniser la partie civile à hauteur de 35 000 EUR pour les préjudices matériel et moral subis, outre 1 750 EUR au titre des frais et dépens.

12. Le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt, invoquant notamment une violation des articles 6 et 13 de la Convention. Dans son mémoire ampliatif, il soutint notamment que la cour d’appel, saisie du seul appel de la partie civile, avait statué sur des faits non compris dans sa saisine et outrepassé les limites de celle-ci, dès lors qu’il avait été relaxé en première instance. Il souleva également plusieurs moyens tirés du fait que, malgré cette relaxe définitive, la cour d’appel l’avait déclaré coupable de faits d’escroquerie, sans justifier sa décision ou en utilisant des motifs contradictoires, inopérants et hypothétiques, en violation des textes applicables.

13. Par un arrêt du 25 mars 2015, la Cour de cassation rejeta son pourvoi, pour les motifs suivants :

« (…) Attendu que, pour condamner [le requérant] à verser des dommages-intérêts à [Mme L.], l’arrêt [de la cour d’appel] retient qu’alors que celle-ci lui faisait toute confiance, il l’a trompée en lui faisant croire, d’une part, que le premier entrepreneur retenu ne pouvait exécuter le chantier, d’autre part, sur la foi de faux documents, que [G.P.] appartenait à la même entreprise, ce qui l’a déterminée à s’engager et à verser des fonds dont [le requérant] a partiellement bénéficié ;

Attendu que, si c’est à tort que les juges en déduisent que  » sur le plan civil, [le requérant] sera reconnu avoir commis le délit d’escroquerie « , ce dernier ayant été définitivement relaxé, l’arrêt n’encourt cependant pas la censure dès lors qu’il résulte de ses énonciations, dépourvues d’insuffisance comme de contradiction et qui répondent aux chefs péremptoires des conclusions régulièrement déposées, que le comportement du demandeur, analysé à partir et dans la limite des faits objets de la poursuite, est constitutif d’une faute civile qui a entraîné, pour [Mme L.], un préjudice direct et certain ouvrant droit à réparation. (…) »

14. En outre, la Cour de cassation condamna le requérant à payer 2 000 EUR à la partie civile au titre des frais engagés par elle pour sa défense dans le cadre du pourvoi, sur le fondement de l’article 618-1 du code de procédure pénale (CPP).

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

I. Le Code de procédure pénale

15. Les dispositions pertinentes du CPP, en vigueur à l’époque des faits, sont les suivantes :

Article 2

« L’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction (…) »

Article 3

« L’action civile peut être exercée en même temps que l’action publique et devant la même juridiction.

Elle sera recevable pour tous chefs de dommages, aussi bien matériels que corporels ou moraux, qui découleront des faits objets de la poursuite. »

Article 497

« La faculté d’appeler appartient :

(…)

2o A la personne civilement responsable quant aux intérêts civils seulement ;

(…) »

Article 618-1

« Lorsqu’une demande en cassation formée par la personne poursuivie ou par la partie civile a été rejetée, la cour peut condamner le demandeur à payer à l’autre partie la somme qu’elle détermine, au titre des frais non payés par l’État et exposés par celle-ci. La cour tient compte de l’équité ou de la situation économique du demandeur pour décider du prononcé de cette condamnation et en fixer le montant. »

II. La jurisprudence de la Cour de cassation

16. À la suite de l’arrêt Lagardère c. France (no 18851/07, 12 avril 2012), la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence par un arrêt du 5 février 2014, en posant le principe selon lequel « le dommage dont la partie civile, seule appelante d’un jugement de relaxe, peut obtenir réparation de la part de la personne relaxée, résulte de la faute civile démontrée à partir et dans la limite des faits objets de la poursuite » (Cass. crim., 5 février 2014, no 12-80.154). Elle a confirmé cette position dans de nombreux arrêts ultérieurs (Cass. crim., 11 mars 2014, no 12-88.131, Cass. crim., 24 juin 2014, no 13-84.478, Cass. crim., 7 janvier 2015, no 13-87.947, Cass. crim., 11 mars 2015, no 12-87.558, Cass. crim., 12 mai 2015, no 12-83.753, Cass. crim., 23 novembre 2016, no 15-83.517, Cass. crim., 7 décembre 2016, no 16‑80.083, et Cass. crim., 10 mai 2017, no 15-86.906), rappelant aux juges du fond qu’ils ne doivent pas prononcer de condamnation civile en imputant à une personne définitivement relaxée la commission d’une infraction pénale.

17. Par ailleurs, s’agissant de l’issue d’un pourvoi en cassation, un arrêt de rejet a pour effet de conférer à la décision attaquée un caractère irrévocable.

III. La jurisprudence du conseil constitutionnel

18. Par une décision du 31 janvier 2014 (no 2013-363 QPC), le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité de l’article 497 du CPP, a estimé que « la partie civile a la faculté de relever appel quant à ses intérêts civils ; qu’en ce cas, selon la portée donnée par la Cour de cassation au 3o de l’article 497 du code de procédure pénale, elle est en droit, nonobstant la relaxe du prévenu en première instance, de reprendre, contre lui, devant la juridiction pénale d’appel, sa demande en réparation du dommage que lui ont personnellement causé les faits à l’origine de la poursuite » et « que les dispositions contestées, qui ne sont contraires ni à la présomption d’innocence ni à un autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution ».

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 2 DE LA CONVENTION

19. Invoquant l’article 6 §§ 1 et 2 de la Convention, le requérant se plaint d’une violation de son droit à la présomption d’innocence, dans la mesure où la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion, dans son arrêt du 11 décembre 2013, a déclaré que « sur le plan civil, [il] sera reconnu avoir commis le délit d’escroquerie », alors que le tribunal correctionnel de Saint‑Pierre l’avait définitivement relaxé le 24 mai 2012. Il soutient également s’être vu opposer une présomption irréfragable de culpabilité par les juridictions internes. La Cour, maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (voir, parmi beaucoup d’autres, X et autres c. Bulgarie [GC], no 22457/16, § 149, 2 février 2021), estime approprié d’examiner l’ensemble de ces griefs sous l’angle de l’article 6 § 2 de la Convention, aux termes duquel :

« 2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

A. Sur la recevabilité

1. Arguments des parties

a) Le Gouvernement

20. Le Gouvernement considère que le requérant ne faisait l’objet d’aucune « accusation en matière pénale » et qu’il ne pouvait être considéré comme « accusé d’une infraction » à ce stade de la procédure. Il en déduit que l’article 6 § 2 de la Convention n’est pas applicable à la procédure d’appel sur les intérêts civils examinée en l’espèce par la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion. Il considère en outre que cette procédure civile n’entretenait pas, avec la procédure pénale antérieure, de liens tels qu’ils justifieraient d’étendre à cette dernière le champ d’application de l’article 6 § 2 de la Convention. Il estime que la demande d’indemnisation n’était pas le corollaire de la procédure pénale et que la Cour de cassation a corrigé l’erreur de la cour d’appel qui imputait au requérant la commission d’une infraction pénale « au civil ».

b) Le requérant

21. Le requérant estime que le lien entre, d’une part, l’indemnisation octroyée à la partie civile et, d’autre part, l’infraction, est clairement identifié, la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion ayant évalué les dommages-intérêts dus au titre d’un délit d’escroquerie qu’elle l’a accusé d’avoir commis, et ce alors qu’il venait de bénéficier d’une relaxe définitive. Il ajoute que la rectification, par la Cour de cassation, de l’erreur de droit ainsi commise par la cour d’appel ne suffit pas à ôter tout lien avec une accusation en matière pénale, puisque son pourvoi a été rejeté et que la déclaration de culpabilité subsiste dans l’arrêt litigieux de la cour d’appel.

2. Appréciation de la Cour

22. La Cour renvoie aux principes généraux affirmés à de nombreuses reprises et rappelés notamment dans les arrêts Lagardère c. France (no 18851/07, §§ 73-76 et 78, 12 avril 2012), Allen c. Royaume-Uni ([GC], no 25424/09, § 95-102, CEDH 2013) et G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie ([GC], nos 1828/06 et 2 autres, § 314, 28 juin 2018).

23. En premier lieu, s’agissant du cas de l’espèce, la condamnation civile du requérant à verser une indemnité visait, contrairement à une reconnaissance de responsabilité pénale, à réparer le dommage subi par la partie civile. Aux yeux de la Cour, il ne fait pas de doute que ni l’objet de la réparation mise à la charge du requérant ni son montant n’ont conféré à cette indemnité, en soi, le caractère d’une sanction pénale au sens de l’article 6 § 2 de la Convention. Dans ces conditions, et en dépit de l’approche retenue par la partie civile dans son argumentation d’appel, la demande en réparation n’équivalait pas à la formulation d’une autre « accusation en matière pénale » contre le requérant (Ringvold c. Norvège, no 34964/97, § 40, CEDH 2003‑II, et Lagardère, précité, § 79), étant rappelé que le jugement du tribunal correctionnel du 24 mai 2012 était définitif sur le plan pénal.

24. En second lieu, il reste à déterminer s’il existait entre la procédure pénale antérieure et l’action civile litigieuse des liens tels qu’il se justifierait d’étendre à cette dernière le champ d’application de l’article 6 § 2 de la Convention.

25. Sur ce point, la Cour relève que la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion a été saisie d’un recours exercé par la partie civile, à l’encontre du jugement rendu par le tribunal correctionnel de Saint-Pierre après le renvoi de l’affaire par un juge d’instruction (paragraphes 7-9 ci-dessus). Elle relève également que la partie civile a fondé son argumentation sur l’information judiciaire conduite par le juge d’instruction et sur les déclarations faites au cours des débats devant le tribunal correctionnel, pour soutenir que la « culpabilité » du requérant, tout comme la « réunion des éléments constitutifs de l’infraction d’escroquerie », auraient été établies (paragraphe 9 ci-dessus).

26. Par ailleurs, et en tout état de cause, la Cour estime que tant par le raisonnement qu’elle a tenu que par les termes qu’elle a utilisés, la cour d’appel a créé, entre la procédure pénale et l’action civile, un lien manifeste justifiant que soit étendu à la seconde le champ d’application matériel de l’article 6 § 2 de la Convention.

27. Or, la Cour a déjà jugé que si la décision interne portant sur l’action civile devait renfermer une déclaration imputant une responsabilité pénale à la partie défenderesse, cela poserait une question sur le terrain de l’article 6 § 2 de la Convention (Ringvold, précité, § 38, Y c. Norvège, no 56568/00, § 42, CEDH 2003‑II (extraits), Orr c. Norvège, no 31283/04, § 53, 15 mai 2008, et Lagardère, précité, § 83).

28. S’agissant de la présente affaire, la Cour relève que, dans son arrêt du 11 décembre 2013, la cour d’appel introduit son raisonnement relatif à la responsabilité civile du requérant par le titre « Sur les faits d’escroquerie ». Par la suite, elle motive son arrêt, d’une part, en critiquant la relaxe prononcée par le tribunal correctionnel au bénéfice du requérant, reprochant notamment aux premiers juges de n’avoir pas recherché « (…) si les actes positifs qui pouvaient [lui] être attribués n’avaient pas constitué des manœuvres frauduleuses déterminantes (…) » et, d’autre part, en reprochant expressément au requérant, à plusieurs reprises, d’avoir employé des « manœuvres frauduleuses » pour obtenir l’engagement des parties civiles et la remise des fonds. Or, outre le fait que l’existence de « manœuvres frauduleuses » constitue l’un des éléments constitutifs du délit d’escroquerie, les termes employés et le lien avec la remise de fonds correspondent exactement aux faits pénalement répréhensibles pour lesquels le requérant avait été renvoyé devant le tribunal correctionnel par le juge d’instruction. De plus, la Cour note que la cour d’appel évoque l’existence d’un « mobile », terme lié aux « manœuvres frauduleuses » imputées par l’arrêt au requérant, en se fondant sur les déclarations de son coprévenu qui a été condamné pour escroquerie. Enfin, la Cour souligne le recours, par la cour d’appel, à des notions relevant du champ lexical pénal : elle conclut, dans son arrêt, certes en prenant le soin de préciser que c’est « sur le plan civil » que le requérant sera reconnu « avoir commis le délit d’escroquerie » (paragraphe 10 ci-dessus). De la même manière, le dispositif de l’arrêt indique « que sur le plan civil (le requérant) a commis une escroquerie ».

29. La Cour considère que les termes de ce dispositif s’inscrivent dans le droit fil de la motivation qui précède et qui tend à la fois à critiquer la relaxe prononcée par le tribunal correctionnel et à caractériser, par l’emploi de termes relevant du droit pénal, l’existence non seulement d’une faute civile mais également de manœuvres frauduleuses et d’un mobile caractérisant une infraction pénale pour laquelle le requérant avait été pourtant définitivement relaxé.

30. La Cour en conclut que la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion a utilisé des termes inappropriés dans le cadre d’un litige portant sur les seuls intérêts civils, jetant ainsi un doute sur le bien-fondé de la relaxe dont le requérant a bénéficié (cf., notamment, Y, précité, § 46, et Lagardère, précité, §§ 83 et suivants). Elle relève d’ailleurs que cela ressort également de l’arrêt de la Cour de cassation, qui a jugé que les juges d’appel avaient à tort déduit de leurs constatations que « sur le plan civil, [le requérant] sera reconnu avoir commis le délit d’escroquerie », ce dernier ayant été définitivement relaxé » (paragraphe 13 ci-dessus).

31. Compte tenu de ce qui précède, elle estime que l’article 6 § 2 de la Convention est applicable en l’espèce. Par ailleurs, constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

a) Le requérant

32. Le requérant allègue que le seul fait de l’avoir déclaré coupable d’un délit dont il avait été définitivement relaxé suffit à caractériser l’atteinte à son droit au respect de la présomption d’innocence. Il ajoute que le rejet de son pourvoi a pour effet de rendre l’arrêt de la cour d’appel, qui contient les termes contestés, irrévocable. Évoquant l’examen des faits de l’espèce dans le cadre de la procédure interne, le requérant soutient notamment que, d’une part, la cour d’appel aurait posé une présomption irréfragable de culpabilité à son encontre en le déclarant coupable d’escroquerie et que, d’autre part, la Cour de cassation aurait validé l’existence de faits inventés.

b) Le Gouvernement

33. Le Gouvernement soutient, à titre subsidiaire, que l’article 6 n’a pas été violé en l’espèce. Il relève tout d’abord que la Cour de cassation a censuré une maladresse sémantique commise par la cour d’appel et que si elle n’a pas cassé l’arrêt de cette dernière, elle a bien relevé les éléments constitutifs de la faute civile imputée au requérant, jugeant que la cour d’appel avait justifié sa décision par des motifs suffisants pour caractériser l’existence de celle-ci. Tout en reconnaissant que la cour d’appel n’aurait pas dû écrire, dans son dispositif, que « sur le plan civil [le requérant] a commis une escroquerie », il indique que ce passage du dispositif doit être lu à la lumière de l’arrêt de la Cour de cassation qui le censure et de l’ensemble des termes du dispositif de l’arrêt de la cour d’appel qui ne prête pas à confusion. Il conteste enfin que la cour d’appel ait fait peser une présomption de culpabilité sur le requérant, renvoyant à sa motivation précise qui n’est ni arbitraire ni manifestement déraisonnable.

2. Appréciation de la Cour

34. La Cour estime tout d’abord que le requérant ne saurait prétendre que la cour d’appel, confirmée sur ce point par la Cour de cassation, lui aurait opposé une présomption irréfragable de culpabilité. Elle relève en effet que la motivation retenue par la cour d’appel ne contient aucun élément en ce sens et en déduit que l’argumentation du requérant à ce titre ne vise en réalité qu’à remettre en cause l’appréciation des éléments de preuve effectuée par les juges internes dans le cadre de l’action civile. Or, la Cour rappelle que, dans le cadre de son contrôle, elle n’a pas à tenir lieu de juge de quatrième instance et qu’elle ne remet pas en cause, sous l’angle de l’article 6 § 1, l’appréciation des tribunaux nationaux, sauf si leurs conclusions peuvent passer pour arbitraires ou manifestement déraisonnables (voir, récemment, Association Burestop 55 et autres c. France, no 56176/18 et 5 autres, § 67, 1er juillet 2021).

35. La Cour renvoie ensuite à son constat selon lequel la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion a utilisé des termes inappropriés dans le cadre d’un litige portant sur les seuls intérêts civils, jetant ainsi un doute sur le bien-fondé de la relaxe dont le requérant a bénéficié (paragraphes 28-30 ci-dessus), pour constater qu’elle a ainsi méconnu les exigences de l’article 6 § 2 de la Convention. Il reste que, dans le cadre de l’examen du pourvoi formé par le requérant, la Cour de cassation a effectivement examiné les moyens soulevés par ce dernier, et lui a donné raison en ce qui concerne les expressions litigieuses utilisées par les juges d’appel, en jugeant qu’ils avaient à tort déduit de leurs constatations que « sur le plan civil, [le requérant] sera reconnu avoir commis le délit d’escroquerie », dès lors qu’il avait été relaxé (paragraphe 13 ci-dessus).

36. Aux yeux de la Cour, alors même que le dispositif de son arrêt conclut au rejet du pourvoi dont elle était saisie, les motifs retenus par la Cour de cassation censurent sans ambiguïté tant les termes de l’arrêt d’appel qui caractérisaient une atteinte au droit à la présomption d’innocence du requérant que, de manière plus générale, l’approche par la cour d’appel dans son raisonnement. La Cour relève en outre que cette manière de procéder est conforme à la jurisprudence que la Cour de cassation a développée à partir du 5 février 2014, pour tenir compte des exigences de l’article 6 § 2 de la Convention rappelées dans l’arrêt Lagardère (précité), et selon laquelle « le dommage dont la partie civile, seule appelante d’un jugement de relaxe, peut obtenir réparation de la part de la personne relaxée, résulte de la faute civile démontrée à partir et dans la limite des faits objets de la poursuite » (paragraphe 16 ci-dessus). Certes, le rejet du pourvoi en cassation que justifiait le bien-fondé, aux yeux de la Cour de cassation, de l’arrêt contesté en ce qui concerne la réparation octroyée au titre de l’action civile, a eu pour effet que l’arrêt d’appel revête formellement un caractère irrévocable. Toutefois, les motifs et le dispositif de ce dernier doivent être lus à la lumière de la décision de la Cour de cassation et des motifs par lesquels elle s’est expressément prononcée sur le grief soulevé par le requérant (voir, a contrario, Orr, précité, § 54). Enfin, la Cour relève que la Cour de cassation ne s’est pas contentée de neutraliser l’emploi des termes litigieux en jugeant qu’ils avaient été utilisés à tort, mais qu’elle a également veillé à replacer le débat sur le terrain des seuls intérêts civils dont la cour d’appel était saisie, tout en s’assurant que l’arrêt contesté contenait à ce titre les énonciations suffisantes pour retenir l’existence d’une faute civile (paragraphe 13 ci-dessus ; cf. A. c. Norvège (déc.), no 65170/14, 29 mai 2018).

37. Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 2 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 § 1 et 13 DE LA CONVENTION

38. Le requérant se plaint du rejet de son pourvoi en cassation et de sa condamnation à payer 2 000 EUR à la partie civile au titre des frais engagés par elle à hauteur de cassation. Il invoque à ce titre la violation des articles 6 § 1 et 13 de la Convention. La Cour, maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, estime approprié d’examiner ces griefs sous l’angle du seul article 6 § 1 de la Convention, aux termes duquel :

Article 6 § 1

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal (…), qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) »

A. Sur la recevabilité

39. Constatant que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

a) Le requérant

40. Le requérant fait valoir qu’il ne disposait que du pourvoi en cassation pour obtenir la censure de l’arrêt de la cour d’appel le déclarant coupable d’avoir commis une escroquerie et qu’alors même que la Cour de cassation serait regardée comme lui ayant donné satisfaction dans cette mesure, il a été condamné, en qualité de partie perdante, à payer la somme de 2 000 EUR au titre des sommes exposées par la partie civile pour se défendre devant la Cour de cassation. Il en déduit que, ce faisant, il a été porté atteinte à son droit d’accès à un tribunal.

b) Le Gouvernement

41. Le Gouvernement, tout en rappelant que les États disposent d’une marge d’appréciation pour déterminer, dans un souci d’équité, qui doit supporter les frais de procédure in fine, estime que la condamnation du requérant à payer les frais de justice exposés par la partie civile ne lui a pas interdit de contester l’atteinte alléguée à la présomption d’innocence. Cette décision poursuivait un but légitime et ménageait un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens visés et le but recherché, dès lors que le pourvoi du requérant avait exposé la partie civile à des frais supplémentaires.

2. Appréciation de la Cour

42. La Cour constate qu’après avoir donné satisfaction au requérant en ce qui concerne l’atteinte à la présomption d’innocence, en censurant la motivation litigieuse retenue par la cour d’appel, la Cour de cassation l’a néanmoins condamné à payer la somme de 2 000 EUR à la partie civile au titre des frais engagés par elle pour sa défense dans le cadre du pourvoi qu’elle a rejeté dès lors qu’elle avait admis le bien-fondé de la réparation mise à la charge du requérant dans le cadre de l’action civile (paragraphe 14 ci-dessus).

43. De manière générale, l’obligation faite aux justiciables de payer aux juridictions civiles des frais afférents aux demandes dont elles ont à connaître ne saurait passer pour une restriction au droit d’accès à un tribunal incompatible en soi avec l’article 6 § 1 de la Convention. Toutefois, le montant des frais, apprécié à la lumière des circonstances particulières d’une affaire donnée, est un facteur à prendre en compte pour déterminer si l’intéressé a bénéficié de son droit d’accès (Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, 19 décembre 1997, § 33, Recueil 1997-VIII, Tolstoy Miloslavsky c. Royaume-Uni, 13 juillet 1995, §§ 61 et suivants, série A no 316‑B, et Stankov c. Bulgarie, no 68490/01, § 52, 12 juillet 2007). Tel est notamment le cas lorsque le paiement des frais exigibles n’a pas constitué une condition préalable à l’examen de l’action exercée par l’intéressé, mais que le montant de ces frais a été déterminé à l’issue de la procédure, après que les juridictions ont définitivement statué sur les demandes des parties. La Cour a déjà jugé que le fait d’imposer aux justiciables une charge financière considérable à l’issue d’une procédure peut avoir pour effet de limiter leur droit d’accès à un tribunal (Stankov, précité, § 54, Klauz c. Croatie, no 28963/10, § 77, 18 juillet 2013, Cindrić et Bešlić c. Croatie, no 72152/13, §§ 118 et suivants, 6 septembre 2016, et Čolić c. Croatie, no 49083/18, § 53, 18 novembre 2021).

44. S’agissant en particulier des frais de justice mis à la charge des parties perdantes à l’issue d’un procès, cela peut se révéler de nature à avoir un effet dissuasif pour les autres justiciables dans le cadre de leurs litiges respectifs (Stankiewicz c. Pologne, no 46917/99, §§ 62 et s., CEDH 2006‑VI, Stankov, précité, § 65, Klauz, précité, § 81, Cindrić et Bešlić, précité, §§ 119-123, et Taratukhin c. Russie (déc.), no 74778/14, § 34, 15 septembre 2020).

45. La Cour rappelle également que la Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs (voir, parmi beaucoup d’autres, Airey c. Irlande, 9 octobre 1979, § 24, série A no 32, et Aït-Mouhoub c. France, 28 octobre 1998, § 52, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII).

46. En l’espèce, la Cour relève tout d’abord que la seule voie de recours effective ouverte au requérant pour obtenir qu’il soit remédié à l’atteinte alléguée à la présomption d’innocence était de contester, devant le juge de cassation, la motivation de la solution retenue par la cour d’appel qui était saisie de l’action civile. Elle constate ensuite que cette voie s’est avérée efficace, dans la mesure où la Cour de cassation doit être regardée comme lui ayant donné satisfaction en censurant les termes litigieux de l’arrêt frappé du pourvoi (paragraphes 36-37 ci-dessus).

47. Dans ces conditions, et alors qu’il convient de rappeler que la mise à la charge de la partie perdante des frais exposés par la partie gagnante poursuit un but en principe compatible avec une bonne administration de la justice, la condamnation du requérant, sur le fondement de l’article 618-1 du CPP, à payer le montant des frais engagés par la partie civile pour sa défense devant la Cour de cassation, au demeurant relativement élevé, alors que, d’une part, la procédure qu’il avait utilisée lui avait permis d’obtenir qu’il soit remédié à l’atteinte à l’article 6 § 2 dont il était victime et, d’autre part, il était loisible à la Cour de cassation de ne pas procéder de la sorte, pour des considérations d’équité (paragraphe 15 ci-dessus), a eu pour effet de lui imposer une restriction à son droit d’accès à un tribunal disproportionnée au but légitime poursuivi.

48. Il s’ensuit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

49. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

50. Le requérant demande 45 136,14 EUR, correspondant aux différentes sommes versées à la partie civile, au titre de son préjudice matériel. Il invoque également un préjudice matériel complémentaire de 153 072,16 EUR en lien avec une instance civile postérieure. Il réclame également 20 000 EUR pour son préjudice moral, soit 10 000 EUR pour avoir été déclaré coupable à tort et 10 000 EUR pour avoir dû former un pourvoi en cassation pour ce motif en dépit de sa relaxe définitive.

51. Le Gouvernement conteste ces prétentions au titre du préjudice matériel. S’agissant du préjudice moral, il considère qu’un constat de violation suffirait à l’indemniser.

52. La Cour note qu’en l’espèce, la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable au requérant réside dans le fait qu’il a été porté atteinte à son droit d’accès à un tribunal, en violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

53. Elle rappelle qu’elle n’octroie un dédommagement pécuniaire au titre de l’article 41 que lorsqu’elle est convaincue que la perte ou le préjudice dénoncé résulte réellement de la violation qu’elle a constatée (voir, parmi beaucoup d’autres, Lagardère, précité, § 96). Elle estime que tel est bien le cas en l’espèce, s’agissant de la somme de 2 000 EUR que le requérant a été condamné à payer à la partie civile au titre des frais exposés par elle à hauteur de cassation. Partant, statuant en équité, elle alloue ce montant au requérant en réparation du préjudice matériel résultant de la violation de l’article 6 § 1 de la Convention constatée dans la présente affaire. Quant au préjudice moral, la Cour estime que le constat de violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante.

B. Frais et dépens

54. Le requérant sollicite 3 757,50 EUR pour le montant versé devant la Cour de cassation et 3 255 EUR au titre des frais exposés devant la Cour, soit un total de 7 052,50 EUR.

55. Le Gouvernement, qui relève que ces sommes sont justifiées et qu’elles ne sont pas excessives, estime qu’elles pourraient être allouées au requérant.

56. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’accorder au requérant la somme de 7 052,50 EUR qu’il demande.

C. Intérêts moratoires

57. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 2 de la Convention ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

4. Dit que le constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;

5. Dit,

a) a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel ;

ii. 7 052,50 EUR (sept mille cinquante-deux euros et cinquante centimes), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 mars 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Victor Soloveytchik                    Síofra O’Leary
Greffier                                       Présidente

Dernière mise à jour le avril 28, 2022 par loisdumonde

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